Kael marche seul dans un couloir de lumière autour de lui, tout est calme trop calme le silence n'accueille pas il absorbe ses pas ne résonnent pas ils s'éteignent, comme effacés par l'air lui-même chaque pulsation du monde est suspendue, figée entre deux battements oubliés à sa gauche : une série de portes rouges, noires, roses chacune d'elles vibre d'une présence une aura, une émotion, une mémoire ais aujourd'hui Kael se tourne vers la bleue il lève la main la surface est glacée le contact le saisit, le fige comme si cette porte refusait d'être touchée, d'être dérangée et pourtant il entre de l'autre côté, le monde est flou le ciel est sombre, lourd comme une pensée enfouie mais les nuages ne sont pas là-haut ils sont au sol, effleurant la terre comme des brumes en deuil la pluie ne tombe pas elle s'élève doucement comme des souvenirs qu'on tente de refouler mais qui remontent malgré tout chaque goutte monte à contre-temps une pluie à l'envers, silencieuse, presque vivante au loin, une tour noire massive douloureuse ses arches sont faites de larmes figées, suspendues entre ciel et mémoire des ponts tissés non de pierre, mais de regrets cristallisés et là, au pied de cette tour assise seule Timidité petite immobilisée par l'air lui-même sa robe trempée colle à ses jambes elle serre contre elle une poupée décolorée par la pluie inversée ses cheveux ruissellent, plaqués sur son visage mais ses yeux regardent ailleurs ou nulle part Kael ne parle pas il ne s'impose pas il s'approche il s'assied doucement à côté d'elle pas trop près pas trop loin il attend puis, d'une voix calme, qui ne cherche pas à entrer, mais seulement à exister :
— Je ne suis pas venu te forcer à monter.
— Juste... te dire que tu n'as pas à rester seule.
Pas de réponse mais un frisson léger elle tremble ses épaules s'agitent à peine, comme si même ce mouvement coûtait trop et lentement elle s'appuie contre lui un geste infime fragile et pourtant plus grand que mille mots comme si ce simple contact lui coûtait plus qu'un cri autour d'eux, la pluie change les gouttes grises deviennent lueurs liquides des fragments de chaleur, de mémoire, de tendresse muette elles s'élèvent doucement comme des lucioles au ralenti comme des souvenirs qui se laissent enfin toucher et dans le ciel, au-dessus de la tour noire un dragon aux yeux bleus vole en cercle silencieux majestueux invisible pour ceux qui ne savent pas regarder autrement il ne descend pas il observe il veille ce jour-là, Kael ne brisa aucun mur il construisit un pont et dans ce monde fait de pluie à l'envers, de poupées silencieuses et de souvenirs inversés deux âmes se sont rapprochées pas pour guérir mais simplement pour être ensemble.