Hilda se réveille tranquillement. Elle sent son corps qui est étendu sur un lit plus que confortable, comme un nuage. Un malaise l’envahit soudainement sans prévenir, mais elle est capable de le garder maîtrisé. Elle entrouvre les yeux et le seul mot qui lui vient en tête pour décrire ce qu’elle voit c’est « monstre ». Elle pense qu’elle vit un cauchemar ou bien qu’elle hallucine puis, petit à petit, des voix lui parviennent et la panique l’envahit. Le langage qu’elle entend ne lui dit rien et pourtant elle comprend les mots que les créatures disent. Elle n’entend que deux voix : l’une d’elles est féminine, douce, angélique, alors que l’autre est aiguë, masculine et siffle à chaque mot. Tout ce à quoi elle pense en ce moment est : qu’est-ce que je fais ici ? C’est alors que dans sa tête, avec l’aide de ses sens, elle se remémore son passé.
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Elle commence avec le toucher. Ses mains. Les mêmes mains que lorsqu’elle avait 15 ans et qu’elle vivait avec sa famille dans la ville de Dantzig, en Pologne avec ses parents, Artur et Janna Kowalski. Ils étaient heureux jusqu’à ce que les Allemands arrivent. Un soldat armé s’était présenté devant leur maison à leur porte et Hilda s’était caché derrière la porte, juste au cas et quand ses parents avaient ouvert la porte, le seul bruit qui était venu aux oreilles d’Hilda fut celui d’un fusil. Ensuite un rire : l’Allemand riait de la mort de deux personnes. La petite fille cachée était triste, apeurée, mais surtout en colère. En colère contre les Allemands. Quand le soldat était enfin parti, Hilda s’approcha de ses parents à quatre pattes. Elle avança jusqu’à marcher dans une flaque de sang. Ses mains en étaient couvertes ! C’est à ce moment que la petite fille en elle se déchaina et pleura tout ce qu’elle avait à pleurer sur le corps de ses parents. Le ciel était devenu rouge lorsqu’elle prit une décision déchirante : celle de quitter le village. Tout ça s’était passé le 1er septembre 1939.
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Hilda se souvient aussi de la marche. Une marche interminable qui lui avait fait tellement mal aux pieds. Il n’y avait plus rien qui la retenait dans sa ville natale, donc elle avait décidé de partir vers la capitale de son pays, Varsovie. Elle eut peur lors de ce déplacement puisque des Allemands l’interpellèrent. « Was machst du hier, kleiner ? » Elle ne comprenait rien, alors l’un d’eux fit l’effort de traduire. « Quoi toi faire ici ?
-Je m’en vais à Varsovie.
-Pourquoi toi être seule ?
-Mes parents sont morts.
-Quel village toi venir ?
-Je viens d’Elblag.
Hilda mentit puisque les gens de son village ont été exterminés, elle avait peur que les soldats la criblent de balles, comme ils ont fait avec ses parents. « Parents morts quoi ?
-D’une maladie inconnue.
-Ja, nous laisser toi passer, mais faire attention, brigands dans cette région, raison nous être là.
-Merci beaucoup, je vais faire attention. »
Elle se souvient aussi d’avoir rencontré l’un des brigands. Cette rencontre a été l’une des plus marquantes de sa vie. « Salut toi ! Viens donc avoir un peu de plaisir avec moi ! dit-il en se léchant les lèvres avec un sourire menaçant.
-Désolée, mais je suis pressée. Je dois rejoindre Varsovie au plus vite donc s’il vous plaît… MAIS QU’EST-CE QUE VOUS FAITES !? »
Le jeune homme avait volontairement baissé ses pantalons et s’approchait de sa proie. « Je suis sûr que ce n’est pas si pressant que ça ». Son regard et son sourire étaient devenus plus vicieux et il avait sorti un canif de sa poche arrière de son pantalon. C’est là qu’un phénomène totalement impossible est arrivé. Une voix lui parlait dans sa tête : « Veux-tu te débarrasser de cette nuisance ?
-Oui.
-Alors, répète ces mots : Accepi autem spiritum terrae, et diripui terram sub humano isto, ut iret ad inferos ».
Après des vibrations sous-terraine, une crevasse s’ouvrit sous l’homme, l’entrainant dans l’abysse.
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Elle ne comprenait pas ce qui s’était passé, mais tout ce qu’elle savait, c’est que l’énergumène a reçu tout ce qu’il méritait. Après quatre jours de marche, elle arrive enfin à Varsovie fatiguée, sale, affamée, en se cachant des soldats qui passaient sur la route. Elle se doutait bien qu’elle n’allait pas être accueillie comme une princesse, mais elle ne pensait jamais que les gens pourraient penser comme ça. « Est-elle toute seule ?
-As-tu vu ses vêtements tout sales, c’est à se demander si elle n’aurait pas roulé dans de la boue.
-Ses parents ne l’ont-ils pas enseigné à comment se tenir en public ? »
Heureusement, un vieil homme aimable au nom d’Alfons n’était pas comme ça. Il a défendu Hilda et l’a accompagné jusqu’à chez lui pour qu’elle se repose une nuit sous un toit. Il lui a expliqué que la population de la Pologne a chuté brusquement à cause des Allemands, mais il y avait encore des personnes qui osaient encore aller à l’encontre des lois d’Hitler. « Quelles sont ses règles ?
-Les écoles sont tous fermées aux Polonais sauf les écoles primaires et ces eux qui dirigent les enseignements pour avoir des travails. Ils interdisent les vies culturelles, artistiques et scientifiques. Ce sont les principales règles qui ont été instaurées. »
Il a ensuite nommé ces personnes qui résistent à l’oppression allemande. Il y a la famille Lewandoski qui pouvait l’héberger quelques fois et le restaurant du chef Nowak allait lui donner de la nourriture. Quelques jours après son arrivée, Hilda s’était incrustée dans une bande, qui comme elle n’avaient pas d’endroit où vivre, de tous âges et lui avait donné son propre « territoire », comme qu’ils disaient sauf qu’ils n’allaient pas intervenir si elle se fait attaquer par des Allemands. Et justement, ce quartier avait été interdit aux Polonais et réservé riches Allemands. Des jeunes fils de riches l’avaient remarqué et l’un d’eux a eu une idée. « Regardez les gars, je suis sûr que cette fille va adorer jouer avec nous et en échange nous ne préviendrons pas nos parents de son existence ». Ils ont tous accepté cette idée et étaient allés voir Hilda avec des roches dans leurs mains. Pendant une heure ils lui lancèrent des roches pour la voir « danser ». Ça l’avait durer plus d’une semaine. Un jour, Hilda n’était pas d’humeur à danser alors elle restait là et se laissait frapper par les pierres qui lui étaient lancées. Les jeunes Allemands se sont lassés et l’ont laissé tranquille depuis, ils l’avaient dénoncée, car des policiers la cherchaient. Bien sûr, Hilda se cachait quand elle les voyait. Ça devenait dur de pouvoir marcher tranquillement sans avoir à s’inquiéter. Tellement dur qu’il y avait des jours où elle pensait à s’enlever la vie, mais à chaque fois elle repensait à ses parents et se disait que ce n’est pas ce qu’ils auraient souhaité pour elle, alors elle continuait de vivre pour eux.
* * *
Hilda se sent apaisée. Elle ne sent pas l’anneau autour de son annulaire gauche. C’était la bague de la mère d’un amour impossible. Niklas. Elle se souvient parfaitement du moment qu’ils se sont rencontrés.
* * *
C’est elle qui avait commencé la conversation. « Salut, qu’elle a dit timidement.
-Bonjour, c’est bien toi la fille dans la rue qui va voir quelques fois le chef Nowak ? Je t’ai vu quelques fois à l’arrière du restaurant. »
Alors qu’il prononçait ces mots, le cœur d’Hilda battait à mille à l’heure. Oh, mon dieu, il me connaît ! Malgré son cœur qui battait la chamade, la jeune femme a gardé son calme et a dit d’un ton assuré et un sourire en coin : « Je suis touchée que quelqu’un comme toi puisse me connaître.
-J’ai beau t’avoir reconnu, je ne sais rien sur toi. Moi c’est Niklas.
-Enchantée Niklas, je m’appelle Hilda.
Il regarde sa montre :
-Merde, à ce rythme, je vais manquer le bus pour le travail ! Est-ce qu’on peut se revoir demain ici même à la même heure?
-Bien sûr ! »
* * *
Elle se souvient de ce sentiment de fierté qu’elle avait ressenti après que le jeune homme soit parti.
* * *
J’ai été trop génial ! J’aurais peut-être pu devenir actrice si les arts étaient encore permis ! Après deux mois de rencontre et de tours de ville, ils décidaient de devenir un couple. Pour fêter cette union, Niklas décidait d’aller présenter Hilda à une couturière dans sa boutique qui s’appelle odzież na zamówienie. Il souriait à pleine dent à l’idée de voir Hilda dans ses plus beaux jours. « Salut, Nick ! Qu’est-ce qui me vaut cette visite... Ah, je vois. Ça ne serait pas la sans-abri que tout le monde parle ?
-Salut, Nina. Oui c’est elle. Elle s’appelle Hilda et je l’amène ici dans l’espoir que tu puisses la rendre la plus jolie de la ville. Hilda, je te présente la meilleure couturière de la ville et aussi ma soeur Nina.
-Bonjour, Nina, c’est un plaisir de vous rencontrer.
-Tout le plaisir est pour moi. »
Nina la fixait de la tête aux pieds, puis regardait celle qui serait probablement sa prochaine belle-sœur dans les yeux avec un regard perçant. « Qu’est-ce que tu en penses, Hilda ?
-Qu’est-ce que je pense quoi ? demande Hilda.
-Qu’est-ce que tu penses de moi qui te donne de superbes vêtements ?
-C’est sûr que ça serait bien que je prenne soin de moi, mais je ne peux pas accepter ce cadeau, car je vis dans la rue donc je ne vais faire que les salir. Je ne veux pas vous faire perdre de si beaux vêtements. »
Cela déprimait un peu Niklas qui essayait une toute dernière fois de convaincre Hilda. « Donc si tu ne vis plus dans la rue, tu vas accepter ?
-Oui, je crois, mais ne pense pas à m’emmener vivre chez toi, pas tout de suite, en tout cas. Je ne veux pas être un fardeau pour toi.
-De quoi tu parles ? Tu n’es pas un fardeau du tout !
-Je n’en suis pas un pour l’instant, mais je ne veux pas que ça change. »
Niklas quittait pour aller prendre de l’air, tandis qu’Hilda resta à l’intérieur avec Nina. « Je suis désolée d’avoir pris de votre temps.
-Ne t’excuse pas. Tu sais, si mon frère réagit comme ça, c’est qu’il t’aime réellement. Mais je voudrais savoir la véritable raison.
-En fait, je suis recherchée par les Allemands, je suis resté un peu dans le quartier riche et j’ai été dénoncée.
-Donc tu ne veux pas amener tes problèmes avec toi vivre chez Nick, je comprends. Toutefois, je te promets que tu risques d’être encore plus en sécurité avec mon frère que tout seule dans la rue.
-Ah oui !? Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?
-Désolé, mais ce n’est pas à moi de te répondre, dit Nina avec une grimace sur le visage. Laisse-moi aller lui parler et je te reviens »
Elle était donc allée voir Niklas, ils ont discuté et Nina a remis quelque chose dans les mains de son frère. Quelque chose qu’Hilda n’était pas capable de distinguer. Ensuite ils sont revenus à l’intérieur. « Hilda, je sais que tu as peur que les policiers viennent te chercher, mais si tu es avec moi, ils ne te feront rien. Je te le promets.
-Comment tu peux en être aussi sûr ?
-Parce que je suis le fils de quelqu’un d’influent, même pour les Allemands, dit-il avec la même grimace qu’avait Nina. Cette bague est la confirmation que tu fais partie de la famille. »
Malgré les doutes qu’Hilda avait, elle décidait tout de même de lui faire confiance et donc elle avait pris la bague et l’a mise à son index et l’a observée. Cet anneau avait en son centre un joyau rond d’un bourgogne avec des sortes d’initiales « SS ». « Que veut dire ce symbole ? demande Hilda, ne sachant pas qu’il s’agissait du signe nazi.
-C’est le symbole de notre famille, dit Nina avec un air sombre. Avec cette bague, tu peux te promener partout dans la ville et aucun mal ne te sera fait. »
Bien sûr, Niklas et Nina ne vont jamais révéler à Hilda qu’en fait leur père était le chef du gouvernement général, Hans Frank.
Ne cherchant plus à comprendre, Hilda suit Nina vers les cabines d’essayage, là où Hilda a pris une douche et a changé ses vêtements. Quand elle en était ressortie après plus ou moins une quarantaine de minutes, Niklas était subjugué par tant de beauté.
Après avoir remercié mille et une fois Nina, ils étaient repartis ensemble jusqu’à la maison du jeune homme. Quand ils sont entrés dans la demeure, Niklas s’était déjà mis à la préparation du souper tandis qu’Hilda visitait les lieux. Soudain, elle entendit un cri provenant de la cuisine. En arrivant auprès de Niklas, la jeune femme avait vu du sang couler sur le sol. À la seule vision de ce sang avait fait écroulé Hilda et elle a perdue connaissance. « Hilda, est-ce que tu m’entends ? demanda une voix lointaine de la perception à Hilda. Bon sang, qu’est-ce qui s’est passé ? dit la voix qui devenait de plus en plus claire. Tu t’es écroulée sans prévenir. Je vais aller chercher un médecin, je vais revenir ça ne sera pas long.
-Est-ce que les médecins sont allemands ?
-Je n’ai pas le choix. Tous les médecins polonais ont été soit capturés et mis dans des camps de concentration, soit ils ont été exécutés sur la place publique. Il ne reste qu’une seule option et c’est d’aller chercher un médecin allemand. »
Le docteur est arrivé une heure plus tard. Quand ils étaient arrivés, Hilda avait remarqué que Niklas parlait très bien allemand. Quand elle y repensait, il a toujours eu un léger accent. Soudain, tout se mettait en place : l’accent, le fait qu’il parle parfaitement allemand, la bague avec la croix gammée, son père qui est supposément influent parmi les Allemands. Il n’y avait plus aucun doute dans l’esprit d’Hilda, Niklas était un allemand, mais pas n’importe lequel, non, c’était le fils d’un chef nazi. Elle s’était levée de sa chaise et commençait à sortir de la maison quand Niklas a remarqué qu’elle avait l’air pressée. « Est-ce que tout va bien, demanda-t-il. »
Elle ne lui répondait que par un hochement de tête et continuait sa route vers l’extérieur. Quand elle était sûre qu’il ne pouvait plus la voire, elle enleva sa bague et commença courir jusque dans une ruelle qui ne débouchait nulle part. Rendue au bout du cul-de-sac, une voix familière lui est parvenue. Ce n’était pas celle de Niklas ni celle de Nina, mais plutôt la même voix qui l’avait aidée lorsqu’elle était avec le brigand. « Aide-nous, comme moi je t’ai aidée. Je t’en supplie.
-Mais qui êtes-vous ?
- Oro ad auras spiritus. Electum, quaeso, ad me adducite. »
L’air se mit à tourner autour d’Hilda, de plus en plus vite. Elle s’était envolée et avait perdu connaissance tellement la vitesse à laquelle elle s’éloignait du sol était grande.