Extrait 002

La musique résonnait toujours dans la pièce, m'enveloppant d'une douce mélodie qui, au lieu de m'apaiser, semblait aggraver ma réflexion. Allongé dans mon lit, je tournais et retournais dans mes pensées, sans parvenir à trouver le sommeil. Ginevra, la famille, cette absence au mariage… Je ne pouvais m'en défaire.

Je me suis finalement assis dans le noir, enlevant mon tee-shirt, laissant ma peau nue sentir la fraîcheur de la pièce. J'éteins l'enceinte bluetooth d'un geste sec, puis je me lève et me dirige vers la porte, le cœur toujours lourd. Le silence qui régnait dans la maison était presque inquiétant. Je traverse le couloir, descends les escaliers sans faire de bruit. C'est là que je les ai entendus.

Je m'arrête net dans l'escalier, dissimulé dans l'ombre. Ils parlaient de moi. Mon frère, Sebastian. Ma sœur, Penelope. Et Ginevra. C'était comme si la conversation me cherchait, me rattrapait. Ils parlaient de mon absence au mariage, de ce que j'avais fait. Je tendais l'oreille, écoutant les murmures qui se faufilaient dans l'air.

Sebastian était le premier à prendre la parole, un ton un peu agacé, mais aussi inquiet.

— Je comprends pas pourquoi il n'est même pas venu. C'était sensé être un moment où tout le monde devait être présent.

Penelope, toujours la voix calme et protectrice, répondit presque immédiatement.

— Il avait ses raisons, Sebastian. Mais je ne pense pas qu'il ait voulu faire de mal à qui que ce soit.

Ginevra, elle, restait silencieuse au début, mais lorsqu'elle prit la parole, ses mots eurent un écho dans l'air. Elle parlait d'une manière mesurée, mais il y avait une défense implicite dans sa voix.

— Je pense que chacun vit les choses à sa manière. Nous ne pouvons pas à l'obliger d'être présent s'il ne le voulait pas. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'apprécie pas les autres. Ce n'est pas aussi simple que ça.

J'ai ressenti un étrange mélange de fierté et de gratitude en entendant ses mots. Même si elle restait réservée, sa façon de défendre indirectement mon absence me toucha. C'était comme une bouffée d'air frais dans une pièce étouffée.

Je n'ai pas voulu les écouter davantage. J'ai baissé la tête et je me suis dirigé vers la cuisine, le son de mes pas résonnant contre les murs. J'avais la gorge sèche, je voulais juste boire quelque chose, me changer les idées. Je pris une bouteille d'eau et je montai à la terrasse, hors de portée des voix. Le coucher de soleil commençait à teinter le ciel de couleurs chaudes. C'était paisible, presque irréel, et c'était exactement ce dont j'avais besoin. Un moment à moi.

Ginevra me rejoignit. Mais qu'est-ce qu'elle faisait là ? C'était comme si elle lisait dans mes pensées. Elle s'installa à mes côtés sans un mot, juste la présence de son corps près du mien. Ses yeux fixaient l'horizon, mais je savais que sa pensée était ailleurs, probablement sur la même conversation que je venais d'entendre.

Je n'ai pas pu m'en empêcher. Je lui ai parlé, mais c'était plus que des mots, c'était un rappel. Un rappel indirect de ce qu'elle venait de dire dans le salon.

— Tu crois vraiment ce que tu as dit là-bas ? Je savais bien qu'elle m'avait entendu.

Elle tourna lentement son regard vers moi. Un regard calme, presque intrigué. Elle ne répondit pas tout de suite. Elle se contenta de me sourire légèrement, comme si ce n'était qu'une question parmi tant d'autres.

— Et toi, tu crois que ça change quelque chose ? dit-elle enfin, d'une voix douce.

Je fronçai les sourcils, déstabilisé. Je n'étais pas prêt à entendre ça. Mais je ne laissais rien paraître. Je déglutis, puis je balançai une question qui m'avait traversé l'esprit, plus pour me donner une excuse que par véritable curiosité.

— Alors, tu viens juste admirer le coucher du soleil ou tu es venue me rejoindre pour autre chose ?

Elle éclata de rire. Un petit rire amusé, sans prétention. C'était un son qui m'avait manqué, cette légèreté dans l'air, même dans un moment aussi lourd. Elle secoua la tête, me défiant du regard.

— Tu crois vraiment que le monde tourne toujours autour de toi, Jason ? Sa voix était taquine, mais avec une touche de malice que je connaissais bien.

Je me redressai légèrement, essayant de capter l'essence de ce moment. Et là, elle se pencha légèrement vers moi. Le parfum de Ginevra m'envahit de nouveau, me frôlant les sens, et j'eus l'impression qu'une tension naissait entre nous. Un espace, un instant suspendu où rien n'existait sauf nous deux. Un moment intense, trop court.

— Tu sais… murmurai-je, presque malgré moi, je n'ai jamais été aussi perdu dans un moment aussi simple.

Elle resta un instant silencieuse, le regard dans le mien, puis, dans un souffle léger, elle murmura :

— C'est parce que parfois, ce sont les moments simples qui sont les plus… compliqués.

Le silence s'épaissit entre nous, lourd de non-dits. Nos corps étaient si proches, pourtant je sentais qu'il y avait un abîme entre nous, une frontière invisible que ni l'un ni l'autre n'osait franchir. Tout ce qui nous séparait semblait se concentrer dans l'espace qui nous entourait, un espace aussi palpable que l'air.

Puis, soudain, elle se leva. Le geste était rapide, presque brusque, et j'eus l'impression qu'elle fuyait quelque chose. Elle hésita un instant, comme si elle cherchait ses mots. Mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle murmura, d'une voix faible, presque tremblante :

— Je… je pense qu'il vaut mieux que je parte.

J'avais envie de l'arrêter, de lui demander pourquoi. Je sentais que quelque chose allait se briser si je la laissais partir ainsi. Mais je n'en fis rien, ne sachant pas quoi dire. Je me contentai de la regarder s'éloigner.

— Ginevra… soufflai-je, avant de l'attraper par la main, presque instinctivement.

Elle se tourna lentement, ses yeux rivés dans les miens. Elle me fixa, un instant suspendu, puis ses lèvres murmurèrent des mots qui me frappèrent comme un coup de tonnerre.

— Tu ne comprends pas, Jason. Tout ça… c'est trop…

Avant que je ne puisse répondre, elle s'éloigna lentement, les yeux toujours fixés sur moi, comme si elle voulait me dire quelque chose de plus, mais n'y arrivait pas. J'ai resté là, sans bouger, mes doigts toujours tendus dans l'air, les yeux rivés sur elle jusqu'à ce qu'elle disparaisse de ma vue.

Le coucher de soleil avait disparu à son tour, laissant place à la nuit. Et moi, je restais là, figé, perdu dans cet instant que je n'avais pas su saisir.