Le Dernier Sommet

Je ne pensais pas que ce jour-là serait le dernier.

Le dernier combat. Le dernier cri. Le dernier regard vers le ciel.

C’était censé être une mission de routine. Une porte de rang S, dans le quartier nord de la ville. On m’avait dit : « T’inquiète, Kael, tu l’as déjà fait mille fois. Tu vas entrer, les découper, ressortir. »

Et ouais, c’était vrai. J’étais le meilleur. Le top chasseur, comme ils disaient partout. Le “Roi des Portes”. On me saluait dans la rue, on criait mon nom à la télé. C’était presque gênant parfois. J’avais juste appris à survivre mieux que les autres.

Mais cette fois-là… il y avait un truc bizarre dans l’air. Un silence lourd. Même les monstres avaient l’air hésitants, comme s’ils attendaient quelque chose. Et moi, comme un idiot, j’ai foncé. Parce que c’est ce que je fais. C’est ce que j’ai toujours fait.

Je suis entré dans la porte. J’ai combattu. J’ai gagné.

Et je suis jamais ressorti.

Ils m’ont dit que j’avais disparu. Qu’il n’y avait plus aucun signal. Qu’on avait fouillé la faille pendant des jours. Mais j’étais là. Coincé dans un endroit qui n’existe pas sur leurs cartes. Un monde entre les mondes. Et le temps… je sais pas. Il coulait autrement là-bas.

J’ai survécu. Je crois. Je suis revenu. Mais tout a changé.

Le monde a changé.

Et moi aussi.

Quand je suis revenu, il faisait nuit.

Pas seulement dans le ciel — dans les regards aussi.

La ville… elle ressemblait à celle que j’avais quittée, mais tout semblait plus froid. Plus vide. Les bâtiments avaient grandi. Les gens avaient changé. Moi, j’étais censé être mort.

Je suis réapparu dans un vieux parking souterrain, complètement abandonné, comme si l’univers m’avait recraché là par erreur. Je respirais encore. Mon cœur battait. Mais quelque chose s’était cassé à l’intérieur.

Je savais pas encore quoi.

Le système avait changé. Les portails s’ouvraient plus souvent, les classes de chasseurs avaient été modifiées, les guildes fusionnées, dissoutes, reconstruites.

Mais mon nom… mon nom était toujours là. Sur une plaque en pierre. En plein centre de la ville.

À Eiden Kael, le Héros Sacrifié de la 7e Brèche.

Ils m’avaient cru mort. Ils avaient construit un foutu mémorial.

Et moi, j’étais là, devant. En chair, en os, et en ruines.

J’ai marché toute la nuit. Je voulais pas qu’on me voie. Pas encore.

Pas avant de comprendre ce que j’étais devenu. Ce que eux, ils étaient devenus.

Je pensais que le monde avait tourné sans moi. Mais non.

Il avait dérivé.

Et quelque chose s’était réveillé dans les ombres.

Les portes ne sont plus les mêmes. Elles sont… vivantes.

Elles m’appellent. Je les entends, parfois, comme un murmure au fond de la tête.

Et il y a ce symbole. Brûlé dans ma peau, juste au-dessus du cœur. Je l’ai jamais eu avant. Mais là, il brille. Froid. Régulier. Comme un compte à rebours.

Je sais pas ce que je suis devenu.

Mais ce monde va le découvrir.