La porte de l’étage précédent s’effaça derrière eux comme une feuille de cendres emportée par le vent. Dès que leurs pieds franchirent le seuil de la salle suivante, un choc thermique s’abattit sur eux.
Le sol sous leurs pas était noir, strié de veines rougeoyantes qui pulsaient comme un cœur vivant. À chaque pulsation, des craquelures apparaissaient, laissant entrevoir un magma figé, emprisonné sous une fine couche de matière solide. Les murs, eux, semblaient respirer : de longs motifs de braises ondulantes serpentaient sur leur surface, formant des fresques mouvantes et incandescentes.
Akyra et Momoi avancèrent de quelques mètres, et l’atmosphère devint presque insupportable. L’air lui-même semblait trop dense, saturé d’une chaleur poisseuse. La lumière rouge orangée noyait tout : plus de distinction nette entre le sol, les murs et le plafond, juste une continuité rougeâtre qui brouillait les perspectives.
Momoi plissa les yeux, une fine goutte de sueur roulant le long de sa joue. Son souffle se fit plus court, et elle porta machinalement la main à son col, l’ajustant.
Momoi : Ça me rappelle pas franchement de bons souvenirs,
Ses doigts tremblaient légèrement. Ce genre d’ambiance, étouffante et brûlante, réveillait en elle des souvenirs plus anciens qu’elle ne l’aurait voulu.
Akyra, lui, avançait comme si de rien n’était. Mains dans les poches, son visage gardait ce calme étrange qui le caractérisait toujours, même au cœur du danger. Il fit claquer sa langue avant de répondre avec un léger sourire en coin :
Akyra : Typique… Plus ça monte, plus ça chauffe.
Momoi sourit discrètement, malgré l’oppression ambiante. C’était toujours pareil avec lui. Peu importe ce qui les attendait, il trouvait toujours une manière de rendre la situation un peu plus légère, même si ses mots sonnaient presque comme une provocation à l’environnement lui-même.
Ils continuèrent d’avancer en silence.
À mesure qu’ils progressaient, Momoi ressentait de plus en plus le poids de la chaleur sur ses épaules. Sa peau commençait à picoter, et même Eldrhyssa, à sa hanche, semblait réagir à cette atmosphère : la garde noire de son épée vibrait faiblement, comme si elle voulait absorber cette énergie brûlante mais hésitait encore.
Akyra s’arrêta soudain, sans prévenir.
Momoi fronça les sourcils et s’immobilisa aussi.
Devant eux, à une dizaine de mètres, la lumière sembla s’intensifier brusquement. Le sol noir se fissura davantage, laissant échapper des volutes de flammes pures qui ondulaient dans l’air comme des serpents.
Et c’est alors qu’il apparut.
Une silhouette immense, entièrement rougeoyante, se détacha de l’incandescence environnante. Le Guerrier Spirituel du Feu Infini.
Momoi sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale malgré la chaleur. Ce n’était pas la peur, pas exactement. C’était… une forme de respect instinctif devant une telle présence.
Le Guerrier était constitué uniquement de flammes solides. Son corps, vaguement humanoïde, laissait voir des muscles formés de magma compact, et autour de ses bras s’enroulaient des chaînes incandescentes, crépitantes à chaque mouvement.
Dans sa main droite, il tenait une immense hache. Mais le mot “hache” semblait presque trop limité : c’était une masse ardente oscillant entre matière solide et liquide, sa forme changeant légèrement à chaque seconde. Une vraie arme vivante.
Momoi fit un pas en arrière, les yeux écarquillés.
Akyra, lui, se contenta de plonger légèrement la tête en avant, les paupières à moitié closes, comme s’il évaluait la situation.
Akyra : Pas mal.
Le Guerrier fit alors son premier mouvement.
Un pas.
Juste un pas. Mais ce fut suffisant pour faire vibrer toute la salle. Le sol sous leurs pieds trembla, et des éclats de matière noire se détachèrent des murs, fondant aussitôt au contact de l’air brûlant.
Momoi se crispa.
Puis, d’un geste lent et presque cérémonial, le Guerrier leva sa hache au-dessus de sa tête. Une onde de chaleur d’une intensité nouvelle explosa autour de lui, formant un cercle parfait qui balaya toute la salle.
Momoi : Attention !
Mais Akyra ne bougea pas d’un pouce.
Quand l’onde atteignit leur position, Momoi recula brusquement, levant Eldrhyssa devant elle, tentant de se protéger comme elle pouvait.
Akyra, lui, leva simplement la main droite, paume ouverte vers l’avant.
Son Kala se manifesta en un instant : une légère lueur rose pâle, presque invisible au milieu du rouge ambiant, mais suffisamment dense pour former une barrière d’aura autour de lui.
L’onde se brisa sur cette barrière, comme de l’eau contre un rocher.
Momoi, haletante, observa la scène, les yeux agrandis par la surprise.
Momoi : Il… Il l’a stoppée d’une main…
Quand l’onde se dissipa, Akyra abaissa calmement sa main, reprenant sa position précédente, poings dans les poches.
Il tourna légèrement la tête vers Momoi, sans sourire cette fois.
Akyra : Reste derrière. Tu pourrais cramer pour de vrai, cette fois.
Elle hocha la tête sans discuter.
Le Guerrier, face à eux, semblait évaluer ses adversaires à son tour. Les flammes autour de son corps s’intensifièrent, gagnant en volume et en agressivité. Sa hache vibrait d’une manière presque malsaine, comme si elle brûlait l’espace autour d’elle.
Momoi recula encore de quelques pas, s’arrêtant à une distance prudente.
Et Akyra, enfin, fit un pas en avant, les yeux fermés, un léger sourire flottant sur ses lèvres.
Akyra : Très bien… Voyons si t’es à la hauteur.
Le vrai combat allait commencer.
Un claquement sec résonna sous leurs pas lorsque Akyra fit un pas de plus vers l’adversaire enflammé, mais cette fois sans détourner les yeux de Momoi.
Akyra : Cette fois, on le fait à deux. Tu me couvres.
Il n’y avait pas d’hésitation dans sa voix, juste cette assurance tranquille qui appartenait à ceux qui connaissaient leurs propres limites... et celles des autres.
Momoi hocha la tête, relevant Eldrhyssa d’un geste souple.
La lame noire pulsa légèrement, comme si elle respirait avec elle. Les reflets rouges sur sa surface semblaient plus vivants qu’auparavant. Elle le sentait une tension sourde parcourait sa main jusqu’à son épaule, une vibration intérieure qui ne venait pas que de l’épée. C’était son propre Kala qui réagissait.
Le Guerrier Spirituel du Feu Infini avança à nouveau. Chaque pas soulevait des gerbes de flammes pures, qu’il projetait comme des lames brûlantes vers eux.
Momoi serra les dents, rabattit sa lame devant elle, et bondit.
Son premier mouvement fut instinctif : elle coupa horizontalement, visant l’une des flammes secondaires qui filaient droit sur eux.
La lame d’Eldrhyssa trancha proprement... mais l’impact thermique fut immédiat.
Sa peau brûla. Pas au point de se carboniser, mais une douleur aiguë, précise, lui mordit la paume et l’avant-bras.
Momoi : Agh… !
Elle recula de deux pas, les yeux plissés sous la douleur. Sa main était rouge vif, légèrement fumante.
Le sang chaud contre ma peau froide.
La sensation était presque familière, à sa grande surprise. Elle avait connu pire, mais ce n’était pas agréable pour autant.
Momoi : … Merde.
Dans son esprit, le souvenir des Couloirs du Vide remonta en flash bref. La sensation d’errer sans repère, de recommencer encore et encore jusqu’à trouver le bon chemin.
Momoi : Calme-toi . Ça ne sert à rien de paniquer.
Akyra, devant elle, n’avait pas bronché. Il esquivait les flammes avec une précision déconcertante : chaque pas, chaque mouvement semblait calculé pour frôler sans jamais toucher. Par moments, il donnait de petits coups avec le poing ou le pied, dégageant des ondes d’aura brute qui dispersaient temporairement le feu autour de lui.
Mais Momoi n’avait pas le luxe de se contenter d’observer.
Elle raffermit sa prise sur Eldrhyssa.
La chaleur autour d’eux s’intensifiait. Les murs semblaient désormais faits de flammes pures plutôt que de roche. Le sol vibrait constamment, et une sorte de bourdonnement aigu remplissait l’air — comme un cri sourd du feu lui-même.
Momoi tenta à nouveau de trancher une flamme plus faible. Cette fois, elle le fit avec plus de précaution : un mouvement oblique, plus lent.
Elle réussit à la disperser, mais la chaleur s’infiltra quand même jusqu’à sa peau. Une brûlure plus légère cette fois... mais toujours là.
Son souffle se fit court. Elle haletait légèrement, sentant son Kala vaciller. Elle avait beau essayer de maintenir sa concentration, l’oppression ambiante grignotait peu à peu sa stabilité.
Sa respiration se hacha davantage.
Eldrhyssa vibra entre ses doigts. La lame était plus lourde que d’habitude, plus chaude aussi.
Pourquoi… Pourquoi je n’arrive pas à suivre ?! pensa-t-elle, les mâchoires serrées.
Elle le voyait. Akyra, là devant elle, calme, inébranlable. Même au milieu de cet enfer rouge, il ne flanchait pas. Pas un pas de travers. Pas une brûlure.
Et elle, elle était là, en arrière, encore une fois.
Momoi : Tch…
Le craquement de flammes lui répondit.
Soudain, Akyra tourna brièvement la tête vers elle, les yeux à demi plissés.
Akyra : Arrête de bloquer le feu . Canalise-le. Ton épée est faite pour ça, non ?
Momoi resta figée.
Canaliser... ?
Jusqu’ici, elle avait toujours cherché à opposer sa propre énergie à celle de l’adversaire. Contrer, détruire, repousser.
Mais absorber ? Se l’approprier ?
Elle jeta un regard vers Eldrhyssa. Les motifs noirs sur la lame pulsaient, changeant légèrement de forme à chaque vibration.
Elle comprit.
Eldrhyssa n’était pas une simple arme. Pas un bouclier non plus. C’était un réceptacle.
Sans perdre plus de temps, Momoi raffermit sa prise et changea légèrement sa posture.
Elle relâcha une partie de son Kala défensif, abaissant ses barrières internes, ouvrant son flux d’énergie à l’extérieur.
Tout de suite, elle le sentit.
Les flammes alentours semblèrent se rapprocher d’elle. Comme attirées.
La lame noire se teinta légèrement de rouge sombre, ses motifs changeant, ondulant comme de la lave en fusion.
Momoi leva son épée à hauteur d’épaule.
Une flamme secondaire fondit sur elle.
Elle la trancha.
Cette fois… rien.
Ou plutôt : au lieu de sentir la chaleur s’abattre sur sa peau, elle sentit Eldrhyssa vibrer, et absorber cette chaleur. La lame pulsa, plus chaude encore, mais sans blesser sa porteuse.
Un sourire discret étira les lèvres de Momoi.
Momoi : … Ça marche.
Mais ce n’était pas encore fini.
Le Guerrier Spirituel, jusque-là relativement stable, leva soudainement sa hache à deux mains.
Une vague de flammes infiniment plus massive s’apprêtait à déferler sur eux.
Les murs tremblèrent. Le sol se fissura davantage. Des gerbes de magma s’élevèrent autour d’eux.
Momoi fit un pas en avant, instinctivement.
Akyra : Qu’est-ce que tu fais ?
Elle ne répondit pas. Elle se plaça simplement devant lui, Eldrhyssa levée, Kala concentré autour d’elle, son regard fixé droit devant.
Si je ne peux pas encore le surpasser…
Je peux au moins avancer à sa hauteur.
Les flammes rugirent.
Momoi resta immobile.
Eldrhyssa vibrait dans sa main, chaude et noire à la fois prête à dévorer les flammes.
A suivre