Le Compromis du Diable

Au Manoir Ravenshire,

Dans la grande salle à manger, sous les yeux attentifs et satisfaits de Celeste et de la gouvernante, Damien versait gracieusement du vin à Aveline. Ses mouvements étaient sans effort, son comportement parfaitement composé – mais son regard perçant ne quittait jamais sa femme.

Clairement, elle n'était pas elle-même.

Non, elle n'agissait pas étrangement. Au contraire, elle était écœuramment douce, son rire léger, sa voix gentille, pourtant il pouvait le sentir. Quelque chose n'allait pas.

Ce tressaillement.

Au moment où il avait tendu la main plus tôt, elle avait tressailli. Elle n'avait jamais fait cela auparavant.

Avait-elle peur de lui ?

Elle devrait le craindre, mais pourquoi maintenant ?

Il n'avait jamais élevé la voix contre elle, encore moins levé la main. Son contrôle sur elle n'avait jamais nécessité de violence. Alors pourquoi réagissait-elle soudainement comme s'il allait la frapper ?

Il continuait d'analyser. Son changement avait commencé la nuit dernière. Après ce cauchemar. La façon dont elle avait pleuré dans ses bras, tout en refusant de lui dire ce qui la hantait.

Damien enroula une mèche rebelle de ses cheveux bruns entre ses doigts et la glissa derrière son oreille. Voilà, ses lèvres s'incurvaient doucement, son regard baissé, timide sous les yeux de Celeste, mais ses joues ?

La teinte rosée qui fleurissait habituellement sur ses joues chaque fois qu'il la touchait avait disparu.

Son effet sur elle s'était-il... affaibli ?

Ou avait-elle appris quelque chose à son sujet ?

Damien continuait de manger, son expression impassible, mais son esprit tourbillonnait de pensées troublantes. Il n'était pas curieux de trouver les réponses. Au contraire, il voulait enterrer complètement ces questions. L'enfermer avant qu'elle ne crée un autre jour où il devrait penser à elle ou perdre du temps à cause d'elle.

Après le dîner, Damien n'avait aucune intention de s'attarder, mais Celeste désigna le canapé dans le salon, « Damien. » Elle parlait de son ton habituel, doux mais autoritaire.

Une veine palpita sur son front, mais il était sur le point de décliner poliment quand Aveline parla la première, « Grand-mère, juste pour quelques minutes. » Son ton enjoué l'irrita davantage. Elle poursuivit avec sa raison, « Damien aura beaucoup de travail à rattraper. »

Les yeux de Damien scintillèrent d'une lueur indéchiffrable. Elle se montrait attentionnée envers son temps. Pourtant, au lieu d'être satisfait, pourquoi se sentait-il offensé ?

Il masqua immédiatement son irritation lorsque le regard de Celeste se posa sur lui.

Aveline sourit au signe d'approbation de Celeste avant qu'ils ne se dirigent vers le salon.

Alors qu'ils s'asseyaient, la gouvernante apparut avec un plateau qu'elle déposa devant Aveline, « Madame Ashford, votre Glace à la Pistache au Miel de Lavande. »

Aveline s'illumina, ses yeux s'éclairant à la vue de son dessert préféré. Elle se lécha les lèvres, contenant à peine son excitation. Son regard glissa vers Celeste, qui lui fit un clin d'œil.

Une seule boutique préparait ce dessert rare en quantité limitée car tout le monde n'apprécie pas le goût floral, et sa grand-mère parvenait toujours à l'obtenir pour elle.

Au moment où Aveline prenait sa cuillère, la gouvernante se tourna vers Damien. « Monsieur Ashford, souhaitez-vous de la glace ? »

« Non— » Aveline intervint avant que Damien ne puisse répondre. Elle refusait de partager sa glace avec Damien.

En prenant une bouchée, elle ajouta avec désinvolture, « Il ne mange que sans sucre. » Sa voix était légère, décontractée. Ainsi, la gouvernante partit sans attendre que Damien ne parle.

Tandis que les yeux de Damien s'assombrissaient. Il saisit sa mâchoire délicate, tournant son visage vers lui.

Aveline cligna des yeux en le regardant, semblant confuse et résistant à l'envie d'échapper à son contact.

Ses doigts tremblaient, une profonde envie de broyer sa mâchoire, de voir la peur vaciller dans son regard, mais il n'y en avait aucune.

Sa tête s'inclina avec juste une calme curiosité.

Il passa son pouce juste au-dessus de ses lèvres, laissant son contact s'attarder, mais le rougissement ne vint pas. Il murmura, « Personne ne te vole ton dessert, Nina. Prends ton temps. »

Aveline sourit et hocha la tête en réponse. Puis elle reporta son attention sur sa glace et déglutit difficilement.

'Est-ce que je le gère bien ?' douta Aveline, mais elle ne laissa pas tomber son jeu.

Celeste, inconsciente de la tension entre eux, sourit, satisfaite de leur proximité. Puis elle aborda la véritable conversation pour laquelle elle avait arrêté Damien, « Cela fait deux mois que vous êtes mariés maintenant. » Sa voix était légère, « Aveline a mentionné que vous prévoyez d'avoir des enfants dans deux ans. »

Les doigts de Damien se crispèrent sans comprendre où menait la conversation. Tandis qu'Aveline savourait simplement sa glace.

Celeste poursuivit, « J'ai donc décidé qu'Aveline rejoindrait notre entreprise familiale pour assister son frère. »

Aveline faillit s'étouffer avec son dessert. Elle s'était mentalement préparée à gérer Damien à la Villa Sterling. Elle n'arrivait pas à croire que Celeste lui ouvrait une voie.

Aveline se ressaisit rapidement face à ce changement, acquiesçant, « Oui, j'allais te le dire à la maison. »

'Te le dire. Pas te le demander ?' Damien enfouit habilement sa colère bouillonnante.

Sa voix était froide, mais parfaitement polie, « Ce n'est pas nécessaire, Madame Laurent. Nina travaille sur des projets de financement. Elle ouvrira bientôt sa société d'organisation d'événements. »

Bien sûr, il ne mentionna pas qu'il n'avait aucune intention de la laisser réussir. Il prévoyait de lui faire refaire les projets jusqu'à ce qu'elle abandonne finalement.

L'homme qui faisait suivre sa femme ne la laisserait jamais avoir sa propre entreprise. Aveline ne croyait pas un mot sortant de sa bouche.

Celeste n'était pas facilement influençable. « Je suis au courant, Damien. » Sa voix resta composée. « Mais agir avant d'apprendre mène à l'échec. Apprendre rend son chemin plus facile. »

« Chaque échec nous rapproche du succès. » répliqua Damien.

La réfutation de Celeste vint rapidement, « L'échec vous force à apprendre, mais apprendre d'abord vous permet de choisir comment réussir. » Celeste ne s'attarda pas sur l'impact qu'un échec pourrait avoir sur une personne.

« C'est peut-être vrai, » admit Damien, « Mais la seule façon de vraiment comprendre est de se jeter dans le feu et d'affronter la chaleur. Car aucun apprentissage ne peut remplacer l'expérience. » Il ne céda pas le contrôle sur Aveline.

Celeste soutint son regard, imperturbable, « Apprendre d'abord vous donne la sagesse pour gérer la chaleur sans vous brûler. »

La mâchoire de Damien tiqua, n'appréciant pas la confiance de la vieille dame. « Trop se préparer peut vous rendre hésitant. Vous pourriez ne jamais faire le saut. »

Celeste sourit légèrement. « La préparation ne vous retient pas, Damien. Elle vous donne des ailes pour atterrir en sécurité. »

Aveline, qui avait observé cette bataille silencieuse avec admiration, finit par intervenir. Levant les bras en forme de T, elle s'exclama, « Temps mort, temps mort. »

Damien ne la laisserait pas avoir sa liberté, et Celeste devrait continuer à argumenter toute la nuit. Alors elle soupira dramatiquement, « Je devrais vous inscrire tous les deux à un concours de débat. »

Celeste rit doucement. Damien serra les dents. Un débat à la maison était considéré comme une dispute mineure pour Aveline. Ils restèrent donc silencieux, toujours pas prêts à accepter les arguments de l'autre.

Aveline regarda alternativement les participants du débat, « C'est de moi dont vous discutez. Demandez-moi. »

Elle se tourna vers Damien et expliqua, « Je pensais pouvoir apprendre de mes échecs, mais je n'organiserais pas un événement pour n'importe qui. Mon entreprise sera une société d'organisation d'événements haut de gamme où l'échec n'est pas une option. » Elle invalida habilement les paroles de Damien.

Un léger froncement de sourcils apparut sur le visage de Damien. Il avait supposé tout ce temps qu'elle ouvrirait une entreprise de seconde zone pour servir la majorité de la population du pays. Maintenant, il réalisait que les Laurents n'avaient jamais ciblé une large clientèle, leur goût avait toujours été raffiné, élégant et de premier ordre. Il l'admirait mais refusait de l'accepter.

La voix d'Aveline était douce mais teintée de manipulation quand elle continua, « Donc je suis d'accord avec ma grand-mère. Si j'échoue, je ne ruinerai pas seulement l'entreprise et moi-même, mais cela affectera aussi le nom des Laurents et des Ashford. »

Elle fit une pause. « Je veux dire, imaginez les gros titres : 'La femme du Directeur Ashford a ruiné un événement'. » Elle choisit délibérément les 'médias' et se présenta comme son épouse.

Elle secoua la tête, « Non, non, non. Je ne peux pas prendre ce risque. »

Celeste était fière de sa petite-fille, qui ne se dispute pas mais expose habilement son point de vue. Pourtant, elle souhaitait parfois qu'Aveline puisse être plus directe et se battre pour elle-même.

Damien avait un goût amer dans la bouche. En plus de cela, Aveline avait tous les arguments justes.

Elle avait gagné. Mais il ne la laisserait pas lui échapper, « Rejoins Ashford Holdings. » ordonna-t-il.

« Et quoi ? » Celeste parla avant qu'Aveline ne puisse formuler une réponse, « La laisser être gâtée au lieu de la laisser apprendre ? »

Aveline éclata de rire, hochant la tête. « Grand-mère a raison. » La différence était qu'il la contrôlerait au lieu de la gâter.

Les mâchoires de Damien se verrouillèrent. Qui devait-il blâmer ? C'était lui qui leur avait donné une telle impression. Il jeta un coup d'œil à Celeste, dont l'expression commençait à devenir de plus en plus suspicieuse à cause de leurs arguments.

Refuser à nouveau les ferait douter de lui. Accepter lui ferait perdre le contrôle.

Sous le regard ferme de Celeste et les rires d'Aveline, Damien expira brusquement. « D'accord. »

Aveline dissimula doucement son sourire narquois derrière ses rires, ses yeux brillant d'un triomphe silencieux. Dans ce premier affrontement direct avec Damien, elle avait assuré sa victoire.

….

À la Villa Sterling,

Damien se retenait à peine en regardant Aveline disparaître à l'étage. Sa mâchoire se crispa, et sa respiration était saccadée.

Deux mois s'étaient écoulés bien trop tranquillement, et aujourd'hui, elle avait gâché son humeur toute la journée en quittant la maison. Maintenant, elle l'avait surpassé.

Sa voix contenue était froide. « Walter. »

Le majordome qui portait un plateau de lait chaud s'arrêta.

La voix de Damien baissa, « Augmentez la dose. »

Les yeux de Walter s'écarquillèrent de choc. Il voulait parler, mais il ne pouvait pas rassembler le courage de désobéir à son maître.

Les yeux de Damien passèrent de l'escalier à Walter. Ses yeux s'assombrirent, refusant de croire que son majordome avait commencé à éprouver de la sympathie pour sa femme. « Elle ne mourra pas demain. »

Walter déglutit, « Oui, Monsieur. » Il retourna à contrecœur à la cuisine.

Damien regarda le majordome ajouter une autre pincée de poudre blanche dans le lait.

Oui, l'augmentation de la dose ne tuera pas Aveline cette nuit, mais elle tombera malade plus tôt que ce qu'il avait initialement prévu.

Ce n'est que lorsque Walter revint avec un verre vide que Damien se dirigea vers son bureau.

Aveline avait gagné aujourd'hui.

Mais pas pour longtemps.