Part 1 : L'ombre du passé.
Était-ce une illusion, était-ce une punition ? Au fond d'elle, Lova se sentait perdue. Les fumées noires qui envahissaient le village, le ciel devenu noir comme si la nuit était tombée alors qu'il semblait être encore en plein jour.
Lova - Tout, tout s'est passé comme ce jour-là. La main de Ravo qui me saisissait le bras, le village qui s'est fait décimer par des flammes... Mais cette fois-ci, les flammes étaient noires. Mais que se passe-t-il, enfin ?
Dans l'agonie, entre urine, sang et pus, Lova essaya de se lever. Elle regarda le ciel qui s'était assombri, son visage à moitié brûlé, et sentit la peur monter en elle.
Lova - Mais que se passe-t-il ? se dit-elle, paniquée.
Entre flammes et cadavres, une voix au loin semblait se faire entendre.
Voix mystérieuse - Je la vois... Toi aussi tu la vois ? C'est une humaine... La peau, les cheveux, une chair bien dodue... Je veux la manger !
Une émanation de boule noire et de fumée nauséabonde essaya de s'approcher de la jeune fille.
Voix mystérieuse - Ah, elle est à moi ! Non, elle est à moi, la boule ! Mais nous pouvons partager : je prends les cheveux et toi les pieds , dit la voix qui semblait appartenir à de nombreuses personnes, avec des sons graves, calmes et parfois effrayants.
Lova essaya de se lever. La peur la paralysait. Au fond, elle espérait que le shaman arrive comme la dernière fois pour la délivrer de ce mauvais moment.
Lova - Je ne peux plus me lever... Mes jambes sont clouées au sol, et l'un de mes yeux est totalement atteint par ce feu. Cette sensation de vide... C'est comme la dernière fois. Tout comme la dernière fois, je ne vais rien pouvoir faire face à cet ennemi qui semble vouloir me manger. Si j'étais le shaman, qu'est-ce que j'aurais fait ?
Elle regarda la masse noire avancer, puis se dit intérieurement :
Lova - Non, je ne dois pas abandonner. Rappelle-toi, Lova, tu n'es pas dans le monde réel.
Elle se ressaisit et essaya de se concentrer sur son voile.
Lova - Ô déesse du vent, j'en appelle à toi ! Repose mes tourments et éclaire-moi ton chemin ! récita-t-elle de toutes ses forces, mais rien ne semblait se passer.
La masse noire avançait à une vitesse impressionnante. Elle engloutissait tous les cadavres autour d'elle, ne laissant qu'une traînée de terre.
Voix mystérieuse - Regarde, elle essaie d'appeler une bénédiction des esprits... Mais on les a tous mangés, non ? Pourquoi essaie-t-elle d'appeler ces trucs que nous avons déjà engloutis ? Non, mes frères, faisons vite ! Elle semble être un shaman... Elle doit avoir un goût appétissant , dit la voix aux multiples tonalités tout en avançant de plus en plus rapidement.
Lova - Mais qu'est-ce qui cloche ? Pourquoi cela ne marche pas ? Mon attribut doit bien être le vent, non ? Mais si c'est le vent, pourquoi est-ce le shaman qui est apparu ?
Lova essaya de se remémorer tous les événements passés de sa vie après l'incident de la forêt de Sakarah. Elle se rappela les paroles du dieu qu'elle avait rencontré en forêt : "Ô toi, Renirivotra..." Elle se remémora l'incident avec Mandraro, se souvint aussi des paroles de Mandraro à son égard qui demandait : "Comment toi, tu maîtrises l'arcane oublié de la téléportation ?"
En rassemblant toutes ces informations dans sa tête, elle récita à nouveau son incantation.
Lova - Moi, la déesse Renirivotra, reine des vents et gardienne de ses territoires, j'en appelle au vent ! Purifiez-moi cette souillure et que la terre soit bénie !
Elle vit une couleur d'un jaune complètement doré. Le ciel autour d'elle commença à se fissurer.
Un vent lumineux, vert et chaleureux entoura Lova. Ce vent, comme une rafale, se dirigea vers la masse et l'engloutit d'un trait.
Voix mystérieuse - "Mais comment... ? C'est une donneuse d'ordre ! Mais comment... ? Les lois ne devraient pas rendre cela possible... Ahhh !" dit la voix aux différents tons avant de disparaître avec l'émanation.
Lova, sentant encore sa douleur, s'effondra sur le sol.
Lova - Je dois retrouver le jeune homme aux cheveux lisses, pensa-t-elle avant de fermer petit à petit les yeux, sentant la fatigue, et de s'endormir profondément.
Dans la maison où était Mandraro, ses yeux s'écarquillèrent devant la vue de tant d'innocents morts, engloutis dans des flammes noires.
Mandraro - Mais c'était quoi ? dit-il. C'était donc cela le Vide ? C'est ce qui se passe lorsque les éléments sont hors de contrôle ?
Le ciel qui était noir commença à se dissiper pour laisser place à un bleu calme.
Ravo - Ton amie le shaman semble avoir terminé son épreuve et accepté sa raison d'être.
Mandraro - Comment ? Alors toute cette épreuve, c'était pour Lova ?
Ravo - Effectivement. Je suis content qu'elle ait réussi. Elle ressemble étrangement à une chère amie qui était vraiment précieuse à mes yeux.
Les cordes qui emprisonnaient Mandraro se libérèrent.
Ravo - On se revoit à ton véritable épreuve, mon grand moi. Sois patient en attendant ce moment.
Une lumière jaune entoura Ravo alors qu'il disparaissait.
Mandraro - Mais cette lumière... Tu es Raintany, n'est-ce pas ?
Ravo - Qui sait, mon grand moi ?
Le ciel dégagé, Mandraro sortit de la maison et vit Lova au sol, inconsciente. Il semblait être retourné au champ de riz de l'épreuve, mais le ciel faisait cette fois-ci jour.
Part 2 : Une forêt silencieuse
Mandraro, assis sur le bord du champ, regardait Lova qui, ayant repris un peu de force, se leva. Elle ouvrit lentement, mais difficilement les yeux, et réussit à se tenir debout devant Mandraro.
Lova – Je suis redevenue un esprit, dit-elle tout en scrutant ses mains.
Mandraro – Un esprit ? Mais tu es bien humaine en ce moment. Ou bien… tu es encore en train de rêver, la shaman sans classe ?
Lova – Je suis réveillée, répondit-elle en esquissant un sourire de honte, car elle connaissait bien les mises en garde du shaman sur le fait de dévoiler son identité d’esprit à quiconque.
Lova - C’est vrai que, dans ce monde-ci, je ressemble à une humaine comme une autre… Peut-être parce que je me trouve entre deux mondes, pensa-t-elle.
Mandraro – Continuons notre chemin, et tu me raconteras ce qui s’est passé durant l’épreuve en route. Mais pourquoi, ô Raintany, nous sommes-nous retrouvés à l’époque du Grand Désastre ?
Lova – Même moi, j’en sais très peu à ce sujet, tu sais. Mais une chose est sûre : la forêt semble avoir dégagé un chemin. Nous devrions le suivre, non ?
Mandraro – À toi l’honneur, shaman. Guide-nous, c’est toi l’érudite ici.
Lova – Allons-y, dit-elle en ouvrant la marche.
La forêt avait une allure étrangement calme. On ne ressentait ni humidité ni même un souffle de vent. Les feuilles semblaient figées, comme si le temps lui-même s’était arrêté.
Mandraro – Je sens comme une angoisse monter… Pas toi, la shaman ? dit-il d’un ton calme.
Lova – On ne dirait pas, avec ta façon de parler.
La forêt était silencieuse. Aucun bruit d’animal, aucun son alentour. Lova essaya de prononcer un mot avant d’être interrompue par Mandraro. Il posa ses mains sur les siennes et lui fit signe de se taire.
Mandraro avança tranquillement et, d’un geste, invita Lova à le suivre.
Mandraro - Je comprends… Ce calme… Nous sommes sur le territoire des Pamosavy. Ces êtres ne doivent pas avoir la capacité de voir, ce qui fait que leurs oreilles sont leur plus grand atout, pensa-t-il.
Lova, visiblement inquiète, suivit les pas de Mandraro. Alors qu’ils avançaient, devant un recoin sombre, il fit un geste de la main pour lui indiquer de s’arrêter. Il prit une pierre et la lança dans cette direction.
La pierre percuta le sol. Une silhouette, aussi rapide que le vent, aussi sombre que nauséabonde comme l’odeur de la mort, se précipita vers elle. Lova et Mandraro la virent distinctement devant eux.
Avec des dents rouges comme si elles étaient faites de sang, une salaka en guise de vêtement et un masque semblant taillé dans un crâne humain, le monstre qui se tenait là était effroyable.
Mandraro - Plus effrayant qu’un loup, songea Mandraro.
Lova, les yeux écarquillés, fixa la créature, paniquée. Mandraro, d’un calme impressionnant, l’invita à le suivre sans bruit en lui prenant le bras. Ils avancèrent vers ce qui semblait être le seul chemin lumineux. Mais alors qu’ils posaient le pied l’un après l’autre, le monstre se tourna vers eux.
Complètement figée de peur, Lova sentit une fine sueur perler sur son front. Le monstre s’approcha. De son nez, il renifla, comme une bête cherchant l’odeur des deux intrus.
Lova - Calme-toi, Lova, se répéta-t-elle intérieurement.
Mandraro, lui, était immobile comme la pierre tandis que le monstre le flairait.
« Pac… » Un petit bruit retentit au loin dans la forêt.
« Argrrr ! » aboya le monstre d’une voix presque humaine avant de s’élancer vers la source du son.
Part 3 - La chasse des Pamosavy
Lova et Mandraro avancèrent discrètement et lentement, faisant en sorte de ne pas émettre de bruit. Soudain, le calme de la forêt se brisa. Un son mesquin résonna dans toute la forêt, et les feuilles se mirent à virevolter dans tous les sens.
« Hahaha… hahah ! La voilà ! » disait la voix.
Un vent commença à se lever, et le silence de la forêt fut remplacé par le souffle sourd des rafales.
Lova – Mais que se passe-t-il ? pensa-t-elle, hésitant à prononcer un mot.
« C’est la déesse Renirivotra… Nous allons enfin pouvoir nous venger… Moi, je veux bien ses jambes, elles ont l’air succulentes… Moi, ce sont ses yeux émeraude que je veux… Moi, c’est le jeune garçon que je veux ! »
Les voix résonnaient de toutes parts, rendant impossible d’en identifier la provenance.
Mandraro – Ça va commencer. Leur partie de chasse va bientôt débuter. Lova, prépare tes jambes, nous allons courir. Et récite le mantra pour les benir.
Lova acquiesça. Elle commença à concentrer son voile. Mandraro, quant à lui, leva la main gauche, scruta les alentours, puis l’abaissa d’un geste vif avant de s’élancer en avant, entraînant Lova de son autre main.
Lova – Ô toi, vent, réponds à mon appel ! Toi, l’élément de mon ordre, bénis nos jambes et apaise nos tourments. Récita-t-elle tout en courant.
Derrière eux, ils ne distinguaient pas clairement leurs formes. Seule une chose était évidente : des silhouettes noires, d’une agilité terrifiante et d’une odeur aussi forte que celle d’un cadavre en putréfaction, les poursuivaient, franchissant arbres et feuilles sans effort.
Mandraro – Cette sensation… Cette odeur qui monte… Nous devons vite trouver un refuge. Les Pamosavy sont derrière nous, affamés, pensa-t-il.
Alors qu’il courait sans direction précise, un Pamosavy, aussi agile qu’effrayant, se posta devant eux après être descendu des arbres d’un bond impressionnant.
La créature se précipita, dents découvertes, et mordit Mandraro, teignant le sol d’un rouge sang. Les yeux de Lova s’écarquillèrent. Elle sembla vouloir interrompre son mantra, mais Mandraro s’écria :
Mandraro – Ne t’arrête pas, ô déesse du vent ! Que ta bénédiction nous emporte loin d’ici !
Surprise par ses paroles, Lova ne cessa pas sa récitation. Elle regarda Mandraro avec détermination tandis qu’il agitait son bras pour se défaire de la créature qui s’y était accrochée. Il parvint difficilement à la détacher, mais un coup de poing en plein visage finit par l’en arracher.
Les jambes de Lova et Mandraro s’illuminèrent. Entre bois et feuilles, ils étaient cernés de toutes parts.
Mandraro – La bénédiction fonctionne enfin, dit-il alors que Lova saisissait sa main.
Lova bondit dans les airs en attrapant le col de Mandraro. Les Pamosavy se jetèrent sur elle, mais à chaque tentative, ils étaient repoussés plus loin, comme si Lova regorgeait d’une puissance inouïe, devenue elle-même une balle de vent.
La vision trouble, mais maintenant à une hauteur suffisante pour dominer la forêt, Lova demanda à Mandraro :
Lova – Tu vois un endroit où nous pourrions nous réfugier ?
Mandraro – Regarde là-bas ! Cela semble être la sortie de la forêt. Allons-y, vers l’extrémité est. Tu n’as qu’à suivre la position du soleil.
Lova acquiesça et se dirigea vers cette direction.
Notes :
*Le Vide est une sorte d'énergie qui perturbe les éléments lorsqu'aucun dieu ni juge ne lui est assigné. Il fait naître des créatures de toute sorte qui se raffolent du voile, du mana, du ki et du corps physique des êtres vivants. Étant comme une sorte d'anomalie, les êtres qui s'y forment sont difformes et ne sont aucunement doués d'une conscience intelligente. Seulement, on dit parfois que les exceptions existent. L'une des rumeurs les plus réputées du grand continent prétend que les dieux élémentaux seraient en réalité des enfants du Vide.
*Selon une légende de Pandragora, lorsque le Vide attaquait, le ciel s'assombrissait, comme la nuit, et les être qu'il était en train de former ressemblaient à des étoiles brillant des l'obscurité ambiant.
Salaka : C'est une sorte de bande de tissu fait de manière grossière que les hommes portent comme cache-sex.