Un monde oublie

Le silence.

Un vide infini. Une obscurité sans fin.

Puis, lentement, une lueur. Une douleur sourde, s'étirant dans chaque fibre de son être. Son souffle était irrégulier, pesant, comme si respirer lui était étranger. Son corps… lourd, brisé, ankylosé par un sommeil dont il ne connaissait pas encore la durée.

1… 2… 3… Il essaya de bouger. Une vague de vertige l'écrasa aussitôt.

4… 5… 6… Il était debout, mais son équilibre était fragile. Ses muscles refusaient d'obéir.

7… 8… 9… Il avançait, maladroitement, réapprenant à marcher comme un enfant faisant ses premiers pas. Mais à chaque mouvement, l'air tremblait, distordu par son énergie chaotique.

Lorsqu'il sortit enfin de la grotte, il ferma les yeux un instant.

Enfin… de l'air.

Mais quelque chose clochait.

L'air était étrange. Il ne portait plus l'écho des anciens dieux, ni la résonance des immortels. Il était fade, creux. Il lui manquait une essence qu'il avait toujours connue.

Il ouvrit les yeux.

Le ciel… il n'était plus le même. Jadis, il était vibrant, empreint de magie, un témoignage du pouvoir divin qui régissait ce monde. Aujourd'hui, il était calme, froid… lointain.

Un frisson parcourut son échine.

Où… était-il ?

Il tenta d'invoquer son pouvoir pour sonder l'environnement. Une grave erreur.

Une douleur fulgurante transperça son corps. Son propre pouvoir, incontrôlable, déchaîna un chaos invisible autour de lui. Le sol vibra. L'air se contracta. Il tituba sous l'impact, ses forces lui échappant.

Il était trop faible.

Et alors, les souvenirs s'abattirent sur lui comme une vague.

Cet endroit…

Le sol qu'il foulait à cet instant… c'était ici qu'elle s'était sacrifiée.

Ici qu'il avait perdu la seule lumière qui avait su percer son obscurité.

Un goût amer emplit sa bouche. Une douleur, plus violente encore que la faiblesse physique, éclata dans sa poitrine.

Une larme coula.

L'impuissance. La culpabilité. La tristesse. La colère.

Il voulait hurler. Faire trembler ce monde qui avait osé continuer d'exister sans elle.

Mais une autre sensation s'imposa à lui.

Le bruit.

C'était trop fort. Insupportable.

Chaque bruissement de feuille, chaque souffle du vent, chaque battement d'ailes d'un oiseau résonnait dans son esprit comme des hurlements assourdissants. Il percevait tout. Trop de sons. Trop de mouvements. Trop de vies.

Et plus que tout…

Des échos d'une civilisation inconnue.

Il recula, le souffle court.

Qu'est-ce que c'est ?

Sa gorge se noua. Était-ce un tour des dieux ? Une illusion, un test, une punition ?

Un rictus amer tordit ses lèvres.

S'ils voulaient le briser encore, ils perdaient leur temps.

Il laissa échapper un rire sans joie. Ce monde… était étranger. Mais lui, il était encore là. Un vestige d'un passé oublié. Une ombre errante sans place ni but.

Un goût de cendres emplit sa bouche.

Alors… c'était ça, sa punition ? Errer dans un monde qui n'avait plus besoin de lui ?

Son corps ne supporta plus le poids de son réveil. Son souffle devint erratique. Son équilibre vacilla.

Et, finalement, le noir l'engloutit.

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Quelque part, sur un sentier de montagne, un vieux couple marchait lentement.

La femme s'arrêta brusquement, posant une main tremblante sur le bras de son mari.

— Regarde… Là-bas.

Un corps gisait sur le sol, à moitié couvert par la lumière argentée de la lune.

L'homme s'approcha, l'expression grave.

— Un jeune homme ? Que fait-il ici, seul ?

La vieille femme s'agenouilla près de lui, ses doigts effleurant sa peau glacée.

— Il brûle de fièvre…

Un instant, elle observa son visage. Une beauté irréelle, mais marquée par une solitude insondable.

Elle serra les lèvres.

— On ne peut pas le laisser ici.

Son mari soupira, mais hocha la tête.

— Très bien, aidons-le.

Et dans cette nuit où passé et présent s'entrechoquaient, le Gardien du Chaos fut emporté par la bienveillance de simples mortels.

Un monde inconnu s'ouvrait à lui.

Et il était totalement perdu.