CHAPITRE XIV – PRIS AU DÉPOURVU

Dans une forêt aux arbres immenses siégeait un pic encore plus imposant que les autres. Près de ce pic, il y avait une grotte dont l'ouverture ressemblait à un gouffre sans fond. 

De l'intérieur de ce gouffre pouvaient être entendus des bruits métalliques. 

Le métal frappait du métal, et par moments, un cri humain s'infiltrait au milieu de cette symphonie d'acier. 

Cité souterraine d'Arès. 

Deux individus étaient en train de se battre. Ils avaient en mains ce qui semblait être des épées qui se frappaient mutuellement. Le tout était désordonné, manquant de prestance, voire de cohérence. Ils ressemblaient tous deux à des amateurs ne sachant comment se servir proprement de l'outil qu'ils avaient en main. 

Le plus vieux des deux soupirait bruyamment. Il était le plus mal en point et tenait bien mal debout, alors que son supplice se faisait croissant. 

Un cercle de personnes les entourait, contemplant leur combat, applaudissant par moments. Des cris de joie, des hurlements, des sifflements retentissaient dans l'espace. 

Une certaine effervescence se dégageait de cet environnement. 

Le vieil homme se sentait de plus en plus sous pression. Un coup d'épée vint lui entailler la jambe droite alors qu'il tentait une roulade. Son opposant se moqua davantage de lui. 

« Huh… huh…, toi, espèce d'enfoiré, tu m'avais donné ta parole si je t'aidais. Je n'aurais jamais dû croire en toi », hurla le vieil homme en direction de l'arrière du cercle qui l'entourait. 

À cet endroit, il y avait un homme à la corpulence assez fine. Il ressemblait à une personne qui aurait été affamée pendant un long moment. Sous sa fine épaisseur de peau, sa musculature se démarquait par sa régularité ainsi que sa protubérance. Ses yeux marron doré scintillaient dans cet espace faiblement éclairé. 

Il était assis sur un petit monticule. Ce dernier ressemblait à une coquille. Sa forme sphérique faisait penser à la carapace d'un escargot, sauf que cette dernière faisait la taille d'un homme adulte. 

Assis à son sommet, il observait le combat, ignorant les remarques qui lui étaient adressées par le vieil homme à l'agonie. Il tenait en main une dague qu'il balançait d'un doigt à l'autre. 

« Ah… » 

Pendant un moment d'inattention, alors qu'il paradait autour du vieil homme, le valeureux combattant s'écroula au sol. Il venait de se prendre un coup d'épée dans l'estomac qui ne manqua pas de l'assommer. 

Le public devint silencieux un instant, regardant le vieil homme enfoncer sa longue lame dans la gorge de son adversaire, après quoi il lui détacha la tête du reste du corps en un mouvement de rotation sec et laborieux. 

Contre toute attente, le vieil homme était sorti victorieux. 

« Voilà, j'ai gagné. Maintenant, tu comptes manquer à tes engagements une fois de plus ? » 

Ce dernier se leva tranquillement de son piédestal et arriva sur terre ferme d'un bond. Le public autour s'enferma dans un silence solennel. 

Il était le chef. 

« Vieil homme, tu as gagné le droit de vivre parmi nous. Mais la demande que tu formules est problématique. L'attaque aura bien lieu, il m'est impossible de contrôler à qui s'en prendront ces bêtes une fois relâchées. » 

« Mais je peux t'assurer une chose : lorsque nous serons parvenus à nous emparer de leur cité, si ton fils est toujours en vie, je m'assurerai de lui offrir une bonne vie. » 

« Ça ou pas de promesses, c'est du pareil au même. Ce n'était pas les… » Le vieil homme ne termina pas sa phrase qu'une dague en plein vol vint lui frôler la joue. 

Du sang se mit à perler sur sa joue. 

La peur pouvait être vue sur le visage du vieil homme, qui se décomposait presque de terreur. 

« Soyons clairs ici. Ne transforme pas ma sympathie et ma considération en faiblesse. La prochaine phrase sortant de ta bouche sans considération, et ta chair nourrira nos petits amis là-bas, tout comme celui au sol. » 

Le regard du vieil homme suivit le corps de l'homme qu'il venait de tuer alors qu'il était traîné puis jeté dans un enclos un peu plus loin. L'obscurité recouvrait l'endroit, pourtant tous savaient ce qui s'y trouvait. À l'écoute des os qui craquelaient, certains eurent le poil qui se hérissa, le vieil homme également. 

« Comme c'est pitoyable de se faire tuer par un vieil homme ayant un pied dans la tombe. Pour vous autres, vous connaissez les règles de survie parmi nous. » 

« Ce vieillard a gagné son droit de vivre parmi nous en suivant nos principes. Il a montré sa force et sa résolution à la survie. Ainsi, aucune action de représailles ne sera tolérée. Peu importe la nature du monde, nous ne sommes pas des barbares. » 

« Souvenez-vous une fois de plus : je protégerai et guiderai chacun d'entre vous. En retour, une seule chose vous sera demandée. » 

« La force fait loi. » 

À la fin de son laïus, alors que tous étaient dans un silence mortuaire, des acclamations et des hurlements se firent de nouveau entendre. Une hystérie collective se dessina. Ils oubliaient presque leur compagnon qui se faisait dévorer à quelques pas d'eux. 

Roman en était le centre. 

Il était le chef de ce groupe composé de solitaires et d'inadaptés en communauté. Chacun d'eux était d'origine différente. Leurs caractéristiques personnelles aussi différentes les unes des autres que pourraient l'être diverses origines ethniques. 

Il y avait des Blancs, des Noirs, des métisses, des bruns, des clairs, des foncés. Ils étaient quelques centaines. 

Roman avait, à un moment donné de son parcours, réussi à rassembler ces personnalités divergentes sous son égide. Il leur montrait le chemin dans ce monde où la confiance était un concept que d'aucuns diraient abstrait. 

À l'extérieur, le soleil entamait son crépuscule. 

« Mon frère nous a contactés. Il est bientôt l'heure de se mettre en route pour cette cité. » 

« Nous frapperons à la tombée de la nuit. » 

« Que chaque guerrier se tienne prêt… » 

Des cris d'approbation et d'exaltation se firent entendre. 

… 

Cité d'Adonis. 

Quelque temps auparavant, lors de l'expansion à l'aide de la foreuse, plusieurs souterrains furent découverts. 

Le sol était parsemé de tunnels dont l'origine et l'orientation, pour la plupart, restaient un mystère. Il s'agissait surtout de galeries qui s'étendaient davantage sous terre, à tous les niveaux et dans toutes les directions. 

À l'époque, quelques expéditions furent menées dans les galeries en question à la recherche de tout ce qui pouvait s'y trouver. 

Le danger semblait négligeable. 

Mais la finalité de ces explorations fut décevante. Il n'y avait rien à découvrir en ces lieux. Certaines galeries étaient d'ailleurs trop sensibles pour être explorées, ou trop profondes, trop étroites ; les raisons ne manquaient pas. 

Le sujet fut clos. Les ressources étaient déjà limitées ; des explorations sans but ne serviraient à rien ni à personne. 

Ainsi, la plupart des galeries furent scellées avec les dispositions à provision. 

« Mais cette galerie n'avait pas été découverte ?! » demanda Adonis à Amanise, qui marchait juste derrière lui. 

Ils étaient tous deux dans une petite et étroite galerie en ce moment. 

Il n'était même pas possible d'avancer côte à côte dans cet espace. 

Adonis était en tête ; il éclairait le chemin, dégageant les obstacles par moments. 

« En effet… Raphael, alors qu'il était chargé de colmater toutes les entrées de galerie dans ce secteur, tomba par inadvertance sur celle-ci. » 

« Au départ, il aurait dû la refermer comme toutes les autres, mais une disposition particulière dans cet espace lui fit suspecter l'œuvre d'une personne. » 

« Une chose en entraînant une autre, nous avons réalisé la valeur de cette galerie. Un tunnel conduisant vers la surface, entre autres embouchures. » 

Tous deux avançaient profondément dans le tunnel. Ils couraient par moments, rampaient, voire grimpaient. 

Ce chemin pouvait être considéré comme impraticable, et il leur faudrait des heures dans cet espace confiné pour atteindre leur destination. Les ramifications de cet espace étaient bien trop importantes ; la moindre erreur pourrait les conduire vers une destination inconnue et potentiellement dangereuse. On pouvait considérer qu'ils avaient été chanceux en premier lieu de trouver pareil accès. 

Entre-temps, Adonis ne tarissait pas de questions. Il était comme un puits sans fond qui demandait à être rempli de connaissances. Son déficit en ce qui concernait son environnement était bien trop important. Il avait toujours été quelqu'un de curieux et ne manquait pas la possibilité d'en apprendre de nouveau chaque jour, mais il restait tellement pour lui à apprendre que cela en était inquiétant. 

Il interrogea même discrètement cette dernière concernant la "terre sans lumière" dans son florilège de questions. Pourtant, il fut quelque peu déçu qu'elle ne sache rien à ce propos. 

Le voyage dura ainsi encore un moment avant qu'ils n'atteignent finalement la surface. 

Ils étaient tous les deux trempés de sueur et clairement éreintés. 

À l'extérieur, le crépuscule s'effaçait déjà alors que les derniers rayons du soleil se dissipaient dans le vent. 

La nuit prenait le contrôle du monde. Les lumières contrastaient plus vigoureusement avec la nature. La verdure gagnait une radiance plus foncée. 

Dans l'ensemble, l'obscurité gagna la terre, tel un voile qui revêtait tout sous son étreinte. 

« Nous sommes enfin arrivés. Reposons-nous une heure, le temps que l'analyse de l'environnement soit terminée », annonça Adonis à sa partenaire de route. 

Il y avait là une sorte de petite grotte aménagée au préalable pour leur fournir un espace sûr afin qu'ils aient du répit avant de s'engager sur les chantiers extérieurs. 

Le temps passa en fait très vite de leur point de vue. Le trajet ne prenait que quelques heures, mais cela restait toujours une épreuve considérable, surtout pour Adonis, qui se retrouvait parfois à porter Amanise dans certains environnements critiques. 

« Bougeons. » 

La nuit serait longue et pleine de promesses. Ils s'engageaient tous deux dans ce long périple. 

Leur destination se trouvait à une quinzaine de kilomètres de leur position actuelle. 

L'analyse territoriale leur fournit un retour encourageant, car il n'y avait pas de sources de vie imposantes dans le rayon de trois kilomètres environnant. 

Ainsi, ils se mirent en course. Le temps ne jouait pas en leur faveur, et après la sécurité, la vélocité était un facteur indispensable qui déterminerait le succès de cette entreprise. 

Au bout d'une vingtaine de minutes, ils franchirent un peu plus de deux kilomètres en direction de leur objectif lorsqu'ils décidèrent de s'arrêter un moment afin de reprendre leur souffle. 

Cela concernait surtout Amanise, qui, dans une certaine mesure, suffoquait déjà, incapable d'avancer plus loin dans l'immédiat. 

Ces deux-là n'en étaient pas à leur première exploration en duo. Ils se comprenaient mutuellement jusqu'à un certain degré. Ils avaient déjà exploré pas mal de ces environs, et même si la prudence restait de mise, ils se savaient plus ou moins en sécurité. 

Après un certain temps, ils reprirent leur chemin, guettant gauche et droite en avançant prudemment. 

Dans ces circonstances, le stress mental était tout aussi contraignant que l'usure physique. 

« Arrêtons-nous. Il y a quelque chose juste devant », annonça Adonis dans un chuchotement précipité. 

… 

Sous-sol Quadra. 

« Maintenant que ce vieil homme est dans la confidence, il a intérêt à être d'une meilleure utilité que ce ne fut le cas jusqu'à présent », arpentait Raphael dans les couloirs espacés de son Quadra. 

La lumière des lampes murales se reflétait sur son visage. Son expression était indéchiffrable, tant il réfléchissait à une multitude de choses dans l'instant. 

Plutôt, Amanise lui avait révélé le contenu de sa conversation avec le responsable. Entre autres, elle ne put s'empêcher de confesser à ce dernier leurs activités sous-jacentes. Et même si ce dernier paraissait consentir à leurs actions, la nature humaine restait un domaine imprévisible. Raphael avait pour principe de garder toute prudence. 

« Avec lui, nous avons un total de trois nouvelles personnes dans la confidence, en le comptant lui, Brad son lieutenant, ainsi que Shiva, à qui Amanise avait dû présenter brièvement ses plans pour justifier une nouvelle disparition en pareils temps troubles. » 

Raphael était très inquiet de l'ampleur que prenait ce secret. Il commençait vraiment à y avoir du monde chargé de le préserver. 

En s'incluant, il y avait entre autres six personnes impliquées. Ce nombre n'était pas négligeable lorsqu'il s'agissait de garder un secret. 

Tout autant qu'il devait y avoir au moins une septième personne impliquée : la personne après laquelle Raphael enquêtait. 

L'homme à la balafre. 

Un secret impliquant plus d'une personne n'était généralement plus un secret. Et si, de base, il ne s'agissait pas d'un secret de Polichinelle, il comprenait l'impact qu'aurait une divulgation dans le contexte actuel. 

Les choses commençaient à s'accélérer, et il devait se montrer plus rapide. 

Alors que Raphael se retrouvait perdu dans ses pensées, les lampes tout autour de lui s'éteignirent toutes en même temps. 

L'obscurité gagna l'environnement en un instant. 

Tout éclat disparut. 

Raphael se sentit alerté à son paroxysme. Il s'agissait d'un incident sans précédent. 

De petites lumières se mirent à scintiller autour de lui avant de se regrouper en une source de lumière considérable qui illumina de nouveau son chemin. 

Mais à part lui, le reste de l'espace était dans les ténèbres. 

Dans le troisième sous-sol subsistaient plusieurs infrastructures vitales. Chacune d'entre elles apportait sa partition à l'ambiance générale du lieu. Pourtant, à cet instant, tout sembla figer. 

L'atelier de métallurgie, au départ si bruyant, devint aussi silencieux qu'un cimetière. Plus aucun équipement électronique ne fonctionnait. 

Raphael se rua vers son domaine afin d'inspecter la situation. 

Pour l'heure, il s'agissait surtout d'une incompréhension générale. Il était virtuellement impossible pour une telle situation de voir le jour. De multiples systèmes de défense avaient été mis en place afin de prévenir pareille éventualité. 

Pourtant, les faits étaient là. 

Le plus terrible ici était qu'il ne connaissait pas la situation des autres étages à l'heure actuelle. Il avait émis plusieurs appels, mais ces derniers n'avaient abouti à rien de concret. 

Ils étaient dans le noir, aussi bien visuellement que logistiquement. 

Les étages supérieurs ne faisaient pas exception. 

Sous-sol Triax, Zone de Soins. 

« M. Shiva, le patient de la chambre 5 vient de mourir. Son respirateur ne fonctionne plus. Le patient de la 12 également. » 

« La 18 a besoin d'un massage cardiaque immédiatement. Le défibrillateur est hors service. » 

« La 9 est dans un état critique. Nous avons besoin d'assistance ici. » 

Shiva, en tant que responsable, se retrouva débordé de demandes en l'espace de quelques minutes. 

L'interruption d'énergie n'était survenue que depuis quelques minutes, mais les conséquences étaient déjà irréalistes. Les répercussions n'avaient rien d'anodin. 

Shiva pensait se démultiplier tant il avait à gérer. 

Sous-sol Duos, Jardin central. 

« Monsieur Peter, l'arrosoir s'est arrêté. Les plantes en incubation se meurent déjà. » 

« Monsieur John, la population dans le jardin devient hystérique. Il nous faut agir avant que la situation ne devienne incontrôlable. » 

Au moins trois des cinq niveaux de la cité étaient profondément impactés par l'incident qui venait de survenir. 

Des cris d'angoisse se faisaient déjà entendre. La colère, suite à l'incompréhension générale, gagnait de plus en plus de cœurs. 

Seulement une trentaine de minutes s'était écoulée depuis le début de l'incident. 

De retour à Quadra, Raphael sortait de son atelier, éclairé par ses sources personnelles de lumière. Il n'était pas le seul dans ce cas. Certains de ses subordonnés avaient également des outils pour accroître leur vision dans cet environnement obscur. 

Il se dirigea vers l'étage supérieur, Triax, assisté par son véhicule de mobilité. 

Il arriva à destination en peu de temps, mais ne pouvait de toute façon pas se rendre plus loin. 

Il était impossible d'emprunter l'ascenseur sans alimentation centrale. Il le savait naturellement. 

Sa destination était tout autre. 

À Triax résidaient, en plus de l'hôpital et des cuisines, le système de conservation ainsi que le système de traitement des déchets. 

Dans la construction initiale de la cité, ce système avait été pensé pour pouvoir servir de ressort au cas improbable mais réaliste où le système des étages supérieurs viendrait à faillir. 

En fait, une telle précaution existait dans les trois étages initiaux. 

Seulement, l'activation présentait ses propres difficultés. 

Lorsqu'il arriva à destination, il fut immédiatement accueilli par l'un des responsables du site. « M. Raphael, votre appel disait de rassembler le monde à l'entrée. Cela a été fait. » 

« Malheureusement, nous n'avons toujours aucun moyen de démarrer l'alimentation de secours. Comme vous le savez, notre cité ne dispose que d'un seul générateur. » 

Raphael regarda les visages des personnes rassemblées dans cet endroit. Le nombre était moins important qu'il ne l'aurait dû. Clairement, certains profitaient de la situation pour se retourner auprès de leur famille dans le secteur. Il s'agissait naturellement d'une inquiétude légitime. Même parmi ceux présents, on pouvait se douter qu'une bonne partie n'était restée que du fait de l'inaccessibilité des étages supérieurs dans l'état actuel. 

Il soupira. 

« Je suis conscient de ce défaut. J'ai avec moi un mécanisme qui peut aider dans cette situation. Seulement, il n'est encore qu'au stade expérimental, alors j'aurai besoin de la main-d'œuvre de chacun pour mener la tâche à bien. » 

Le responsable des lieux, même dans cet environnement à faible luminosité, le regarda d'un air d'incompréhension et de doute. 

D'autres pouvaient ne pas comprendre le défi que représentait cette action, mais ce n'était pas son cas. Sa position exigeait de lui une compréhension claire des rouages de ce qui l'entourait. 

Pour alimenter la cité entière, il fallait une technologie des plus prestigieuses. Le matériau de base étant d'une extrême rareté. À l'heure actuelle, pour ce qu'il en savait, leur station ne disposait que d'un seul de ces dispositifs. Il était déjà à l'emploi, fournissant sans discontinuer de l'énergie à la station entière. 

Mais maintenant, cette batterie d'énergie donnait l'impression de dysfonctionner. La solution était donc d'intégrer un dispositif similaire dans l'un des deux autres sites pouvant l'accueillir afin de permettre à ce dernier de prendre la relève du dispositif principal jusqu'à ce que ce dernier soit remis en état. 

Et là était le problème. 

Vu que la station ne disposait que d'un seul de ces dispositifs, il était virtuellement impossible de réanimer le système entier sans le faire manuellement en étant au premier niveau, Solis. 

Plus de trois heures s'étaient déjà écoulées depuis le début de l'incident, et rien n'avait changé. On pouvait donc penser que, quelle qu'en soit la cause, les techniciens à Solis s'étaient montrés incapables d'intervenir pour résoudre le problème. 

Et là, devant lui, le responsable du secteur métallurgie prétendait avoir un moyen de résoudre la crise. 

En réalité, même après avoir reçu l'appel de Raphael plus tôt, il était resté dubitatif. Simplement, il avait déjà tout tenté de son côté sans résultat. 

Ainsi, malgré ses réticences, il suivit les instructions qui lui furent données. Et là encore, il garda pour lui ses appréhensions et demanda : « Que pouvons-nous faire ? » 

Les lèvres de Raphael se plièrent en un sourire. Il pouvait comprendre les pensées de son interlocuteur, et pourtant l'action de ce dernier facilitait les choses encore plus. 

En s'exprimant de la sorte, haut et fort, il poussa les autres à amoindrir leurs réticences, s'en remettant aux instructions de ce nouveau venu. 

« Rendons-nous au bloc C. Là se situe l'enveloppe nécessaire au mécanisme pour prendre la relève du système principal. » 

« Vous avez entendu ? Direction le bloc C. Je veux cinq personnes à l'arrière pour surveiller les environs et nous prévenir en cas de tout changement potentiel. Le reste, avec moi. » Le chef relaya les instructions de Raphael. 

Dans cette obscurité étouffante, ils se mouvèrent comme un bloc unique. Raphael en était agréablement surpris. Il ne s'attendait pas à ce que le processus soit rendu aussi simple. Cela lui ôta un poids sur les épaules. 

Mais même ainsi, il garda une expression grave, car il savait que le véritable défi se situait à l'avant. 

À la surface, à quelques kilomètres de l'entrée. 

« Nous avons finalement atteint le tiers de la distance à parcourir. À partir d'ici, il s'agit d'un domaine totalement inconnu. Il faudra faire preuve d'une plus grande prudence », déclara Amanise à son partenaire. 

Un peu plus tôt, ils étaient tombés sur un troupeau de cerfs de cinq à dix bêtes. 

Adonis était en avant ; c'est surtout lui qui vit le troupeau et en informa celle à ses côtés. Ainsi, tous deux décidèrent de prendre un chemin détourné. 

Adonis savait qu'il s'agissait d'animaux herbivores ; il avait fait ses devoirs sur la question. 

Mais plutôt que d'aller à l'encontre de ces derniers, il décida d'emprunter un chemin détourné, revenant sur leurs pas et changeant de direction. 

Le fait était que le nombre restait un facteur important. Ajouté à cela, Adonis trouvait quelque chose d'étrange chez ces bêtes. Ainsi, il priorisa la sécurité. 

Ce détour leur fit perdre un certain temps, mais ils parvinrent enfin à revenir sur le sentier principal après avoir contourné cet obstacle. 

« De nuit, nous risquons de rencontrer bien plus de difficultés que si cela se faisait en journée. Il va falloir avancer plus lentement à partir d'ici », déclara Amanise. Adonis, qui l'écoutait, lui offrit un élément de réponse. 

Autour d'eux, les arbres étaient grands de plusieurs mètres. 

La lune paraissait minuscule, telle une boule au loin, tant ses rayons filtraient à peine entre les branches et les feuilles des arbres. 

Malgré tout, les quelques rayons réussissant à se frayer un chemin peignaient l'environnement telle une fresque féerique. 

La forêt était loin d'être silencieuse. Au loin, il pouvait être entendu des rugissements. Des galops faisaient trembler le sol par moments. Le vent sifflait aux oreilles, fouettant les herbes au sol. La nature montrait l'harmonie qui la caractérisait. 

En fait, dans ce flot incessant, seuls les deux individus se déplaçant semblaient dépeindre avec le contexte général. 

Au sein de cette belle harmonie, ils apparaissaient comme les intrus. 

Par moments, Adonis se montrait admiratif de ce bel équilibre. Il n'aurait pas su expliquer pourquoi, mais ce spectacle ravivait en lui une émotion chaleureuse. Même si le vent ne pouvait pas toucher directement ses pores, il en entendait la symphonie et s'en délectait. 

Dans cet environnement à l'air libre, il se sentait à sa place. Il se sentait plus libre que jamais, comme s'il se connectait à un bout de lui-même sans savoir de quel bout il était question. 

Mais ce soir n'était pas le moment idéal pour s'extasier. Il avait un objectif à atteindre. 

Tous deux poursuivirent leur parcours, tâchant d'être le plus discrets possible. 

Lorsqu'un hurlement ou un rugissement se faisait tout proche, ils changeaient immédiatement de trajectoire. Leur parcours devint beaucoup plus lent qu'il ne l'avait été au départ. 

Seulement, avant longtemps, ils tombèrent sur un petit groupe qu'ils ne pouvaient éviter cette fois. 

Ce qui se trouvait devant eux paraissait de prime abord inoffensif. 

Dans les arbres alentour, il y avait trois animaux perchés. Au vu de leur attitude, Adonis avait rapidement conclu qu'ils appartenaient tous à la même espèce. 

Ce qui ressortait le plus était leur pelage gris-brun épais. Les rayures parcourant leur corps apparaissaient d'un noir profond. Une bande entourait leurs yeux, offrant un spectacle horrifiant. Ils avaient la queue se balançant dans le vent. Elle avait une forme annelée avec encore plus de bandes sombres que n'en comptait leur corps. 

Là où ils variaient un petit peu, c'était la taille. 

Le plus large d'entre eux devait atteindre la taille d'un enfant d'une dizaine d'années en étant allongé. Les deux autres étaient légèrement moins imposants. 

Plutôt, alors qu'Adonis et sa partenaire avançaient, ils ne purent constater à temps la présence dans les arbres. 

Ainsi, une fois qu'Adonis se rendit compte de la situation, ils avaient été flairés. 

Contrairement à la situation précédente, son instinct sifflait à Adonis la dangerosité du contexte actuel. 

Ces trois-là étaient dangereux. 

Plus encore, Adonis ne parvenait pas à les identifier. Ce qui était une étape indispensable pour engager une quelconque confrontation. 

Ne pas savoir ce que l'on a en face de nous nous empêche de définir une réponse correcte lorsque la situation s'envenime. 

À la nervosité d'Adonis, Amanise réalisa rapidement que la situation était devenue critique. Elle n'avait peut-être pas les sens développés de ce dernier, mais elle avait ses propres méthodes ainsi que son intellect. 

Tout cela se produisit en quelques secondes. 

Quelques secondes où les deux côtés tentaient de se jauger l'un l'autre. 

Adonis fut d'ailleurs surpris de rencontrer une réaction similaire à la sienne sur cet aspect. 

Néanmoins, sa surprise s'estompa rapidement lorsque le moins imposant des trois bondit de la branche sur laquelle il était perché. 

Adonis n'attendit pas qu'il leur atterrisse dessus. Il prit une grande enjambée. Amanise, quant à elle, recula. 

Le « chasseur » atterrit juste à l'emplacement précédent d'Amanise. Il faucha l'herbe sous ses pattes au contact avec le sol. 

Son apparence devint plus claire. 

Une pensée traversa l'esprit des deux bipèdes en même temps : une image. 

Un raton laveur. 

Du moins, il y ressemblait dans une certaine mesure. 

Mais cette espèce était clairement dans sa catégorie unique. 

Adonis n'avait aucune mémoire des choses avant les derniers mois. Les souvenirs lui revenaient à peine, au compte-gouttes qui plus est. Il n'aurait su dire s'il avait dans son existence déjà été en contact avec un tel animal. 

Malgré tout, hormis sa perte de mémoire, il avait une plutôt bonne mémoire des choses. Ainsi, ces derniers mois n'avaient pas été gaspillés. Il avait utilisé son temps diligemment, priorisant le renforcement physique. Il fit également attention à se documenter sur ce qui lui faisait défaut. 

Il était tout naturel que ses récentes études le poussent à apprendre tout ce qu'il y avait à savoir sur les animaux peuplant les forêts environnantes, surtout compte tenu de ses projets futurs. 

Il était d'autant plus sûr maintenant qu'il se mit à douter des informations qu'il avait reçues, à moins qu'il ne s'agisse de l'interprétation qu'il en faisait. 

Le maître mot ici était les ressemblances et dissemblances avec ce qu'il savait de cet animal. 

Feuilletant dans sa mémoire, le raton laveur ne faisait pas plus de quelques centimètres. 

C'était totalement différent de ce qu'il avait en face de lui en ce moment. 

L'animal de ses souvenirs était un animal à faible dangerosité, dont il ne fallait se méfier que du coin de l'œil. 

Ce qu'il avait devant ses yeux pourtant était très effrayant. 

Et la surprise n'en était que plus grande pour Amanise, qui venait d'échapper de peu à un destin funeste. 

La marque laissée sur le sol lui fit réaliser ce qu'il aurait advenu d'elle si elle avait réagi une seconde en retard. Mais cela éveillait en elle de la peur, une crainte face à une situation longtemps anticipée mais dont la réalisation nous remplit d'effroi. 

Il s'en était fallu de peu pour qu'elle ne soit plus de ce monde. 

La menace de cette aventure gagna immédiatement un caractère tangible. Ses membres tremblaient. Son esprit était embrumé. 

Ces deux-là n'en étaient pas à leur première exploration. Mais cette fois était différente. Cette expérience était nouvelle et terrible. 

Quant aux notions et informations qu'Adonis avait, elles venaient toutes des archives de la cité ou d'Amanise. 

Alors, ce qui se trouvait devant eux était un mystère tout autant pour l'un que pour l'autre. 

Adonis n'avait peut-être jamais rencontré cet animal de sa vie ; il ne s'en souvenait de toute façon pas. Mais la chose était différente pour Amanise. Elle n'avait pas de soucis de mémoire. 

Elle avait même une excellente mémoire. Alors, elle savait à quel point ce qu'elle observait et qui l'observait en ce moment était anormal. 

Elle avait du mal à croire qu'il s'agissait vraiment de ce dont son esprit lui criait. Pourtant, à l'exception de l'exagération de tout ce qui le constituait, les caractéristiques physiques concordaient sans doute. 

Dans son esprit, les questions se bousculaient. Que s'était-il passé ? Quel genre de phénomène avait pu conduire à un résultat pareil ? 

C'était anormal. Bizarre. Inquiétant. 

C'était effrayant. 

Mais le temps n'était pas à l'analyse. Le « chasseur » avait peut-être manqué sa cible, mais il ne comptait pas s'arrêter en si bon chemin. 

Adonis fut encore une fois le premier à réagir, avant même la bête en face d'eux. 

Il courut en direction de la créature d'un pas décidé. Son recouvrement lui offrait une vue remarquable, même dans un environnement nocturne tel que celui-ci. 

Il n'était pas très loin non plus de sa cible. Au bout de cinq pas, il se trouva à portée de la créature, qui semblait elle-même surprise par cet acte.

Le vent siffla alors qu'il balançait vigoureusement le morceau de bois qu'il tenait dans la main.

La bête réagit également rapidement, bondissant en arrière. Mais elle était une seconde trop tard. Elle fut frappée au niveau du ventre et projetée violemment en arrière, se fracassant contre le tronc d'un arbre au loin.

Elle ne bougea plus après cela. La question de savoir si elle était en vie ou non resta un mystère. Mais Adonis ne s'en soucia pas une seconde.

Tout cela se déroula tellement rapidement qu'Amanise ne pouvait presque pas suivre.

Elle reprit ses esprits alors qu'Adonis lui tira la main en courant.

Malgré son départ contestable, elle se reprit et le suivit de près.

Adonis l'avait vu.

Les deux autres, perchés dans l'arbre, étaient bien plus imposants que celui qu'il venait d'assommer. Et au vu de l'état actuel de son bras, il n'était pas désireux de les affronter.

Une course-poursuite s'engagea instantanément.

À l'avant se trouvait Adonis, suivi par Amanise, qui avait vraiment du mal à tenir la cadence, pourtant elle n'en démordait pas. Juste au-dessus d'eux se trouvaient deux bêtes enragées qui ne les lâchaient pas d'une semelle.

Le chantier censé mener à leur destination fut depuis longtemps oublié. La survie était la priorité à cette heure-là.

Adonis y allait aussi vite que nécessaire pour distancer ces poursuivants. Malgré tout, il gardait un certain tempo, évitant de distancer par la même sa partenaire.

Il s'agissait d'un réel souci. Plus qu'un soutien, elle était en ce moment un fardeau. Un poids qui le ralentissait. Mettre de la distance entre eux serait une affaire de secondes, mais cela signifiait également la condamner.

Même s'il était d'avis de prioriser sa propre survie quitte à la condamner par la même occasion, il n'en était pas encore à un tel choix.

« Écoute, Amanise, nous allons retourner sur nos pas, là où se trouve le troupeau de tout à l'heure. Tiens le coup un peu plus longtemps. »

Cette dernière, consciente de la situation, expira un air trouble. Elle transpirait intensément. Mais intérieurement, il y eut comme un poids qui lui fut ôté. Pour toute réponse, elle garda le silence et tenta d'accélérer autant que ses poumons ne lui en laissaient la possibilité.