L'eau chaude coulait sur le corps de Shin, de la vapeur s'élevant du sol. Toute sa fatigue s'en alla et il se sentit rafraîchi, comme si le flot d'eau attrapait et transportait ses peines et tourments hors de son corps. Ses pensées s'égarèrent alors qu'il appréciait les gouttes roulant sur son corps fatigué.
Il se serra la poitrine au niveau du cœur, une faible douleur se faisant ressentir. Soufflant d'exaspération et d'épuisement, il sifflota une chanson qu'il avait l'habitude de chanter avec sa sœur avant de s'endormir, le soir, lorsqu'ils étaient enfants.
Après avoir fini sa douche, Shin s'essuya avec sa serviette, l'enfila autour de lui, et sortit de la petite cabine. Il ne restait presque plus personne dans les douches, le bruit de l'eau ayant drastiquement baissé. Elles semblaient étrangement vides, le bruit des conversations n'étant plus qu'un lointain murmure.
Le jeune garçon marcha vers la sortie sans se presser. Une fois dehors, il prit la direction de sa chambre, déambulant dans les couloirs en bois et monotones de l'avant-poste. Il arriva finalement devant sa chambre.
Il pouvait déjà entendre des bribes de conversations à travers la porte alors qu'il la poussait pour entrer dans la pièce.
"Shin était vraiment incroyable durant le combat !", s'exclama l'homme de la calèche en direction de Ryan.
Ce dernier tourna la tête vers la porte pour voir qui était le nouvel arrivant. Remarquant qu'il s'agissait de Shin, il sourit et le salua :
"Alors mon garçon, ça t'a fait du bien cette douche ?"
"Oui, merci de t'inquiéter pour moi Ryan", il tourna la tête vers l'autre homme, "Et merci du compliment, j'image, euh…"
"Ah oui, c'est vrai, je ne me suis pas présenté !" s'exclama l'homme, "Je m'appelle Edward. Ravi de te rencontrer, Shin."
À ces mots, Edward lui tendit la main. Shin la serra et lui rendit sa salutation :
"Moi aussi."
L'homme avait l'air plus vieux que Ryan, mais aussi plus joyeux. Ses cheveux blond foncé, et ses yeux verts brillaient, bien qu'ils semblaient cacher une histoire tragique.
Ses mains étaient plutôt en bon état, ce qui voulait dire que l'homme n'avait dû être combattant que depuis récemment.
Shin sourit et dit :
"J'espère que l'on va bien s'entendre—"
"D'ailleurs, Shin", le coupa Ryan, "il faut que tu te dépêches de te changer et de venir aux funérailles, parce que là tu as l'air un peu bête dans ta serviette."
Le sourire de Shin trembla alors qu'il marmonnait : "Bien sûr…"
***
La place était silencieuse, des dizaines de personnes étant regroupées mais n'émettant pas le moindre bruit.
Il faisait nuit noire, la fine lumière des étoiles et de la lune leur parvenant à peine.
Il était coutume, lorsque l'on ne pouvait pas brûler les corps des défunts, d'écrire leur nom sur un parchemin avant d'enflammer celui-ci avec une flamme magique.
Partant d'un simple besoin de se débarrasser des corps en optimisant au maximum l'espace qu'ils prenaient – les enterrer sous terre prenant trop de place – tout en minimisant le risque – sortir de l'enceinte des remparts étant trop dangereux –, cette pratique était devenue une tradition.
C'est pourquoi brûler des parchemins avec le nom de défunts était devenu la mode quand on ne pouvait pas récupérer les corps.
L'air frais caressa la peau de Shin, ses cheveux humides dansant dans la faible brise.
Il observa distraitement le responsable de l'avant-poste prendre le parchemin, se concentrer sur sa magie, puis enflammer le bout de papier d'une vive flamme verte.
Les minutes passèrent en silence avant que le mage, perché sur un piédestal pour être vu de tous, ne déclare :
"Tous ces gens… se sont battus vaillamment pour assurer non seulement leur survie, mais aussi celle de tous. Ils n'ont pas reculé face au danger, et cela est louable. Que leurs noms restent gravés dans nos mémoires, et que leur bravoure soit une source d'inspiration pour chacun d'entre nous !"
Ses mots résonnèrent dans l'air, faisant l'effet d'une vague douce. Certains se mirent à pleurer la perte d'un être cher, ou d'autres simplement celle d'un ami qu'il venait juste de rencontrer, mais avec qui ils avaient passé un bon moment.
Peu à peu, tous se mirent à regagner leur chambre, mettant plus ou moins de temps à assimiler toutes ces pertes. Shin, de son côté, décida d'explorer un peu l'endroit avant d'aller se coucher, un sentiment bizarre le poussant à investiguer les lieux…
Il fit le tour des remparts, les étudiants. À part les gardes, il n'y avait personne à cette heure tardive.
Alors qu'il étudiait un grand bâtiment visiblement de plus grande qualité et de plus belle manufacture que les autres – probablement le centre des opérations et les logements des supérieurs –, il eut une sensation pinçante au niveau du cœur. Comme un instinct.
Il se retourna rapidement, et là…
Dans le faible éclairage de la nuit, il vit une silhouette avec des ailes…
Il plissa les yeux pour mieux voir.
Il put discerner que la personne qui lui faisait face semblait être un jeune homme de son âge et être en tout point similaire à un humain. Les seules différences étant que ses yeux brillaient d'une obnubilante lumière dorée, qu'il avait derrière le dos des ailes faites de lumière blanche irréelle, et qu'il était stupidement beau !
Malgré tout cela, il passait étrangement inaperçu, comme s'il était difficile de se concentrer sur lui. Sans cette sensation dans son cœur, il aurait très bien pu le louper.
Shin demanda avec méfiance :
"Qui est tu ?"
L'étrange jeune homme qui lui faisait face sembla surpris un moment avant de s'exclamer d'une douce voix :
"Ooohh ! Alors comme ça tu peux me voir ? C'est très rare, tu sais. D'ailleurs, je crois que tu es la première personne d'en bas à m'avoir remarqué. Tu dois être quelqu'un de très spécial…"
Alors que son interlocuteur parlait, Shin l'étudia plus profondément. Il remarqua que l'une de ses ailes semblait blessée, comme s'il avait reçu un coup qui l'avait brûlée. Il était de taille moyenne, et avait des cheveux de la même couleur que ses yeux.
Shin demanda, sceptique :
"D'en bas ?"
Le jeune homme aux yeux dorée le regarda curieusement pendant un instant avant d'émettre un ricanement :
"Ahh… C'est vrai, j'oubliais. Les gens d'ici ne nous connaissent presque pas."
Il marqua une pause :
"Seuls les plus hauts placés de chez toi sont au courant de notre existence, alors pour faire court, disons que je viens d'au dessus de la canopée des arbres de la forêt."
"Vraiment ?", Shin ne semblait pas perturbé beaucoup par ses mots alors qu'il demandait confirmation. Bien qu'il n'ait jamais entendu parlé de gens vivant au-dessus de la forêt et que cela l'intéressait énormément, il parut ne pas être affecté.
"Oui, oui. Tout comme il y a des …choses vivants sous la forêt, dans la Forêt Miroir, nous vivons au-dessus de la jungle, dans ce que nous appelons la Mer d'Emeraude."
La silhouette aux ailes blanche faite de lumière prit un air peinait et poursuivit :
"J'aimerais bien discuter encore un peu mais je dois m'en aller, j'ai des choses à faire. Alors… avant de partir, on peut bien se présenter, non ? Je commence, moi c'est Felix du clan Thady, et toi ?"
"Shin.", répondit-il d'une voix plate, prêt à tout moment à riposter contre une éventuelle attaque.
"Bon bah Shin, c'était un plaisir de parler avec toi, mais je m'en vais maintenant !"
Felix sourit, puis ouvrit ses ailes et les balança, ce qui provoqua un faible courant d'air. Le jeune homme s'éleva dans les airs à une vitesse terrifiante, bien que son vol semblait déséquilibré à cause de son aile brûlée. Il y avait toujours cette impression d'invisibilité autour de lui. La silhouette s'éloigna et devint vite un point de faible lumière que Shin perdu de vue.
Marchant vers les dortoirs pour hommes, ce dernier murmura curieusement :
"Comment est-ce que ça a pu être un plaisir ? Tu étais le seul à parler !"
Écartant cette idée de sa tête, il réfléchit à ce que venait de lui dire cette étrange personne.
"Alors, comme ça, il n'y aurait pas seulement un espace sous la forêt, la Forêt Miroir, mais aussi un au-dessus de la jungle, la Mer d'Emeraude… Et seuls les hauts placés seraient au courant de l'existence du dernier ?"
Laissant ces pensées compliquées pour plus tard, Shin alla se coucher, cependant…
Il fit un cauchemar, encore une fois.