On disait de lui qu’il n’avait pas de cœur.
Pas parce qu’il était cruel. Non. Aidan Blackwell ne perdait pas son temps avec les jeux du mal pour le plaisir. C’était juste que rien — ni supplication, ni sourire, ni larme — ne semble l’atteindre. Il ne se mettait jamais en colère. Il ne haussait jamais le ton. Il décidait. Il tranchait. Il gagnait.
À trente-cinq ans, il était l’homme le plus redouté et le plus admiré du pays. PDG de Blackwell Group, un conglomérat tentaculaire qui touchait à tout — hôtels de luxe, compagnies aériennes, holdings d’investissement, technologies — il était capable de ressusciter une entreprise mourante rien qu’en y posant son regard. Ce qu’il voulait, il l’obtenait. Sans effort. Et cela incluait les femmes.
Aidan ne supportait pas les bavardages inutiles. Il détestait perdre du temps. Dans ses bureaux aux vitres teintées au 54ᵉ étage de la tour Blackwell, la seule chose que l’on entendait, c’était le son sec de ses pas, le cliquetis net de son stylo, et parfois... le silence qu’il imposait.
Il ne souriait jamais. Il observait.
Tout le monde craignait son regard perçant, comme s’il lisait dans les pensées. Et peut-être le faisait-il. Car personne ne savait jamais ce qu’il pensait réellement. Il restait fermé, distant, imperturbable. Un mystère ambulant avec une mâchoire d’acier. Beau à couper le souffle. De ces beautés masculines presque irréelles, sculptées dans un marbre inaccessible. Peau dorée, regard acier, cheveux sombres impeccablement coiffés en arrière. Toujours tiré à quatre épingles. Costumes sur mesure. Montres de collection. Voitures de rêve.
Et toujours seul.
Des femmes, il en avait eu. Des actrices, des mannequins, des héritières, des politiciennes — toutes avaient essayé de dompter le cœur de l’homme d’affaires le plus convoité du pays. Elles pensaient pouvoir être "celle qui changerait tout". Aucune n’avait réussi.
Aidan ne promettait rien. Dès le début, il posait les règles de ses liaisons, avec une froideur clinique :
— Je t’offre ce que tu veux : confort, luxe, sécurité. En échange, tu satisfais mes envies. Mais retiens bien ceci… Tu tombes amoureuse de moi ? C’est fini. Immédiatement.
Et elles acceptaient. Elles croyaient pouvoir le faire flancher. Elles échouaient. L’une après l’autre. Jusqu’à ce que leur nom disparaisse de son agenda. Sans un mot. Sans une explication.
Il n’avait pas toujours été ainsi.
Il y a longtemps, Aidan avait cru en l’amour.
Mais cette illusion s’était envolée avec la mort de son cousin, Elias.
Elias. Son frère de cœur. Son double. Le seul à l’avoir jamais compris. Ils avaient grandi ensemble, dans les bras dorés de la fortune, partageant les mêmes rêves, les mêmes peurs, les mêmes confidences. Et puis… elle était arrivée.
Une femme magnifique. Séduisante. Intelligente. Elias était tombé amoureux follement. Aveuglément.
Elle était enceinte, disait-elle. Il l’avait crue. Mais l’enfant n’était pas de lui. Elle le savait. Elle avait menti pour son argent, son nom, son monde.
Quand Elias avait découvert la vérité, il s’était effondré. La dépression l’avait avalé.
Un soir d’hiver, dans l’appartement qu’ils partageaient parfois, Aidan avait retrouvé son cousin sans vie, un mot posé sur son torse.
Ne tombe jamais amoureux.
Depuis, cette phrase était tatouée dans l’âme d’Aidan. Et rien, ni personne, ne pouvait le faire oublier cette nuit-là.
Ses parents, eux, rêvaient encore.
Sir Henry et Lady Catherine Blackwell, figures nobles, puissantes et vieillissantes, rêvaient de voir leur fils adouci par l’amour. Un mariage. Un héritier. La continuité de la lignée.
Ils l’aimaient, profondément, mais l’incomprenait.
— Tu ne vas quand même pas finir seul, Aidan, disait souvent sa mère d’une voix douce. Tu as besoin de quelqu’un à tes côtés...
— J’ai besoin d’efficacité, répondait-il en feuilletant un dossier. Pas d’attachement.
Son père, lui, ne disait pas grand-chose. Il lançait des regards pesants. Parfois déçus.
Aidan faisait semblant de les écouter. Il hochait la tête, leur assurait qu’il y pensait.
Mais au fond… il n’y croyait plus.
L’amour était une faiblesse. Et les faibles mourraient.
Il les aimait trop pour leur briser le cœur. Mais pas assez pour briser le sien à nouveau.
Ce matin-là, la réunion avec le conseil venait tout juste de s’achever. Les discussions avaient été aussi précises qu’intenses, et Aidan Blackwell, comme toujours, avait su imposer sa vision avec une efficacité redoutable. Les chiffres étaient au vert, les projets lancés, les échéances respectées. Tout était sous contrôle.
Il se leva lentement, ajusta la manche de sa veste parfaitement taillée et s’apprêta à quitter la salle de conférence. Son regard balaya la pièce une dernière fois, avant qu’il ne se dirige vers l’ascenseur, prêt à quitter l’hôtel qu’il possédait, comme il possédait une partie de la ville.
Mais alors qu’il passait près du hall principal, un bruit d’agitation attira son attention. Une voix haute, tendue, un murmure d’inquiétude qui montait peu à peu.
Il ralentit le pas, intrigué.
Au comptoir, un homme d’âge mûr s’agitait bruyamment, tapant du doigt avec colère sur le marbre immaculé.
— Mais c’est inadmissible ! Je suis un client fidèle, j’ai réservé la suite impériale ! Comment se fait-il que votre système soit en panne ? Je perds mon temps !
Le regard d’Aidan se posa sur la jeune femme derrière le comptoir. Elle était là, calme comme une île au milieu de la tempête. Son regard fixé droit dans les yeux du client, elle n’émettait aucune peur, aucune hésitation. Seulement une force tranquille.
— Monsieur, je vous assure que nous faisons tout notre possible. Il y a un problème technique imprévu, indépendant de notre volonté. Nous avons déjà contacté le service informatique et nous vous avons trouvé une autre suite en attendant que la vôtre soit disponible. Nous vous offrons également un dîner au restaurant gastronomique en guise de dédommagement.
Aidan observa la scène avec attention, s’attendait à une supplique, un regard implorant, ou au moins un sourire penaud. Rien de tout cela. Éléa tenait tête. Sa voix était douce, mais ferme, sans aucune trace de servilité.
Il remarqua la finesse de ses mains, agiles sur le clavier où s’affichaient des messages d’erreur. Le léger voile de sueur sur son front trahissait sa concentration intense. Il fut frappé par la beauté sans artifices qui émanait d’elle. Ses yeux, d’un vert rare, semblaient refléter une intelligence vive et une résilience farouche.
Son cœur manqua un battement alors que son regard s’accrochait au sien.
Elle ne l’avait pas encore vu.
Quelques instants plus tard, le client, apaisé, accepta la solution proposée. Éléa s’inclina légèrement, un sourire professionnel aux lèvres.
Alors, leurs regards se croisèrent.
Une reconnaissance instantanée.
Elle connaissait son visage. Pas celui du businessman froid et inaccessible, mais celui que les médias peignaient comme le roi du monde des affaires, ce ténébreux milliardaire au passé troublé.
Elle sentit une chaleur intense envahir sa poitrine. Pas de peur, pas d’admiration naïve, mais une étrange vibration — comme si, malgré elle, quelque chose de profond venait de s’éveiller.
Aidan soutint son regard avec une intensité inhabituelle, un sourire en coin, presque défiant. C’était la première fois depuis longtemps qu’il rencontrait une femme qui ne cherchait pas à l’impressionner, qui ne tremblait pas sous son aura.
Le temps sembla suspendu.
Puis, lentement, il détourna les yeux, reprit sa marche vers l’ascenseur, mais au fond de lui, un frisson nouveau venait de naître.
Mais, arrivé à l’entrée de celui-ci, il s’arrêta, ses pensées tournant en boucle autour de cette rencontre inattendue.
D’un pas assuré, il fit demi-tour et se dirigea vers son bureau, sa curiosité piquée au vif.
Sans perdre une seconde, il sortit son téléphone et appela son assistant.
— Trouve-moi tout ce que tu peux sur cette réceptionniste, ordonna-t-il d’une voix calme, mais ferme. Son nom, son parcours, son dossier complet. Je veux tout.
L’assistant, surpris mais habitué aux décisions rapides de son patron, répondit immédiatement :
— Je m’en occupe, monsieur Blackwell.
Aidan raccrocha, le regard fixé vers la baie vitrée qui dominait la ville.
Une question hantait désormais son esprit :
Qui était-elle ?
Cette femme capable de rester digne, forte et indifférente… même devant lui ?
Une question hantait désormais son esprit : qui était-elle ?
Cette femme capable de tenir tête à un client furieux sans faiblir, de rester digne et calme, et surtout, capable de croiser son regard sans détourner les yeux ?