". . . È . . . ve . . . Ève !"
Je clignai des yeux, les longues boucles de mes cils me gênaient alors que je luttais pour retrouver ma vision.
Me tournant vers l'homme assis à la table centrale, je ne pus m'empêcher d'être frappée par son apparence. Ses cheveux brillaient comme de l'or 24 carats, et ses yeux étaient d'un vert perçant, aussi vifs et éclatants que des émeraudes.
Malgré la cinquantaine bien entamée, il émanait de lui une dignité juvénile renforcée par son gilet et son costume impeccablement taillés. Chaque détail, des boutons de manchette en or pur à la broche sur sa veste boutonnée à l'avant dont les plis étaient soigneusement repassés, témoignait de son statut de chef de la famille Rosette –– Sullivan Rosette.
Mon père supposé.
Pendant un moment, je me demandai si j'hallucinais. La dernière chose dont je me souvenais était la sensation des vagues s'écrasant autour de moi, m'entraînant dans leurs profondeurs avant que tout ne devienne noir.
Était-ce le paradis?
Certainement pas.
Voir le visage de l'homme qui m'avait traité comme une étrangère depuis ma naissance rendait cela plus proche de l'enfer.
Pas étonnant qu'il n'y ait jamais eu d'amour dans son regard quand il me regardait.
Malgré mes efforts incessants pour mériter son affection et son approbation –– étudiant tard dans la nuit, maîtrisant chaque matière, pratiquant d'innombrables instruments de musique jusqu'à ce que ma vue se brouille –– il n'a jamais montré de chaleur ou de souci pour moi.
Je n'avais jamais véritablement été sa fille depuis le début.
"Qu'est-ce que c'est?" Sullivan fronça les sourcils.
Mon cœur se serra en réalisant qu'à ce moment même, il n'y avait aucune chaleur dans son ton, aucun indice de préoccupation paternelle. J'étais juste un devoir pour lui, un pion dans le jeu des apparences et de l'héritage familial.
En prenant une profonde inspiration, je redressai ma posture et me préparai à affronter l'homme qui avait façonné ma vie avec indifférence.
"Rien père," répondis-je d'une voix stable malgré le tumulte intérieur.
"Y a-t-il quelque chose à l'esprit?"
Mon attention se tourna vers la femme qui venait de parler. Elle avait de longues boucles de cheveux noirs et des yeux gris cristallins. Elle était la fierté de ses cercles sociaux; partout où elle allait, seuls des éloges la suivaient.
Sophia Rosette, ma supposée mère.
Elle était la raison pour laquelle je me tordais les chevilles et me faisais mal au dos, juste pour marcher élégamment avec prestance et charme, tout comme elle.
J'excellais dans les cours de maintien, espérant entendre un mot de louange de sa part, mais ses lèvres restaient scellées. Elle était toujours distante et froide envers moi, et maintenant je savais pourquoi.
"Ma dame, vous ne vous sentez pas bien?"
Mon cœur se mit à battre fortement contre ma poitrine. Je connaissais trop bien le propriétaire de cette voix.
Je regardai le visage innocent de Sophie. De courts cheveux noirs encadraient son visage, et ses yeux gris étaient accompagnés d'un sourire charmant.
Elle avait toujours été à mes côtés, apprenant en secret tout ce que j'apprenais. Une fois, j'avais osé demander pourquoi elle était présente à la table familiale, et tout ce que je reçus en réponse fut des regards glacials de mes supposés parents et une journée d'enfermement dans ma chambre.
Depuis lors, je n'ai jamais remis en question sa présence.
Maintenant, en y repensant, Sophie ressemblait vraiment à quelqu'un... maintenant que je savais qui elle était vraiment. Sans la perruque et le faux teint sombre, elle était définitivement une copie conforme de Sophia.
Elles avaient même le même nom, bon sang ! C'était Sophia qui l'avait appelée Sophie. À ce moment-là, j'aurais dû savoir que quelque chose se passait. Mais je suppose que j'étais trop occupée à être absorbée par la vie opulente d'une riche.
"Ma dame ?" La voix de Sophie interrompit mes pensées. Son ton était rempli de fausse inquiétude.
Savait-elle déjà?
Bien sûr qu'elle le savait.
Pourquoi sinon n'aurait-elle pas intervenu lorsque j'ai été bannie?
Elle aurait pu facilement faire de moi sa garde ou une servante, mais au lieu de cela, elle regardait simplement avec indifférence alors que j'étais traînée sur le bateau. Peut-être n'attendait-elle que de se débarrasser de moi pour tout avoir pour elle seule.
Elle a dû endurer tout ce temps, jalouse de tout ce que j'avais, tout ce qui aurait dû être à elle. Cela a dû être douloureux. Elle aimait aussi Cole, ce qui devait rendre la jalousie dix fois pire.
Domage que j'étais trop ignorante à l'époque pour ressentir la sensation de son agonie.
En pensant à Cole, mon cœur battait avec des souvenirs douloureux, suffisamment pour me faire souhaiter qu'il meure. Ils mourraient tous !
Je suis mesquine après tout.
Mais par-dessus tout, la haine montait en moi. Une haine suffisante pour oublier l'homme qui ne s'était jamais soucié de moi.
Dans cette vie, vous deux pourriez aller en enfer pour ce qui m'importe.
. . .
. . .
Attends . . .
Suis-je . . . retournée dans le passé?
Je jetai un coup d'œil autour de moi aux figures indifférentes assises à la table.
Yep . . .
C'était définitivement l'enfer.