La nuit s'était effacée, laissant place à un matin gris et lourd de silence. Dans la pénombre de sa chambre, Ezra se réveilla en sursaut, les souvenirs de la veille s'entrechoquant dans son esprit. Il resta immobile quelques instants, son souffle encore erratique, repassant chaque geste, chaque sensation… et cette odeur.
Un mélange déroutant de douceur et de sauvagerie, frais comme une brise matinale et pourtant brûlant comme un désir inassouvi. Ça ne le quittait pas.
— Mais qu'est-ce qui m'a pris ? murmura-t-il en passant ses mains dans ses cheveux, les tirant dans tous les sens.
Hier soir, après ce baiser brûlant, il s'était enfermé dans sa chambre avant même que Kael n'ait pu dire un mot. Il n'avait pas réfléchi. Il avait juste fui.
Kael, lui, avait fini par passer la nuit sur le canapé. Pas pour respecter son espace, ça aurait été une belle excuse, mais simplement parce qu'il ne savait pas quoi faire d'autre. Tout ça, cette tension nouvelle entre eux, le laissait lui aussi perplexe.
Au matin, il était parti avant qu'Ezra ne se lève, prenant toutefois soin de lui laisser un petit-déjeuner et un mot griffonné à la va-vite sur un post-it :
"Essaie de ne pas trop cogiter, tu vas encore perdre des neurones."
Ezra avait roulé des yeux en lisant.
Quand il arriva à l'écurie, quelque chose le perturba.
Kael agissait comme si rien ne s'était passé. Comme si cette nuit n'existait pas.
D'un côté, c'était rassurant. Leur amitié semblait intacte.
Mais d'un autre…
— Attends, quoi ? Pourquoi je suis déçu ?! lâcha Ezra à voix haute, se parlant à lui-même.
— T'es sûr de pas vouloir que je t'emmène consulter ? Un psychiatre fera l'affaire,lança une voix moqueuse derrière lui.
Ezra sursauta si violemment qu'il faillit renverser le café qu'il tenait.
— Bordel, Travis ! J'ai failli faire une crise cardiaque !
Travis éclata de rire avant de passer un bras autour de ses épaules.
— T'avais pas un truc à me dire ? demanda-t-il.
— Moi ? Quand ça ?
Sans un mot, Travis sortit son téléphone et lui montra un message.
"Je suis dans la merde. Sauve-moi."
Ezra écarquilla les yeux.
— J'ai écrit ça, moi ?
— T'avais bu un coup ou quoi ?
Ah. Oui. Maintenant, ça lui revenait. La veille, après s'être enfermé dans sa chambre, il n'avait pas réussi à trouver le sommeil. Son cœur battait à cent à l'heure, son esprit tournait en boucle. Il s'était retrouvé à écrire à Travis, son plus proche ami, dans un moment de panique.
— T'inquiète, mec, fit Travis en posant son regard ailleurs. Laisse tomber Kael et viens plutôt causer avec Tonton Trav.
Il désigna l'alpha, qui soulevait des poids un peu plus loin, concentré sur sa séance de musculation.
— Euh… commença Ezra, mal à l'aise, s'asseyant dans la salle de repos.
— Il s'est passé un truc entre vous, pas vrai ?
— Quoi ?! Comment tu sais ça, toi ?! s'étrangla Ezra, choqué.
— J'le savais pas, mais vu ta réaction, j'peux confirmer que j'ai tapé dans le mille.
Ezra ferma les yeux en soupirant.
— On… s'est embrassés, marmonna-t-il à peine audiblement.
— Hein ?! Fais un effort, mec, j'ai rien entendu !
Ezra se racla la gorge, puis lâcha d'une voix à peine plus forte :
— On s'est embrassés et… touchés un peu.
À sa grande honte, il sentit son visage s'empourprer, ce qui fit éclater Travis de rire.
— Putain, on aurait dit que t'étais vierge. Pas étonnant que l'autre con ait eu l'air perturbé ce matin.
Ezra détourna le regard, fixant le sol.
— Ça te choque pas plus que ça ?
— Ça devrait ? On parle de vous deux, là.
— Ne dis pas ça comme si c'était normal… C'est mon meilleur ami.
— Et alors ? T'es pas gêné parce que c'est ton pote. T'es gêné parce que ça comptait pour toi, admit Travis, plus sérieux.
Ezra serra les poings, mais ne répondit rien.
— Tu te mets dans tous tes états, alors qu'au final, t'es qu'un parmi tant d'autres. Il a embrassé et couché avec des dizaines de mecs et de filles. Oublie ça.
Ces mots, bien que vrais, frappèrent Ezra en plein cœur.
Pendant un instant, il avait voulu croire que c'était spécial.
Il baissa la tête.
— Ouais… T'as raison.
^^
Ce jeudi-là, Ezra et quelques autres membres de l'équipe avaient été désignés pour suivre une formation en gestion des systèmes électroniques embarqués en course automobile. Une formation essentielle pour leur travail, mais qui s'annonçait être un calvaire pour lui.
Son corps réagissait de plus en plus aux phéromones, et il avait des nausées constantes. Il avait pris tout ce qui lui restait d'inhibiteurs et de suppresseurs pour tenir, mais au final, il avait fini avec une fièvre carabinée.
— Tu tombes plus souvent malade, ces temps-ci, fit remarquer Danni.
— Tu penses pouvoir conduire jusqu'à chez toi ?,fit Téo à son tour.
— T'inquiète, c'est rien…
Mais en réalité, il ne tenait plus debout.
Une fois sur la route, son corps lâcha. Le monde tourna autour de lui, et il n'eut pas d'autre choix que de s'arrêter sur le bas-côté pour vomir.
— Quelle idée de jouer au dur… grogna-t-il en s'appuyant contre son volant.
Il était à l'autre bout de la ville. Impossible de rentrer seul dans cet état.
Avec un soupir, il prit son téléphone et appela Kael.
Sauf que ce ne fut pas sa voix qui lui répondit.
L'accent de l'homme à l'autre bout du fil était clair, un inconnu.
"Kael et ses mauvaises habitudes…" pensa-t-il avec un sourire amer.
Il allait raccrocher quand il entendit une autre voix prendre le relais.
— Hé, mon grand, je te manque déjà ?
Le ton taquin de Kael. Fidèle à lui-même.
Ezra ferma les yeux. Il n'avait même pas la force de jouer avec lui.
— Viens… s'il te plaît. Je me sens pas bien.
Le silence dura une fraction de seconde avant que la voix de Kael ne se fasse plus grave, plus pressante.
— T'es où ?
Ezra partagea sa localisation avec lui et resta tranquillement dans la voiture pour l'attendre comme demandé. De toute façon, il n'aurait pas pu aller où que ce soit.
Il commençait à s'assoupir quand il entendit quelqu'un toquer à sa vitre. Il ouvrit la porte pour tomber sur un Kael complètement inquiet.
Il prit son visage avec ses deux mains, consultant chaque recoin.
_ Comment t'as fait pour venir si vite ? fit Ezra.
_ J'ai payé trois fois le prix de la course, répondit Kael, ce qui suffit à voler un sourire à Ezra.
Une fois qu'il l'eut installé sur le siège passager, attacha sa ceinture et prit place au volant.
_ Je devrais juste t'amener à l'hôpital, fit Kael, voyant qu'Ezra était bien trop calme.
_ Ça ira, c'est juste une fièvre. Arrête-toi juste à la pharmacie, prends le nécessaire et ensuite je pourrai me reposer chez moi.
_ Alors tu resteras avec moi, fit Kael sur un ton qui ne lui laissa pas la chance de répliquer.
Ezra se tut et réajusta la veste en cuir que Kael avait posée sur lui avant de s'endormir.
Quand il ouvrit les yeux, la première chose qu'il remarqua fut la douceur d'un matelas moelleux sous lui. Ce n'était pas la voiture, ni l'air humide qu'il avait respiré juste avant de sombrer dans l'inconscience. Non, il était allongé sur un lit, il suit immédiatement qu'il était de la chambre de Kael.
Il se redressa doucement, mais une douleur vive dans son bras le fit s'arrêter net. Le regardant, il remarqua une perfusion qui y était connectée.
Un petit rire nerveux s'échappa de ses lèvres. Kael n'avait pas voulu l'emmener à l'hôpital, mais il avait fait venir un médecin. Un médecin… Ce simple mot fit frissonner Ezra. Si Kael avait fait venir un docteur, cela voulait dire qu'il savait. Il savait ce qu'il était devenu. Un oméga. La pensée le paralysa un instant, un froid étrange se propageant dans son ventre.