« Quand l’ombre se lève, le héros fait l’idiot »

Dans le grand royaume de Veldrath, reconnu comme le plus vaste et le plus ancien à avoir jamais existé sur cette terre, les montagnes effleurent le ciel et les rivières chantent encore une vieille légende.

Une légende transmise depuis des millénaires.

Elle raconte que tous les mille ans, un mal ancien resurgit : un être infâme, cruel et sans pitié, connu sous le nom de Kurozhan, le Roi des Ombres, revient pour étendre son règne de ténèbres et de terreur sur le monde.

Mais la légende ne s’arrête pas là.

Elle murmure aussi qu’à chaque résurgence du mal, sept êtres exceptionnels, choisis par le destin lui-même, se lèveront.

Sept héros, porteurs d’une lumière capable de repousser l’obscurité de Kurozhan et de défier son armée d’ombres.

Mais aujourd’hui, notre histoire se concentrera sur Akari Hazan, un jeune homme de dix-neuf ans, plein d’énergie… bien que parfois un peu flemmard.

Il rêve de devenir bien plus qu’un simple habitant de ce monde.

Depuis toujours, il vit avec son grand-père — un homme aussi sage que mystérieux, au passé aussi lourd que son silence.

Akari n’a jamais douté que le destin lui réservait quelque chose de grand.

Mais ce qu’il ignorait, c’est que la vérité allait lui exploser à la figure de façon bien plus étrange… et dangereuse qu’il ne l’aurait imaginé.

Non loin de là, sur une petite montagne qui surplombe le village de Terillia, un énorme nuage de poussière s’élève dans le ciel.

Un cri fend l’air :

« Aaaaahhhh !! »

Un jeune garçon dévale la pente, poursuivi par une horde de monstres, chacun plus hideux que l’autre…

Puis un autre cri se fit entendre, cette fois plus posé et articulé :

— Mais c’est pas vrai, vous allez me lâcher un peu, oui ?!

À sa grande surprise, il aperçut un arbre. Sans réfléchir, il bondit dessus.

Un sourire malicieux étira ses lèvres.

— Hmm… alors ? Vous devriez être en train de maudire vos ancêtres de ne pas vous avoir appris à voler. Allez, faites pas cette tête… J’ai pris que dix œufs ! Et oui, je sais que vous vous reproduisez pas beaucoup, mais vu que vous courez extrêmement vite pour des oiseaux, les vieux du village n’arrivent jamais à vous en piquer. Résultat ? Vos œufs, les Skizofraines, ça vaut une fortune sur le marché ! Je vais me faire un pactole…

— Ahhh !

Il claque son front, faussement alarmé :

— Oh mince… j’ai failli oublier : Grand-père m’a demandé d’aller chercher des herbes médicinales chez la vieille, au marché…

Il s’accroupit, l’air soudain plus inquiet, regardant l’horizon comme s’il pesait les conséquences.

Pendant ce temps, les Skizofraines, furieuses, tapaient frénétiquement contre l’arbre, essayant de le faire tomber.

— Hmm ? C’était quoi, ça ? Vous essayez de me faire tomber ?

Il se relève, sourit, et leur fait un clin d’œil insolent.

— Bien essayé, mais je dois déjà partir. On se reverra une autre fois, hein ?

Il tire la langue, puis saute de l’arbre et s’élance à toute vitesse vers le village, bien décidé à vendre son butin avant de penser aux herbes médicinales.

Il continua de courir à travers le village, slalomant entre les passants, jusqu’à atteindre le marché animé.

Soudain, une voix familière l’interpella :

— Eh ! Akari !

Il s’arrêta net, fit volte-face et répondit avec un sourire :

— Ah ! Bonjour, Monsieur Eldric !

Eldric, un marchand d’apparence quarantenaire, aux cheveux vert foncé bien coiffés et vêtu d’une tenue simple de commerçant, l’avait repéré depuis son étal.

— Tu es de bonne humeur aujourd’hui, à ce que je vois ! Tu ne voudrais pas m’acheter quelque chose ?

— Désolé, aujourd’hui je ne suis pas là pour acheter… mais pour vous proposer quelque chose ! lança Akari avec malice.

— Hmm ? Quoi donc ?

— Regardez par vous-même.

Akari ouvrit son sac. Les yeux d’Eldric s’écarquillèrent.

— Hein ? Des œufs de Skizofraine ?!

— Oui, et tous frais, répondit Akari avec un air fier.

— C’est bien ce que je crois ?! Des œufs de Skizofraine… Ça fait des années que je veux en manger ! dit Eldric, la bave presque aux lèvres.

— Et tu les vends à combien ?

— Hmm… 20 théna l’unité.

— Quoi ?! 20 théna ?! C’est beaucoup trop cher. Allez, va pour 10 théna !

— T’as pas tort… j’ai peut-être un peu exagéré. Bon, je te les fais à 15 théna l’unité.

— Et moi je dis… 12 théna.

— 15. C’est mon dernier mot.

— 13 ?

— Quinze. Mon dernier prix, Monsieur Eldric.

Le marchand fronça les sourcils, mais devant la négociation bien rodée du jeune homme, il soupira et céda.

— Bon d’accord, va pour 15 théna l’unité.

— Parfait ! dit Akari avec un sourire malicieux.

— Et combien tu m’en proposes ?

— Je t’en donne sept. Ce qui fait un total de 105 théna.

— Sept ? Tu as bien bossé cette fois ! Très bien, voilà tes 105 théna.

— Merci ! J’y vais, à la prochaine !

Il s’éloigna en courant, mais Eldric tenta de le retenir :

— Hé, Akari ! Où est-ce que tu vas comme ça ?

— Chez Mamie Aelindra ! cria-t-il sans se retourner.

Eldric le regarda filer à toute allure.

— Tch… Il est encore parti sans me laisser finir. Ce gosse déborde d’énergie… Du moins, c’est ce que je crois.

Le jeune homme courait à travers tout le marché, zigzaguant entre les passants. Il s’arrêta net devant une vieille boutique en forme de petite maison. Il prit une grande inspiration et hurla :

Mamie Aelindra ! Vous êtes là ? Je suis venu prendre quelques herbes médicinales !

Une voix sèche retentit depuis l’intérieur de la boutique. C’était celle d’une vieille dame, vêtue d’une robe de marchande mauve, les cheveux blancs relevés en un chignon un peu fou. Elle avait peut-être la cinquantaine, et elle répliqua :

— Je t’ai déjà répété cent fois de ne pas m’appeler « mamie » !

Le jeune homme sursauta, se gratta la tête et détourna le regard.

— Ah… j’ai complètement zappé cette partie de l’histoire…

La vieille dame sortit alors de la boutique, se plaça derrière son comptoir de vente, puis déclama d’un ton théâtral :

— Si tu savais qui est la personne qui se tient devant toi… Il fut un temps où j’étais la grande Aelindra, tisseuse de Rêves !

— Oui, oui, oui… Tu me l’as déjà raconté cent fois.

— Ehnnn, sale petit morveux ! Tu vas voir !

— Non, attends ! Désolé ! Je ne voulais pas te blesser !

— Bon, je te pardonne pour cette fois. Maintenant, tu peux me dire ce que tu fais ici ?

— Euh… j’ai oublié…

— Tu te moques de moi ?

— Non, c’était une blague. Mon grand-père m’a demandé d’aller cueillir des herbes médicinales pour sa maladie.

— Comment va-t-il, ce vieux, après tout ce temps ?

— …Il va bien, ne t’en fais pas pour lui, répondit-il en détournant le regard, une inquiétude visible dans ses yeux.

— Si tu le dis… répondit-elle d’un ton méfiant.

<< Ohé, Ohé, Ohé ! >>

Tout à coup, des bruits de sabots et une agitation inhabituelle envahirent le marché.

— Hmm… Mamie, c’est qui ces gens, Mamie Aelindra ?

— …Tu ne les connais pas ?

— Non, aucune idée.

— C’est la Délégation des Héros.

— Eh ! Arrête de m’appeler mamie !

— La Délégation des Héros… ?

— La Délégation des Héros, oui. C’est un groupe de mages mandatés par le Conseil royal et la Reine en personne. Leur mission est de retrouver les Sept Héros.

— Tu parles de cette vieille légende ? Celle qui dit que tous les mille ans, le Roi de l’Ombre revient et que les Héros sont les seuls capables de l’arrêter ?

— Oui, c’est à peu près ça. Libre à toi de me croire… ou non.

— Hm. Je te crois. Et puis, t’es pas du genre à raconter n’importe quoi, dit-il, d’un ton hésitant, comme s’il cogitait sur quelque chose de plus profond.

— Si je ne te connaissais pas, je te trouverais franchement bizarre.

— Pourquoi tu dis ça ?

Au même moment, un mage vêtu d’une longue robe noire aux reflets ternes s’avança vers le centre de la place.

— Votre attention, s’il vous plaît.

Voilà près de six ans que la Cloche Sainte de la Grande Église ne cesse de résonner. Les attaques de monstres se multiplient. Vous savez ce que cela signifie…

— Euh… non, pas vraiment, répondit un homme dans la foule.

— Très bien, je vais vous l’expliquer.

Cela signifie que… le Roi est en train de se réveiller.