Antigone passait délicatement son peigne dans les tresses d'une fillette d'à peine six ans, son regard attentif à chaque mèche. Elle savait que dans ces moments de proximité, les langues se déliaient plus facilement. Victor, assis non loin, profitait d'un rare moment de calme dans ses consultations.
Il profita de ce repis pour discuter avec Antigone, tout en observant discrètement et noter mentalement les informations glanées çà et là.
La petite fille, concentrée sur un morceau de bois qu'elle sculptait distraitement, finit par parler sans que personne ne l'y pousse vraiment.
— Ma maman est fâchée… Elle dit que le chef a fait quelque chose de pas bien.
Antigone échangea un regard furtif avec Victor. Elle continua de tresser en douceur avant de demander d'une voix apaisante :
— Ah bon, ma chérie ? Pourquoi elle est fâchée ?
— Parce qu'il n'est pas allé à l'enterrement de la vieille dame qui parle avec les esprits. Elle dit que c'est un manque de respect aux ancêtres.
Victor nota cette remarque dans un coin de sa tête. Cette rancœur cachée contre Aniaba pouvait être un poison si elle était exploitée par des personnes mal intentionnées.
— Elle en parle souvent avec d'autres ?
— Oui. Elle va voir des gens la nuit. Mais moi, j'aime pas. Quand elle revient, elle est en colère, et si je fais une bêtise, elle me tape avec le bâton.
Antigone s'efforça de garder une expression neutre.
— Et tu sais qui elle va voir ?
La petite réfléchit un instant avant de hausser les épaules.
— Je connais juste le monsieur qui s'occupe des outils. Il vient souvent voir mon grand frère et lui dit de nettoyer et ranger les affaires.
Antigone remercia doucement l'enfant et termina sa coiffure avec un sourire bienveillant. À cet instant, elle et Victor comprirent qu'ils avaient trouvé une piste précieuse.
Dans la case d'Aniaba, Jean-Baptiste rassembla ses hommes autour de lui. Une carte rudimentaire de l'île était étalée sur la table. Il expliqua son plan avec méthode et précision.
— L'Espagne n'a jamais accepté de perdre cette partie de l'île. Officiellement, nous sommes sous domination française, mais en réalité, les tensions demeurent.
Il traça une ligne sur la carte.
— Nous avons intercepté des rumeurs sur une frégate espagnole, "El Halcón", rapide et bien armée. Si nous voulons imposer notre présence sur les flots, nous devons la prendre.
Aniaba hocha la tête.
— L'Espagne voudra réagir, fit-il remarquer, ils sont très hargneux quand on s'attaque a leurs bateaux. Et les Français ?
Jean-Baptiste eut un sourire sans joie.
— Tant qu'on ne touche pas à leurs convois de sucre et de café, ils fermeront les yeux. Ils ne veulent pas d'un front ouvert avec l'Espagne. L'Angleterre, elle, attend le bon moment pour frapper. Et n'oublions pas les Ottomans, qui soutiennent parfois les corsaires barbaresques dans la région. La mer des Caraïbes est un échiquier, et nous devons y faire notre place, nous n'avons pas le choix.
L'assaut du "Halcón" devait être parfait. Rapide, silencieux et efficace, c'était une question de vie ou de mort pour leur révolution.
Un peu plus tard, le soleil déclinait, projetant une lumière orangée sur la petite clairière qui servait d'arène. Le vent portait un parfum de terre humide et de bois brûlé et l'air était chargé d'électricité alors que Marie-Louise et Marceau se faisaient face, leurs regards ancrés dans un mélange de défi et de curiosité. Les ombres des arbres projetaient sur eux une atmosphère irréelle, comme si la forêt elle-même retenait son souffle pour assister à l'affrontement.
Marceau se plaça en garde, son corps légèrement incliné vers l'avant, prêt à bondir. Son regard perçant fixait son adversaire, analysant chaque mouvement, chaque battement de cil.
— Règles simples, déclara Marceau en ajustant ses gants. On se bat jusqu'à ce que l'un de nous soit hors d'état de poursuivre. Pas de blessures graves.
Marie-Louise hocha la tête, la main serrée autour d'un grigri.
— Je vais te montrer ce dont est capable la magie vaudou.
— Tu es sûre de vouloir faire ça ? demanda-t-il avec un sourire en coin je suis plus expérimenté, j'ai entendu dire que tu es mambo que depuis quelques jours.
Marie-Louise ne répondit pas, préférant se concentrer. Elle sentit le poids de ses grigris cachés dans sa tenue, la présence rassurante de Nyala flottant à ses côtés, invisible aux yeux du mage élémentaire.
Puis Marceau attaqua, en quelques murmures il déclencha un coup de vent fulgurant qui siffla à travers la clairière, soulevant des nuées de feuilles et de poussière. Marie-Louise bondit sur le côté, activant un grigri de protection qui érigea brièvement une barrière translucide autour d'elle. Mais Marceau enchaînait déjà.
Une lame d'air tranchante fusa vers elle, rapide et impitoyable. Elle se baissa, évitant de justesse l'attaque, mais sentit un frisson glacé lui parcourir l'échine lorsque le souffle de la magie trancha une branche derrière elle, la laissant tomber au sol dans un craquement sec.
— Trop lent.
Sans plus attendre, Marceau leva la main et une puissante bourrasque s'éleva. En un clin d'œil, la clairière fut noyée dans un tourbillon de vent furieux. Marie-Louise eut juste le temps d'activer encore une fois le grigri de protection. Un dôme spectral se forma autour d'elle, bloquant la tempête.
Mais Marceau n'attendit pas. Il bondit sur le côté et tendit la main vers le sol. Une lame d'air tranchante fusa à toute vitesse, taillant l'air en sifflant. Marie-Louise esquiva de justesse, sentant cette fois ci une mèche de ses cheveux être coupée net.
Elle riposta en jetant au sol un autre grigri. Une onde obscure se répandit, formant un cercle autour d'elle. Aussitôt, des ombres éthérées se détachèrent du sol, prenant l'apparence de silhouettes grotesques. Marceau fronça les sourcils en sentant l'air vibrer autour de lui. Son instinct lui criait que ces formes n'étaient pas réelles… Mais elles bougeaient avec une telle fluidité qu'il hésita une fraction de seconde.
Ce laps de temps permit à Marie-Louise d'agir. Elle frappa le sol du pied, déclenchant un second grigri. L'espace autour de Marceau se mua en un brouillard épais, une illusion qui distordait les distances et l'environnement.
— Qu'est ce que c'est que ça ? cria le mage. Désorienté, Marceau tenta de s'élever en l'air avec un courant ascendant pour échapper a ces visions cauchemardesques, mais une douleur fulgurante l'assaillit.
Marie-Louise ne répondit pas et lança un grigri au sol. Une onde de douleurs spectrales se répandit, projetant dans l'esprit de Marceau une sensation insupportable : des lames invisibles s'enfonçaient dans ses nerfs, lacérant chaque parcelle de son être sans qu'il y ait de blessure réelle.
Il grimaça, fléchit un genou en serrant les dents, mais se redressa aussitôt.
— Pas mal… grogna-t-il de douleur avant de riposter avec une bourrasque violente qui envoya Marie-Louise valser contre un arbre.
Le souffle coupé, elle eut juste le temps d'activer un grigri d'occultation, la plongeant dans une brume d'illusions. Aux yeux de Marceau, trois silhouettes identiques d'elle apparurent autour de lui, se déplaçant en miroir, impossibles à distinguer de la véritable.
Il plissa les yeux.
— Je vois ton jeu.
Plutôt que de s'attaquer aux images, il leva les bras et projeta une onde de vent circulaire qui dissipa la brume d'un seul coup. Marie-Louise tenta d'activer un autre grigri, mais elle n'en eut pas le temps. Le vent la projeta violemment contre un arbre, lui coupant le souffle. Elle tomba à genoux, ses bras tremblant sous l'impact.
Marie-Louise sentit son cœur se serrer. L'expérience de Marceau lui permettait de voir à travers ses ruses trop évidentes.
Elle enchaîna aussitôt avec une autre stratégie.
Un grigri d'épuisement s'activa relâchant une onde d'énergie subtile mais pernicieuse. Marceau ne remarqua pas immédiatement l'effet, mais bientôt, ses mouvements devinrent légèrement plus lourds. Sa respiration s'accéléra.
— Intéressant… murmura-t-il.
Mais il n'était pas encore assez affaibli.
D'un mouvement de la main, il fit appel à l'Œil de la Tempête. Un vortex de vent se forma autour de lui, le purifiant de toute altération magique et repoussant Marie-Louise encore une fois en arrière avec une force brutale. la jeune mambo roulant douloureusement au sol, le souffle coupé. Le mage utilisa un de ses sort pour augmenter sa rapidité. en un instant il arriva devant Marie Louise qui tentait difficilement de se relever et la projeta au sol.
— C'est fini, Marie-Louise. Tu ne peux pas suivre ma vitesse.
Elle voulut répondre, mais c'est à ce moment-là que Nyala intervint. Marceau vit alors ses yeux s'illuminer d'un éclat étrange alors que dans un murmure inaudible pour tous sauf sa protégée, l'ancienne mambo lança une incantation cachée. Marceau sentit soudainement un frisson lui parcourir la colonne vertébrale tandis qu'une ombre invisible se refermait sur lui.
Subitement, ses jambes fléchirent d'elles-mêmes, ses bras devinrent plus lourds, sa vision s'assombrit et son ouï s'effaça comme si une main spectrale lui couvrait les yeux et les oreilles.
— Quoi… ?
— Non… Ce n'est pas fini répondit enfin Marie Louise.
Le sol sous Marceau s'effondra brutalement, avalé par des racines spectrales qui s'étaient insidieusement glissées sous ses pieds. Incapable de s'échapper, il fut tiré vers le sol, immobilisé.
— Merde… souffla-t-il en comprenant trop tard son erreur.
Marie-Louise, le sentant vulnérable, activa son grigri de confusion. Des voix hurlantes et chuchotantes s'insinuèrent dans l'esprit du mage, des silhouettes cauchemardesques se formant à la périphérie de sa vision brisant totalement sa concentration, et le sort qu'il était en train de conjurer.
— Impossible…
Marceau tenta de se relever par la seule force de sa volonté, utilisant sa connexion au vent pour savoir ou était son adversaire, il essaya de se libérer et de riposter comptant sur sa force physique pour attraper Marie louise situé à deux pas de lui et l'immobiliser
Mais il était trop tard.
Marie-Louise leva un dernier grigri, un artefact imprégné de l'énergie des ancêtres. Une onde d'énergie jaillit, frappant Marceau comme une vague invisible.
Il retomba à genoux, les racines l'enserrant de plus en plus.
— Tu… triches… dit il en haletant, visiblement de mauvaise humeur
Marie Louise ne répondit pas à la place elle leva un grigri
— Fatigue écrasante.
Un voile invisible tomba sur Marceau. Ses muscles s'alourdirent immédiatement, sa respiration se fit plus laborieuse. Il tenta de forcer sa magie, mais son corps refusait d'obéir correctement.
Marie-Louise haleta, les muscles endoloris, mais elle esquissa un sourire fatigué, désactivant sa magie, et libérant Marceau.
— Le vaudou ne se joue pas en force brute dit elle. C'est une danse. Une ruse. Une chasse qui dure jusqu'à ce que la proie s'effondre. De plus un sorcier vaudou n'est jamais seul, les Loas et les ancêtres le soutiennent.
Marceau secoua la tête, reprenant lentement son souffle.
— D'accord. Tu as gagné cette fois.
Il lui tendit la main, et elle l'attrapa, scellant ainsi le duel et un respect nouvellement acquis entre eux.
De nouveau seul, Aniaba repensait à sa rencontre avec les Loas. L'image de ces entités éthérées s'effaçant lentement ne le quittait pas.
— Que pouvons-nous faire pour les ramener ? murmura-t-il.
Le combat contre les colons était efficace, mais bientôt, la riposte serait implacable. Il fallait plus de puissance, mais où la trouver ?
Jean-Baptiste avait raison : l'ennemi avait peur, et la peur les poussait à des actes désespérés.
Si les Loas étaient affaiblis, cela signifiait qu'ils devaient agir vite.
Il se leva, décidé.
Il était l'étincelle, et il devait brûler plus fort que jamais.