Prologue : La rose et l'oublie

On raconte qu’au commencement, lorsque le monde n’était que ténèbres, la vie apparut sous la forme d’une lumière.

Une lumière douce et brûlante, née d’une Déesse. Elle se posa sur la terre et y planta une graine — la Graine de la Vie.

Cette graine devint un continent, vaste, fertile, promis à la beauté et à l’harmonie.

Les fleuves coulaient sans fin, les arbres donnaient sans effort, et les êtres qui naquirent sous le regard de la Déesse vivaient en paix.

Mais l’équilibre n’est jamais éternel.

Car dans toute lumière, une ombre prend forme.

Cette terre, à peine née, fut souillée.

Des créatures informes rampèrent hors des failles de la création nées de ce qui dort au fond du cœur humain : la haine, la jalousie, le désir de posséder ce qui ne peut l’être.

Elles n’avaient ni nom ni pitié. Leur souffle figeait l’air, éteignait les flammes, rongeait les âmes.

Elles dévoraient tout : les arbres, les bêtes, les hommes… et même le temps.

Pendant des siècles, le monde connut le silence des morts, et la peur devint langue commune.

Alors, dans un dernier élan de bonté, la Déesse fit don de son pouvoir à trois êtres.

Trois âmes liées à la sienne.

Des élus, porteurs d’un fragment de sa lumière.

Ils étaient courage, sagesse et foi.

Ils affrontèrent les ténèbres, scellèrent les monstres à la pierre et rendirent la lumière au ciel.

Ce fut l’Âge d’Or.

Les peuples chantèrent leur salut, bâtirent des royaumes, tissèrent des alliances.

De cette paix naquirent deux empires jumeaux : Aragon et Hélios, et un Saint Empire fondé en l’honneur de la Déesse.

Tous crurent que le mal ne reviendrait jamais.

Mais l’oubli est le premier mensonge des hommes,

et les grandes histoires se fanent comme les vieilles prières.

Quand Aragon sombra dans la convoitise,

quand il éteignit la flamme d’Hélios par jalousie,

et que la dernière des élus se retrouva seule,

condamnée à supplier pour une paix qui ne venait jamais…

alors, les fondations mêmes du monde commencèrent à trembler.

Ce fut le retour de la guerre. Non à cause des monstres, mais à cause de la trahison.

Une guerre millénaire s’abattit sur le continent, le divisant en deux camps.

Seul le Saint Empire resta neutre, fidèle à la mémoire de la Déesse.

Un murmure hante encore les murs du palais royal.

On raconte qu’un jour, une femme au regard d’améthyste — surnommée la Pleureuse aux Yeux Violets — fut offerte en sacrifice à la paix.

Son nom véritable s’est effacé des livres et de l’histoire.

Certains disent qu’elle a pleuré jusqu’à faire s’effondrer la terre elle-même.

D’autres prétendent qu’avant de disparaître, elle maudit la descendance des rois.

D’autres encore affirment qu’elle prophétisa leur chute.

Mais nul ne sait ce qui est vrai.

Car l’histoire de cette femme fut enterrée, scellée dans un secret transmis de roi en roi,

murmuré à l’oreille des couronnes avant leur dernier souffle.

" Quand la rose rejetée versera ses larmes , la déesse se détournera du royaume aveugle, et les ténèbres vous consumeront."

Aujourd’hui, plus personne ne s’en souvient.

Et ceux qui savaient furent décapités, réduits au silence par les souverains.

Mais sous l’ignorance de ce royaume, une rose recommence à saigner.

Et dans le silence d’un trône oublié, une larme s’apprête à briser le monde.

Une jeune femme au regard d’améthyste vit encore.

Arrogante. Égoïste. Méprisante.

Le venin d’Aragon dans les veines, la fureur dans le sang.

Son nom est Rhélia Alys Risfillerd,

princesse héritière d’Aragon.

Et sans le savoir, elle porte la fin…

ou le recommencement.