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La Caverne

L’obscurité s’était refermée comme une mâchoire, avalant Klayn et Miyako dans un tourbillon de pierre et de vide. La chute, brutale et infinie, avait laissé place à un silence oppressant, brisé seulement par le clapotis d’une eau étrange et le souffle rauque des deux adolescents. Ils avaient atterri dans un lac souterrain, une étendue d’eau luisante, ses reflets dansant comme des flammes liquides. Une lumière verte, presque irréelle, pulsait sous la surface, projetant des ombres mouvantes sur les parois d’une caverne massive. Des stalactites pendaient du plafond, leurs pointes scintillant comme si elles étaient incrustées de runes et cristaux anciens, à peine visibles, gravées dans la roche, émettaient une lueur violette.

L’eau n’était pas froide – loin de là. Elle était tiède, et semblait s’accrocher à la peau comme une seconde couche. Klayn émergea le premier, crachant une gorgée d’eau fluorescente, ses cheveux argentés plaqués sur son front. Une entaille barrait sa joue, saignant encore, mais il sentit une chaleur subtile remonter le long de sa blessure, comme si l’eau elle-même la refermait. Miyako, à quelques mètres, se hissait sur une saillie rocheuse, ses cheveux bleus dégoulinants, une grimace de douleur tordant son visage. Son bras gauche pendait mollement, probablement foulé dans la chute, mais ses yeux, vifs et alertes, balayaient déjà l’environnement.

L’air vibrait d’une énergie étrange, un bourdonnement sourd qui semblait provenir des profondeurs du lac. Les runes sur les parois clignotaient doucement, comme si elles réagissaient à leur présence. Quelque chose dans cet endroit – l’eau, les pierres, l’atmosphère – semblait vivant, observant leurs mouvements. Klayn, toujours à moitié immergé, posa une main sur son torse, sentant une pulsation familière. Le Smog, son fluide, frémissait dans ses veines, plus vif qu’avant, comme si l’eau l’avait réveillé d’un long sommeil.

Miyako, elle, serrait le cristal noir contre sa poitrine, ses doigts crispés sur l’objet qu’ils avaient arraché à la bibliothèque. La lueur du cristal semblait répondre à celle du lac, pulsant en rythme, comme un cœur battant dans l’ombre.

Point de vue de Klayn

J’avais l’impression d’avoir été mâché et recraché par un monstre de pierre. Chaque muscle hurlait, et ma joue brûlait là où une saleté de caillou avait décidé de me redessiner le visage. Mais l’eau… bordel, cette eau. Elle était chaude, trop chaude pour un lac souterrain, et elle brillait comme si quelqu’un avait renversé un seau de lucioles dedans. Je crachai une gorgée – ça avait un goût métallique, presque sucré, et ma peau picotait là où l’eau s’accrochait. Bizarre. Ma coupure sur la joue s’était calmée, comme si quelque chose l’apaisait de l’intérieur. J’essayai de bouger mes doigts, m’attendant à une douleur lancinante, mais rien. Juste une chaleur douce qui remontait mes bras, comme si mes veines s’éveillaient.

Je jetai un coup d’œil à Miyako, perchée sur son rocher comme un oiseau trempé. Elle serrait son bras gauche contre elle, le visage crispé, mais ses yeux… toujours aussi vifs, toujours à scanner tout autour comme si elle allait trouver un manuel d’instructions gravé dans la pierre. Typique venant d’elle. Elle avait l’air mal en point, mais pas question qu’elle l’admette. Pas devant moi, en tout cas.

« T’es vivante ? » lançai-je, ma voix résonnant un peu trop fort dans la caverne. Je grimaçai – pas besoin d’attirer l’attention de quoi que ce soit qui traînerait ici.

Elle tourna la tête, ses cheveux bleus collés à son cou, et me lança un regard qui disait clairement : T’es sérieux ? « À peine, » grogna-t-elle, mais il y avait une pointe d’humour dans sa voix. « Et toi, ça va ? T’as l’air d’avoir pris un rocher en pleine tête. »

Je passai une main sur ma joue, sentant la peau se refermer doucement sous mes doigts. « Ouais j’vais bien, mais ce lac… il fait quelque chose. Tu sens pas ? » Je désignai l’eau d’un geste du menton. « Ma coupure est presque partie. Et mon Smog… » Je laissai la phrase en suspens, sentant une volute de fumée noire s’échapper de mes doigts sans que je l’aie vraiment voulu. C’était plus fort, plus fluide, comme si l’eau boostait mon pouvoir.

Miyako fronça les sourcils, ses yeux glissant vers le cristal qu’elle tenait. « C’est pas juste l’eau, » murmura-t-elle, presque pour elle-même. Elle leva le cristal, et je vis la lueur verte du lac se refléter dedans, dansant avec les filaments argentés à l’intérieur. « Ce truc… il réagit à l’eau. Ou l’eau réagit à lui. »

Je me hissai hors de l’eau, m’asseyant sur une plaque de pierre glissante. Mes vêtements trempés pesaient une tonne, mais je me sentais… mieux. Pas juste moins amoché, mais vivant, comme si chaque cellule de mon corps vibrait. « Les Orchadiens, » dis-je, jetant un regard aux runes sur les parois. Elles clignotaient, comme si elles nous espionnaient. « Ce lac, ces runes… c’est leur boulot, non ? »

Miyako hocha la tête, toujours concentrée sur le cristal. « Mon oncle parlait de sources d’énergie cachées, des lacs ou des rivières qu’ils utilisaient pour canaliser l’énergie vitale. » Elle grimaça en bougeant son bras, mais je vis sa peau reprendre des couleurs, comme si l’eau guérissait son entorse à vue d’œil. « Cette eau… elle doit être saturée de leur énergie. »

« Super, » marmonnai-je, un sourire en coin. « Donc on est tombés dans une baignoire magique. Manque plus qu’un savon parfumé et on est bons. »

Elle leva les yeux au ciel, mais un coin de sa bouche trembla, comme si elle réprimait un rire. « T’es insupportable, Klayn. » Elle se releva, vacillant un peu avant de retrouver l’équilibre. « Mais t’as raison sur un point. Cette eau nous remet sur pied. Faut en profiter et trouver Logan. Il était avec nous avant… » Sa voix s’éteignit, une ombre passant sur son visage.

Logan. Évidemment. Toujours lui. Je sentis une pointe d’agacement me piquer, mais je la ravalai. « Ouais, il doit pas être loin, » dis-je, me levant à mon tour. Mes jambes tenaient bon, et le Smog dans mes veines semblait prêt à exploser. « Allons voir ce que ce lac cache d’autre. Mais fais gaffe, Miyako. Cet endroit… il ne m’inspire rien d’bon. »

Elle acquiesça, serrant le cristal un peu plus fort. Les runes autour de nous clignotèrent une fois de plus, comme un avertissement muet. Quelque chose dans ce lac, dans cette caverne, attendait qu’on fasse le prochain pas. Et j’avais comme l’impression qu’on n’allait pas aimer ce qu’on trouverait…

Klayn et Miyako allaient plus profond dans la caverne. Le tunnel s’enfonçait dans les entrailles du musée, un corridor de pierre brute où les runes orchadiennes gravées dans les parois pulsaient d’une lueur violette. L’éclat vert du lac fluorescent s’était éteint derrière eux, mais ses effets persistaient : la cicatrice sur la joue de Klayn n’était plus qu’une fine trace, et le bras de Miyako, encore raide, retrouvait peu à peu sa souplesse. Le cristal noir, serré dans la main de Miyako, scintillait doucement, ses filaments argentés dansant en rythme avec les runes, comme s’ils partageaient un secret ancien. L’air vibrait d’un bourdonnement sourd, saturé d’une énergie orchadienne qui pesait sur eux, rappelant que cette caverne n’était pas un simple décor, mais un lieu vivant.

Klayn ouvrait la marche, ses cheveux blanc argent captant les reflets des runes, ses yeux dorés scrutant les ombres avec une vigilance acérée. Miyako suivait, ses pas légers mais hésitants, son regard alternant entre le cristal et les parois où les motifs orchadiens s’effaçaient dans l’obscurité. Une tension lourde planait entre eux, un fil prêt à rompre. La chute, l’absence de Logan, et l’atmosphère oppressante de cet endroit avaient mis leurs nerfs à rude épreuve. Et comme souvent, c’était Logan – ou plutôt l’ombre qu’il projetait – qui allait allumer la mèche.

Point de vue de Klayn

Mes poings se serraient malgré moi, et ce n’était pas juste l’humidité qui collait mes vêtements à ma peau comme une seconde couche. Miyako traînait derrière, ses pas trop prudents, comme si elle s’attendait à ce que le sol nous avale à nouveau. Je pouvais presque sentir ses pensées tourner en rond, et je savais à qui elle pensait. Logan. Toujours lui. Cette manie qu’elle avait de ramener tout à ce type me rendait dingue, comme si j’étais invisible à côté de son foutu héros. Je m’arrêtai net, pivotant vers elle si brusquement qu’elle manqua de me rentrer dedans. Mon regard la cloua sur place, et je ne pris même pas la peine de masquer mon agacement.

« T’es sérieuse, là ? » lâchai-je, ma voix claquant dans le tunnel comme un écho trop fort. « T’as cette tête depuis qu’on a quitté le lac. T’es encore en train de t’inquiéter pour Logan, c’est ça ? Comme s’il allait pas s’en sortir tout seul, comme d’hab’. »

Miyako s’immobilisa, ses yeux bleus s’étrécissant, une lueur de défi dans le regard. Le cristal dans sa main scintilla, comme s’il sentait la tempête qui couvait. « Et alors, Klayn ? » rétorqua-t-elle, sa voix tremblante mais tranchante comme une lame. « T’as un problème avec le fait que je m’inquiète pour lui ? Logan est un ami. Contrairement à toi, qui râles pour un rien. »

Je ricanai, croisant les bras pour cacher la chaleur qui montait dans ma poitrine. « Un ami, hein ? » dis-je, ma voix dégoulinant de sarcasme. « T’es sûre que c’est tout ? Parce que ce soir où vous vous êtes retrouvés tout les deux dans mon salon, ça n’avait pas l’air d’etre de l’amitié. » dis je canalisant la colère qui montait en moi. « Aussi, depuis qu’on est arrivé dans ce musée, chaque fois qu’on est dans la merde, t’as ce regard, comme si Logan allait tout régler d’un claquement de doigts. Moi, je suis là, Miyako. Juste là. Mais on dirait que je compte pour du beurre. »

Elle ouvrit la bouche, puis la referma, ses joues prenant une teinte rosée sous la lueur des runes. « C’est pas ça, » murmura-t-elle, mais son ton manquait de force. Elle détourna les yeux, fixant le cristal comme s’il pouvait lui souffler une réponse. « Logan… Il a ce truc étrange qui fait que j’y sois attachée. Et toi, t’es… » Elle s’interrompit, cherchant ses mots, et je sentis une pointe de frustration me piquer.

« Quoi ? » insistai-je, avançant d’un pas, ma voix baissant d’un ton. « Vas-y, dis-le. Je suis quoi ? Le mec qui te ralentit ? Le boulet de service ? » Je savais que je poussais trop loin, mais cette jalousie – ce truc que je refusais d’admettre – me brûlait de l’intérieur.

Miyako releva la tête, ses yeux brillant d’une colère qui me fit presque reculer. « T’es un idiot, Klayn, » lâcha-t-elle, sa voix tremblant d’émotion. « Tu crois que je te vois comme ça ? T’es là, à risquer ta peau avec moi, à encaisser des chutes et à te battre, et tu penses que je te prends pour un boulet ? » Elle fit un pas vers moi, son souffle rapide, ses joues encore rouges. « Mais ouais, Logan compte pour moi. Et toi aussi, figure-toi. Alors arrête de faire comme si t’étais tout seul dans cette histoire. »

Je clignai des yeux, sonné. Ses mots me frappèrent comme une vague, pas douloureuse, mais assez forte pour me faire vaciller. Pendant une seconde, je la regardai vraiment : ses cheveux bleus encore humides, ses yeux brillant d’une intensité qui me prenait aux tripes, la façon dont elle serrait le cristal comme si c’était son ancre.

Et là, dans ce tunnel sombre, je sentis une chaleur bizarre – un mélange de gêne et de quelque chose d’autre, quelque chose qui me faisait détourner les yeux trop vite.

« OK, » marmonnai-je, frottant ma nuque pour masquer mon embarras. « T’as raison. J’ai… peut-être exagéré. » Je lui lançai un sourire en coin, espérant détendre l’atmosphère. « Mais avoue, t’es quand même un peu trop accro à ce type et son aura de héros. »

Elle leva les yeux au ciel, mais un sourire timide se dessina sur ses lèvres. « T’es insupportable, Klayn. » Elle s’approcha, me donnant un léger coup d’épaule, et je sentis une chaleur douce s’installer entre nous, comme un fil invisible qui se tissait. « Mais… merci d’être là. Vraiment. »

Je hochai la tête, incapable de sortir une réponse intelligente. Pour la première fois, je réalisai qu’elle me voyait – pas juste comme un gars qui suit, mais comme quelqu’un qui compte. Et ça, ça changeait tout. J’en venait à me demander si j’aurais vraiment la force de la trahir en volant l’Œil…J’ouvris la bouche pour dire un truc – n’importe quoi pour garder ce moment – quand un grondement rauque déchira le silence, suivi d’un cliquetis qui fit vibrer l’air.

Je pivotai d’instinct, mon fluide frémissant sous ma peau comme une bête prête à bondir. Miyako se raidit à mes côtés, ses doigts crispés sur le cristal. Le bruit venait d’un coude du tunnel, là où les runes s’éteignaient, plongeant l’espace dans une obscurité épaisse. Puis, un éclat violet scintilla, suivi d’un autre, et encore un autre – comme des étoiles tombées dans l’ombre.

Ils émergèrent sans un bruit, glissant sur la pierre avec une grâce terrifiante. Cinq créatures, chacune mesurant près de deux mètres, un mélange cauchemardesque de reptile et de félin. Leur peau écailleuse, sombre et luisante, réfléchissait la lueur des runes, tandis que des touffes de fourrure noire s’accrochaient à leurs flancs comme des ombres. Des cristaux violets, acérés comme des lames, hérissaient leur dos, pulsant en rythme comme un cœur. Leurs griffes, longues et courbées, raclaient la pierre, et leurs dents – des crocs effilés comme des dagues – brillaient dans leurs gueules béantes. La queue de chacune de ces créatures se terminait par un cristal unique, taillé différemment – un losange, une pointe, une spirale – comme une marque différenciative.

C’était la première fois que je voyais de telles créatures et aussi la première fois que je ressentais la peur de la mort.