Prologue

C'était censé être un dîner familial comme tant d'autres. Je m'étais assis à cette grande table, dans la salle à manger de la villa Guerrero, sans me douter une seconde que la soirée allait basculer. L'ambiance était feutrée, la lumière tamisée. Classique. Penelope discutait avec Peter, notre majordome, tandis que Nicolas, le fils de Sebastian, tapotait sur son téléphone en soupirant comme s'il était retenu contre son gré. Rien d'anormal. Rien d'inattendu.

Et puis Sebastian s'est levé. Un verre de vin à la main, son regard plus grave que d'habitude.

Je me suis adossé au dossier de ma chaise, un demi-sourire au coin des lèvres, pensant qu'il allait encore nous parler affaires ou lancer un toast pompeux sur les valeurs de la famille. Au lieu de ça, il a lâché la bombe.

« Je voulais vous annoncer une nouvelle importante. Ginevra et moi allons nous marier. »

Un silence a traversé la pièce. Moi ? J'ai à peine haussé un sourcil. Je crois même que j'ai continué de me servir du vin, l'air parfaitement détaché. Ginevra…

La grande sœur de Charlotte. Mon ex, aussi.

Mais ça, c'était de l'histoire ancienne. Poussiéreuse, sans intérêt. Depuis notre rupture, on n'avait partagé que sarcasmes, regards glacés et piques assassines. Aucun regret. Aucun manque. Juste une tension latente, comme une vieille blessure qui gratte un peu mais qui ne fait plus vraiment mal.

Alors non, je n'ai pas eu de pincement au cœur. Pas d'éclat de jalousie. Rien. J'ai juste lancé une remarque cinglante à Dom, assis à côté de moi. Il a étouffé un rire. Fin de l'épisode. Sebastian pouvait bien épouser Ginevra, ça m'en touchait une sans faire bouger l'autre.

Trois mois plus tard, j'étais loin de cette mascarade. L'Italie. La côte toscane. L'air chaud qui remonte des collines et le rugissement des moteurs. G-Performances s'était installé là pour les qualifications au championnat d'Europe. Une semaine avant leur mariage. Une semaine où je me suis concentré sur ce que je faisais de mieux : piloter, gagner, briller.

Et j'ai brillé.

Je me suis battu sur l'asphalte comme un animal. J'ai écrasé la concurrence, passé la ligne d'arrivée en tête. Qualification validée. Champagne, cris, accolades dans le paddock. Toute l'écurie était euphorique.

Mais moi ? Moi, j'étais ailleurs.

J'ai esquivé la fête. J'ai sauté dans un avion, direction Ibiza. J'avais besoin d'air. De vitesse. De nuits sans fin. Ibiza m'a tout offert. Les fêtes privées dans des villas aux piscines translucides, les filles aux prénoms flous, les routes côtières où je poussais mes bolides comme pour me débarrasser de quelque chose. Je ne fuyais pas Ginevra. Non. Je fuyais les sourires forcés, les discours de mariage, les regards compatissants, les photos dans des cadres en argent qu'on allait bientôt poser dans le salon.

Une semaine plus tard, j'ai pris le vol retour pour Madrid. Le mariage avait eu lieu. Sans moi.

Ginevra était désormais ma belle-sœur.

Et pourtant, malgré toute cette distance, toute cette indifférence que j'affichais, je le savais, au fond. Rien… rien ne serait plus jamais comme avant.