Là, une fois seule, Maddy s'assit lourdement sur son fauteuil et entrelaça ses doigts sous son menton. Son regard glissa sur les papiers éparpillés devant elle, vestiges d'une matinée mouvementée. En public, elle avait su garder le contrôle, dissimulant le tumulte qui grondait en elle derrière un masque de professionnalisme. Mais maintenant, seule face à la réalité brutale, elle ne pouvait plus ignorer l'impact de cette catastrophe.
Le vol pouvait compromettre leur projet d'introduction en bourse.
Un frisson désagréable parcourut son échine. Elle connaissait les règles du jeu. Toute instabilité financière, même passagère, pouvait effrayer les investisseurs et donner une mauvaise image de l'entreprise aux régulateurs. Si cette affaire s'ébruitait, elle risquait de voir des mois, voire des années de travail réduits à néant.
Un coup frappé à la porte la fit sursauter.
— Patricia est là, annonça Catherine en passant la tête dans l'embrasure.
Maddy expira lentement avant d'acquiescer.
Quelques secondes plus tard, Patricia entra d'un pas assuré. Elle approchait de la quarantaine et, depuis trois mois, travaillait étroitement avec eux pour préparer leur introduction en bourse. Organisée, pragmatique et dotée d'un sens aiguisé des affaires, elle avait déjà accompagné plusieurs entreprises dans ce processus complexe.
— Bonjour, la salua-t-elle en refermant la porte derrière elle.
— Bonjour, Patricia. Comment allez-vous ?
— Bien, merci. Et vous ?
Maddy lui adressa un sourire de façade.
— Je tiens le coup.
Patricia prit place en face d'elle et posa son carnet ouvert sur la table.
— J'étais au service financier avant de venir, dit-elle en croisant les jambes. J'ai senti une certaine agitation. Que se passe-t-il ?
Maddy se figea une fraction de seconde. Devait-elle lui dire ? Son instinct lui soufflait que oui. Patricia n'était pas seulement une consultante, elle était leur meilleure alliée dans cette transition cruciale.
Elle poussa un soupir et se pencha légèrement en avant.
— Notre comptable a détourné des fonds. Il a disparu avec une somme importante liée à notre dernier projet.
Un silence pesant s'installa. Patricia, toujours impassible, croisa les bras et réfléchit un instant avant de demander d'un ton mesuré :
— Combien ?
— Quelques millions.
Cette fois, un léger froncement de sourcils trahit sa surprise.
— Et quelles mesures avez-vous prises jusqu'ici ?
— Nous avons pris des dispositions et engagé un audit interne. Nous tentons aussi de récupérer l'argent.
Patricia hocha la tête, réfléchissant aux implications.
— Maddy, vous savez ce que cela signifie, n'est-ce pas ?
— Oui. Une faille dans la gestion financière. Un signal d'alerte pour les investisseurs.
Patricia acquiesça.
— Exactement. L'introduction en bourse repose sur deux piliers : la confiance et la transparence. En ce moment, nous préparons le prospectus financier, un document qui sera analysé à la loupe par les régulateurs et les investisseurs potentiels. Toute anomalie, tout soupçon de mauvaise gestion peut faire fuir les acheteurs ou entraîner un refus de l'AMF.
Maddy se massa les tempes.
— Je sais. Mais nous avons sécurisé le reste des fonds et renforcé nos procédures internes pour éviter que cela ne se reproduise.
— C'est une bonne chose, mais ça ne suffit pas. Nous devons anticiper les questions des investisseurs. Ils voudront savoir si ce vol révèle un problème plus profond : un manque de contrôle interne, une mauvaise gouvernance, ou pire… une vulnérabilité structurelle.
Maddy prit une inspiration lente.
— Alors, que devons-nous faire ?
Patricia s'appuya contre le dossier de son fauteuil.
— Premièrement, nous devons intégrer cet incident dans notre communication financière. Nous ne pouvons pas nous permettre qu'il soit découvert par un auditeur externe avant que nous n'en parlions nous-mêmes. Cela donnerait l'impression que nous avons voulu cacher l'affaire.
— Vous voulez dire qu'on doit le mentionner dans le prospectus ?
— Pas nécessairement en détail, mais il doit y figurer sous forme de risque identifié et maîtrisé. Nous pouvons expliquer que nous avons détecté une faille, que nous avons réagi immédiatement et mis en place des mesures correctives. Cela montre aux investisseurs que l'entreprise sait gérer les crises.
Maddy hocha la tête lentement.
— Ensuite, poursuivit Patricia, nous devons travailler avec notre équipe juridique pour nous assurer que cela ne pose pas de problème au niveau de la conformité. Si nous ne signalons pas cette perte financière et que les autorités de régulation la découvrent plus tard, nous risquons des sanctions.
Maddy pinça les lèvres.
— Et concernant notre valorisation ?
— C'est là que ça devient délicat, admit Patricia. Lorsqu'une entreprise entre en bourse, sa valeur est calculée en fonction de ses actifs, de ses performances passées et de son potentiel de croissance. Ce vol, s'il n'est pas maîtrisé, peut entraîner une baisse de la confiance et donc une réduction du prix de l'action lors de l'introduction.
Maddy ferma les yeux une seconde.
— Mais si nous récupérons l'argent rapidement ?
— Alors nous pourrons minimiser l'impact. Les investisseurs ont une mémoire courte, du moment qu'une crise est bien gérée. L'important est de montrer que vous gardez le contrôle.
Un silence s'installa, seulement troublé par le tic-tac de l'horloge murale.
— Je vais organiser une réunion avec l'équipe financière et juridique cet après-midi, annonça Patricia. Nous devons préparer une note de synthèse pour anticiper toutes les questions possibles.
Maddy acquiesça.
— Faites ce qu'il faut. De mon côté, je m'assure que cet incident ne s'ébruite pas et que nous récupérions l'argent.
Patricia referma son carnet et se leva.
— Tenez-moi informée de chaque avancée. La moindre irrégularité peut faire capoter l'opération.
Elle attrapa son sac et quitta la pièce, laissant Maddy retourner à ses dossiers.
À peine eut-elle repris son stylo que son téléphone vibra sur le bureau.
Un message venait d'arriver.
« J'ai retrouvé votre gars. Rendez-vous à l'entrepôt demain. »
Maddy fixa l'écran, son cœur battant plus vite. Un sourire satisfait et amère lui apparaît au coin des lèvres. Mais elle le reprima aussitôt, ayant peurs d'être aperçu en train de sourire. Il faut qu'elle garde une image de pierre devant ses employés, ça fait partie de son personnage.
Elle inspira profondément. Si elle voulait sauver l'introduction en bourse, elle devait agir vite.