Les Ombres dans la Nuit

Je sors de mon lit, pieds nus sur le sol froid. J'avance dans le couloir de notre maison. La porte de l'entrée est grande ouverte. Le vent s'engouffre à l'intérieur, soulevant les rideaux.

— "Papa ? Maman ?"

Pas de réponse.

J'avance encore. Dehors, il y a des lumières. Des ombres.

Puis j'entends le hurlement.

— "NON ! RENDEZ-LE-MOI !" La voix d'Enna, la mère de Caïn, brisée, suppliant.

Je me fige. Mon cœur cogne dans ma poitrine.

Je m'approche et sors de la maison en courant.

Et puis je vois la scène.

La cour devant la maison de Caïn est en chaos. Des hommes en armure sombre, leurs visages dissimulés sous des casques.

Christos, le père de Caïn, est à genoux. Il saigne de la lèvre et de l'arcade, son visage marqué par des coups.

Enna hurle, accrochée à des bras invisibles qui la retiennent de force.

Et au centre… Caïn, en chemise de nuit, pris entre les mains de ces inconnus. Il ne comprend pas. Il ne bouge presque pas, figé par la peur. Ses yeux sont grands ouverts, cherchant un visage familier.

— "Caïn ?" Ma voix s'étrangle, suffocante.

Les hommes ne réagissent pas. Ils continuent à avancer vers leur navette.

Mais Caïn m'entend. Il tourne la tête.

— "Nyx… ?" dit-il en tremblant, d'une voix presque inaudible.

Je cours. Je cours sans réfléchir, sans penser. Mes jambes bougent avant même que je n'en aie conscience. Je tends la main vers lui, vers mon meilleur ami, mon fiancé d'enfance, la personne qui a toujours été à mes côtés.

Je vais l'atteindre.

J'y suis presque.

Un bras me saisit brutalement et m'arrête net.

Stefan, mon père, désespéré, me serre contre lui.

— Nyxélia, non. 

Je hurle, me débats.

 

— LÂCHE-MOI ! JE DOIS— CAÏN !!

Je griffe, je frappe, je mords, mais il me retient fermement. Je ne suis qu'une enfant face à mon père. Je ne peux rien faire. Rien.

Devant moi, la navette s'élève. Les moteurs vrombissent. Les silhouettes montent à l'intérieur.

Caïn disparaît dans l'obscurité de la soute.

Je hurle, déchirée.

— CAÏN !!!

Puis les portes se referment. La navette décolle.

Et puis… plus rien.

Le silence s'écrase sur la nuit.

Je tombe à genoux, le souffle coupé. Mon corps tremble violemment. Je ne sens plus rien. Je n'entends plus rien.

À côté de moi, Enna s'effondre en sanglots hystériques. Elle se balance d'avant en arrière, secouée de spasmes, répétant sans cesse le même mot.

Elle murmure, brisée : "Mon fils… mon fils… mon fils…"

Christos serre les dents. Il veut crier, il veut frapper quelqu'un, il veut se battre, mais il est à terre, incapable de se relever.

Stefan, mon père, regarde la scène avec impuissance. Il sait qu'il est arrivé trop tard. Il sait qu'il ne pourra pas réparer ça.

Et Cirilla, ma mère… elle ne dit rien. Elle me prend simplement dans ses bras, serrant mon corps tremblant contre elle, essayant de me donner un réconfort inutile.

Mais je ne réagis pas. Je reste figée, les yeux vides, fixant le ciel où la navette a disparu.

Ma respiration est hachée. Les sanglots montent. Mes mains se crispent sur ma poitrine, sur l'endroit où mon cœur se brise en morceaux invisibles.

Je murmure, effondrée : "Il est parti…"

Puis je pleure.

Je pleure plus fort que je ne l'ai jamais fait de toute ma vie.

Je pleure jusqu'à ce que ma gorge soit en feu, jusqu'à ce que mon corps refuse de bouger, jusqu'à ce que le vide m'avale tout entière.

Caïn n'est plus là.

Et quelque chose en moi vient de mourir avec lui.

0500 heures - Rotation 121, Cycle 2448 (Calendrier Universelle)/ Système Delta Pavonis / Planète AEGIS V, Lycée Stratégique "Saint-Armand". 

Je me réveille en sursaut, haletante et transpirante. Mon cœur bat à tout rompre. Mes mains tremblent.

Je me redresse dans mon lit, peinant à reprendre mon souffle. Mon tee-shirt est collé à ma peau par la sueur.

— Encore… ai-je murmuré.

Je passe une main sur mon visage, essayant de me calmer. Mais l'image est encore là, imprimée dans mon esprit. Le regard de Caïn. Son nom prononcé d'une voix tremblante. Le bruit des portes de la navette se refermant sur lui.

Je ferme les yeux. Et continu d'essayer de me calmer.

Cela fait six ans.

Six ans que j'ai perdu Caïn. Six ans que je revis cette nuit encore et encore, comme si mon propre esprit refusait de le laisser partir.

— Je ne l'oublierai jamais.

Puis, lentement, je me laisse retomber sur mon oreiller, fixant le plafond de ma chambre.

Le sommeil ne reviendra pas cette nuit.

J'aimerais dire que c'était un cauchemar.

Que c'était qu'une illusion de mon esprit, une création de mon inconscient.

Mais ce n'est pas le cas.

C'est un souvenir. Une vérité que je porte en moi, que je ressens chaque jour.

Chaque nuit, mon corps me ramène à ce moment précis. Et chaque matin, je me réveille avec la même pensée.

Je dois le retrouver.