Chapitre1: L'Éveil des Ombres (Partie 1)
Il était 2h37 du matin quand Luan se réveilla en sursaut, le souffle court, trempé de sueur. Encore ce cauchemar. Celui avec les ombres sans visage, qui murmuraient son prénom dans une langue inconnue. Cela faisait deux semaines qu'il rêvait de la même scène : une forêt noire, un vent glacial qui le poussait vers un vieux manoir en ruine, et une porte… toujours fermée, toujours barrée de chaînes. Mais cette nuit, quelque chose avait changé. La porte s'était ouverte.
Le silence dans sa chambre était pesant, oppressant. On aurait dit que le monde entier retenait son souffle. Luan regarda autour de lui. Tout semblait normal. Son bureau, ses posters, la lampe de chevet en forme de dragon que sa mère lui avait offerte pour ses 13 ans. Pourtant, il sentait… une présence. Comme si quelqu'un, ou quelque chose, l'observait.
Il sortit du lit, lentement, les pieds nus touchant le sol glacé. La lumière du réverbère filtrait à travers les stores, projetant des ombres étranges sur les murs. Il tendit l'oreille. Rien. Seulement le tic-tac de son horloge murale. Il s'approcha de la fenêtre et écarta légèrement le rideau. Dehors, la rue était vide, plongée dans une quiétude artificielle. Tout semblait figé, comme suspendu dans le temps.
Puis, son regard fut attiré par un éclat métallique sur son bureau. Un objet qu'il était certain de ne pas avoir vu la veille. Un carnet. Relié de cuir noir, orné d'un sceau gravé dans une langue étrange. Il s'en approcha, les yeux écarquillés. Ses doigts tremblaient quand il le toucha. Le cuir était tiède, presque vivant. Un frisson parcourut son échine.
Il l'ouvrit.
La première page était vide, sauf pour une phrase inscrite à l'encre rouge : « Ce que tu écris prend vie. Ce que tu redoutes devient réel. »
Luan sentit son cœur s'arrêter un instant. Il tourna les pages. Vides. Toutes. Mais ce n'était pas un carnet ordinaire. Il en était certain. Il avait cette sensation… comme si quelque chose l'avait choisi. Comme si ce carnet attendait… qu'il écrive.
Il hésita. Et puis, sans savoir pourquoi, il attrapa un stylo, s'assit à son bureau, et écrivit :
« Une silhouette apparaît dans la rue, immobile, me fixant depuis l'obscurité. »
Il se figea.
Et quand il releva les yeux… il la vit.
Là. Dans la rue. Une silhouette, drapée de noir, sans visage. Immobile. Le regard figé sur lui.
(Partie 2)
Luan sentit un frisson glacé courir le long de sa colonne vertébrale. Le cœur battant la chamade, il ne pouvait détacher son regard de cette silhouette. Était-ce possible ? Un simple mot écrit dans le carnet pouvait-il avoir créé cette apparition ? Il se leva d'un bond, renversant sa chaise. Mais à mesure qu'il avançait vers la fenêtre, la silhouette dans la rue ne bougeait pas. Elle restait figée, l'ombre de son corps s'étendant sur le pavé.
Il se dirigea vers le téléphone, cherchant à appeler quelqu'un, n'importe qui. Mais son doigt se figea avant d'appuyer sur le bouton. Il se souvint alors de l'avertissement sur la première page du carnet : "Ce que tu redoutes devient réel." Et il savait, au fond de lui, que ce n'était pas juste une illusion. Ce qu'il venait d'écrire venait de se matérialiser devant ses yeux. Mais pourquoi cette silhouette l'observait-elle ?
Il baissa la tête, tentant de rationaliser. Il fallait être logique. Il n'y avait pas d'autre explication que celle du stress, des cauchemars récurrents. Ce carnet n'était qu'un délire de plus dans une nuit déjà trop étrange. Il souffla profondément, se dirigeant vers la porte de sa chambre. Mais alors qu'il allait l'ouvrir, une brise froide souffla dans la pièce. Il tourna brusquement la tête vers la fenêtre. La silhouette n'était plus là.
Le soulagement qui envahit Luan fut de courte durée. Un bruit sourd résonna dans la pièce. Comme si quelque chose frappait contre les murs de sa maison. Un frisson d'effroi parcourut ses veines. Il s'approcha de la fenêtre et se pencha doucement. Il chercha dans l'obscurité. Il n'y avait rien. À nouveau.
Le carnet posé sur son bureau l'attira. Luan s'approcha de la table, hésitant, les mains tremblantes. Il avait peur de ce qu'il allait faire, mais une force inexplicable semblait l'y pousser. Il tourna les pages, une à une, comme si le carnet voulait lui révéler un secret ancien. Lorsqu'il arriva à la dernière page, un étrange symbole apparut. Il ressemblait à un cercle, entouré de lignes entrelacées. Une signature mystérieuse, comme un sceau. Aucun mot. Aucun indice. Juste ce symbole.
Tout à coup, une pensée intrusive traversa son esprit : "Écris-le. Écris ce que tu vois."
Sans réfléchir, il attrapa le stylo et traça à son tour ce symbole sur la page blanche, reproduisant chaque ligne, chaque courbe avec une précision qui l'étonnait lui-même. Dès qu'il termina, un bruit étrange s'éleva du carnet. Un bourdonnement, faible au début, mais qui grandissait à chaque seconde. Le carnet sembla vibrer sous ses doigts, comme s'il prenait vie.
Soudain, un cri. Un cri perçant, déchirant, qui semblait venir de partout et de nulle part à la fois. Luan fit un pas en arrière, ses jambes tremblant sous lui. Le cri se tut aussi soudainement qu'il avait commencé, et dans le silence qui suivit, une ombre noire se matérialisa devant lui, dans le coin de la pièce. Elle était immense, une silhouette imposante, enveloppée dans un manteau d'obscurité. Luan ne pouvait pas la voir clairement, mais il savait qu'elle était là. Il le sentait dans l'air autour de lui, lourd et suffocant.
C'était la chose de ses cauchemars. Il la reconnaissait. La forme floue, sans visage, qui le pourchassait depuis ses rêves. Mais cette fois-ci, ce n'était pas un rêve. Ce n'était pas une illusion. C'était réel.
La silhouette s'avança lentement vers lui, sa présence écrasant l'espace autour d'eux. Luan ne pouvait plus bouger. Il était paralysé par la peur, son corps figé comme si la terre elle-même l'avait emprisonné.
"Tu as écrit." La voix résonna dans sa tête. Un murmure doux mais glacé, rempli d'une menace invisible.
"Qui es-tu ?" Luan réussit enfin à articuler, sa voix tremblant comme une corde prête à se rompre.
L'ombre s'arrêta juste devant lui. Luan pouvait presque la sentir, une froideur extrême émanant de sa forme invisible. Puis, un éclat de lumière pâle jaillit de la silhouette, et Luan aperçut enfin un visage. Pas un visage humain, mais une multitude de visages, tous dissimulés dans une mer d'ombres mouvantes. Chaque visage semblait crié, hurlé, mais leurs bouches ne bougeaient pas. Une douleur infinie se lisait dans leurs yeux.
"Tu as réveillé ce qui ne devait pas l'être," dit la voix, maintenant plus forte, plus proche. "Et maintenant, tu es lié à nous, à ce carnet. Il est le début de ta fin."
Luan sentit une chaleur intense envahir son corps. Il ne savait pas s'il devait courir ou rester immobile. Mais une chose était certaine : il ne pourrait plus jamais échapper à ce qu'il avait .
(Partie 3)
La chaleur étrange dans son corps se transforma en une douleur cuisante, comme si ses veines étaient emplies de feu. Luan tomba à genoux, les mains pressées contre sa poitrine, luttant pour respirer. Le cri des ombres devenait de plus en plus fort, un rugissement perçant qui déchirait l'air autour de lui. Ses oreilles bourdonnaient, son cœur battait à tout rompre, et il ne savait pas combien de temps il pourrait supporter cette pression.
"Tu as réveillé ce que tu ne pouvais comprendre," répéta la voix, cette fois plus rauque, plus menaçante. "Tu crois que c'est une simple erreur, mais ce carnet… il n'est pas juste un objet. Il est le lien entre ton monde et le nôtre. Et tu as signé ton destin en l'ouvrant."
Luan secoua la tête, essayant de rassembler ses pensées. Son esprit était envahi de confusion, de terreur, et pourtant, une part de lui semblait irrémédiablement attirée par cette entité, comme une force irrésistible qui le forçait à écouter. Le carnet. Ce carnet maudit qu'il avait trouvé dans sa chambre. Ce carnet qui… lui avait permis de créer cette apparition, ce lien avec un autre monde.
"Qu'est-ce que tu veux de moi ?" Luan réussit enfin à murmurer, sa voix faible, tremblante, mais il ne pouvait plus se taire. Il devait comprendre. Il devait savoir.
L'ombre se pencha, ses visages se rapprochant du sien, mais sans jamais vraiment s'approcher. C'était comme si une barrière invisible les séparait. Les yeux de Luan s'écarquillèrent alors qu'une silhouette parmi les visages mouvants sembla l'observer de plus près. Un visage, à peine humain, aux yeux profonds comme l'abîme, un regard perçant qui semblait sonder son âme.
"Je ne suis qu'un messager," répondit la voix, désormais plus calme. "Mais toi, Luan, tu es le porteur. Le Carnet Maudit t'a choisi. Il t'a choisi pour un but. Un but que tu ne comprends pas encore. Mais tu finiras par comprendre. Et alors, tu devras faire un choix."
Luan, encore à genoux, se redressa lentement, un sentiment étrange d'urgence se saisissant de lui. Le temps semblait se dilater autour de lui, comme si chaque seconde était une éternité. Mais ce qu'il ressentait en cet instant était une conviction profonde : tout ce qui était en train de se dérouler, tout ce qu'il avait écrit, était désormais inéluctable. Il n'y avait plus de retour en arrière. Il avait invoqué quelque chose qui ne pouvait être annulé.
"Un choix ?" répéta-t-il, bien que tout son être crie pour qu'il fuie, pour qu'il abandonne cette situation. Mais il ne pouvait pas. Il devait savoir. Il devait comprendre. "Quel choix ?"
L'ombre se redressa, ses visages se dissipant peu à peu dans les ténèbres, comme une fumée disparue au vent. Luan eut l'impression de se retrouver dans une salle vide, à l'exception du carnet, toujours posé sur son bureau, et de la sensation persistante d'être observé.
"Tu as écrit," dit la voix, une dernière fois, avant de disparaître. "Tu es désormais lié à ce carnet. Et tout ce que tu écriras, tout ce que tu imaginera, prendra forme. Mais sache ceci : une fois que tu auras écrit la dernière page, il sera trop tard. Le prix sera payé."
Un frisson glacial parcourut le dos de Luan alors que la voix s'éteignait lentement, emportant avec elle la terrible présence qui l'entourait. Il se retrouva seul, dans sa chambre. L'obscurité semblait se retirer, laissant place à la lueur pâle du réverbère extérieur, qui perçait à peine à travers les rideaux. Mais son esprit ne parvenait pas à se libérer de la terreur qui l'avait envahi.
Le carnet. Il le regarda à nouveau. Il ne pouvait pas l'ignorer. Luan savait au fond de lui que ce n'était que le début. Tout ce qu'il avait écrit jusqu'à présent n'était qu'une ébauche, un premier pas vers quelque chose de beaucoup plus grand. Le carnet… Il en portait déjà la malédiction.
Il tourna la page. Il devait savoir.
(Partie 4)
Luan restait là, les yeux fixés sur le carnet, son esprit en proie à une confusion totale. Le poids de la situation commençait enfin à s'imprimer sur lui. Ce carnet. Il n'était pas une simple coïncidence. Il n'était pas un objet trouvé par hasard. Il était un artefact, une clé, un moyen de libérer ou de condamner. Mais condamner qui ? Lui ? Ou tout le monde ?
Un bruit sourd fit sauter son attention. Il tourna brusquement la tête vers la fenêtre. La silhouette était de nouveau là. Mais cette fois, elle n'était pas seule. Plusieurs autres formes se tenaient dans la rue, immobiles, leurs yeux brillants dans l'obscurité. Luan eut l'impression que leur présence envahissait peu à peu son esprit, se frayant un chemin dans sa conscience. Il se sentit observé, épié, comme si chaque mouvement qu'il faisait était analysé, décortiqué.
L'ombre, la première, celle qui l'avait confronté plus tôt, fit un pas en avant. Et à cet instant, Luan comprit qu'elle n'était pas une simple entité. C'était un messager, un guide, une sorte d'instrument d'une volonté bien plus grande. Et cette volonté ne serait satisfaite que par la réalisation d'un acte qu'il redoutait déjà : écrire. Écrire pour libérer les créatures de l'autre côté. Mais pour quoi faire ? Quelle était la finalité de ce carnet ? Quel rôle lui revenait à lui, Luan ?
Il regarda de nouveau le carnet. Ses pages étaient toutes blanches, les seules écritures étaient celles qu'il avait tracées dans un moment d'impulsion : "Une silhouette apparaît dans la rue, immobile, me fixant depuis l'obscurité." Il n'avait rien écrit de plus, mais il savait que ça ne durerait pas. Il allait devoir écrire de nouveau, ou ce qui venait de commencer serait bien plus qu'il ne pourrait gérer.
La silhouette dans la rue bougea. Un frisson de terreur traversa Luan alors qu'il observait cette forme sombre s'approcher de la porte de sa maison, glissant dans l'ombre comme un prédateur. Et soudain, la voix de l'ombre résonna à nouveau dans sa tête.
"Écris, Luan. Écris si tu veux comprendre."
Luan se leva brusquement, se dirigeant vers le bureau, comme si un fil invisible l'y guidait. Il n'avait plus de choix. Il devait comprendre ce carnet, ou tout ce qu'il connaissait allait disparaître dans une brume d'incertitude et de cauchemar. Il saisit le stylo, les mains tremblantes. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine.
Il tourna la première page du carnet. Puis il prit une profonde inspiration et écrivit, d'une main nerveuse :
"Les ombres se déplacent de plus en plus près. Elles se rapprochent de la porte, et bientôt, elles entreront."
Instantanément, la pièce sembla se refroidir. Un souffle glacial traversa l'air, et Luan tourna la tête vers la porte. Il la voyait maintenant, la silhouette noire, massive et imposante, juste derrière la porte de sa chambre. Ses formes flottaient, indéfinies, comme un spectre qui refusait de se matérialiser pleinement.
Puis il y eut un bruit, faible au départ, mais qui devint de plus en plus fort, comme des grattements à la porte. Luan sentit sa gorge se serrer. Chaque fibre de son être lui criait de fuir, de partir loin d'ici, mais il était paralysé. Il savait au fond de lui que fuir n'était pas une option. Il était lié à ce carnet, et ce qu'il venait d'écrire devenait désormais sa réalité.
Une autre voix, plus basse et plus gutturale, s'éleva, cette fois plus tangible dans son esprit. "Tu vois ? Tu vois ce que tu as invoqué ? Tu n'es pas seul dans cette chambre. Nous sommes ici. Et nous attendons."
Les grattements à la porte se firent plus insistants, suivis d'un choc violent contre le bois, comme si quelque chose de lourd frappait avec une force irrésistible. Luan recula, le regard fixé sur la porte, son corps tremblant de tous ses membres.
Il prit à nouveau le carnet, les yeux écarquillés, et écrivit :
"La porte se brise, et la silhouette entre, gigantesque et menaçante."
À cet instant, le choc fut assourdissant. La porte de sa chambre se fractura sous la force d'une explosion invisible. Le bois éclata en mille morceaux, et une grande ombre se précipita dans la pièce, déformée et monstrueuse. Luan n'eût même pas le temps de crier. Le visage de l'ombre se dessina peu à peu, toujours flou, mais les contours de ses yeux brillaient d'une lueur rougeâtre, emplis d'une malice inhumaine.
Luan tomba à genoux, sentant l'air autour de lui se comprimer. Il avait l'impression que la pièce se refermait sur lui, que les murs se rapprochaient chaque seconde. Mais il savait que ce n'était pas la fin. Non, ce n'était que le début. Il avait réveillé quelque chose qu'il ne pouvait plus renvoyer dans l'ombre.
"Écris davantage," murmura la voix de l'ombre. "Écris ton destin, Luan. Écris, et accepte la conséquence."
(Partie 5)
Luan était à genoux, le souffle court, le regard perdu dans l'ombre qui venait d'entrer. Elle n'avait pas de corps défini. Elle se mouvait comme une fumée noire dotée d'une conscience. Mais il y avait dans cette chose une intention. Une présence oppressante, intelligente, affamée.
Le carnet vibrait légèrement sur le bureau, comme s'il réagissait lui aussi à l'apparition de cette entité. Luan, bien que terrifié, sentit quelque chose changer en lui. Une étincelle. Une force qu'il ne comprenait pas encore mais qui, étrangement, lui donnait le courage de ne pas fuir.
L'ombre s'approcha lentement, planant au-dessus du sol. Une voix, plus claire cette fois, s'éleva directement dans son esprit :
« Tu écris… Et le monde s'incline. »
Luan serra les poings. Il comprenait. Chaque mot qu'il posait sur le papier façonnait la réalité. Il n'écrivait pas une histoire. Il manipulait le réel.
Mais pourquoi lui ? Pourquoi ce carnet était-il tombé entre ses mains ?
Il se releva, bien que ses jambes tremblaient. L'entité se figea à quelques mètres, comme si elle attendait quelque chose. Un ordre ? Une phrase ? Un nouveau passage écrit ? Était-elle soumise au carnet ? Ou bien était-elle simplement liée à son contenu ?
Luan s'approcha du carnet, le cœur battant à toute allure. Il écrivit, hésitant :
"La créature ne peut pas me blesser tant que je ne le décide pas."
Aussitôt, un éclair traversa la pièce. L'ombre se contorsionna brusquement, comme frappée par une force invisible, et recula d'un bond. Elle sembla se heurter à un mur invisible. Luan, stupéfait, vit avec effroi que ses mots avaient… marché. Il avait imposé une règle. Une limite.
Il avait du pouvoir.
Mais ce pouvoir était effrayant.
La voix revint, plus sourde, plus grondante :
« Tu crois comprendre. Tu ne fais que découvrir. »
Luan hésita, mais tourna une nouvelle page du carnet. Il devait en apprendre plus. Il devait tester. Il écrivait avec plus de conviction cette fois :
"L'ombre est piégée dans un cercle autour de moi. Elle ne peut pas en sortir, sauf si je l'ordonne."
Encore une fois, la réalité changea. Le sol autour de Luan se fissura, formant un cercle lumineux, comme tracé à la craie surnaturelle. L'ombre hurla. Un son déchirant, perçant, inhumain. Elle se déchaîna contre les parois invisibles du cercle, incapable d'en sortir. Prisonnière. Dominée.
Mais Luan n'éprouva aucun soulagement. Il ressentait une peur plus grande encore. Car maintenant il le savait : ce n'était pas un simple rêve. Ce n'était pas une hallucination. Le carnet obéissait. Et si ce carnet obéissait, alors ce qui pouvait en sortir… n'avait aucune limite.
Il s'éloigna lentement du bureau, tenant le carnet comme un objet maudit. Il tenta de le refermer. Impossible. Les pages ne voulaient pas se coller. Le carnet restait entrouvert, vibrant, presque vivant.
Puis, une dernière ligne apparut, tracée en lettres noires… qu'il n'avait pas écrites.
"Un pacte a été scellé. Et tu devras écrire jusqu'à la dernière page… ou être dévoré par ce que tu as invoqué."
Luan sentit son cœur se glacer.
Un pacte. Il n'avait rien signé, rien accepté… mais le simple fait d'avoir écrit avait suffi.
Il releva les yeux vers l'ombre, toujours enfermée dans le cercle. Elle ne bougeait plus. Elle semblait attendre. Elle n'était pas détruite. Pas soumise. Elle attendait. Et Luan comprit qu'elle reviendrait. Qu'elle reviendrait chaque fois qu'il écrirait… ou peut-être même lorsqu'il rêverait.
Ce n'était pas terminé. Ce n'était même pas encore commencé.
Et alors qu'il s'effondrait sur son lit, les yeux pleins de larmes et d'épuisement, Luan comprit une chose essentielle :
Le monde n'était plus le même.
Et il n'était plus un adolescent comme les autres.
CHAPITRE 2: les règles des l'ancre
(Partie 1)
Le soleil peinait à percer à travers les rideaux de la chambre de Luan. Dehors, le monde semblait avoir repris sa routine. Des voitures passaient, des enfants riaient au loin, un ballon rebondissait sur le bitume… et pourtant, dans cette pièce, le silence pesait comme une chape de plomb.
Luan était recroquevillé sous ses draps, les yeux grands ouverts, figés sur le plafond depuis l'aube. Il n'avait pas dormi. Pas une minute. La créature était restée là, tapie dans le cercle de lumière invisible, l'observant toute la nuit sans bouger. Un face-à-face muet, oppressant, interminable.
Il avait voulu crier, appeler à l'aide. Mais il avait compris que ce qui se passait ne concernait que lui. Le monde extérieur ne réagirait pas. Ce carnet avait modifié les règles, son monde, son destin.
Lorsqu'il osa enfin se lever, ses muscles le brûlèrent, tendus par la peur. Le cercle autour de la créature était encore là. Invisible à l'œil nu, mais son effet était palpable. L'ombre semblait comme figée, suspendue entre deux réalités.
Luan s'approcha lentement du bureau, là où reposait le carnet. Il n'avait pas bougé. Toujours ouvert à la dernière page écrite. Mais une chose étrange s'était produite : de nouvelles lignes y étaient apparues. Il les lut, les lèvres tremblantes.
"Le porteur du Carnet est lié.
Chaque mot devient Loi.
Mais chaque Loi a un prix.
Pour écrire, il faut céder une part de soi."
Ces mots lui glacèrent le sang.
Il se souvenait de la sensation, hier, lorsqu'il avait écrit. Cette étrange fatigue, ce vertige, comme si quelque chose lui échappait à chaque phrase. Était-ce cela, le prix ? Devait-il sacrifier une part de sa mémoire ? De son âme ? Ou pire encore ?
Il serra le carnet entre ses mains, partagé entre la peur et la fascination. Il voulait comprendre. Il devait comprendre. Car maintenant, ce carnet faisait partie de lui. Il ne pouvait pas le détruire. Il ne pouvait pas le rejeter. Il était piégé.
Il s'assit à son bureau et prit un nouveau stylo. Sa main tremblait légèrement, mais il força ses doigts à se calmer.
Il écrivit lentement :
"Je veux connaître les règles du Carnet. Toutes. Sans exception."
Rien ne se passa immédiatement. Puis les pages se mirent à tourner d'elles-mêmes, emportées par une brise invisible. Luan recula, choqué. Une dizaine de pages furent remplies de mots noirs, parfaitement alignés, comme tapés à la machine. Il lut avec attention :
Les Règles de l'Encre (extrait)
1. Le Carnet répond à la Volonté du Porteur.
Ce que le Porteur écrit, le monde exécute.
2. Toute écriture a un Coût.
Le Coût est prélevé dans les rêves, la mémoire, les sentiments, ou… la vie.
3. Une écriture ne peut être effacée.
Chaque mot est une vérité scellée.
4. Le Carnet se nourrit de la peur, du doute, du chaos.
Plus l'émotion est forte, plus le pouvoir est grand… et plus le prix est lourd.
5. Le Porteur ne peut être remplacé.
Il est lié jusqu'à sa dernière ligne.
6. Les créatures invoquées n'oublient jamais.
Elles obéissent, mais elles apprennent, attendent, et guettent la faille.
7. Le Carnet attire.
D'autres entités le sentent, d'autres porteurs le cherchent.
Luan s'arrêta net. Son cœur cognait dans sa poitrine comme un tambour de guerre.
> D'autres porteurs. D'autres créatures. D'autres règles.
Il n'était pas seul.
Il n'était jamais .
(Partie 2)
Le carnet vibrait encore légèrement sous ses doigts. Luan sentait un picotement dans ses paumes, comme si l'objet réagissait à sa présence, à ses pensées, à ses peurs. Le fait même d'avoir écrit la demande avait déclenché une réponse, mais pas seulement une réponse : une révélation. Et maintenant qu'il connaissait les règles, il comprenait à peine l'ampleur de ce qu'il avait déclenché.
Un frisson lui parcourut l'échine lorsqu'il pensa à la règle n°6 :
"Les créatures invoquées n'oublient jamais."
Il tourna la tête lentement vers le cercle invisible. La silhouette brumeuse était toujours là, enroulée sur elle-même comme un serpent endormi. Mais il n'était pas dupe. Cette chose n'était pas inoffensive. Elle attendait. Et elle apprenait.
Il se rappela son visage dans le miroir, la veille. L'éclat noir dans son œil. La voix. Le froid. Ce n'était pas un cauchemar. C'était un appel. Un avertissement.
Il se leva d'un bond et courut vers la salle de bain. Il se plaça devant le miroir et scruta son reflet. Son visage semblait normal, fatigué mais humain. Pourtant, quelque chose clochait. Il approcha ses yeux du miroir, analysa la pupille gauche… Et là, il le vit.
Une micro-trace d'encre noire, fine comme un fil, serpentait autour de l'iris.
— Non…, murmura-t-il.
Il recula. Était-ce en lui maintenant ? L'encre ? Était-il en train de devenir une extension du Carnet ? Une créature ? Luan sentit sa respiration s'accélérer.
Il retourna dans sa chambre, ouvrit la fenêtre pour faire entrer de l'air, mais la brume du matin était inhabituellement épaisse. Le quartier, normalement animé, semblait figé. Aucun son, aucune voix, aucun mouvement. Il tendit l'oreille.
Silence. Total.
Luan sentit alors une autre vibration, plus puissante, comme un battement de cœur… mais ce n'était pas le sien. Le carnet pulsa. Une nouvelle ligne apparut spontanément sur la page ouverte :
"Le voile est mince. Ce que tu écris attire."
Il avala sa salive. Son écriture ne façonnait pas seulement les choses. Elle attirait des présences. Peut-être même des mondes. Et si certaines règles existaient pour encadrer le pouvoir… il comprit qu'il y en avait peut-être d'autres, plus anciennes, plus secrètes. Des règles qu'il ne connaissait pas encore. Des règles interdites.
Il retourna à son bureau, tremblant, et écrivit une nouvelle phrase :
"Je veux voir ceux qui ont porté ce carnet avant moi."
Aussitôt, le carnet réagit. Les pages se noircirent d'encre vive, comme si des centaines de mains invisibles griffonnaient en même temps. Une tempête de mots. Des dates. Des noms. Des cris. Des fragments de vies. Des horreurs.
Et puis… des visages.
Des visages imprimés sur les pages comme des spectres, flottants, à moitié effacés. Leurs yeux vides regardaient droit vers lui. Certains étaient jeunes. D'autres vieux. Il y avait des femmes, des enfants, des soldats, des fous, des poètes…
Et chacun portait la même marque : une fine veine d'encre noire dans les yeux.
Un nom attira son attention :
"Isaline Dorne — Porteuse n°117 — Disparue en 1893."
Une annotation y était attachée :
"Elle a tenté de brûler le carnet. Elle a réveillé le Cinquième Sceau. Erreur fatale."
Luan recula, pris de panique. Le carnet n'était pas seulement une arme, c'était une prison. Un piège millénaire qui passait de main en main, dévorant l'âme de ceux qui osaient écrire leur destin.
Et il comprit, avec une certitude glaciale, qu'il était le porteur n°… 121.
Le carnet vibra une dernière fois et s'éteignit, comme s'il avait décidé que Luan en avait vu assez pour aujourd'hui.
Mais le mal était fait.
(Partie 3)
Le jour avançait, mais la lumière ne perçait toujours pas les nuages. Luan avait l'impression que le ciel lui-même s'était teinté d'encre. Il regardait les visages figés dans les pages du carnet — ces anciens porteurs — et un sentiment d'étouffement le prit à la gorge.
Ils avaient tous disparu.
Certains avaient tenté de le contrôler. D'autres de le fuir. Aucun n'avait survécu.
Il comprenait désormais qu'il ne pouvait pas simplement vivre avec le carnet. Il devait comprendre ses limites, ses failles… et peut-être, peut-être, trouver un moyen de le vaincre. Mais pour cela, il avait besoin d'informations que le carnet ne lui donnait pas de lui-même.
Il retourna à la page d'Isaline Dorne. Quelque chose clochait. Sous son nom, un mot était écrit à la main, d'une encre différente, plus rouge, presque vivante :
"L'Archiviste."
— L'Archiviste ?, murmura Luan.
Ce n'était pas un nom comme les autres. Ce n'était pas un porteur. C'était… autre chose.
Il saisit son stylo et écrivit :
"Je veux rencontrer l'Archiviste."
Le carnet resta immobile.
Puis une ligne apparut, très lentement :
"Une seule fois. Un seul lieu. Un seul instant. Prépare-toi."
Une douleur aiguë lui transperça le crâne. Il poussa un cri, tomba à genoux, plaquant ses mains sur ses tempes. Des images lui explosèrent dans l'esprit : un couloir d'ombre, des portes sans poignées, des murmures sans langue… et au bout, une silhouette assise dans un trône de livres brûlés.
Puis tout s'arrêta.
Il rouvrit les yeux. Il n'était plus dans sa chambre.
Le décor avait changé.
Il était debout dans un espace immense, une bibliothèque sans fin, faite d'étagères d'un bois noirci par les flammes du temps. Le sol était recouvert de poussière. L'air y était sec, ancien, saturé d'encre.
Il fit un pas, puis un autre.
Une voix l'arrêta.
— Tu n'es pas prêt pour la vérité… mais tu m'as appelé. Alors écoute, et n'oublie jamais.
Devant lui, sur un trône fait d'ouvrages maudits, était assis L'Archiviste.
C'était une créature humanoïde, mais son visage était flou, comme constitué d'écritures mouvantes. Ses yeux, entièrement noirs, semblaient contenir des pages tournantes. Sa voix, elle, n'était pas parlée : elle s'imposait dans l'esprit.
— Tu crois être maître du carnet. Mais tu n'es qu'un fragment dans l'Histoire du Pacte. Un nom de plus sur une liste infinie.
Luan recula, le cœur battant.
— Qui a créé ce carnet ? Pourquoi moi ?!
L'Archiviste ne bougea pas.
— Le carnet n'a pas été créé. Il a été écrit. Par un être oublié, banni même des rêves. Il a laissé ce carnet comme un appât. Chaque porteur écrit… et nourrit son retour.
Luan sentit la terreur grimper en lui.
— Tu écris, il renaît. Tu écris, il s'approche. Tu écris, il revient.
— Qui ?
— Le Scribe Innommé.
Ces trois mots résonnèrent comme une cloche funéraire. Le Scribe Innommé. Le véritable maître du Carnet. Celui que tous les porteurs, sans exception, avaient réveillé peu à peu. Et Luan… Luan avait déjà écrit trop.
L'Archiviste se leva, lentement.
— Tu n'es pas encore perdu. Mais chaque mot t'y pousse. Écris avec prudence, ou deviens une note de bas de page dans son retour.
Et tout s'effaça.
Un souffle d'encre emporta la bibliothèque. Le trône. L'Archiviste.
Et Luan se réveilla en sursaut… dans son lit. En sueur. Essoufflé.
Le carnet reposait à côté de lui, mais une nouvelle page était ouverte.
Un seul mot y était écrit :
"Commencé."
(Partie 4)
Commencé.
Ce seul mot résonnait dans la tête de Luan comme une sentence. Il était revenu dans sa chambre, et pourtant, quelque chose avait changé. L'air semblait plus lourd, les murs plus sombres, comme si un voile invisible s'était posé sur la réalité. Ce n'était plus sa chambre. C'était un prolongement du Carnet.
Il jeta un œil au bureau. Le cercle de lumière autour de la créature s'était élargi. Elle n'était plus seulement tapie. Elle s'était redressée. Elle le regardait, de ses yeux vides, sans visage, comme si elle attendait un ordre.
Ou une permission.
Luan recula. Il ne voulait plus écrire. Il ne voulait plus jouer à ça. Il voulait tout effacer.
Mais il se rappela la règle : aucune écriture ne peut être effacée.
Il saisit un briquet. Il voulait le brûler. Le carnet.
Mais alors qu'il approchait la flamme, une douleur fulgurante traversa son bras. Il hurla, lâcha le briquet. Une marque venait d'apparaître sur sa peau, gravée à vif, en lettres anciennes qu'il ne comprenait pas. Comme si le carnet s'était défendu.
Il se redressa, haletant. La douleur était vive, mais une idée surgit dans son esprit : s'il ne pouvait pas effacer ce qu'il avait écrit… peut-être pouvait-il écrire autrement.
Utiliser les règles à son avantage.
Luan ouvrit le carnet. Il inspira profondément et traça une nouvelle phrase :
"Que la créature invoquée soit liée à ma protection, obéissant à ma volonté uniquement, incapable de me trahir ou de m'attaquer."
Un silence de plomb s'abattit.
Puis, lentement, la créature se redressa complètement. Elle n'avait plus la même forme. Elle semblait plus humaine maintenant. Son corps était encore brumeux, mais deux yeux luisants brillaient dans l'ombre. Elle inclina la tête devant lui. Une soumission glaciale, parfaite.
Luan se leva lentement.
— Tu m'obéis ? demanda-t-il d'une voix tremblante.
La créature hocha la tête.
— Tu ne me feras aucun mal ?
Elle recula d'un pas, comme pour confirmer ses intentions.
Un étrange soulagement monta en lui. Il avait réussi. Il l'avait liée. Mais une voix intérieure le prévint : chaque règle a un prix. Et il ignorait encore lequel il venait de payer.
Un bruit sourd retentit alors sous ses pieds.
Comme un grondement venu du sol. Un tremblement subtil. Il ouvrit la porte de sa chambre et jeta un œil dans le couloir.
Tout était… anormalement calme.
Puis il descendit lentement l'escalier. La maison semblait figée dans un moment suspendu. Il appela :
— Maman ? Papa ?
Pas de réponse.
Il descendit encore, chaque marche résonnant plus fort que la précédente. Quand il arriva dans le salon, il se figea.
Tous les objets étaient à leur place. Mais tout semblait… figé dans une teinte légèrement grise, irréelle. Il approcha de la cuisine. La pendule tournait en arrière. Il vérifia son téléphone : il était 6h66.
— C'est pas possible…
Il courut jusqu'à la fenêtre.
Dehors, le quartier était plongé dans une brume dense. Les maisons semblaient déformées, les lampadaires penchaient légèrement, et… le ciel saignait.
Des fissures rouges traversaient les nuages.
La voix de l'Archiviste résonna dans son esprit :
> Tu écris, il revient…
> Le Scribe Innommé approche.
Il comprit alors que sa dernière écriture — la liaison de la créature — avait ouvert un passage. Il avait stabilisé une force… mais en le faisant, il avait permis au voile de s'amincir. Une faille. Un appel.
Le carnet vibra à nouveau.
Il l'ouvrit.
Une nouvelle page s'était remplie.
"Premier Sceau rompu. Six restants.
Les Gardiens s'éveillent.
Le Livre sera lu.
Le Scribe reprendra sa plume."
Luan tomba à genoux.
Il avait déclenché l'inéluctable.
(Partie 5)
Le silence de la maison était désormais chargé de menace. Ce n'était plus le calme familier d'un matin endormi : c'était un vide oppressant, le calme d'avant la tempête.
Luan restait à genoux, les yeux rivés sur la dernière ligne du carnet :
"Le Scribe reprendra sa plume."
Une phrase simple. Mais elle signifiait la fin de tout ce qu'il connaissait. Il avait brisé un sceau. Sans même le vouloir. Ou peut-être… en croyant bien faire.
Il referma le carnet avec violence. L'objet pulsa, comme si on lui avait donné un coup. La créature liée se matérialisa dans un coin de la pièce, plus nette que jamais, avec des bras aux doigts démesurés et une silhouette mi-humaine, mi-fumée.
— Toi, dit Luan. Dis-moi ce que j'ai fait. Qu'est-ce que j'ai libéré ?
La créature tourna lentement la tête vers lui. Sa bouche n'existait pas vraiment, mais ses yeux brillèrent d'une lueur inquiétante.
Puis, dans un murmure qui vibra dans la pièce sans jamais franchir ses lèvres :
— Le Premier Gardien a ouvert l'Œil.
— Le Premier… quoi ?
— Sept Gardiens. Sept Sceaux. Le Scribe ne peut écrire que lorsque les sept sont brisés. Tu as éveillé le premier. Tu as activé le Cercle.
Luan chancela. Tout s'enchaînait trop vite.
— Et si j'arrête d'écrire ? Si je ferme le carnet ? Si je le jette ?
La créature s'approcha.
— Trop tard. Le mot a été lu. Le Cercle a été tracé. Le sang rêve déjà.
Ces mots le glaçaient. Le sang rêve déjà ? Que voulait-elle dire ?
Il tenta de la chasser de ses pensées, mais tout dans la pièce vibrait comme si des fils invisibles l'attachaient au Carnet.
Il monta à l'étage, le cœur battant, et ouvrit la porte de la chambre de sa sœur, Myriam.
— Myriam ? appela-t-il.
Elle dormait, profondément. Mais son visage… il était livide. Elle transpirait. Et dans sa main crispée… elle tenait une petite page noire. Du même papier que le Carnet.
— Non… non, non !
Il accourut vers elle et tenta de lui ouvrir la main. Impossible. Ses doigts étaient figés, verrouillés par une force invisible.
Le carnet vibra, dans sa poche. Il le sortit.
Une page venait de se remplir d'elle-même :
"Le Cercle s'élargit. Ceux que tu aimes verront aussi.
Ils liront. Ils rêveront. Ils écriront."
— Arrête ! Je n'ai rien demandé ! Je voulais juste comprendre !
Il pleura de rage. Mais la voix de l'Archiviste résonna à nouveau dans son esprit :
> Le Carnet ne répond pas aux souhaits. Il suit la plume. Il guide le sang. Il appelle le retour.
Il comprit alors : plus il résistait, plus il écrivait dans la peur, plus le Carnet s'en nourrissait.
Et s'il voulait protéger sa sœur, sa famille, il ne pouvait plus rester spectateur.
Il fallait connaître les sept sceaux. Savoir ce que chacun représentait. Savoir comment les briser sans les libérer.
Il se rassit à son bureau, le regard durci.
— Très bien, murmura-t-il. Tu veux que j'écrive ? Tu veux que je joue ton jeu ? Alors on va jouer. Mais cette fois, c'est moi qui fixe les règles.
Il ouvrit une nouvelle page.
Et, d'une écriture lente, contrôlée, il traça ces mots :
"Je veux connaître l'origine des Sept Sceaux. Le nom de chacun. Leur forme. Leur Gardien."
Le carnet resta silencieux un instant.
Puis l'encre coula d'elle-même, formant un cercle autour de la page.
Et un nouveau chapitre s'ouvrit dans les ténèbres.
(Partie 6)
Le carnet vibrait entre ses doigts, mais cette fois, ce n'était pas un simple frémissement : c'était un battement, comme un cœur vivant. Luan sentit ses doigts trembler alors que l'encre se déversait sur les pages, traçant des symboles anciens, des cercles, des sigles impossibles à lire… jusqu'à ce qu'enfin, une écriture compréhensible se forme.
"Les Sept Sceaux du Scribe"
Le titre s'imposa en haut de la page, suivi d'une liste sinistre, accompagnée d'illustrations mouvantes, comme si l'encre elle-même tentait de fuir la vérité qu'elle écrivait.
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1. Le Sceau de l'Œil :
Gardien : Uvalh, le Veilleur de la Fracture
Forme : Une orbite vide, symbole de la perception interdite.
Effet : Ouvre la conscience aux réalités superposées. Provoque les premières visions.
2. Le Sceau de la Voix :
Gardien : Sylem, la Langue aux mille murmures
Forme : Un larynx noir, symbole du verbe corrupteur.
Effet : Les paroles écrites deviennent ordres. La voix prend le pouvoir.
3. Le Sceau du Miroir :
Gardien : Drenka, la Reflet-Monde
Forme : Un fragment de glace vivante.
Effet : Fait apparaître une version déformée du porteur. Un double né de l'encre.
4. Le Sceau de la Chair :
Gardien : Abhoran, le Cogne-Monde
Forme : Un muscle palpitant gravé de runes.
Effet : Modifie la matière vivante. Permet d'écrire sur le corps.
5. Le Sceau du Temps :
Gardien : Kroll, le Marcheur d'Instants
Forme : Un sablier inversé coulant du haut vers le bas sans fin.
Effet : Plie les heures, rend les nuits sans fin ou les secondes éternelles.
6. Le Sceau de l'Oubli :
Gardien : Ysul, le Mange-Mémoire
Forme : Un crâne sans orifice.
Effet : Efface les souvenirs du porteur… ou ceux des autres.
7. Le Sceau du Nom :
Gardien : Le Scribe Innommé
Forme : Un cercle vide.
Effet : Donne au porteur le pouvoir de renommer la réalité… mais détruit tout ce qu'il touche.
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Luan resta bouche bée. Chaque sceau était un fragment de pouvoir… mais aussi un piège. Et il avait déjà activé le premier. Il le sentait. Ses cauchemars, ses visions, les distorsions autour de lui… l'Œil était ouvert.
Il sentit alors une douleur monter dans son crâne. Des images se bousculaient. Il voyait une cité engloutie sous l'encre. Des silhouettes lisant dans les ténèbres. Et au centre, un trône.
Vide.
Mais entouré de plumes ensanglantées.
Il revint brutalement à lui. La créature liée était accroupie à côté de lui, silencieuse.
— Tu savais tout ça ? gronda-t-il.
Elle hocha lentement la tête.
— Et tu ne m'as rien dit ?
— Tu n'as pas demandé.
Il serra les dents.
— Alors maintenant je demande. Qu'est-ce que je dois faire pour refermer le premier Sceau ?
Un long silence.
Puis :
— Tu ne peux pas refermer ce qui a été vu. Tu peux seulement… empêcher l'éveil des autres.
Luan se releva, les jambes tremblantes.
— Alors on va les bloquer. Tous. Avant qu'ils ne s'ouvrent.
Il ouvrit une nouvelle page du carnet et écrivit d'une main ferme :
"Je veux créer une barrière autour des six Sceaux restants, invisible, indestructible, scellée par ma volonté seule."
L'encre coula.
Mais lentement.
Très lentement.
Et un message apparut en lettres rouges :
"Prix à payer : Mémoire de ta mère. Confirme ?"
Luan s'immobilisa.
Le carnet demandait un prix. Et pas n'importe lequel.
— Non… non, c'est trop…
Mais alors, dans un éclair d'horreur, il comprit : le carnet négociait. Il ne se contentait pas d'exécuter — il trafiquait. Et le prix n'était jamais aléatoire. Il visait ce qui importait le plus.
Il déchira la page. Mais le mot "Confirme ?" restait, suspendu, vivant, palpitant.
Il jeta le carnet loin de lui. Mais celui-ci revint d'un bond sur la table, comme attiré par une force gravitationnelle.
La créature s'approcha de lui.
— Tu ne pourras jamais tricher. Il faut payer. Ou le Cercle s'élargira.
Luan serra les poings. Il avait voulu protéger sa sœur. Mais maintenant, il réalisait…
Le Carnet ne voulait pas qu'il protège.
Le Carnet voulait qu'il choisisse.
(Partie 7)
Luan recula de plusieurs pas. Son dos heurta le mur. Le carnet vibrait toujours au centre du bureau, comme un cœur noir. Le mot "Confirme ?" battait lentement, comme une alarme, comme une provocation.
Il aurait pu dire oui. Sacrifier un souvenir. Céder à cette logique de l'encre.
Mais une voix intérieure, plus forte, plus ancienne, lui soufflait autre chose :
Ne négocie jamais avec ce qui te dépasse. Cherche les failles. Crée les tiennes.
Alors, Luan ferma les yeux. Inspira profondément.
Il pensa à sa mère. À ses rires. À sa voix.
Et une peur plus grande que toutes les autres l'envahit : oublier ces choses-là, c'était mourir de l'intérieur.
— Non, murmura-t-il. Tu n'auras rien.
Le carnet frémit. L'inscription rouge s'effaça dans un dernier éclat. Mais aussitôt, les pages se mirent à tourner toutes seules, frénétiquement, soufflant dans la pièce comme un orage.
Puis…
Une phrase apparut, en haut d'une page noire :
"Scribe déviant. Pénalité imposée."
Il n'eut pas le temps de comprendre. Un hurlement résonna à l'étage.
Myriam.
Il se rua hors de la pièce et grimpa quatre à quatre les marches. La porte de la chambre de sa sœur était grande ouverte.
Elle n'était plus là.
À la place, un cercle d'encre couvrait le sol, et à son centre… un miroir. Un miroir noir. Il se souvenait.
Le troisième sceau. Le Sceau du Miroir.
— Non, non, pas ça…
Il s'approcha du miroir.
Et ce qu'il vit à l'intérieur le figea : Myriam… ou une version d'elle… le fixait depuis l'autre côté. Elle avait les mêmes traits. Mais ses yeux… étaient vides. Elle tenait un petit carnet noir entre les mains.
Et soudain, elle parla.
Mais ses lèvres ne bougèrent pas.
— "Tu refuses de payer, alors c'est moi qui paie ?"
Luan sentit son cœur exploser.
— Myriam ? Ce n'est pas toi ! C'est le Carnet qui…
— "C'est toi qui as ouvert. C'est toi qui as écrit. C'est toi qui as déclenché le Cercle."
Elle se retourna, et la scène dans le miroir changea. Il vit des couloirs sombres. Des livres géants. Des escaliers sans fin. Myriam marchait dans une bibliothèque infinie, piégée.
La créature liée surgit à côté de lui.
— Le Sceau du Miroir est actif. Ton reflet est devenu réel. Ta sœur est passée de l'autre côté. Le Double est ici, maintenant.
Luan se retourna.
Et dans l'ombre de la chambre… il vit une silhouette s'approcher.
Même taille. Même visage. Même voix.
— "Salut grand frère."
Mais il n'y avait aucune chaleur dans ce ton.
La fausse Myriam. Le Double.
Il recula. Mais le Double s'approchait calmement, un sourire tordu aux lèvres.
— Tu veux me protéger ? lui dit-elle. Alors tu dois me regarder. Accepte ce que tu as créé. Et détruis-moi… ou je détruirai tout ce que tu aimes.
Elle leva la main.
Et soudain, le monde autour de lui se fissura. Les murs devenaient flous. La lumière se brisait comme du verre.
La réalité elle-même se déchirait.
Le Carnet était en train d'écrire une nouvelle histoire — une où le héros perdait dès le chapitre 2.
Mais Luan n'était pas encore prêt à abandonner.
Il sortit une page blanche. Pas du carnet. Un papier à lui. Neutre.
Et, avec son propre stylo, il écrivit :
"Ceci n'est pas réel.
Ceci est une illusion née du Miroir.
Je choisis de briser l'image."
Il déchira la feuille.
Un cri fusa de la bouche du Double.
La chambre redevint stable. Le miroir noir se fendilla.
— Non ! Tu ne peux pas refuser le reflet ! Tu es condamné à l'accepter !
hurla la silhouette.
Mais il n'écoutait plus.
Il prit le carnet, l'enferma dans un coffret en bois, le cloua, l'enchaîna, l'enroula de fil de fer.
Et il le jeta dans le puits au fond du jardin.
Puis il s'écroula.
Les étoiles tournaient au-dessus de lui. Le silence était revenu.
Mais Luan savait désormais une vérité terrible :
Le carnet pouvait être rejeté…
… mais jamais détruit.
Et surtout… il reviendrait.
CHAPITRE 3:la bibliothèque qui respire
(Partie 1)
Le sommeil l'avait emporté sans prévenir.
Pas un repos. Pas un rêve.
Juste… le vide.
Et puis, un souffle.
Profond. Caverneux. Rythmique.
Une respiration.
Quand Luan ouvrit les yeux, il ne reconnut rien. Le ciel n'existait plus. À la place, une voûte organique, faite de pages mouvantes, d'encre liquide glissant sur des nervures de cuir.
Il était dans un couloir, mais pas un couloir ordinaire.
Les murs étaient faits de livres vivants. Certains s'ouvraient et se fermaient d'eux-mêmes, comme des bouches. D'autres murmuraient dans des langues oubliées. Le sol était moelleux comme un parchemin tanné. Et l'air… avait l'odeur acide de l'encre fraîchement versée.
Il était entré, sans le vouloir, dans la Bibliothèque qui Respire.
— Tu as osé franchir les Portes de l'Index, dit une voix autour de lui.
Pas une voix humaine. Une voix faite d'échos. De pages froissées. De silences lourds.
— Je n'ai rien choisi ! hurla Luan.
— Mentir au Verbe, c'est te mentir à toi-même.
Il se redressa lentement.
Au fond du couloir, une silhouette apparut. Longue. Drapée dans une robe de codes et de lettres. À la place de son visage, une plume enfoncée dans une orbite vide.
— Qui es-tu ?
— Je suis le Préfaceur. Gardien du premier niveau. Celui qui lit les entrées et ferme les sorties.
Luan recula.
— Je veux ma sœur. Je veux sortir.
Le Préfaceur pencha la tête.
— Sortir est facile. Oublier ne l'est pas. Tu es lié. Tu es Scribe malgré toi. Et chaque Scribe doit affronter sa Bibliothèque.
Il leva le bras.
Le sol s'effondra sous Luan.
Il chuta à travers des étagères infinies, des rayons de livres tombant avec lui. Il entendait des voix hurler. Des noms. Des titres. Des secrets.
— LUAN GRIVAS, PREMIER SCEAU : ACTIVÉ.
DEUXIÈME SCEAU : EN ATTENTE.
MIROIR : INSTABLE.
RÉALITÉ : FRAGILE.
Il tomba…
Et atterrit dans une salle immense, circulaire, au centre d'un immense labyrinthe de livres.
Devant lui, sur un piédestal, un livre gigantesque, fermé par sept chaînes.
Et derrière…
Myriam.
Elle se tenait là, les yeux brillants d'un éclat d'encre. Mais elle était différente. Plus calme. Presque… sage.
— Myriam ?
— Tu es en retard, dit-elle. Tu aurais dû venir plus tôt. Avant que le Livre ne me parle.
Luan s'avança, tremblant.
— C'est un piège. Ce livre te manipule.
Elle sourit. Doucement. Tristement.
— Non, Luan. Le piège, c'était de croire que tu pouvais tout contrôler. Ce monde n'est pas un cauchemar. C'est un écho. Tout ce que tu redoutes existe déjà ici.
Elle posa la main sur le Livre.
Une vibration fit trembler la salle entière.
— Tu veux me sauver ? Alors trouve le Nom Originel. Le premier mot. Celui qui contrôle les autres. Mais attention… chaque mot que tu perds ici, c'est un souvenir que tu n'auras plus jamais.
Luan sentit son cœur se serrer.
Ce monde… prenait pour offrir.
L'encre exigeait un prix. Toujours.
(Partie 2)
Luan observa le Livre scellé au centre de la pièce.
Sept chaînes épaisses l'enserraient, chacune marquée d'un symbole étrange : un œil, une plume, une bouche cousue, un sablier brisé, une main retournée, une clé fondue, et… un cœur noir.
Il s'approcha lentement. L'encre du sol se mit à couler vers lui, comme si le livre reconnaissait son porteur.
Myriam ne bougeait pas.
Elle observait.
— Si je touche ce livre, que se passe-t-il ?
— Il te répondra. Mais il te demandera quelque chose.
— Et si je refuse ?
— Il prendra quand même. La seule différence… c'est la douleur.
Luan posa la main sur la première chaîne : celle marquée d'un œil.
FLASH.
Une scène jaillit devant lui. Il était plus jeune. Peut-être dix ans. Il courait dans un champ avec Myriam. Elle avait trébuché, pleuré. Il l'avait portée sur son dos jusqu'à la maison.
Et soudain, le souvenir s'effaça.
— Non !
Une douleur fulgurante lui traversa le crâne. Quand il essaya de se souvenir de cette journée… rien. Vide.
La chaîne tomba.
La première était rompue.
Le Livre commençait à s'ouvrir.
— Chaque souvenir est une clé. Chaque perte, une ouverture.
murmura Myriam.
Luan chancela. La pièce tournait.
— Pourquoi moi ? Pourquoi ce livre ? Pourquoi maintenant ?
Le plafond gronda. Les livres sur les étagères se mirent à se déchirer d'eux-mêmes.
Et le Livre répondit.
— Parce que tu as été choisi. Parce que tu étais brisé avant même de tomber sur moi. Parce que tu m'as réveillé en lisant ce que tu n'aurais jamais dû écrire.
— Tu parles ?
— Je suis la mémoire de l'Encre. Le Carnet n'est qu'un fragment. Ici, tu es dans le Cœur. Et ton Cœur… m'appartient déjà à moitié.
Luan se recula. Le Livre vibrait. Une deuxième chaîne se mit à luire : la bouche cousue.
Il savait ce que ça voulait dire.
Le deuxième souvenir à offrir… serait un secret.
— Donne-moi ton plus lourd silence, dit le Livre.
Il sentit sa gorge se serrer. Il n'en avait jamais parlé. À personne.
Même pas à Myriam.
Même pas à lui-même.
Il ferma les yeux.
Et il le dit.
— J'ai… laissé tomber Papa. Ce jour-là. L'accident. J'ai vu qu'il saignait. J'ai couru. J'ai eu peur. Je n'ai pas appelé.
Le monde sembla se figer.
Le souvenir s'envola.
Et la deuxième chaîne se brisa.
Luan tomba à genoux.
Des larmes coulaient. Il n'avait plus le souvenir exact du visage de son père. Plus la sensation de sa voix. Juste… un vide.
Myriam s'approcha et posa une main sur son épaule.
— Tu avances, Luan. Mais chaque pas t'efface un peu.
— Je veux te sauver.
— Alors tu devras te perdre.
Le Livre s'ouvrit légèrement.
Une lueur noire s'échappa d'entre les pages.
— Tu as franchi la première porte, murmura la voix du Carnet. Il en reste six. Et chaque page te saignera. Prépare-toi, Scribe. La Bibliothèque n'a pas encore hurlé ton nom.
(Partie 3)
Luan s'éveilla en sursaut. Mais il ne s'était pas endormi.
Le Livre avait absorbé deux de ses souvenirs, et en retour, l'avait aspiré dans un couloir mouvant, fait de lettres et de silence. À présent, il marchait seul.
Autour de lui, les murs pulsaient lentement. Parfois, une étagère chuchotait son nom. Parfois, un livre tombait sans bruit. Mais personne ne venait.
Il comprenait maintenant que cette Bibliothèque… était vivante.
Et elle l'observait.
Il marcha pendant ce qui lui sembla être des heures, peut-être des jours. Il ne sentait plus ni faim, ni soif. Mais ses pensées étaient lourdes, pleines d'échos et de doutes.
Il arriva enfin à un carrefour étrange : quatre couloirs, chacun marqué d'un symbole.
— Un sablier.
— Une oreille.
— Un oiseau mort.
— Et un œil sanglant.
Le Livre, encore légèrement entrouvert dans ses mains, vibra faiblement. Une ligne s'inscrivit sur la page ouverte :
"Choisis ta lecture. Mais sache que chaque page a sa morsure."
Luan avança vers le couloir du sablier.
Le temps était ce qu'il avait le plus peur de perdre.
À peine franchit-il le seuil qu'il fut happé par un souffle glacé. Les murs changèrent. Ils étaient faits de montres fondues, d'horloges brisées, et chaque tic-tac résonnait comme une gifle contre son cœur.
Puis il le vit.
Une version de lui-même. Plus vieille. Brisée. Les yeux vides. Assis sur une chaise, face à une horloge arrêtée.
— C'est quoi ce délire ? murmura Luan.
Lui-même, plus vieux, répondit d'une voix sèche :
— Le délire, c'est de croire qu'écrire ne coûte rien. Chaque ligne que tu rédiges est un pas vers moi. Vers ce que tu deviendras.
Luan recula.
— Non. Je ne suis pas toi. Je sauverai Myriam. Je sortirai.
— Tu sortiras vide. L'écriture prend. L'écriture ronge. Et au bout…
Il se leva lentement.
— … il ne reste plus rien sauf l'écho de ce que tu as été.
Le décor s'effondra. Luan tomba à genoux, le cœur battant. Il avait froid. Faim. Soif. Des sensations revenues d'un coup, comme une punition.
Le Livre entre ses mains se referma violemment.
Une troisième chaîne venait de tomber.
Il se releva difficilement. Il n'avait plus que quatre chaînes à briser. Mais à ce rythme, il allait perdre toute sa mémoire avant de libérer sa sœur.
Et il savait déjà ce que le quatrième sceau exigerait : un serment trahi.
Il n'était pas prêt.
Pas encore.
Mais la Bibliothèque, elle, ne lui laisserait pas le choix.
( Partie 4)
Le silence après le couloir du Sablier était pire que les cris.
Luan était de retour dans la salle centrale, le Livre toujours entre ses mains, plus lourd, plus sombre, presque brûlant. Trois chaînes désormais brisées. Quatre restaient. Et chacune brillait plus fort que la précédente.
La suivante : la main retournée.
Le Livre vibra, et une nouvelle page s'écrivit sous ses yeux. En lettres d'encre noire qui saignaient.
> « Offre-moi le serment que tu n'as jamais respecté.
Le mensonge que tu t'es fait à toi-même.
Le pacte que tu as brisé.
Et je t'ouvrirai une page de plus. »
Luan frissonna.
Il savait de quoi il s'agissait.
Il l'avait toujours su.
Il tomba à genoux, les mains sur le sol.
— Non… pas ça.
Mais la salle autour de lui se transforma sans attendre son accord.
Il était de nouveau dans sa chambre, mais tout semblait figé, figé dans un moment précis de son passé.
Le jour où il avait menti à Myriam.
Elle était là, à dix ans. Les yeux pleins d'espoir. Un petit carnet à la main, celui qu'il lui avait offert pour dessiner.
— Tu me jures que tu ne regarderas jamais dedans, hein, Luan ? demanda-t-elle.
— Je te le jure.
Mais il l'avait fait.
Le soir même.
Et ce qu'il avait vu dans ce carnet… c'était des dessins. Mais pas des dessins ordinaires. Des monstres. Des ombres. Des gens qu'ils n'avaient jamais vus.
Et… le Livre.
Elle l'avait dessiné des mois avant qu'il ne le découvre.
Il avait refermé le carnet en tremblant.
Et il n'en avait jamais parlé.
La scène se figea. Le carnet se leva lentement du sol et vola dans les airs, s'ouvrant tout seul. Les dessins jaillirent et s'enroulèrent autour de Luan.
— Tu as juré. Et tu as trahi. Le prix est dû.
— Non ! Je… je n'étais qu'un enfant !
— L'Encre n'écoute pas l'âge. Elle lit les actes.
Le quatrième sceau se brisa dans un craquement terrible. Un cri silencieux emplit l'air. Les dessins de Myriam se consumèrent, puis disparurent.
Et avec eux… le souvenir de sa voix d'enfant.
Luan se redressa. Tremblant. Il n'arrivait plus à se rappeler comment elle parlait quand elle était petite. Ce détail, pourtant si précieux, avait été avalé.
Le Livre s'ouvrait de plus en plus.
Myriam réapparut.
— Tu avances vite. Trop vite.
— Je fais ça pour toi.
— Non, tu le fais pour racheter ce que tu n'as jamais osé affronter.
Il n'avait plus de mots.
Elle s'éloigna dans un couloir d'ombres, en disant :
— La prochaine chaîne exigera ton plus grand désir. Es-tu prêt à l'abandonner ?
Il resta seul, le Livre palpitant dans les bras.
Et au loin, pour la première fois, le Carnet soupira.
(Partie 5)
Le Livre battait comme un cœur.
Chaque page frémissait sous ses doigts. Luan sentait la sueur couler le long de son dos. Il n'en pouvait plus. Mais il devait continuer.
La cinquième chaîne brillait violemment.
La clé fondue.
Le symbole du désir inavoué, de la porte qu'on veut ouvrir mais qu'on ne devrait jamais franchir.
Une nouvelle phrase s'écrivit dans le Livre :
> « Offre-moi ce que tu veux le plus.
Ce que tu rêves d'avoir… mais que tu dois renier.
Le feu de ton âme.
Et je t'ouvrirai l'abîme. »
Luan tomba à genoux.
— Mon plus grand désir… c'est de la revoir. De la ramener. De tout effacer. De recommencer…
Des images tourbillonnèrent autour de lui.
Des scènes où Myriam n'avait jamais été enlevée.
Des versions de sa vie où ses parents étaient encore là.
Des souvenirs qui n'avaient jamais existé, mais qu'il aurait tout donné pour vivre.
Et puis…
Une image qu'il ne comprit pas immédiatement.
Lui, plus vieux. Dans une autre ville. Un micro à la main. Des pages de carnets publiés partout.
Un monde où il écrivait, mais pas pour survivre. Pour inspirer. Pour changer le monde.
Il comprit alors :
— Ce que je désire le plus…
— Ce n'est pas juste la sauver.
— C'est être libre. De cette histoire. De ce destin. De ce fardeau.
Le Livre rit.
Un rire sourd. Grave. Viscéral.
— Alors renonce. Oublie. Détourne-toi de ta lumière. Éteins-toi toi-même.
Luan ferma les yeux.
Et il accepta.
Il renonça à tout ce qu'il aurait pu devenir, si le Carnet n'avait jamais croisé son chemin.
Le Livre absorba ses rêves. Il sentit une partie de lui se déchirer.
Il savait qu'il n'écrirait plus jamais comme avant.
L'étincelle, l'inspiration, le feu sacré… c'était parti.
Et la cinquième chaîne se brisa.
Le Livre s'ouvrit encore un peu plus.
Mais maintenant… c'était un cercueil.
Myriam apparut à nouveau. Mais cette fois, elle pleurait.
— Tu aurais pu avoir une autre vie, Luan. Et je suis en train de te la voler.
Il ne répondit pas.
Il n'avait plus de mots.
Plus de rêves.
Juste une mission.
Et deux chaînes.
(Partie 6)
Tu es prêt, Djes Love ? Voici la Partie 6 du Chapitre 3 : La Bibliothèque qui Respire.
Cette fois, le masque tombe. Et Luan va faire face… à sa vérité nue.
---
Chapitre 3 : La Bibliothèque qui Respire (Partie 6)
Le silence était devenu une présence.
Pas un vide, pas un apaisement. Une pression constante, comme si l'air lui-même pesait sur ses épaules. Le Livre reposait sur un socle d'os au centre d'un amphithéâtre circulaire, entouré de silhouettes immobiles.
Des lecteurs anciens.
Des âmes qui avaient ouvert le Carnet bien avant lui… et qui ne l'avaient jamais refermé.
La sixième chaîne brillait désormais d'une lumière noire.
Un masque brisé.
> « Le sixième sceau exige ta vérité.
Non celle que tu montres.
Celle que tu caches.
Celle que tu nies même à toi-même.
Offre-la. Et passe. »
Luan sentit ses jambes faiblir. Il tomba à genoux devant le Livre.
— Je… je n'ai plus rien. Je vous ai tout donné. Ma mémoire. Mes rêves. Mes serments.
Le Livre ne bougeait pas.
Il attendait.
Alors Luan se leva, les poings serrés.
Et il parla.
— La vérité, c'est que je n'ai jamais cru pouvoir la sauver.
— J'ai toujours pensé que j'étais trop faible. Trop lâche.
— Le jour où elle a disparu… je n'ai pas couru après elle. Je suis resté. Immobile.
— Parce que j'avais peur. Parce que j'étais soulagé.
— Oui… soulagé. Parce que je n'aurais plus à porter son bonheur.
— Parce que Myriam était la lumière… et moi l'ombre.
— Et une part de moi a été soulagée que cette lumière s'éteigne.
— Je suis un monstre.
Les silhouettes autour de lui s'agitèrent.
Pas pour l'accuser.
Pour s'incliner.
Elles reconnaissaient en lui un frère de nuit. Quelqu'un qui avait avoué la vérité ultime :
L'égoïsme, la jalousie, la faiblesse humaine.
Et le Livre s'ouvrit d'un coup. La sixième chaîne vola en éclats.
Mais Luan n'en sortit pas indemne.
Il perdit son reflet.
À jamais.
Car on ne peut pas regarder la vérité en face… et s'aimer encore.
Il marcha, le regard vide, vers le dernier couloir.
Celui du dernier sceau.
Myriam l'attendait, assise sur un trône d'encre.
— La dernière clé, Luan… c'est moi.
Il fronça les sourcils.
— Quoi ?
— Le dernier sceau, c'est le lien. Le seul que tu n'as jamais brisé. Celui que tu refuses d'abandonner.
Elle se leva lentement.
— Pour finir le Livre, tu dois me laisser.
— Non…
— Ou alors, nous resterons enfermés ici. Toi. Moi. Le Livre. Pour toujours.
Luan recula.
Le choix s'offrait enfin. Cruel. Total.
Sauver sa sœur… ou l'oublier à jamais pour survivre
Et derrière lui,les pages du carnet se mirent à brûler.
(Partie 7)
Myriam se tenait devant lui.
Pâle. Intacte. Intouchable.
Comme figée dans une encre vivante.
— Tu dois me laisser, Luan.
Ces mots résonnaient dans sa tête comme des coups de marteau. Il avait traversé les souvenirs effacés, les cauchemars éveillés, les serments brisés, les désirs abandonnés, et la vérité nue…
Pour elle.
Et maintenant, elle lui disait de l'oublier.
Il regarda le Livre.
Le septième et dernier sceau brillait. Non plus d'une lumière. Mais d'un vide. Une absence qui aspirait tout.
Le lien.
Ce fil invisible qui les liait depuis toujours. Ce fil que le Livre exigeait qu'il coupe.
> « Offre-moi ton amour. Ton dernier fil. Ton humanité.
Coupe le lien. Et le Livre sera à toi.
Ou garde-le… et reste ici pour l'éternité. »
Myriam s'approcha.
Elle pleurait. Ses larmes tombaient… en lettres.
— Tu m'as protégée toute ta vie. Même dans le silence. Même quand tu ne pouvais plus.
— Mais maintenant… c'est moi qui dois te libérer.
Elle tendit la main.
Dans sa paume : le fil.
Rouge. Palpitant. Reliant leurs cœurs.
— Coupe-le.
Luan cria.
— NON ! TU ES TOUT CE QUI ME RESTE !
— Non, Luan. Je suis tout ce que tu dois apprendre à perdre.
Il tomba à genoux. Le Livre s'ouvrit. Les pages tournaient, folles. Chaque souvenir défilait.
La première fois qu'il lui avait lu une histoire.
Leur promesse secrète sous les draps.
Son rire quand elle l'avait battu aux échecs.
Le moment où elle avait disparu…
Et maintenant… ce moment.
Le dernier.
Il tendit la main.
Toucha le fil.
Il brûlait. Il pleurait. Il tremblait.
Et il coupa.
Un cri traversa la Bibliothèque.
Pas celui de Myriam.
Celui du Livre.
Il hurlait. Il saignait. Il se brisait.
Le dernier sceau vola en éclats.
Myriam disparut.
Pas dans une explosion.
Mais comme une encre qu'on efface lentement d'une page.
Elle souriait en partant.
— Tu m'as libérée.
Et Luan resta là.
Seul.
Le Livre… ouvert.
Entièrement à lui.
Mais vide.
Car pour l'ouvrir, il avait sacrifié tout ce qui le définissait.
Il était maintenant le Gardien.
Le prochain à écrire.
Le prochain à piéger un autre cœur.
CHAPITRE 4
(Partie 1)
Le silence de la Bibliothèque s'était mué en éternité.
Les murs ne respiraient plus. Les ombres ne bougeaient plus.
Et au centre… là où les sceaux avaient été brisés…
Un trône s'était formé.
Fait d'encre solidifiée.
De chaînes fondues.
De vérités sacrifiées.
Et Luan y était assis.
Il ne pleurait pas.
Il ne pensait plus.
Il observait.
Ses yeux n'étaient plus humains.
Ils étaient faits d'un noir pur, scintillant comme une nuit sans étoiles.
À sa droite, le Livre.
À sa gauche, un sablier sans sable. Vide. Brisé.
Et devant lui… une porte.
Pas une porte comme les autres.
La Porte du Monde.
Car maintenant que Luan était devenu le Gardien,
le Livre exigeait un nouveau nom.
Une nouvelle histoire.
Un nouvel héritier.
---
Quelque part, dans une ville ordinaire…
Un adolescent de quinze ans dormait. Il s'appelait Ilan.
Il rêvait.
Mais pas de dragons ou de jeux vidéo.
Il rêvait de la même chose chaque nuit :
Un garçon au regard vide.
Un trône d'ombre.
Et une voix qui l'appelait :
> — Réveille-toi. Le Livre t'attend.
Ce matin-là, Ilan se leva en sueur.
Et sur son bureau…
Un carnet noir, qu'il n'avait jamais vu avant, l'attendait.
Le même que dans ses rêves.
Reliure de cuir. Page vierge. Mais chaude au toucher.
Une phrase était gravée sur la couverture :
> "Celui qui écrit dans ces pages… réécrit sa propre réalité."
Ilan ouvrit la première page.
Et lut :
> Chapitre 1 : L'Éveil du Successeur
Il sursauta. Ce n'était pas écrit à la main.
C'était imprimé. Gravé dans la fibre du papier.
Et sous le titre…
> "Ton nom est Ilan. Tu vas bientôt oublier qui tu étais.
Le Gardien t'attend. Et il est faim de toi."
Ilan referma le carnet.
Mais il était trop tard.
Il se trouvait déjà dans un autre lieu.
Un couloir fait d'encre et de miroirs brisés.
Et au fond… Luan.
Le Gardien.
Celui qui avait tout perdu
Celui qui ne cherchait plus la vérité
Mais une offrande .
(Partie 2)
Ilan cligna des yeux.
Le couloir devant lui semblait se plier, s'étirer, respirer.
Chaque pas qu'il faisait résonnait comme un battement de cœur,
et le sol se tordait sous ses chaussures comme s'il marchait sur une bête vivante.
Il n'était plus dans sa chambre.
Il n'était même plus dans le monde réel.
Des tableaux flottaient dans l'air.
Des souvenirs qui n'étaient pas les siens.
Une fille aux longs cheveux qui riait.
Un garçon qui écrivait, encore et encore.
Une porte. Une corde. Une promesse.
— Où je suis… ?
La voix résonna, grave et douce à la fois.
> — Tu es là où tu dois être, Ilan.
Il se retourna.
Et il le vit.
Luan.
Le regard d'un millier de nuits.
Le silence incarné.
Le Gardien.
Il était assis sur son trône, les mains jointes, le visage impassible.
— Qui… qui êtes-vous ?
— Tu sais déjà qui je suis.
Le Livre apparut dans ses mains. Il l'ouvrit.
Chaque page montrait un instant de la vie d'Ilan.
Ses peurs. Ses doutes. Ses mensonges. Ses rêves.
— Tu as été choisi, dit Luan.
— Choisi… pour quoi ?
— Pour me succéder.
— Pour devenir le prochain à porter le poids.
— Le prochain à écrire le cauchemar.
Ilan recula.
— Non. Je veux rentrer. Je n'ai rien demandé !
— Et pourtant… tu as lu.
Le Carnet apparut dans les mains d'Ilan. Ouvert.
Et sur la page suivante, une ligne s'écrivait lentement, comme gravée par une main invisible :
> "Chapitre 2 : Le refus du héros."
Ilan tremblait.
— Arrêtez ça… S'il vous plaît…
Mais le Carnet ne s'arrête jamais.
Et Luan se leva.
Il s'approcha lentement. Chaque pas effaçait la lumière autour de lui.
— Tu n'es pas ici pour refuser.
— Tu es ici pour choisir.
Il leva la main.
Deux portes apparurent.
L'une, dorée, scintillante. Elle montrait Ilan retrouvant sa vie normale, ses parents, son chien, son lycée.
L'autre, noire, couverte de griffes, saignante.
— Si tu choisis la première, dit Luan, tu oublieras tout. Et tu ne pourras plus jamais écrire, rêver, ou t'échapper.
— Si tu choisis la seconde… tu entres dans le Carnet. Et tu deviens le prochain auteur du réel.
Ilan restait immobile.
— Pourquoi moi ?
— Parce que tu rêves, répondit Luan. Et les rêveurs… finissent toujours ici.
---
À suivre dans la Partie 3…
Deux portes. Une seule vérité.
Et si Ilan choisit la mauvaise…
le monde changera.
(Partie 3)
Les deux portes tremblaient.
L'une était douce, familière, presque chaude.
L'autre… semblait vivante. Elle pulsait comme un cœur.
Ilan fixait Luan, incapable de bouger.
— Et si je ne choisis pas ? demanda-t-il, la voix cassée.
Luan sourit.
Un sourire vide.
— Alors le Livre choisira pour toi.
Soudain, le Carnet dans les mains d'Ilan se mit à s'ouvrir tout seul.
Les pages tournaient à une vitesse folle, jusqu'à ce qu'une page blanche s'arrête au centre.
Un titre s'écrivit lentement :
> "Chapitre 3 : L'Erreur fatale."
— Non… non ! Je n'ai rien écrit !
Mais c'était déjà trop tard.
La porte dorée… se ferma.
D'un claquement sec. Irréversible.
Et la noire…
s'ouvrit.
Un vent glacial en sortit. Des murmures. Des visages hurlants dans la brume.
Ilan recula, paniqué.
— STOP ! JE REFUSE !
— Il n'y a pas de refus, dit Luan en le regardant avec tristesse.
— Il n'y a que le récit. Et tu es dedans.
Des mains sortirent de l'ombre.
Elles l'attrapèrent.
Pas physiquement. Mentalement.
Des souvenirs lui furent arrachés. Son premier vélo. Sa mère qui le borde. Son prénom…
Il cria. Mais personne ne l'entendait.
Car dans ce monde… il était déjà en train de disparaître.
Et lorsqu'il rouvrit les yeux…
Il se tenait dans une pièce d'encre, seul, devant un miroir.
Mais dans le reflet…
Ce n'était pas lui.
C'était un garçon plus jeune. Plus pâle. Plus vide.
Et dans ses mains…
le Carnet.
Ilan l'ouvrit.
Et lut :
> "Chapitre 4 : Le Gardien s'endort. Le Nouveau commence."
Et dans les ombres lointaines, Luan s'éteignait.
Son rôle était fini.
Il avait transmis le poids.
Il pouvait rejoindre le silence.
Une larme noire coula sur sa joue, la seule qu'il verserait dans l'éternité.
Et Ilan, sans plus comprendre pourquoi, s'assit devant une table.
Et écrivit la première ligne.
---
À suivre dans la Partie 4…
Ilan ne s'en souvient pas, mais…
il est maintenant le maître des cauchemars.
Et ce qu'il va créer va tout changer.
(Partie 4)
Ilan restait assis devant le Carnet.
Il n'avait plus faim.
Plus sommeil.
Plus souvenirs.
Seulement une idée floue…
qu'il devait écrire.
Mais écrire quoi ? Il ne savait plus qui il était.
Seulement qu'il y avait une voix… une force… un besoin qui le poussait.
Il prit la plume posée sur la table.
Elle n'était pas en métal.
Elle était faite… de plume humaine.
Comme arrachée à une mémoire oubliée.
Et il écrivit :
> "Il était une fois…"
Mais avant qu'il continue, le sol trembla.
Le Carnet vibra.
Et une phrase s'écrivit toute seule sous la sienne :
> "Celui qui écrit sans cœur… crée sans âme."
Ilan sentit son poignet se crisper.
— Qu'est-ce que ça veut dire… ?
Et alors, dans la pièce, une silhouette apparut.
Pas un monstre. Pas un fantôme.
Un enfant.
Pâle. Nu-pied. Les yeux vides.
— Qui es-tu ? demanda Ilan.
L'enfant sourit.
> — Je suis ton premier personnage.
Tu viens de m'écrire.
— Je… quoi ?
> — Et tu m'as créé… sans douleur. Sans amour. Sans vérité. Alors je suis vide.
Ilan tomba en arrière, choqué.
— Je… je n'ai pas voulu…
> — Mais tu as commencé. Et maintenant, je suis là. Et je veux… être réel.
Le garçon tendit la main.
Son ombre s'allongea.
Se déforma.
Devint une bête.
Une créature faite de regrets, de lignes inachevées, de paragraphes censurés.
Une horreur née d'un mot mal placé.
— NON !
Ilan referma le Carnet.
Et la créature hurla… puis disparut.
Il respirait vite. Ses mains tremblaient.
— Chaque chose que j'écris… devient réelle ?
Une voix résonna. Douce. Grave. Éternelle.
> — Oui.
> — Et tu viens d'éveiller la toute première Malformation.
> — Bienvenue dans ton propre enfer, Ilan.
À suivre dans la Partie 5…
Ilan va devoir apprendre à écrire avec son âme.
Car chaque mot peut tuer.
Chaque phrase peut déchirer le monde.
(PARTIE 5)
Voici la Partie 5 du Chapitre 4 : Le Gardien du Carnet, Djes Love.
Ilan comprend que son esprit est une arme. Mais il ignore encore contre quoi il va devoir se battre.
---
Chapitre 4 : Le Gardien du Carnet (Partie 5)
Ilan était seul.
Assis, haletant, dans cette pièce noire comme un encrier vide.
Autour de lui, le silence.
Mais pas un silence paisible…
Un silence qui écoute.
Il avait refermé le Carnet.
Mais le Carnet, lui, ne se refermait jamais vraiment.
Ilan regarda autour de lui.
Les murs avaient changé.
Ils étaient couverts de mots.
Des centaines. Des milliers.
Certains dans des langues inconnues.
D'autres… dans sa propre écriture.
Il s’approcha. Et lut :
> "Je hais ce monde."
Une phrase simple. Mais à peine l’eut-il lue qu’un frisson parcourut la pièce.
Une craquelure fendit le sol.
Ilan recula.
— Non… Ce n’est pas moi qui ai écrit ça… c’est pas possible.
Mais il se souvenait.
Une nuit, dans sa vraie vie. Avant le Carnet.
Une nuit de colère, après une dispute avec ses parents.
Il avait griffonné cette phrase dans son cahier de maths.
Et le Carnet… s’en souvenait.
> "Tout ce que tu penses, tout ce que tu ressens,
tout ce que tu écris…
crée."
Cette fois, ce n’était pas une voix.
C’était un visage.
Celui d’une fille. Peut-être son âge.
Ses yeux étaient faits de lettres tournoyantes.
Sa peau, comme du papier froissé.
Mais son sourire était humain.
— Qui… qui es-tu ?
Elle s’inclina doucement.
> — Je suis ta Muse.
Celle que tu n’as jamais imaginée, mais que tu as toujours appelée.
Je suis là pour t’aider… à écrire ce monde.
Ilan fronça les sourcils.
— Tu veux dire que… tu vas m’apprendre à créer des choses bonnes ? Des choses belles ?
Elle rit doucement. Un rire triste.
> — Je vais t’apprendre à créer des choses vraies.
Et parfois, la vérité est monstrueuse.
> — Mais si tu refuses d’écrire… le Carnet écrira pour toi. Et il est moins clément.
Ilan serra les poings.
— Pourquoi moi ? Pourquoi je dois porter tout ça ?
— Je suis personne. J’étais normal !
> — Tu étais un rêveur, Ilan.
Et les rêveurs… sont les seules portes vers les mondes perdus.
> — Tu as été choisi… parce que tu es capable de créer.
Mais aussi… de détruire.
La Muse posa une main sur son cœur.
> — Et maintenant, il est temps de choisir :
Sois le Gardien des cauchemars.
Ou sois le Héros de ta propre histoire.
---
À suivre dans le Chapitre 5 : "La Première Création"…
Ilan va tenter d’écrire quelque chose de bon…
Mais la malformation rôde encore dans les ombres.
Et elle n’a pas oublié qu’elle veut exister.
CHAPITRE 5 :la première création
(Partie 1)
La pièce était toujours aussi obscure, mais Ilan ressentait quelque chose de nouveau :
une chaleur légère, presque vivante, qui émanait de la Muse à ses côtés.
Elle n'avait pas de nom.
Et pourtant… Ilan sentait qu'elle portait des milliers d'identités.
Comme si elle était chaque personnage qu’il aurait pu inventer.
Chaque histoire qu’il avait laissé mourir dans sa tête.
Chaque rêve abandonné.
— Comment je suis censé créer ? demanda-t-il enfin.
— Je n’ai pas d’idée… pas de vrai pouvoir…
La Muse tourna lentement les pages du Carnet.
Toutes étaient vides.
> — Tu n’as pas besoin de pouvoir. Seulement de vérité.
> — Alors commence par la douleur. Crée ce que tu ressens.
Ilan inspira. Ferma les yeux. Sa main se posa doucement sur la première page.
La plume dans ses doigts semblait pulser, comme vivante.
Il pensa à la solitude.
À son père absent.
À sa mère qui ne voyait plus ses pleurs.
Aux cauchemars… et à Luan, disparu.
Et il écrivit :
> "Un garçon sans nom, perdu dans une forêt sans fin,
marchait avec le poids du monde sur ses épaules."
La page vibra. Une lumière pâle en jaillit.
Autour de lui, le monde changea.
La pièce disparut.
Il se retrouva dans une forêt noire.
Les arbres étaient immenses.
Le ciel, rouge sang.
Et devant lui…
Un garçon. De dos. Frêle. Tremblant.
> — Tu l’as créé, dit la Muse. Mais tu dois lui donner une âme.
Ilan s’approcha du garçon.
— Hé… ça va ?
Le garçon se retourna lentement.
Et Ilan hurla.
Car il avait son propre visage.
Ses yeux. Ses blessures.
Mais pas de bouche.
Il tendit la main.
Et Ilan sentit son propre cœur battre à toute vitesse.
> — Tu l’as créé sans espoir, sans parole. Il ne peut pas parler. Il ne sait qu’exister dans la douleur.
> — Donne-lui une voix.
— Comment ?
> — Écris-la.
Ilan s’agenouilla. Reprit la plume. Et écrivit :
> "Le garçon ouvrit la bouche, et pour la première fois… il cria son nom au monde."
Le garçon trembla. Sa peau se déchira. Sa bouche apparut lentement, dans une douleur atroce.
Et il cria.
— ILAN !
Le monde frémit.
Le ciel s'éclaircit un instant.
Et Ilan comprit :
il pouvait guérir… comme il pouvait détruire.
Mais dans les feuillages, quelque chose bougea.
Quelque chose… qui n’aimait pas le changement.
---
À suivre dans la Partie 2…
Une chose ancienne s’est réveillée dans la forêt créée.
Un parasite du Carnet.
Une chose qui déteste les histoires avec espoir.
(Partie 2)
Le cri du garçon — son propre nom — résonnait encore entre les arbres.
Mais ce cri n’avait pas seulement donné vie.
Il avait réveillé.
Dans les profondeurs de la forêt, un bruissement.
Pas du vent.
Pas d’un animal.
Quelque chose de bien plus ancien.
La Muse pâlit légèrement.
> — Tu as réveillé le Raturé…
— Le quoi… ?
> — Un fragment d’histoire… oublié. Jeté. Refusé.
Une idée morte… mais pas détruite.
> — Il déteste les créateurs. Et il sent quand un cœur s’ouvre.
Ilan se tourna vers le garçon qu’il venait de créer.
Il avait l’air terrifié.
Comme s’il sentait… que quelque chose arrivait pour le détruire.
Et alors… le sol se mit à trembler.
Les arbres, un à un, se penchèrent.
Et une ombre rampa entre les racines.
Noire.
Fluide.
Remplie de lettres inversées, de mots barrés, de phrases hurlées sans son.
Le Raturé.
Ilan sentit son souffle se couper.
La créature n’avait pas de forme définie.
Elle était comme de l’encre tombée sur une page… vivante.
Elle approchait. Lentement.
La Muse se plaça entre lui et la créature.
> — Tu dois choisir maintenant, Ilan.
> — Fuir. Ou écrire.
Ilan tremblait.
La plume entre ses doigts était lourde.
Mais son regard croisa celui du garçon qu’il avait créé.
Et il comprit : si lui ne faisait rien, le Raturé l’effacerait.
Comme une faute.
Il ouvrit le Carnet.
Le Raturé hurla.
Un son d’agonie, de colère, de désespoir.
Et Ilan écrivit, la main en feu :
> "Le garçon, bien qu’apeuré, fit face au monstre.
Et au lieu de fuir… il lui parla."
Le monde se figea.
Le garçon leva les yeux.
— Tu es comme moi… dit-il au Raturé.
— Tu n’as jamais été aimé. Jamais terminé. Mais moi… je te reconnais.
L’ombre tressaillit.
Une fissure apparut dans sa masse noire.
Ilan reprit la plume, le cœur battant :
> "Et alors, le Raturé cessa de hurler.
Il pleura.
Pour la première fois depuis des siècles, il pleura."
Le monstre fondit lentement.
Il se dissout, goutte après goutte, dans la terre.
Et le silence revint.
Mais cette fois…
un silence doux. Apaisé.
---
À suivre dans la Partie 3…
Ilan a appris qu’il pouvait soigner les cauchemars par la compréhension.
Mais le Carnet n’est qu’au début de son éveil…
Et d’autres créatures attendent leur tour.
(Partie 3)
La forêt avait retrouvé son calme.
Le Raturé avait disparu.
Mais Ilan… n’était plus le même.
Il regardait le Carnet dans ses mains comme on regarde une arme ancienne, capable de sauver ou de détruire.
La Muse s’était assise près de lui, silencieuse.
Le garçon sans nom — son double créé — restait là, debout, fragile mais vivant.
— Je ne comprends toujours pas, murmura Ilan.
— Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?
La Muse tourna lentement la tête vers lui.
> — Parce que tu es arrivé à la limite entre deux mondes, Ilan.
Celui des vivants… et celui des histoires.
Et tu étais prêt à écouter ce que les autres refusent d’entendre :
les voix oubliées.
— Ce Carnet… c’est un piège ? Une malédiction ?
> — C’est une épreuve.
> — Il te montre ce que tu peux devenir… si tu écris sans conscience.
> — Mais il peut aussi être… ton salut.
Ilan serra le livre.
Il pensa à Luan.
À ses cauchemars.
À tous ces jeunes comme lui, qui criaient en silence.
— Alors je vais écrire pour eux.
— Pour ceux qu’on n’écoute pas.
La Muse sourit doucement.
> — Alors tu n’as plus besoin de moi.
Ton histoire t’appartient maintenant.
Elle se leva.
Son corps se dissipa lentement… en lettres d’or, flottant dans l’air.
Comme une phrase qu’on termine enfin d’écrire.
Ilan resta seul.
Mais pas vraiment.
Le garçon créé s’approcha.
— Et moi ? demanda-t-il.
— Qu’est-ce que je deviens ?
Ilan le regarda dans les yeux.
— Tu deviens… mon gardien intérieur.
— Celui qui me rappelle qui je suis. Et pourquoi j’écris.
Il écrivit dans le Carnet :
> "Et le garçon sans nom, né d’un cri, devint l’ombre fidèle du garçon réel.
Ensemble, ils affrontèrent l’avenir."
Le monde se dissout lentement autour de lui.
Et Ilan ouvrit les yeux…
---
Il était de retour dans sa chambre.
Le Carnet dans ses mains.
Fermé.
Mais il battait encore… comme un cœur.
À suivre dans le Chapitre 6 : "L'Écriture Finale"
Le dernier chapitre.
Le moment où tout s’achève.
CHAPITRE FINALE
Chapitre 6 : L’Écriture Finale
La chambre était baignée d’une lumière pâle.
Le matin s’était levé, mais le monde semblait encore figé autour d’Ilan.
Le Carnet reposait sur ses genoux, fermé.
Mais même ainsi, il vibrait, comme s’il attendait.
Une dernière page.
Un dernier choix.
Ilan n’avait pas dormi.
Il n’en avait pas besoin.
Depuis son retour de ce monde d’encre et d’ombres,
tout en lui était devenu plus clair.
Plus… réel.
Il se leva. S’approcha de la fenêtre.
La ville en bas continuait de vivre, sans savoir qu’un adolescent, dans une chambre,
venait de traverser les ténèbres de l’imaginaire.
Son regard se posa sur une photo.
Lui et Luan. Deux frères. Souriants.
Avant les cauchemars. Avant les silences.
Il s'assit à nouveau.
Ouvrit le Carnet. Lentement.
Et pour la première fois… la dernière page était déjà écrite.
Mais pas par lui.
Une phrase.
Tracée d’une encre brillante, douce.
Une écriture qui n’était ni la sienne, ni celle de la Muse.
> "Ce n’est pas la fin du Carnet. C’est la fin du silence."
Ses mains tremblèrent.
Il comprit :
le Carnet avait enregistré ses douleurs, ses combats, ses créations…
Mais il attendait encore un dernier acte.
Celui d’accepter.
Alors Ilan prit sa plume.
Et écrivit sa vérité.
> "Je m’appelle Ilan. J’ai 14 ans.
Je fais des cauchemars.
J’ai cru être fou, perdu, seul.
Mais je suis vivant. Et je suis un créateur."
> "Je pardonne à ceux qui m’ont blessé.
Je tends la main à ceux qui hurlent en silence.
Et je rends à ce monde ce que j’ai compris :
que l’imaginaire n’est pas une fuite… c’est un pont."
> "Le Carnet m’a maudit pour me réveiller.
Il m’a brisé pour que je me relève."
> "Et maintenant… je ferme la dernière page."
Il referma le Carnet.
D’un geste doux. Définitif.
Aucune lumière. Aucun cri.
Juste… le silence. Le vrai. Celui de la paix.
Un souffle chaud parcourut la pièce.
Comme un dernier adieu de la Muse.
Ilan sourit.
Pour la première fois depuis longtemps, il se sentit entier.
Il rangea le Carnet dans un tiroir.
Pas pour le fuir.
Mais pour le garder en témoin.
Puis il sortit.
La journée l’attendait.
Et peut-être… une nouvelle histoire aussi.
FIN DU ROMAN : LE CARNET MAUDIT.