Sora ne parvenait pas à deviner le nombre exact de Rôdeurs Écorchés se trouvant autour de lui, mais il en était sûr, ils étaient plus nombreux que les trois qu'il venait de tuer.
« Cette fois aussi tu vas rester là à me regarder ? » Demanda-t-il tout en continuant d'examiner les alentours.
« Évidemment… Jarek m'a demandé de t'entraîner, alors tu vas t'entraîner. Je ne vais pas te faire tout le boulot. » Reprit Nerris, tout en restant adossé contre un arbre à quelques mètres de Sora.
Sora resserra sa prise sur son épée, encore poisseuse du sang noirâtre des Rôdeurs qu’il avait déjà vaincus. Son souffle était saccadé, ses muscles tendus, mais son esprit, lui, restait lucide. Il ne pouvait pas se permettre de faiblir.
Un bruissement sur sa droite. Puis un autre derrière lui. Ils approchaient en nombre. Vu le bruit qu'ils émettaient, Sora put deviner qu'il devait y en avoir une bonne dizaine.
Il avala sa salive, tentant de calmer les battements frénétiques de son cœur. Dix contre un… Ce n’était pas un combat. C’était une traque.
Un craquement sec surgit sur sa droite. Il pivota immédiatement, les genoux légèrement fléchis. Un Rôdeur surgit des fourrés, la peau arrachée laissant entrevoir des muscles noircis. Sa mâchoire pendait de travers, et ses yeux, injectés d’un rouge malsain, fixaient Sora avec une haine animale.
Il abattit son épée d’un coup circulaire. La créature tenta d’esquiver, mais la lame mordit profondément son épaule. Un cri rauque s’échappa de sa gorge, mais elle ne tomba pas. Sora enchaîna avec un coup de pied dans son abdomen, la projetant contre un arbre.
Pas le temps de souffler.
Deux autres bondirent dans son champ de vision. L’un s’élança à quatre pattes comme une bête sauvage. Sora recula d’un pas, para une première griffe qui ricocha contre sa lame, mais l’impact fit vibrer ses bras. Le deuxième Rôdeur, plus rapide, contourna par la gauche. Il lança un coup de griffe à la hauteur du visage.
Sora baissa la tête juste à temps, sentant le vent du coup frôler ses cheveux. Il répliqua à l’aveuglette, son épée décrivant une large arche dans l’air. Il sentit une résistance, un craquement osseux, puis un sang visqueux éclaboussa sa joue.
Un autre venait déjà de face, cou tendu, bras levés. Il n’avait pas le temps de ramener son épée. Il laissa tomber son épaule contre le torse de la créature, la heurtant de tout son poids, et la plaquant violemment au sol. Le choc fit craquer ses os, mais le monstre se débattait encore, ses griffes lacérant le bras de Sora.
Sora le frappa à plusieurs reprises, son poing percutant le visage déformé. Au quatrième coup, le Rôdeur cessa de remuer. Il se releva, l’épaule en feu, le bras en sang, et reprit sa lame.
Un souffle rauque dans son dos.
Il se retourna vivement. Trop tard.
Une griffe s’enfonça dans sa hanche. La douleur fut fulgurante. Sora grogna, planta son épée à l’aveugle derrière lui. Elle s’enfonça dans quelque chose de mou. Un râle guttural. Il tira d’un coup sec, et la lame ressortit en arrachant des chairs.
Il chancela. Ses jambes tremblaient, mais il tenait encore debout.
Il y en avait trois de moins maintenant. Les autres, pourtant, ne ralentissaient pas. Ils entouraient l’arbre comme des charognards, grondant, griffant le sol, excités par l’odeur du sang.
Celui qu'il avait envoyé valser contre l'arbre revenait à la charge, tête baissée. Sora l’attendait. Il s’écarta d’un pas sur le côté et abattit son épée de toutes ses forces dans le dos du monstre. La colonne vertébrale céda dans un craquement sec. La bête s’effondra finalement après ce dernier coup.
Les suivants vinrent par deux. Ils n’avaient plus de stratégie, plus d’ordre, seulement la rage. Sora para le premier, dévia la griffe de l’autre avec le plat de sa lame et pivota dans une série de mouvements hachés. Son bras était engourdi, sa respiration saccadée. Chaque mouvement devenait plus lourd.
Il trancha une jambe, esquiva un bond, roula sur le sol pour éviter une morsure, et, dans un geste instinctif, planta son épée vers le haut. Le poids d’un Rôdeur tomba sur lui, empalé. Le sang noir coula sur son torse, poisseux et chaud.
Il repoussa le cadavre, se redressa difficilement, cligna des yeux pour chasser la sueur et le sang qui lui brouillaient la vue.
Quatre silhouettes se tenaient encore debout, grognant, hésitant.
Il resserra ses doigts sur la poignée de son épée. Il boitait, son abdomen le faisait souffrir, mais il tenait bon. Les quatre derniers foncèrent ensemble.
Sora hurla, se jeta en avant, lame levée.
Avant même que le premier ne puisse réagir, Sora lui avait déjà planté sa lame dans le crâne. Un bruit humide et viscéral retentit lorsque la lame perfora son crâne et en ressortit.
Il n'en restait plus que trois. Sora se retourna rapidement et put parer le coup de lance qui se dirigeait dans sa direction. Il échangea quelques coups avec le Rôdeur avant de sentir trois griffes lui déchirer l'abdomen.
Le coup fut tellement puissant que ses jambes le lâchèrent ; il se retrouvait désormais au sol, à bout de forces. Mais les trois derniers monstres étaient encore debout : un seul semblait avoir une blessure apparente, les deux autres étaient encore en parfaite condition.
Sa vision commençant à se troubler, Sora regarda rapidement en direction de Nerris qui était adossée à son arbre et remarqua qu'elle n'avait toujours pas bougé.
Sans trop savoir pourquoi, cela lui avait redonné suffisamment de force pour se relever et attraper à pleine main le manche de la lance se dirigeant en plein dans son torse.
Il sentait ses forces le quitter petit à petit, mais il était encore supérieur aux Rôdeurs et put assez facilement s'emparer de la lance de son assaillant et la planter dans son maigre torse.
Le Rôdeur empalé s’effondra en un gargouillis étouffé. Sora retira la lance d’un geste sec, haletant, les jambes fléchies. Le sang poisseux de la créature lui coulait jusque dans les bottes, chaque respiration lui arrachait une grimace. Il n’en pouvait plus. Mais deux ombres avançaient encore, à pas feutrés, les yeux braqués sur lui comme des bêtes affamées flairant un morceau encore chaud.
Le premier bondit.
Sora n’avait plus la force de lever son épée. Il se laissa tomber sur le côté, roulant dans la boue, et sentit les griffes lacérer le vide là où, une seconde plus tôt, se trouvait son flanc. Le second Rôdeur le suivit, plus méthodique. Il fondit sur lui, prêt à lui briser le crâne.
Sora ramena la lance dans un mouvement désordonné, par pur réflexe. La hampe de bois frappa la tempe du monstre avec un craquement sec. Déséquilibrée, la créature vacilla, ce qui laissa à Sora une ouverture.
Il se redressa à moitié, rassembla tout ce qui lui restait d’énergie, et hurla en plantant la lance dans le ventre du monstre. Il poussa jusqu’à ce que le bois se brise contre l’armature osseuse, puis bascula avec la créature au sol, ses doigts crispés sur le manche brisé.
Plus qu’un.
Le dernier.
Il approchait lentement. Un long filet de bave noire lui dégoulinait sur le menton, ses griffes raclaient la terre, impatientes. Sora sentit un spasme dans sa jambe, puis un autre dans son bras. Ses muscles le lâchaient, un à un.
Mais il ne bougea pas. Il attendit.
Le Rôdeur s’approcha, flairant sa proie comme s’il voulait savourer la dernière bouchée. Sora laissa tomber son épée, fit mine de s’effondrer. La créature bondit aussitôt, toutes griffes dehors.
C’est ce qu’il attendait.
Il saisit ce qu’il restait de la lance, leva les bras au dernier moment et planta le bois brisé dans la gorge du monstre. Un gargouillis écœurant résonna, mêlé d’un râle douloureux. Le corps s’agita dans tous les sens, frappant Sora de coups désordonnés. Il serra les dents, maintint le pieu enfoncé jusqu’à ce que les convulsions cessent enfin.
Le silence revint.
Lourd. Moite. Absolu.
Sora resta là, allongé dans la boue, sous les cadavres, le corps tremblant, les vêtements en lambeaux, couvert de sang, le sien et celui des autres. Il fixait les feuillages, incapable de bouger, incapable de penser.
Des pas s’approchèrent.
Lents. Calmes.
Nerris apparut dans son champ de vision, les bras croisés, l’air tranquille.
« Bien. T’as survécu. » dit-elle simplement, sans émotion.
Elle s’agenouilla à côté de lui, lui jeta un coup d’œil rapide. « T’as l’air dégueulasse. » Ajouta-t-elle d'un air amusé.
Sora ouvrit la bouche pour répliquer, mais aucun mot ne sortit. Il roula simplement sur le dos en gémissant.
Et dans un souffle à peine audible, il murmura : « J’espère que le spectacle t'a plu. »
Toujours agenouillée à côté de lui, Nerris sortit un tissu de sa poche et commença à nettoyer le corps ensanglanté de Sora.
Elle ne disait rien. Ses gestes étaient méthodiques, presque doux, contrastant étrangement avec son ton moqueur des derniers jours, un peu comme si son caractère protecteur de l'Ordre reprenait le dessus. Le tissu glissa sur la joue de Sora, y délogeant une épaisse traînée de sang séché. Puis ce fut son front, son cou, ses bras. Il tressaillit lorsque le tissu passa sur ses côtes blessées, mais ne dit rien. Il n’avait plus la force de jouer les fiers.
« T'as de la chance, si t'avais pris un seul coup supplémentaire, j'aurais été obligée d'intervenir, » dit-elle finalement, comme une simple constatation.
Il ferma les yeux, un mince sourire étirant ses lèvres fendues. Le silence retomba. Juste le souffle du vent dans les feuilles, les cris des oiseaux plus loin. Pendant un instant, le monde semblait à nouveau respirer.
Puis un craquement résonna dans les buissons.
Sora rouvrit les yeux, instantanément tendu. Son corps protesta, mais il tenta malgré tout de se redresser. Nerris posa une main sur son épaule pour le maintenir au sol.
« T’inquiète, » souffla-t-elle. « C’est pas un Rôdeur. »
Une silhouette se glissa entre les arbres, fluide comme une ombre portée par la lumière. Les feuilles frémirent alors qu’il apparaissait enfin, le pas nonchalant, un demi-sourire aux lèvres.
Jarek.
Il portait son éternelle armure légère, et dans ses yeux brillait cette lueur d’ironie tranquille qui rendait Sora fou à chaque fois.
« Joli massacre, » dit-il en approchant, ses bottes écrasant mollement les branches mortes au sol. Il se pencha légèrement au-dessus de Sora, haussant un sourcil. « T’as l’air… vivant. C’est déjà ça. »
Sora roula des yeux, trop épuisé pour une réponse cinglante. « J’ai failli y passer… »
« Mais t’es encore en vie. » Jarek se redressa, croisant les bras. « C’est là toute la différence. »
Nerris, toujours accroupie, poursuivit son nettoyage comme si la présence de Jarek n’était qu’un détail de plus dans la forêt.
« Tu te fais toujours désirer comme ça ? » marmonna Sora, à moitié conscient.
Jarek haussait les épaules. « Je voulais voir jusqu’où tu tiendrais. »
Un silence s’installa. Puis Jarek s’agenouilla à son tour, son visage se durcissant légèrement en voyant l’état de Sora d’un peu plus près.
« On devrait pas traîner ici, » dit-il, le ton un peu plus sérieux. « Ces bestioles bougent souvent en meute. Y en aura d’autres. »
Nerris hocha la tête. « Il peut marcher ? »
Sora tenta de se redresser à nouveau, les muscles en feu. Il grimaça, mais cette fois, il ne retomba pas.
« Je peux. » affirma-t-il, même si c’était presque un mensonge.
Jarek le regarda un instant, puis tendit une main. Sora hésita, mais finit par la saisir. Leur poigne se referma, ferme, presque complice.
« Alors lève-toi, gamin. Nous n'attendrons personne. »
Et d’un mouvement sec, Jarek le remit sur ses pieds. Sora chancela, mais resta debout. Nerris ramassa son épée, la lui tendit.
« J’espère que t’as retenu la leçon, » dit-elle, un petit sourire au coin des lèvres.
Sora prit la lame, l’essuya vaguement sur sa manche déchirée. « Ouais. Ne jamais croire que vous viendrez m’aider. »
Jarek éclata de rire, son écho résonnant à travers la clairière. « T’as tout compris. »
Et ensemble, ils s’éloignèrent de la scène du carnage, les traces de leur passage gravées dans la boue, comme les premières marques d’un chemin encore long à parcourir.
Une fois arrivée au temple qui leur servait d'air de repos, Sora s'écroula de tout son long sur les dalles froides et dures. « Pourquoi est-ce que t'es venu ? » Ajouta-t-il tout en avalant discrètement une graine d'Alfa Of Oblivion qui se tenait dans l'inventaire de Système0.
« Oui c'est vrai, tu n'étais pas censé nous rejoindre normalement, nous devons rester encore trois semaines dans cette forêt. » Rajouta Nerris, qui ne semblait pas être au courant de sa visite surprise.
Avec un grand sourire malicieux, Jarek s'adossa contre les murs du temple à quelques mètres de Sora. « Ne vous en faites pas, vous allez rester trois semaines de plus ici, mais je m'inquiétais pour notre jeune mercenaire. »
Un rire nerveux sortit de la bouche encore ensanglantée de Sora. « Comme si on allait te croire. »
Faignant d'être touché par les paroles de Sora, Jarek le regarda légèrement avant de répondre. « Premièrement, je voulais être sûr que vous aviez trouvé le temple que je vous avais indiqué sur la carte. Et deuxièmement, j'ai quelque chose à vous montrer dans ce temple, c'est la raison pour laquelle je vous ai fait venir ici. »
« C'est une sorte de mission que Sora doit accomplir ? » Demanda Nerris tout en regardant alternativement Sora et Jarek.
« Effectivement, on peut voir les choses comme ça. » Répondit-il tout en passant sa main dans ses cheveux.
Se relevant difficilement, Sora souffla un grand coup lorsqu'il se tint enfin debout. « Et donc, en quoi consiste cette mission ? »
« Vous allez devoir me trouver un objet se situant à l'intérieur de ce temple. » Reprit Jarek tout en arborant un grand sourire sur son visage.