Le Ciel Dégarré et les Échos du Passé

Chapitre 1 : Le Ciel Dégarré et les Échos du Passé

Le vent siffle à travers les nervures d'acier tordues de ce qui fut jadis la Tour Eiffel, un mémorial silencieux et défiguré d'un monde englouti. À ses pieds, le paysage n'est plus que poussière et gravats, les squelettes d'automobiles rouillées gisant comme des insectes morts. L'air, lourd d'une odeur métallique et de terre humide, est un constant rappel de la Brèche.

Au milieu de cette désolation, deux silhouettes se meuvent avec une prudence acquise à la dure. Renji, quatorze ans, ses yeux d'un bleu profond reflétant les ruines, porte sur son corps frêle le poids d'une maturité forcée. À ses côtés, sa sœur Hana, dix ans à peine, se blottit contre lui, sa voix un murmure à peine audible : "J'ai faim, Renji. Et j'ai froid."

Renji ajuste la couverture sur les épaules de Hana, son sourire, teinté de résignation, se veut rassurant. "Je sais, petite sœur. On trouvera quelque chose, ne t'inquiète pas."

Son regard balaie l'horizon. Au-delà des immeubles éventrés et des monuments brisés, des excroissances rocheuses sombres, d'aspect presque organique, pulsent faiblement. Ce sont les donjons, et ils "respirent" une brume ténue. Au-dessus, insensibles à la misère d'en bas, flottent des continents insulaires, des fragments de terre arrachés au sol, portant parfois les restes d'anciens quartiers. Ces choses... ces donjons, pense Renji. Ils ont pris le monde que nous connaissions. Et là-haut... les nouveaux cieux.

Hana lève les yeux vers lui. "Tu crois qu'on trouvera des pommes aujourd'hui ? Comme avant la Brèche ?" Une question simple, enfantine, qui évoque un passé si lointain qu'il en est irréel. "Peut-être," répond Renji, la voix adoucie. "Mais on doit surtout trouver de quoi remplir nos ventres."

Le son du vent à travers les ruines et le faible "battement" des donjons sont la seule musique de leur existence précaire.

Le monde autour de Renji vacille, les ruines de Paris s'estompent pour laisser place à des couleurs vives et un ciel bleu éclatant. C'était un après-midi ordinaire, un jour comme les autres. Des rires d'enfants, le lointain brouhaha de la circulation. La vie dans toute sa banalité heureuse. Une voix douce et aimante, celle d'un parent, résonne : "N'oublie pas tes devoirs, mon grand."

Puis, le ciel parfait se déchire. Non pas une déchirure physique, mais une faille lumineuse, grandissant à une vitesse effrayante, émettant un bourdonnement assourdissant qui fait trembler la terre. La panique éclate, les cris déchirent l'air. Les bâtiments se fissurent, des objets sont aspirés vers l'abîme béant. Ça s'est ouvert... L'air s'est déchiré... Qu'est-ce que... ? La pensée, confuse, est celle d'une conscience plus âgée, d'une autre époque.

La conscience de Renji, celle qui a vu ce jour-là, est violemment aspirée. Une sensation de torsion, de compression, une douleur insoutenable qui tord l'être lui-même. Des images floues, des bruits distordus...

Il se redresse en sursaut dans l'obscurité, le souffle court, baigné de sueur. Un cauchemar. Encore. Mais ce n'est pas qu'un rêve. Des images fugaces, monstrueuses, reviennent : une forme floue, gigantesque, aux contours changeants, une sensation de puissance antique et incompréhensible. C'était Sōten-ō. "Sōten-ō... Encore... Qu'est-ce que tu es ?" murmure Renji à lui-même, la voix haletante, le corps secoué par une confusion qui ne lui appartient pas vraiment.

L'intérieur de l'abri offre un contraste apaisant. Rudimentaire, certes, mais étonnamment organisé. Des lits de camp, des couvertures, une petite zone de cuisson où un feu crépite doucement. L'ambiance est plus chaleureuse, même si la tension de la survie reste palpable.

Sans même regarder, sentant sa présence, la Tante Akari, dont les gestes précis et agiles trahissent son statut d'Épéiste, demande : "Bien dormi, Renji ? Tu as encore fait ces cauchemars ?"

"Oui, Tante Akari. Un peu," répond Renji, hésitant.

L'Oncle Hiroshi, un colosse dont la cicatrice au-dessus de l'œil et l'aura de "Tank" en font le chef incontesté du groupe, se tourne vers Renji. Son regard est sérieux mais empreint de bienveillance. "Le ciel est calme ce matin. Mais ça ne dure jamais. Kaito, tu as vérifié les périmètres ?"

Kaito, leur fils aîné, un Tireur d'élite pragmatique, vérifie son fusil sans lever les yeux. "Deux fois, Oncle. Rien d'anormal. Juste le vent et la poussière." Puis Hiroshi se tourne vers Renji : "Renji, tu ne devrais pas rester éveillé si tard. Il faut des forces pour ces jours de survie."

Akari leur tend à chacun une portion de repas frugal. "N'oublie pas de laisser des rations pour Hana. Elle aura besoin de ses forces pour la patrouille." Kaito, un rare sourire en coin, répond : "Ne t'inquiète pas, Maman. Je n'oublie jamais Hana. Ce serait toi la première à me passer à la casserole."

Dans cet abri, les autres survivants vaquent à leurs occupations, réparant des équipements ou discutant à voix basse. "Tu sais," dit Hiroshi à Renji, plus doucement, "on est une famille ici. On se protège. On a tous nos rôles." Renji regarde ses mains frêles. "Je sais, Oncle. Je... j'aimerais pouvoir être plus utile." La frustration lui serre la gorge.

Hiroshi rassemble son équipe. Kaito, Akari, et quelques autres survivants costauds se regroupent autour d'une carte rudimentaire étalée sur le sol. "Aujourd'hui, c'est le secteur D4," annonce Hiroshi, pointant un endroit sur la carte. "Le donjon de Rang F là-bas... son sceau faiblit. On a vu plus de petits rampants à l'extérieur ces derniers jours."

"Le nettoyage est en retard, alors," constate Kaito.

"Exactement," confirme Hiroshi. "Si on ne le nettoie pas, le sceau se brise. Et quand ça arrive, ce n'est plus juste des rampants. C'est une horde. Et on ne peut pas se le permettre."

Sur les visages, la détermination le dispute à une peur froide. La peur est palpable, une compagne constante. Renji, observant la scène, la ressent. Leurs yeux... ils ont tous la même lueur. Cette peur froide qui ne vous quitte jamais, même dans les moments calmes. Un survivant murmure : "On a perdu la famille Dubois la semaine dernière à cause d'un sceau brisé, non loin d'ici." Hiroshi répond d'une voix ferme : "C'est pourquoi on ne lâche rien. La routine, c'est ce qui nous garde en vie."

Les préparatifs de la patrouille sont précis, presque monotones. Armes vérifiées, sacs à dos ajustés. Akari prend la parole : "Je prendrai la tête de l'équipe de flanc gauche. Kaito couvrira le flanc droit." Hiroshi acquiesce : "Parfait. Restez groupés. Et Kaito, pas d'héroïsme inutile." Kaito lâche un petit sourire en coin : "Comme si je risquais ma peau pour rien."

Renji s'approche, hésitant. Il veut offrir son aide, mais son corps frêle le trahit. "Oncle Hiroshi... Je peux..."

"Non, Renji," l'interrompt Hiroshi, gentiment mais fermement. "Tu restes ici avec Hana et les autres anciens. Tu as tes tâches ici, au camp. La surveillance, le ravitaillement léger. On a besoin de toi ici." Akari pose une main sur son épaule. "Tu es trop précieux pour la patrouille, Renji. On n'a pas les ressources pour te guérir si tu te blesses là-bas." L'humiliation et la frustration le piquent.

La patrouille avance dans les ruines, les silhouettes sombres du donjon de Rang F se découpant à l'horizon. L'air se fait plus lourd, la "respiration" du donjon plus prononcée. Soudain, un frottement. Un rampant – un monstre de base, insectoïde et rapide – surgit des décombres. "Le premier," murmure Kaito. "Plutôt lent." Hiroshi tranche : "Pas de risque. Abattez-le vite."

Kaito réagit en un éclair. Son fusil d'élite se lève, un coup sec retentit, et le rampant s'effondre. Efficace. "Un de moins. Voyons combien il y en a d'autres."

D'autres rampants surgissent, plus nombreux. Akari dégaine une lame courte et se meut avec une agilité saisissante, dansant presque entre les attaques, sa lame tranchant avec une précision mortelle. "Couvrez mes arrières ! Ils sont plus nombreux que la dernière fois !" crie-t-elle. Hiroshi, en véritable Tank, bloque une charge avec son bouclier improvisé, protégeant Akari. "Ils sentent le sceau s'affaiblir. Plus on les nettoie, plus on gagne de temps."

Avec une force brute, Hiroshi écrase un rampant sous un coup de son arme contondante. La mêlée est courte mais intense. Le groupe s'en sort victorieux, mais essoufflé. La menace quotidienne est bien réelle, même pour un donjon de Rang F. "On entre," dit Hiroshi, essuyant la sueur de son front. "Restez sur vos gardes. On ne sait jamais ce qui peut nous attendre à l'intérieur."

La patrouille revient à l'abri, fatiguée mais le sentiment du devoir accompli. Hana court vers Akari, un soupir de soulagement. Renji les observe, une envie au ventre. Kaito passe devant lui, son ton neutre. "Ne t'inquiète pas, le camp est toujours là. Tu as bien veillé dessus ?" Renji acquiesce. "Oui. Tout est calme."

La vie reprend son cours à l'abri. Le repas du soir, les conversations à voix basse. Renji est assis à l'écart, à la lueur vacillante du feu. Ils sont forts. Ils se protègent. Et moi... je ne suis qu'un fardeau. Ses mains frêles lui semblent étrangères.

Alors qu'il tente de s'endormir, les images du cauchemar reviennent, plus vives que jamais. La Brèche, le chaos, et cette silhouette insaisissable de Sōten-ō. Une angoisse sourde. Des bribes de l'ancienne conscience, celle de l'adulte, avant l'aspiration. Une voix intérieure, chuchotant des mots incompréhensibles.

Renji ouvre les yeux dans l'obscurité, le cœur battant à tout rompre. Le sentiment d'être "réduit" dans ce corps d'enfant le hante. La douleur et la confusion de cette ancienne conscience sont omniprésentes.

Qui suis-je vraiment ? Ce gamin frêle... ou ce fragment de mémoire d'un monde perdu, avec ce nom... Sōten-ō... collé à mes rêves ? Et pourquoi je suis le seul à le voir ?

Ses yeux bleus profonds fixent le vide, l'expression d'une âme à la fois jeune et ancienne, confrontée à un mystère qui la dépasse. Au loin, le bruit lancinant des donjons qui "respirent" résonne, un rappel constant de la menace omniprésente.