« C'est quoi cette histoire de trois mois ? » Interrogea Sora, tout en reprenant son souffle.
Jarek demeura silencieux pendant quelques instants, observant tour à tour Sora et Nerris. Il semblait hésiter, cherchant les mots justes pour s'exprimer sans pour autant leur dévoiler l'intégralité de la vérité. « Je ne peux pas tout t’expliquer pour l’instant, car des événements qui te dépassent sont en train de se produire à cet étage. Ces trois mois d’entraînement ont pour objectif de te préparer aux bouleversements à venir. »
Sora et Nerris semblaient perplexes, ne parvenant pas à saisir où Jarek voulait en venir. Toutefois, ils comprirent rapidement qu’il n’avait pas l’intention d’en dire davantage sur le sujet.
Sora serra les poings. Il détestait cette sensation d’être tenu à l’écart, comme s’il était trop insignifiant pour comprendre. Pourtant, Jarek ne le sous-estimait pas. Non, c’était autre chose. Un mélange de prudence et de nécessité.
« Très bien. » Lâcha Sora après un silence pesant. « Alors, qu’est-ce que je suis censé faire pendant ces trois mois ? »
Jarek esquissa un sourire, mi-amusé, mi-satisfait. « Travailler. Te renforcer. Et surtout, apprendre à survivre. Parce que crois-moi, si tu veux grimper cette Tour, tu ne peux plus te permettre la moindre faiblesse. »
Nerris, jusqu’ici silencieuse, fronça les sourcils. « Tu ne veux pas t'expliquer au lieu de rester énigmatique ? Tu m'as dit d'entraîner Sora, mais même moi je ne sais presque rien de ce que tu prépares. »
Jarek se contenta de hausser les épaules, l’ombre d’un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres. « Je vais vous expliquer la plus grosse partie du plan. Le reste vous comprendrez bien assez tôt. »
Un frisson parcourut l’échine de Sora. Il connaissait ce regard. Celui de quelqu’un qui en savait bien plus qu’il ne voulait en dire. Mais cette fois, il n’avait pas l’intention de rester passif.
« Dans ce cas, commençons. »
Le sourire de Jarek s’élargit. « Voilà ce que je voulais entendre. Pour faire simple, pendant un mois, Sora tu vas accompagner Nerris dans la forêt Brumenoire. Et les deux mois suivant... On verra ça plus tard, si tu es encore en vie. »
Sora haussa un sourcil. « Je ne suis pas sûr d'être réellement utile à Nerris si je vais là-bas. »
Jarek laissa échapper un rire bref, comme s’il attendait précisément cette réaction. « Effectivement, tu ne le seras pas. Cependant, tu n'auras pas vraiment le choix. »
Sora serra les dents. Il ne supportait pas l’idée d’être un poids pour qui que ce soit, encore moins pour Nerris.
« Et moi, je suis censée faire quoi, exactement ? » demanda cette dernière en croisant les bras.
« Absolument rien. » répondit Jarek avec un sourire en coin. « Ou au minimum, lui éviter une mort prématurée. »
Nerris haussa un sourcil. « Tu veux dire que je ne dois pas l’entraîner ? Juste l’empêcher de mourir ? »
Jarek acquiesça. « Exactement. S’il veut progresser, il doit apprendre par lui-même. Ce n’est pas en lui tenant la main qu’il deviendra plus fort. »
Sora sentit une légère irritation monter en lui. Il n’avait jamais demandé qu’on le traite comme un enfant.
« Très bien. » Il planta son regard dans celui de Jarek. « Je vais survivre. Et je vais devenir plus fort, que ça te plaise ou non. »
Un éclat amusé traversa le regard de Jarek. « C’est ce que j’espère. Parce que si tu échoues… » Il marqua une pause, son sourire s’effaçant légèrement. « Ce ne sera pas la forêt Brumenoire qui te tuera. »
Sora sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il voulait lui demander ce qu’il entendait par là, mais s'abstint, connaissant déjà la réponse que Jarek allait lui donner.
Nerris soupira et se tourna dans en direction de Sora qui semblait perplexe. « Tu réalises dans quoi tu t’embarques, au moins ? »
Sora serra les poings. « Je vais le découvrir. »
Nerris haussa les épaules. « Tant mieux. Parce qu’il n’y aura pas de retour en arrière. »
L’atmosphère était lourde. L’air semblait pesant, comme si les paroles de Jarek avaient laissé une empreinte invisible sur les lieux.
Sora inspira profondément, son regard fixé sur Nerris. Elle ne semblait ni inquiète ni enthousiaste, simplement résignée.
« On part quand ? » demanda-t-il d’une voix ferme.
Jarek soupira tout en gardant un grand sourire affiché sur le visage. « Maintenant. »
Le ton tranchant de sa réponse surprit Sora. Il s’attendait à avoir un peu plus de temps pour se préparer, mais il comprit rapidement que ces trois mois ne lui accorderaient aucun répit. Comme simple réponse, il regarda en direction de Nerris qui semblait presque aussi surprise que lui. Jarek ne lui avait apparemment presque rien raconté sur son rôle dans cet entraînement.
Jarek, toujours adossé au mur, un sourire en coin, fouilla dans une petite sacoche accrochée à sa ceinture. Il en sortit un paquet enroulé dans un tissu brun, qu’il lança à Sora.
Le jeune homme l’attrapa tant bien que mal, surprit par le poids. Il défit le tissu pour découvrir son contenu : Un petit couteau de chasse à la lame effilée, trois fioles d’un liquide verdâtre, un morceau de pain sec et quelques fruits séchés.
Sora leva un sourcil. « C’est tout ? »
Jarek haussa les épaules. « Tu voulais une armure et une épée sacrée ? Désolé, mais non. »
Sora serra les dents mais garda le silence.
Nerris, quant à elle, reçut un simple rouleau de parchemin que Jarek lui tendit sans un mot. Elle le déroula rapidement, son expression restant impassible.
« Des instructions ? » demanda-t-elle.
Jarek hocha la tête. « Une carte de la forêt. Enfin… plutôt une esquisse approximative. Je suppose que tu connais un peu cette forêt, mais malheureusement les choses bougent dans Brumenoire, alors ne t’y fie pas aveuglément. »
Nerris roula le parchemin et le glissa dans sa veste sans un mot.
Jarek les observa un instant, puis son sourire se fit plus large. « Bonne chance. »
Sora n’aimait pas cette façon dont il les regardait partir, comme s’il savait déjà à quel point les choses allaient mal tourner.
Sans un mot de plus, Nerris tourna les talons et se dirigea dans la direction du bâtiment. Sora lui emboîta le pas, le cœur battant plus fort qu’il ne l’aurait voulu.
Le soleil maintenant haut dans le ciel baignait Grimpoint d’une lueur dorée alors que Sora et Nerris quittaient la ville. L’air était encore frais, portant avec lui les odeurs familières de la pierre chauffée par l’aube et des étals de marché les entourants. Pourtant, l’ambiance était loin d’être détendue.
Sora marchait en silence, les pensées troublées par les paroles de Jarek. Trois mois. Pourquoi ce laps de temps précisément ? Il jeta un coup d’œil à Nerris, qui avançait d’un pas mesuré, le visage impassible. Il supposait qu'elle non plus ne connaissait pas la réponse à sa question et même si elle la connaissait, il doutait qu'elle le lui donnerait.
Au bout de deux heures de marche à travers les sentiers escarpés qui s’éloignaient de Grimpoint, le paysage changea. La lumière du jour, jusque-là claire et rassurante, commença à se voiler sous une brume légère qui semblait surgir du sol même. Les arbres, hauts et tordus, formaient une canopée dense qui filtrait les rayons du soleil, les réduisant à des filets pâles et vacillants. Une odeur terreuse, mêlée à celle de l’humidité stagnante, emplissait l’air.
« Bienvenue dans la forêt Brumenoire, » déclara Nerris d’un ton neutre, comme si elle annonçait quelque chose d’aussi banal que la couleur du ciel.
Sora s’arrêta un instant, observant l’étrange paysage qui s’étendait devant lui. Contrairement aux bois classiques qu’il avait déjà traversés, cette forêt semblait... vivante. Pas seulement animée par le vent ou les bruissements des feuilles, mais véritablement consciente. Chaque branche noueuse paraissait s’étirer dans sa direction, chaque racine semblait prête à attraper le pied du premier imprudent. Une ombre fugace passa entre deux troncs, disparaissant avant qu’il ne puisse en discerner la forme.
Il déglutit. « Tu es sûre qu’on ne pourrait pas commencer par un entraînement plus… progressif ? »
Nerris esquissa un sourire, le premier depuis leur départ. « Tu as choisi de venir ici de ton plein gré, alors ne te plains pas. Si tu veux survivre ici, il n’y a rien de progressif. C’est un bon moyen d’apprendre vite. »
C'était la première fois que Sora voyait Nerris en dehors de son poste d'hôtesse à l'Ordre des Mercenaires et il remarqua que son comportement était étrangement similaire à celui d'Emma.
Il prit un moment pour analyser cette pensée qui venait de traverser son esprit. La comparaison le frappait plus qu’il ne l’aurait cru. Il n’avait jamais imaginé que la gentille et souriante Nerris pouvait être associée à l’image qu’il avait d'Emma. Mais maintenant que l’idée germait, il ne pouvait s’empêcher de remarquer les similitudes frappantes dans leur comportement.
Toutes deux étaient implacables, dévouées à leur rôle sans jamais se laisser troubler par les émotions ou la fatigue apparente. Emma, bien qu'exigeante et stricte, avait une sorte de calme et de discipline qui forçait le respect. Nerris, elle, semblait tout aussi résolue, mais d’une manière plus détachée, comme si elle savait que la survie n'était qu'une question de pragmatisme, pas de compassion.
Sora secoua légèrement la tête, chassant cette pensée. Ce n'était pas le moment de se perdre dans des comparaisons inutiles. Pourtant, il se sentait soudainement plus nerveux. Nerris ne lui avait pas encore montré son côté instructeur, mais il avait l'impression que ses attentes seraient tout aussi élevées que celles d’Emma. Et cela le mettait encore plus sur le qui-vive. Peut-être qu’il avait encore trop tendance à se considérer comme un simple jeune homme sans aucune expérience.
Mais au fond de lui, il savait qu’il n’était plus ce lycéen sans ambition, celui qui avait vécu dans l’ombre. La Tour et la "Collection" étaient ses nouvelles réalités, et il ne pouvait plus se permettre d’être faible. Le regard de Nerris se tourna vers lui, comme si elle avait perçu son malaise.
« T’inquiète pas, » dit-elle avec une légère pointe de sarcasme. « On ne va pas s'enfoncer plus loin pour le moment. On va s’installer ici pour aujourd’hui. Essayons de trouver un abri, de rassembler du bois et de faire en sorte que rien ne nous surprenne durant le reste de la journée. »
Sora fronça les sourcils. « C’est tout ? »
Elle haussa les épaules. « Si tu souhaites survivre alors oui c'est tout. Voyons déjà si tu es capable de gérer ça. »
« Mais dans ce cas, » dit-il d’un ton perplexe, « pourquoi tu n'utilises pas ton Ushi pour qu'on ait directement du bois ici ? »
Nerris fixa Sora dans le blanc des yeux, comme s'il venait de dire une énormité plus grande que lui. « Je ne souhaites pas rameuter toutes les bestioles de la forêt sur nous, alors je ne l'utilises pas. Tout le monde réagit au Ushi, les animaux en font parti, s'ils sentent un Ushi étranger se déverser dans leurs habitats, forcément ils vont tous accourir ici. »
Alors qu'il regardait Nerris lui expliquer ça, comme elle l'expliquerait à un enfant, Sora se rappela que le Ushi était contenu dans chaque être vivant ou non dans cette Tour, alors évidemment, les monstres de cette forêt n'étaient pas une exception. En fait, la seule exception, c'était lui-même.
« Oh oui je comprends. Donc on doit se débrouiller par nous même ? »
Nerris s’avança d’un pas décidé, balayant du regard les alentours. « Exactement ! On va chercher du bois pour un feu. L’endroit où on va s’installer ne sera pas un hôtel cinq étoiles, mais on peut au moins éviter de mourir de froid. »
Sora la suivit sans poser de question supplémentaire, de peur de passer de nouveau pour un idiot, son esprit devenant de plus en plus occupé à apporter la meilleure aide possible à Nerris. Il s’agenouilla pour examiner les feuilles mortes autour de lui, cherchant des brindilles, des branches cassées, tout ce qui pourrait être utilisé pour allumer un feu. Il fallait qu’il prouve à Nerris, et à lui-même, qu’il pouvait survivre dans cet environnement hostile.
Pendant ce temps, Nerris se faufilait entre les arbres, les yeux rivés sur le sol. Elle semblait plus à l’aise ici que lui, comme si elle était parfaitement en harmonie avec la forêt. Sora ne pouvait s’empêcher de la comparer à Emma. Elle aussi avait une telle maîtrise d’elle-même, cette même capacité à rester calme en toute circonstance.
Au bout de quelques minutes, Nerris revint vers lui avec un petit tas de bois sec qu’elle avait collecté. « Voilà, » dit-elle en le posant au sol avec un geste assuré. « Maintenant, à toi de jouer. »
Sora la regarda, un peu surpris. « Tu ne vas pas m'aider à allumer le feu ? »
Elle lui lança un regard amusé. « Si tu veux survivre, il va falloir y mettre du tiens. Ce n’est pas en attendant qu’on fasse tout pour toi que tu apprendras. »
Sora déglutit et se pencha sur le tas de bois, fouillant dans ses poches pour vérifier s'il avait un moyen d’allumer un feu. Mais alors qu’il mettait sa main dans sa poche, Nerris lui tendit une petite pierre plate.
« Tu peux essayer avec ça. C’est mieux pour garder tes ressources pour plus tard. »
Sora, perplexe, prit la pierre. Il n’était pas sûr de comprendre ce qu’elle attendait de lui, mais il n’allait pas la laisser avoir raison sans au moins essayer. Il fit quelques essais, frappant la pierre contre une autre qu'il avait trouvée, jusqu'à ce qu'il entende enfin le bruit caractéristique d’une étincelle. Après quelques essais, une petite flamme vacilla dans les airs.
Le jeune homme se retourna vers Nerris et la regarda avec étonnement, presque incrédule d’avoir réussi à allumer un feu aussi rapidement. La chaleur du feu naissant réchauffa instantanément l’atmosphère autour de lui. C’était une petite victoire, mais une victoire tout de même.