chapitre 7

Le soir tombe comme un voile sur Dakar. Une douce brise nocturne caresse les visages des convives au restaurant du Terrou-Bi.

Yui et Sora, assis à une table, manient adroitement leurs fourchettes, les portant de leurs assiettes à leurs bouches. Les discussions se font rares, mais l’ambiance reste gaie.

Sora, cependant, jetait des regards furtifs à Yui, qui paraissait contrariée. Elle était sublime dans sa robe rouge aux motifs délicats, et ses cheveux relâchés que le vent faisait chavirer.

« Tu es resplendissante ce soir» dit-il finalement.

Yui murmura un merci et porta son verre de vin rouge à ses lèvres.

Sora glissa sa main sur la sienne « tu es toujours fâchée ? Si tu veux, je peux annuler mon rendez-vous de demain pour que nous passions toute la journée ensemble. Qu'en penses-tu ?»

Yui manqua de recracher son vin.

« Non ! Non, surtout pas. Va et fais ce que tu as à faire. C'est plus important. Ne t'inquiète pas, je ne suis pas fâchée.»

Sora, soulagé, lui baisa la main «tu es un amour. Je voulais aussi te donner ça.»

Il sortit une bague scintillante d’une boîte noire cubique.

Yui tressaillit, se mordillant légèrement la lèvre inférieure.

«Ce n'est pas une demande officielle, mais je tiens à te la donner en gage de notre engagement » déclara Sora en glissant la bague à son annulaire.

Ce simple acte n’était pas anodin. Il donnait à leur relation une dimension plus sacrée.

Yui le comprenait bien. Elle, qui se sentait pousser des ailes, se les voyait écorcher. Ses sentiments étaient comme un arc-en-ciel, porteur de toutes les couleurs des émotions possibles.

Elle était perdue, ne sachant pas si elle devait rire ou pleurer. La bague sur son doigt scintillait comme un éclat de rêve.

« Ma belle tsuri, mon plus grand vœu est que tu m'appartiennes » murmura Sora avant de lui baiser langoureusement la main, la faisant frissonner.

Yui prit le mot appartenir au sens propre. Les moments où il avait utilisé ce terme possessif lui revinrent en mémoire, la terrorisant davantage.

« Tu es à moi.»

« Je ne te laisserai pas partir.»

« Tu m'appartiens »

« Mienne tu seras, Yui.»

«Tu ne respires que pour moi.»

Ces phrases résonnaient dans sa tête, la voix de Sora fredonnant en boucle. Yui finit par succomber. Elle lâcha un cri hystérique, les mains sur les oreilles:

« Tais-toi ! Tais-toi ! Arrête, s'il te plaît ! »

Des chuchotements fusèrent des tables voisines, tandis que tous les regards se tournaient vers Yui. Sora, interloqué, tenta de la calmer.

«Calme-toi, Yui. À qui parles-tu ?»

Visiblement perdue, Yui quitta son siège en monologuant à voix haute et courut en fanfare vers leur suite. Sa longue robe rouge balayait tout sur son passage, semant le chaos. Sora la poursuivit, renversant par maladresse son verre de vin, qui se brisa sur le sol. Le liquide rouge s’étala comme une larme de sang…

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Sora retrouva Yui assise sur les pavés, le dos appuyé contre le pied du lit. Elle contemplait obstinément la bague dans un silence lugubre.

Sora s’approcha doucement et lui releva le menton.

«Qu'est-ce que tu as eu ? Pourquoi as-tu réagi comme ça ? À qui parlais-tu ?»

« Je ne sais pas vraiment… Ça m'arrive souvent d'entendre des voix depuis ma dépression, après la mort de ma mère » expliqua Yui.

« Ai-je fait ou dit quelque chose qui t’a ramenée à elle ? Si c’est le cas, j’en suis profondément désolé» dit Sora, inquiet.

« Non, tu n’as rien à te reprocher. C’est sur moi» répondit Yui, la voix tremblante.

«On devrait peut-être consulter un psychologue local dès demain» proposa Sora.

«Ce n’est pas la peine, Sora, je vais bien » tenta de le rassurer Yui.

« Si tu le dis… Navré pour ta mère. Ça a dû être horrible de la perdre. Tu veux m’en parler ?»

Yui hocha la tête et se laissa aller contre son épaule.

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Flashback

Point de vue interne (Yui)

J'avais 17 ans lorsque le drame s'est produit.

C'était une journée ensoleillée, ordinaire… ou du moins, elle aurait dû l’être. Ma mère et moi préparions le déjeuner dans la cuisine. Elle riait de bon cœur à une blague que je venais de faire.

Soudain, elle s’était agrippée au comptoir, le visage pâle.

«Maman, ça va ?»

Elle n’avait pas eu le temps de répondre. Elle s'était déjà effondrée.

L'ambulance était arrivée rapidement, mais pour moi, chaque seconde avait semblé une éternité. À l'hôpital, les médecins avaient tout tenté pour la réanimer. En vain. Un arrêt cardiaque, avaient-ils dit.

Je me rappelais alors les fois où mes parents s'enfermaient dans leur chambre, discutant à voix basse, et que, quand j'entrais, ils se taisaient aussitôt. Parfois même, ma mère me reprochait d'entrer sans frapper.

Ils me cachaient scrupuleusement cette lourde vérité comme si cela ne me concernait pas, sous prétexte que c'était pour mon bien...

Je n'avais jamais ressenti une telle douleur. C'était comme si on m'avait arraché une partie de moi-même.

Pendant des mois, je suis restée enfermée dans ma chambre, incapable de faire face à la réalité. J'entendais sa voix, ses rires, ses conseils. C’était à la fois réconfortant et terrifiant, car je savais qu’elle n’était plus là. Ces voix m’ont poursuivie, me rappelant constamment ma perte.

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Retour au présent

Yui finit son récit, la voix brisée par les larmes.

«C'est depuis ce jour-là que j’ai commencé à entendre ces voix. Ça me fait peur parfois, mais je m’accroche aux souvenirs de ma mère.»

Sora la serra contre lui, lui offrant tout le réconfort possible.

«Tu n’as pas à affronter ça seule, Yui. Je suis là, et nous trouverons un moyen de surmonter cela ensemble.»

Yui hocha la tête, reconnaissante.

«Merci, Sora. Avec toi à mes côtés, je me sens plus forte.»

Elle avait réussi à éviter d’évoquer la véritable cause de sa crise lors du dîner. Même si tout ce qu’elle avait raconté à Sora était vrai, elle savait qu’elle avait, d’une certaine manière, déjà surmonté la mort de sa mère et la dépression qui en avait découlé.

Lorsqu’elle s’endormit enfin dans les bras de Sora, celui-ci la coucha avec douceur, la couvrit d’un drap et éteignit les lampes.

Peut-être que demain serait un meilleur jour pour le couple…

À suivre.