Chapitre 3 : Nouveaux horizons

Partie 1 : Une sensation familière

La lumière traversant la fenêtre illuminait son visage, tandis que le son d’une marmite libérant de la vapeur résonnait dans toute la maison du shaman. Lova se réveilla avec une lourde sensation dans la tête. Elle posa sa main gauche sur son front, puis une vague de rage et d’incompréhension l’envahit.

Lova – Mais pourquoi cela m’arrive-t-il à moi ? Papa, maman, où êtes-vous ? dit-elle, une petite larme coulant de ses yeux.

Le shaman entra, portant cette fois un masque qui ne dissimulait que le côté gauche de son visage, laissant l’autre partie visible. Lova essuya ses larmes avant d’interroger le shaman, surprise.

Lova – Vénérable shaman, pourquoi cachez-vous votre visage ?

Shaman – Tu le comprendras bien assez tôt, mon enfant. Mais sache qu’en embrassant la voie du shaman, tu devras un jour, toi aussi, masquer ton visage avec l’os de ton animal totem, selon le serment fait à la déesse du vent originel.

Lova – Cette déesse… Pourriez-vous m’en dire davantage ? Et pourquoi le dieu a-t-il dit que j’étais son incarnation ? Vous devez m’expliquer !

Le shaman prit une chaise, s’y installa et contempla les petits colliers suspendus. Il sortit un pendentif en forme de queue de lémurien, accroché à l’une des poutres soutenant le toit.

Shaman – Suis-moi, ma fille, et porte ce collier. Ne veux-tu pas ressentir la chaleur d’un bon bouillon ? dit-il en descendant de la chaise et en la remettant à sa place.

Lova – Un bouillon ? répondit Lova, surprise.

Lova – Mais comment est-ce possi…

Shaman – Suis simplement mes instructions.

Lova se leva du lit, s’approcha du shaman et passa le collier autour de son cou. Une sensation étrange l’envahit, comme si elle recommençait à respirer, comme si elle revenait à la vie. Elle ne comprenait pas vraiment ce qui lui arrivait, mais une chose était sûre : elle avait l’impression d’avoir abandonné son état d’esprit pour retrouver la vie.

Lova – Cette sensation… Je peux sentir ma respiration, mon corps, comme avant ! dit-elle avec enthousiasme.

Shaman – Ne te méprends pas, mon enfant. Tu es toujours un esprit. Ce pendentif est un droit de passage dans le monde des vivants que je t’accorde. Comme je te l’ai dit, le monde des esprits est un monde immatériel pour les humains, mais il a ses propres lois et créatures.

Lova – Je ne comprends toujours pas, vénérable shaman.

Shaman – Soit. Tu verras au fur et à mesure de ton apprentissage, ne t’en fais pas.

Shaman – Et si, au lieu de discuter, nous goûtions ce bon bouillon de poulet ?

Les yeux de Lova s’illuminèrent de joie. Elle tira le shaman vers la sortie, impatiente.

Lova – Allons-y !! C’est dehors, non ? Du poulet, enfin du poulet ! s’écria-t-elle en salivant d’avance.

Shaman – Mais attends, doucement, ma petite… protesta le shaman, incapable de résister à son enthousiasme.

Partie 2 : Une nuit calme

La vie du shaman et de Lova suivit son cours dans la petite maison. Le matin, Lova se réveillait précisément au premier chant du coq pour réciter les différents mantras, afin de ne pas les oublier. Lorsque le soleil atteignait une position inclinée vers l’est, elle méditait pour comprendre le flux d’énergie traversant son corps, croisant les jambes et joignant ses mains en forme de cœur avant de se plonger dans le vide de son essence intérieure. Enfin, après le déjeuner, elle suivait des cours de communication spirituelle, de devoirs et d’obligations avec le shaman.

Cette nuit-là, une odeur enivrante d’oignon et de viande frite flottait dans l’air. Lova et le shaman admiraient le ciel étoilé, d’un calme et d’une beauté enivrants, avec ses couleurs jaune, blanc et quelques touches de rouge, assis sur leurs petites chaises en bois à côté du récipient en fer où cuisait la viande.

Lova – Dites-moi, shaman, dans quel territoire sommes-nous précisément ? Cette forêt, l’air, et surtout la forme des arbres…

rien ne ressemble à ce dont j’ai l’habitude.

Le shaman prit une branche et dessina des formes sur le sol.

Shaman – Vois-tu, ma fille, ici, c’est la forêt de Sakarah, l’endroit d’où tu viens. En avançant vers le bas, on arrive dans la Terre Désolée des Fossas, et à côté, nous sommes ici, dans la forêt entre cette terre et le village de Trimobe, dit-il en indiquant avec sa branche.

Lova – Nous sommes donc assez loin de la grande forêt de Sakarah… Je me demande comment vont les autres villages après ce qui est arrivé au nôtre.

Le shaman regarda Lova, soucieux.

Shaman – Je pense qu’il est temps. Que dirais-tu d’aller visiter le village de Trimobe demain ? Ce sera l’occasion d’appliquer mes enseignements.

Lova – Voir de nouvelles choses ne peut pas faire de mal.

Le shaman se leva.

Shaman – Dis-moi, ma fille, connais-tu la différence entre ton village et ceux en dehors de la grande forêt de Sakarah ?

Lova le regarda, étonnée.

Lova – À part les traditions, mes parents m’en avaient déjà un peu parlé.

Lova – Selon eux, la grande forêt de Sakarah est le berceau du vent. Chaque attribut ou esprit lié au vent en émerge. Ils m’ont aussi parlé de l’histoire de la tribu qui vénérait un esprit de l’eau et une autre du feu et de la terre, mais mes souvenirs sont vagues.

Shaman – Ainsi, les villages sans nom s’isolaient complètement du reste du monde.

Il se tourna vers Lova.

Shaman – Sache, ma fille, qu’il n’y a plus de tribu de l’eau, de villages élémentaires ou autres depuis plus de cent cinquante ans, après la rébellion de l’Est qui dura un siècle.

Lova – Mais… mes parents m’ont-ils caché des choses ? Je sais lire et écrire, vénérable shaman, et mes parents étaient chasseurs. Ils sortaient souvent du village.

Shaman – Ne t’en fais pas. Je t’expliquerai tout demain, et notre visite à Trimobe t’éclairera sur bien des points.

Lova – Il ne me révèle toujours pas grand-chose… Même maintenant, je me demande ce qui s’est passé après que je me sois évanouie en forêt l’autre jour. Mais il évite toujours la question. Pourquoi les aînés font-ils toujours leurs mystères ? pensa-t-elle intérieurement.

Shaman – Ne sens-tu pas quelque chose de brûlé, ma fille ?

Lova – Maintenant que vous le dites, c’est plutôt carbonisé, à mon avis.

Lova se leva, paniquée, et retira le récipient du feu à l’aide du chiffon posé près du shaman.

Partie 3 : Un village assez bruyant

Dans un environnement bondé, rempli de passants et de toits en fer reflétant la lumière du soleil parfois droit dans les yeux, Lova se sentait déboussolée, perdue entre les marchands et les bruits de toutes sortes.

Lova – Ce n’est pas un village, cela ressemble plus aux villes que mes parents me décrivaient dans leurs récits !

Shaman – N’y prête pas trop attention. Le village de Trimobe est un point de passage pour les marchandises entre les territoires de l’île. Beaucoup de produits venant du continent y transitent, d’où cette foule.

Malgré sa cape, censée dissimuler sa présence, Lova sentait la chaleur étouffante sous le soleil de midi.

Lova – Cette chaleur… Je n’en peux plus, je veux de l’eau !

Shaman – N’oublie pas que notre mission aujourd’hui est importante. Tu te rafraîchiras chez le noble.

Lova – Quand il a dit hier que nous allions visiter Trimobe, je pensais à une simple balade et une présentation des lieux… Ahhh, ce vieux me donne toujours envie de le… pensa-t-elle en lançant un regard noir au shaman, vêtu de sa longue tunique.

Ils arrivèrent devant une maison au toit de tuiles rouges, plus distinguée que celles qu’ils avaient croisées en chemin.

Lova – Comment avez-vous su d’instinct où était cette maison ? Moi, je me serais perdue avec l’indication du noble : « près de l’arbre rouge ».

Durant tout le trajet, Lova n’avait vu aucun arbre rouge, hormis le calme soudain lorsqu’ils avaient traversé une ruelle entre un marchand de légumes et un étal de bijoux.

Shaman – Ouvre ton esprit, ma fille, et rappelle-toi : active ta canalisation en permanence.

Lova ferma les yeux, essayant de percevoir cette énergie que le shaman appelait le « voile ».

Lova – Le voile, une énergie spirituelle propre aux esprits… Concentre-toi, ma chère, et perçois ce qui se cache dans l’ombre.

Voyant sa difficulté, le shaman frappa le sol avec sa canne, dissimulée dans les manches de sa tunique. Un bruit puissant, comme une explosion, retentit aux oreilles de Lova.

Lova – Mais qu’est-ce qui vous prend ?! hurla-t-elle, perdant sa concentration.

Shaman – Ne nous faisons pas attendre, ma fille. Tu réitéreras ton échec plus tard.

Lova – Mon échec ??

Ils s’approchèrent de la porte. Le shaman frappa le sol trois fois, mais seul un léger grattement se fit entendre.

Lova – Mais qui veut-il appeler avec ce tout petit bruit ?

Voix derrière la porte – Assez, assez, assezzzz ! Mon vénérable, une seule fois suffit !

Lova – Un si petit bruit… Cette personne doit avoir une ouïe très fine.

Le shaman frappa de nouveau le sol. Lova hurla, se couvrant les oreilles, la douleur lui transperçant le crâne.

Lova – Ahhh ! Mais c’est quoi ? Mes oreilles…

Shaman – Après cette mission, tu reverras toutes tes bases, ma fille, dit-il, frustré.

La porte s’ouvrit, révélant un petit homme, à peine plus haut que la hanche du shaman, vêtu d’une veste et de lunettes, le teint pâle contrastant avec les natifs au teint marron. Ses oreilles pointues tremblaient légèrement alors qu’il croisait les bras en forme de V.

Petit homme – Nous vous attendions, ô grand et vénérable shaman.

Notes :

*Un esprit est une créature venue d’un autre monde, qui apparaît dans celui des vivants sous une forme fantomatique ou physique, et ne ressent aucune sensation, sauf lorsqu’il se trouve dans son propre monde.

*Village de Trimobe : village dont l'auteur s'est inspiré d'une légende Malagasy pour marquer l'appellation. Selon cette légende le Trimobe serait un homme ou une créature mangeuse d'homme. Le village de Trimobe est aussi connu pour engloutir les voyageurs en quête d'aventure venus des autres contrées. On raconte que les voyageurs qui y font halte n'en ressortent plus, peut-être à cause de l'accueil chaleureux des natifs ou bien simplement parce qu'un lourd secret y est enraciné au plus profond de l'histoire du village.

*Forêt entre le territoire désolé et le village de Trimobe : une forêt assez dense, avec des ravinala à profusion, dont le climat est changeant mais garde un aspect mystérieux. On raconte que cette forêt est une partie du monde des esprits. Mais ce qui est sûr, c'est que le passage des fossas en quête de nourriture dans cette vaste étendue de pins et de ravinalas rend les villageois plutôt réticents quant à son exploration.

Voile : une énergie spirituel présente dans tout le continent de Pandragora connu pour être l'essence de l'esprit dont très peu de gens y ont accès. Le Sud la terre bénie de la déesse du vent présente une anomalie où bien cette énergie est constamment présente dans l'air.

*L'île entourée d'une mer orageuse n'accueille pas de touristes ni même de simples passants en quête de voyage. Elle est principalement peuplée d'aventuriers chevronnés perdus et de chercheurs en quête de réponses, qui se sont mêlés aux natifs locaux. Durant de nombreuses années, l'île était crainte, mais depuis que le dieu du feu a soufflé un vent de guerre, les shamans de l'île sont de plus en plus sollicités, réputés pour leur puissance. Il n'est donc guère rare d'y croiser des nains, des elfes ou parfois des halfelins, même si ces êtres n'en sont pas originaires, tout comme certains yōkai ou tanukis venus de l'ouest.