Chapitre 20

Si-woo devait reconnaître une chose à Jeunk : sa résilience. Le jeune Maître avait passé toute une semaine à imaginer les pires tortures pour le caïd du lycée. Pourtant, Jeunk s’y pliait sans une once de honte.

Lundi, après le repas, Jeunk devait adopter une posture étrange, comme celle du Penseur ou d’un singe se grattant les aisselles, à chaque cours.

Quête : Faire éprouver de l’amusement aux personnes autour de vous tout en restant immobile pendant au moins 1h.

À faire 3x (0/3)

Récompenses : 1 % de chances d’obtenir une récompense spéciale pour chaque regard amusé récolté + mise doublée

D’ailleurs, une récompense élevée tomba dès le lundi soir : la capacité de faire oublier à toutes les personnes qui le regardaient ce qu’il s’était produit durant les deux dernières minutes.

Je l’utiliserai durant une grosse mission, pensa Jeunk.

Mardi, Si-woo lui avait ordonné, par l’intermédiaire du système, d’endosser le costume de la mascotte du lycée, un castor, et de se promener dans toute l’école avec un mégaphone en s’excusant auprès de tous ceux qu’il avait frappés.

Quête : Obtenir le pardon des élèves au plus bas de l’échelle sociale

Récompenses : Mise doublée à chaque élève qui vous donne son pardon

Si-woo n’éprouva aucune joie à voir Jeunk s’incliner devant lui dans une tenue ridicule. Un immense dégoût l’envahit. Surtout en sachant que ses excuses n’étaient pas sincères. Jeunk bradait son ego pour des sommes astronomiques.

En à peine trois jours de système, Jeunk avait gagné des milliards de pièces d’or. Il s’était hissé dans les 10 % les plus riches de la planète. Mais ce n’était pas suffisant pour lui. Il devait absolument devenir le numéro un avant de s’arrêter.

La configuration de son système lui permettait d’augmenter ses statistiques en payant une certaine somme. Plus il payait pour une statistique, plus le prix augmentait.

Jeunk s’en amusait au début, s’imaginant écraser Il-seong lors d’un nouveau combat. À présent, il économisait religieusement chaque pièce durement grappillée.

Mercredi, Jeunk avait annoncé sur le groupe en ligne de la classe qu’il se plierait à tous les ordres qui lui seraient adressés jusqu’à la fin des cours.

Quête : Répondre à toutes les exigences de votre classe jusqu’à 17h

Récompenses : Mise triplée si la demande est remplie dans la minute + obtention de la compétence “Mot du Maître” : vous pouvez donner un ordre à quelqu’un une fois par semaine

Pour tester, Do-Yun lui demanda d’aboyer comme un chien durant l’appel. Jeunk s’exécuta. On lui demanda ensuite de l’argent — de petites sommes, comparées à ce que son système lui rapportait — en échange de ces faveurs. Do-Yun lui ordonna de jouer à la chaise humaine pendant le cours d’histoire. L’enseignant n’osa pas relever l’incongruité de la situation.

Si-woo s’autorisa même à envoyer Jeunk lui chercher du jus de fruits à la fraise. Mi-Cha lui tomba dessus sans sommation :

— N’en profite pas ! Tu vois bien qu’il n’a plus toute sa tête !

Si-woo se résolut à le rembourser pour ce service, malgré les protestations de Jeunk. Mais, malheureusement pour elle, ses camarades ne partageaient pas son avis. Ils profitèrent largement de cette journée pour se venger des sévices de leur ancien bourreau.

À la fin de la journée, Jeunk avait été transformé en sac de frappe, avec des insultes inscrites à l’encre sur son torse nu.

Il-seong non plus n’était pas d’accord. Seulement, à chaque fois qu’il tentait de s’interposer lorsque les choses allaient trop loin, Jeunk le repoussait.

— T’as qu’à te plaindre à ton Maître si t’es pas content ! Je serai bientôt plein aux as et tu pourras plus m’arrêter, sale enflure.

— J’essaie de t’aider, s’agaçait Il-seong.

Jeunk ne voulait rien entendre. Aveuglé par les sommes astronomiques que ces ordres lui rapportaient, il encourageait ses camarades à lui en demander toujours plus.

Même Si-woo en devenait mal à l’aise. Dire qu’il avait réduit la menace de son existence à une loque avide d’attention et d’argent…

Alors que la semaine s’écoulait, Si-woo se demandait comment il avait pu, ne serait-ce qu’un jour, avoir eu peur de lui.

Jeudi, l’effervescence des lycéens était à son comble. Tous se précipitaient dans l’enceinte de l’établissement, curieux de découvrir ce que Jeunk leur réservait. Même les enseignants éprouvaient une certaine satisfaction à voir cette ancienne terreur déchoir de la pyramide sociale qu’il avait lui-même bâtie.

Ils ne furent pas déçus : Jeunk se présenta dans chaque classe, s’inclina profondément devant le professeur, et déclara à voix haute :

— Je m’excuse de mon comportement auprès de vous. Je vous traiterai comme mes guides à partir d’aujourd’hui.

Quête : Faire preuve de respect envers tes aînés et leur faire éprouver de la fierté envers eux-mêmes

Récompenses : Mise triplée par adulte

Une enseignante pleura devant sa déclaration. Certains lui frappèrent le sommet du crâne avec un manuel, et beaucoup éclatèrent de rire.

Vendredi, Si-woo se lassa déjà de sa petite vengeance et offrit une journée de tranquillité à Jeunk. Ce dernier, frustré de ne plus recevoir d’argent via les quêtes, reporta sa mauvaise humeur sur ses camarades. Il bouscula Do-Yun pour provoquer une bagarre, mais ce dernier lui jeta un regard de mépris avant de l’ignorer.

Abasourdi, Jeunk tenta de rappeler à ses camarades le pouvoir qu’il détenait. Il mâchait du chewing-gum en lisant un manhwa de manière ostentatoire en cours. Un professeur frappa sa jambe avec une règle en guise de punition.

— Je préviendrai mon père ! beugla Jeunk en tenant son genou comme s’il était cassé.

— Fais donc, sourit l’enseignant en réajustant ses lunettes. J’aurai quelques vidéos intéressantes à lui montrer.

Les élèves avaient diffusé sur internet les “exploits” de Jeunk, qui connurent leur petit succès sans vraiment attirer l’attention de la presse. Pour l’instant. Jeunk blêmit.

Il songea un instant à utiliser sa capacité “Mot du Maître”, mais la pensée qu’un événement plus important puisse se produire le taraudait. Il reprit donc docilement sa place et suivit le reste du cours en silence.

Son aura de tyran avait complètement disparu.

Personne, pas même Il-seong ni Mi-Cha, ne pensa à prévenir le directeur. Ce dernier, grand ignorant du comportement étrange de son fils, rappelait à qui voulait l’entendre l’arrivée prochaine d’un responsable du rectorat pour la cérémonie des résultats semi-trimestriels.

De toute manière, pour Si-woo, la palme de la bizarrerie revenait au docteur Kim, qui s’invitait en cours avec lui de manière inopinée.

Il entrait, serrait Si-woo dans ses bras en montrant une photo de Jeunk dans un accoutrement ridicule, et encensait Si-woo d’une voix mièvre :

— Tant de sadisme dans un si petit corps. Tu imagines…

Puis il repartait, le sourire aux lèvres, indifférent aux regards abasourdis des témoins de la scène.

Les signes que le médecin connaissait la vérité devenaient de plus en plus pressants, mais ce genre d’affection rendait Si-woo nauséeux.

Est-ce qu’il fait tout ça pour que j’évite de lui parler du système ?

De son côté, Il-seong y voyait une forme d’avertissement : Tiens-toi tranquille ou je fais subir le même sort à Si-woo.

Il refusait qu’un Maître sadique touche à son ami. Alors il rongeait son frein face à ces quêtes absurdes.

Dans tout ce chaos, pas une fois Jeunk ne se plaignit.

Il comptait, avec un sourire béat, l’argent qu’il récoltait et jouait à la machine à sous virtuelle.

Il jubilait dans son coin face à sa réussite financière grâce au système. Il parlait à voix haute de ses projets : acheter l’école, virer tous les élèves et enseignants.

Il voulait prouver à tout le monde qu’il n’avait pas besoin de l’appui de son père pour réussir. Ensuite, il achèterait une entreprise de drama et forcerait les acteurs à jouer ses scénarios.

Il deviendrait une immense star, et Mi-Cha le supplierait de lui accorder un rôle secondaire. Il accepterait, évidemment, à condition qu’elle ne se montre plus aussi farouche.

Mais malgré ses projets de grandeur, lorsque Si-woo l’espionnait à travers ses yeux grâce au système, il voyait qu’en privé, Jeunk n’osait plus regarder ses parents en face.

Il repensait à tout ce qu’il avait subi durant la journée, et la honte le gagnait. Ce sentiment… Si-woo voulait à tout prix que Jeunk le ressente.

Il espérait que la brute comprenne enfin sa position sous les brimades constantes.

Mais Jeunk jouait à la victime face à l’écran :

— Les gens sont juste jaloux de ma future réussite. Il-seong le paiera aussi.

Il se répétait ça en boucle sur son lit avant de s’endormir. À peine quelques jours de mauvais traitements, et il perdait déjà la tête.

Si-woo en eut pitié et décida de mettre fin à ses souffrances en lui offrant son ultime supplice.

Quête : Imiter le porc durant une minute devant plus de 1000 personnes

Récompense : La somme accumulée durant la semaine sera multipliée par 100

La quête arriva le matin de la grande cérémonie.

C’est parfait ! exulta Jeunk.

Il avait subi assez d’humiliations pour ne pas s’inquiéter de cette quête dégradante. La récompense en valait la peine ! Et il possédait désormais sa capacité spéciale.

Jeunk parada en arrivant au lycée. Dès qu’un élève pouffait sur son passage, il lui lançait un regard noir.

— Vous allez tous voir ! cria-t-il. Après la cérémonie, vous allez regretter tout ce que vous m’avez fait subir !

On ne prit pas sa menace au sérieux. Tout le monde se partageait les vidéos et photos de Jeunk en s’esclaffant. Il était devenu un clown, un sujet de raillerie pour tous. La tension montait pour l’ancien tyran : il aurait aimé fracasser le nez de ces insolents. Mais à ses yeux, tout cela — la semaine dernière incluse — ne vaudrait bientôt plus rien. Cette cérémonie, et la récompense, allaient changer le cours de sa vie.

Il le sentait !