L'Épreuve Du Temple (2)

Kael’Zir rugit. Un rugissement qui fit trembler les murs, réveillant l’écho dormant de la salle. D’un revers violent, il balaya la pièce avec sa hallebarde. Jarek esquiva de justesse, la lame frôlant son épaule de quelques millimètres.

Il recula de quelques pas, fit tourner son épée dans sa main, puis reprit l’offensive. Ses mouvements se faisaient plus fluides, presque dansants. Il n'était plus seulement un combattant, il était devenu une tempête contrôlée, un feu contenu prêt à dévorer.

Un coup rapide fendit l’air et atteignit la hanche du colosse. Une fissure profonde s’y forma, plus marquée que les autres. Jarek enchaîna sans attendre, exploitant cette faiblesse, frappant de toutes ses forces dans l’ouverture.

Kael’Zir chancela.

Nerris, toujours en bas des escaliers, retint son souffle.

Sora, à terre, n'avait toujours pas repris conscience malgré le bruit environnant qui emplissait la petite salle souterraine.

Kael’Zir tenta un nouvel assaut, une frappe descendante d’une violence inouïe. Jarek leva son épée, encaissa le choc avec ses deux bras. Le sol se brisa sous ses pieds, mais il tint bon.

Puis, dans un cri rageur, il repoussa l’arme du colosse, fit un tour sur lui-même et, dans un éclat de lumière rouge, trancha net à l’arrière du genou de Kael’Zir. Le géant tomba à un genou, ses mouvements devenant de plus en plus lents.

Jarek s’approcha lentement, le visage couvert de poussière, son épée toujours levée. « On se rapproche de la fin pour toi, soldat de pierre. »

Comme s’il puisait dans ses dernières ressources, un Ushi d’une puissance hors du commun émana du corps du colosse. Une lueur bleutée sombre s’échappa des interstices de son armure, irradiant toute la salle d’une lumière vive. Les fissures laissées par les attaques de Jarek se mirent à pulser, comme des veines ranimées par un cœur trop longtemps endormi.

Le sol vibra. L’air devint plus dense, presque irrespirable. Une pression écrasante s’abattait dans la pièce, forçant même Nerris à s’agenouiller un instant, la main crispée sur la rambarde de pierre.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? » souffla-t-elle, les yeux écarquillés.

Ne semblant pas ressentir la pression environnante, Jarek examina quelques instants son adversaire sans bouger. « Sûrement un mécanisme qui lui permet de déployer sa pleine puissance. »

Kael’Zir redressa lentement la tête. Ses yeux, auparavant ternes et rouges, étaient devenus deux lueurs bleues incandescentes, presque irréelles. La fissure sur sa hanche se referma lentement, des fragments de roche s’agglutinant pour reconstituer son armure. Ses grincements se firent plus calmes, mais plus profonds, comme le grondement d’un orage qui couve.

Puis il se releva.

D’un seul coup de talon dans le sol, il fit trembler la pièce entière. Une bourrasque d’Ushi se propagea autour de lui, forçant Jarek à reculer de plusieurs pas. Le mercenaire s’enfonça les talons dans le sol pour rester debout, mais la puissance du souffle le fit grimacer.

« Il devient plus fort… » Murmura-t-il, la mâchoire serrée.

Kael’Zir ne laissa aucun répit. Dans un mouvement d’une vitesse inhumaine, il bondit en avant, sa hallebarde s’abattant en arc de cercle. Jarek para de justesse, mais l’impact l’envoya rouler sur le côté, raclant le sol sur plusieurs mètres.

Il se releva aussitôt, haletant, les bras engourdis par la violence du choc. Il tenta une contre-attaque, mais Kael’Zir bloqua avec son avant-bras, puis enchaîna d’un coup de pied si puissant qu’il envoya valser Jarek contre un pilier de pierre.

Le choc fit exploser le pilier dans un nuage de poussière.

« Y a pas à dire, t'es plutôt fort… » murmura Jarek en se relevant difficilement, un filet de sang coulant de sa lèvre.

Sa lame, toujours en main, tremblait légèrement. Pas par peur, mais parce que son corps commençait à accuser les coups. Et pourtant, il souriait.

« T’as gagné un second souffle, hein ? Dommage pour toi, moi aussi. »

Il ferma les yeux un instant. L’épée rougeoyante dans sa main sembla pulser à l’unisson avec sa respiration. Une flamme rougeoyante s’en échappa. Pour la première fois depuis le début de ce combat, Jarek utilisait son Ushi.

Nerris, quelques mètres plus loin, ressentit la vague de chaleur qu'émettait la lame de Jarek et comprit immédiatement la puissance d'un mercenaire de rang Gold.

Sans même avoir à le combattre, elle venait de comprendre le fossé qui la séparait de l'homme flamboyant qui se tenait devant elle. Jamais dans sa vie elle n'avait vu un Ushi d'une telle puissance.

« Nerris, prends Sora avec toi et écartez-vous tous les deux, ce serait dommage que vous bruliez vifs tous les deux. » Annonça Jarek, alors qu'il avançait lentement vers le colosse.

Ne perdant pas une seconde, l'hôtesse de l'Ordre des Mercenaires utilisa également son Ushi et fit pousser deux branches sous le corps encore inconscient de Sora et l'emmena plus haut dans les escaliers, où elle venait également de se réfugier.

À cette distance, elle ne pouvait pas voir l'entièreté de la salle du combat, mais parvenait tout de même à en distinguer une petite partie.

Après avoir vérifier qu'ils étaient tous les deux en sécurité, Jarek se concentra une nouvelle fois et amplifia de nouveau la puissance de son pouvoir. Les flammes rouges émanant de son épée avaient doublé de puissance et faisaient désormais jeu égal avec la puissance de Kael'Zir.

« Bon, cette fois je ne retiendrai pas mes coups, mon gros. T'as pas intérêt à me décevoir. » Répliqua-t-il tout en fonçant en direction du garde devant lui.

Kael’Zir, comme mû par une rage sourde, hurla à l'approche de Jarek, soulevant sa hallebarde pour un nouvel assaut. Mais cette fois, Jarek était plus rapide.

Il esquiva le premier coup d’un pas de côté fulgurant, les flammes de son épée traçant un arc brûlant dans l’air. Sans laisser le temps au colosse de reprendre son équilibre, il frappa. Un coup diagonal, vif comme l’éclair, qui fendit la cuirasse de pierre à l’épaule gauche de Kael’Zir.

Des fragments de roche volèrent.

Kael’Zir riposta aussitôt, balayant l’air de son arme gigantesque. Jarek bondit en arrière, évitant de justesse l’attaque, mais sentant la bourrasque brûlante du passage de la lame. Le sol, là où la hallebarde s’abattit, explosa dans une gerbe de pierres brisées.

« Trop lent. » Marmonna Jarek en plantant un pied dans le sol pour se propulser en avant.

Il chargea de nouveau, cette fois en visant les articulations. Son épée, baignée d’Ushi incandescent, frappa le coude de Kael’Zir. Un craquement sinistre résonna dans la salle. La hallebarde du colosse vacilla dans ses mains, ses mouvements devenant plus saccadés, moins précis.

Nerris, dissimulée derrière un pan de mur dans les escaliers, sentit son cœur battre à tout rompre. Chaque impact faisait vibrer la pierre sous ses pieds. Elle n’avait jamais vu un affrontement aussi féroce… ni un homme aussi déterminé que Jarek.

Kael’Zir, poussé par une furie désespérée, enchaîna plusieurs coups puissants, cherchant à écraser son adversaire par la force brute. Mais Jarek, vif et précis, esquivait comme un danseur, chaque pas esquivant la mort de quelques centimètres.

Une estafilade en travers de sa joue rappela pourtant à Jarek que même une fraction de seconde d’inattention pouvait lui coûter cher.

« Tch... faut pas que je traîne. » Susurra-t-il, essuyant le sang d’un revers de manche.

Kael’Zir tenta un coup d’estoc, droit vers lui. Mais Jarek, plutôt que de l’esquiver, avança, se glissant sous la hallebarde, et planta son épée profondément dans la hanche du colosse, là où la roche s’était déjà fissurée.

Le hurlement de Kael’Zir fit vibrer l’air.

Il recula d’un pas massif, titubant. Son armure craquait de toute part, et la lueur bleue qui l’entourait vacillait, instable.

Voyant sa chance, Jarek concentra son Ushi dans sa lame. La chaleur devint insoutenable autour de lui, l’air ondulant à chaque respiration. Il leva son épée au-dessus de sa tête, une traînée rouge flamboyante suivant son mouvement.

Kael’Zir leva son bras pour se défendre, mais cette fois, la puissance de Jarek surpassa tout.

Dans un rugissement féroce, il abattit son épée.

La lame embrasée sectionna net l’avant-bras de Kael’Zir. Le membre massif s’effondra dans un bruit sourd, soulevant une nuée de poussière.

Kael’Zir, déséquilibré, tomba à genoux, son torse exposé.

« Finissons-en, gardien. » Grogna Jarek, ses yeux étincelant d'une lueur sauvage.

Il prit une impulsion fulgurante et bondit.

Son épée fendit l’air, une ultime fois.

Dans un impact assourdissant, la lame pénétra en plein centre du torse du colosse, à travers la couche d'armure déjà fragilisée. La lueur bleutée de Kael’Zir vacilla une dernière fois… puis s’éteignit brusquement, comme une flamme soufflée par le vent.

Le corps immense de Kael’Zir bascula lentement en arrière, s’écrasant au sol dans un fracas monumental. Des fissures s’étendirent en toile d’araignée sous son poids, et le silence retomba brusquement dans la salle.

Jarek resta un instant immobile, la poitrine haletante, son épée encore plantée dans le cœur de pierre de son adversaire.

Puis, lentement, il retira sa lame et la laissa retomber le long de son flanc, la pointe fumante effleurant les dalles fendues.

« Repose en paix, soldat de pierre... Ta garde est terminée. » Souffla-t-il.

Nerris, encore tremblante, s’avança prudemment, portant toujours Sora grâce à ses branches. Ses yeux, écarquillés, ne pouvaient détacher leur regard de Jarek.

Il était debout, seul au milieu des ruines et de la poussière, une silhouette noircie par la suie et la fatigue, mais triomphante.

Le mercenaire tourna légèrement la tête vers elle, un sourire étincelant mais fatigué étirant ses lèvres.

« Vous pouvez descendre, c'est terminé. »

Et alors que Nerris s'approchait, soulagée, Jarek, lui, laissa échapper un petit rire rauque, avant de ranger sa lame dans son étui.

« Tu tiens encore debout ? » Demanda-t-elle inquiète, tout en se rapprochant de lui.

Il releva la tête avec un sourire en coin, encore haletant. « Je suis pas en sucre, t’en fais pas. Et de toute façon c'est pas un adversaire comme ça qui pourra me battre. »

Son regard se posa ensuite sur Sora, toujours inerte sur les branches que Nerris avait fait pousser. Son visage était pâle, maculé de poussière et de traces de sang séché, mais sa poitrine se soulevait faiblement : il respirait.

« Tiens, donne-lui ça. » Continua-t-il en fouillant dans la sacoche attachée à sa ceinture.

Il lui tendit une petite fiole en verre contenant un liquide bleu clair. Les quelques éclats de lumière qui émanaient de Jarek reflétaient dans la potion, lui donnant des allures d’étoile piégée dans un flacon.

« C’est une potion de soin que j'ai créée. Fais-le boire doucement. Pas tout d’un coup. »

Nerris acquiesça, prenant la fiole précieusement. Ses mains, pourtant agiles d’ordinaire, tremblaient légèrement sous la tension de tout ce qui venait de se passer.

Elle approcha la fiole des lèvres de Sora, l'inclinant délicatement. Le liquide glissa lentement dans sa gorge. Pendant un instant, rien ne se produisit.

« C'est normal qu'il ne réagisse pas ? » Demanda Nerris, inquiète quant à son état.

« Vu comment il a morflé, ça ne m'étonne pas qu'il ne se réveille toujours pas. On ferait mieux de le remonter dans le temple pour qu'il puisse se reposer, ce n'est encore qu'un gamin après tout. » Réponda-t-il tout en frottant ces habits pour faire tomber la poussière qui s'y était accumulée.

Nerris hocha la tête sans discuter. Avec mille précautions, elle renforça les branches qui soutenaient Sora, veillant à ce qu’il soit parfaitement stable, suivie de près par Jarek qui se retourna une dernière fois en direction du colosse de pierre.

Ensemble, ils remontèrent lentement l’escalier poussiéreux, laissant derrière eux la dépouille silencieuse de Kael’Zir.

Le chemin du retour fut long, leurs pas résonnant contre la pierre froide du temple. Nerris inspectant sans discontinuer l'état de Sora, guettant le moindre signe de réveil.

Ils atteignirent enfin la salle principale du temple, après quelques minutes de marches, bien moins oppressante que les profondeurs où ils avaient combattu. La lumière filtrant à travers les vitraux fendillés baignait la pièce d'une lueur pâle et réconfortante.

Ils posèrent Sora allongé par terre, là où ils avaient établi leur campement provisoire.

L'instant d'après, Jarek s'assit lourdement le dos posé contre un mur, fermant les yeux un instant. Son combat semblait l'avoir plus épuisé qu'il ne le laissait paraître. Malgré sa fatigue apparente, il gardait toujours ce même sourire intact.

Nerris le regarda quelques instants avant finalement de l'imiter et de se poser aux côtés de Sora ; elle le surveillait silencieusement, attendant qu'il ne se réveille.

Un long silence s'installa, les secondes devenant des minutes et les minutes devenant des heures.

...

Ce n'est que lorsque le soleil se coucha que Sora commença enfin à bouger. C'était très subtil, mais suffisamment voyant pour que Nerris le remarque. Elle se rapprocha de lui et examina ses doigts qui bougeaient légèrement.

Après quelques instants, il ouvrit enfin les yeux et fixa les dalles de pierre au plafond pendant quelques instants avant de finalement parler. « Je savais pas que le plafond était aussi beaux... »

S'exprima-t-il tout en tentant de se redresser difficilement.