1 - Click, Click.

Le soleil filtre à peine à travers les rideaux de ma chambre quand j'ouvre les yeux. Dans la cuisine, j'entends déjà la vieille cafetière de ma tante qui crache et grogne comme un chat mal luné. J'attrape mon téléphone : sept heures. Trop tôt pour une vie tranquille, mais parfait pour une rentrée.

Je reste quelques secondes à fixer le plafond, le cœur battant un peu trop fort. Mon premier jour d'université, c'est aujourd'hui. Ma vraie vie commence là. J'ai envie de sourire, mais j'ai aussi envie de vomir.

Je sors de ma chambre en traînant un peu les pieds, les cheveux en bataille, et je trouve ma tante déjà habillée, un tablier taché de pollen noué autour de la taille, comment fait elle pour être d'aussi bonne humeur, d'aussi bon matin ? Elle me tend une tasse de café au lait, avec un peu de miel, bien chaude, comme je l'aime.

— Tu vas tout déchirer, Bella ! dit-elle en m'ébouriffant les cheveux.

Je souris, ça me réchauffe bien plus que le café.

Après une douche rapide et un jean trop grand, un petit chemisier a manche bouffante, j'enfile mon sac a photo. Pas mon sac de cours, non, mon vrai sac, celui avec mon appareil, mes pellicules, mes petits carnets de notes visuelles. C'est plus fort que moi : j'ai besoin de capturer ce que je vois.

Je quitte la maison en silence, les baskets qui grincent un peu sur le gravier. La fac est à une vingtaine de minutes à pied. C'est rien, et c'est parfait. La lumière est encore douce, les rues calmes, les volets mi-clos. J'ai le temps d'observer. De respirer.

Je m'arrête souvent. Une fleur fanée sur un rebord de fenêtre. Un chat qui s'étire au soleil. Un vieux vélo rouillé contre un mur. Click. Click. J'ai déjà trois clichés avant d'atteindre l'avenue.

Au coin du parc, j'aperçois Ena. Elle est assise sur le banc qu'on squattait déjà au lycée. Jean baggy, débardeur noir, clope à moitié consumée entre les doigts. Elle me voit, lève une main paresseuse, et je sais qu'on est reparties pour une nouvelle année de conneries.

— T'as l'air d'un petit chiot stressé. me dit-elle.

— Et toi d'une meuf qui a passé la nuit debout.

— April ronfle. Je suis traumatisée.

On éclate de rire. Et soudain, ça va mieux. Je suis pas seule dans cette rentrée. Ena est là, et ça change tout.

On entre sur le campus, les mains dans les poches, le regard partout. Et puis... je le vois. Lui. Il est là, un peu en retrait, appuyé contre un mur, un carnet en main. Plus vieux que les autres. L'air concentré. Différent.

Je le prends en photo sans vraiment réfléchir.

Click.

Ena se tourne vers moi, puis vers le mec que je viens de prendre en photo. Elle sourit, moqueuse.

— Tu prends des garçons en photo maintenant ? Sérieusement ?

Je tousse un peu, prise la main dans le sac.

— Euh... bah... celui-là, il était... inspirant, tu vois.

Je sais même pas pourquoi je dis ça. Enfin si, je le sais. Il dégage un truc. Une vibe calme, un peu désabusée. Il est beau aussi, faut pas se mentir. Mais c'est bizarre, j'ai jamais osé photographier un mec avant. Les filles, oui. J'adore capter leurs regards, leur force, leur douceur... Mais là ? C'est différent. Plus brut. Plus... dérangeant ?

Je crois que je rougis, alors je fixe mes pieds. Ena, elle, éclate de rire. Son rire est franc, sans filtre. C'est comme un petit rayon de soleil qui perce le brouillard du matin.

Moi je l'aime, son rire. J'aime qu'elle soit là, qu'elle me ramène à moi. Je la regarde, un sourire en coin, un peu gênée, un peu heureuse. Et puis on continue d'avancer, deux filles un peu paumées au milieu de ce campus immense.

Je sens mon cœur battre plus fort. La cour est remplie de têtes nouvelles, de groupes déjà formés, de solitaires dans leurs écouteurs, de mecs au regard sûr d'eux, de filles bien apprêtées, de styles différents, de vibes différentes. Y'a un bruit de fond permanent, un mélange de rires, de baskets qui frottent le béton, et de musique qui s'échappe de je-sais-pas-où.

Ena se penche vers moi.

— Tu sens ?

— Quoi ?

— L'odeur de la liberté. Et de la bière chaude. Mais surtout la liberté.

— La....bière chaude ?

— Bah, ouais nan, la je sais pas. T'aurais pu te taire et faire genre t'avais compris ! 

Je rigole, elle aussi, ça me détend un peu. Mais mon ventre reste tendu.

On repère notre bâtiment, et juste devant l'entrée, un mec en débardeur et short de sport fait des pompes au sol, au calme. Genre... vraiment. Je ralentis, Ena s'arrête.

— Oula, c'est le cirque ?

— Dis pas ca, Ena !

Enfin bon, je suis surprise aussi.. Je crois ?

— Yo mec ! Tu bloque le passage mon vieux ! Dit Ena, un peu comme un mec.

Jack relève la tête au même moment, nous repère, se redresse d'un bond et nous balance un sourire ultra-bright.

— Salut les meufs ! Vous êtes en photo ? 

Il pointe mon appareil avant de continuer..

— J'peux poser pour vous si vous voulez, j'ai un profil parfait. C'est pas moi qui le dit, c'est mon miroir.

Ena éclate de rire. Moi je rougis un peu, mais je souris.

Il s'approche, tend sa main, sans aucune gêne :

— Jack. 100% muscle, 30% amoureux de toi, 60% fun.

Je serre sa main, un peu prise de court.

— Bella. 100% anxiété, 70% sarcasme, 30% caféine.

Il rit. Il me plait bien. Pas en mode love interest, mais genre... l'énergie. C'est cool.

— Enchanté, Bella. dit-il avec un clin d'œil, puis se tourne vers Ena. Et toi, la grande bouche, t'as un nom ?

— Ena. Et t'as de la chance que j'aime les mecs avec un humour à deux balles.

— Parfait. J'en ai un stock illimité. Tu verras, ça vient avec les abdos.

Il pose sa main sur son ventre, genre "regarde-moi ce chef-d'œuvre", et contracte à moitié. Ena fait mine d'être impressionnée. En réalité, ca lui aurait plus si ca avait été une jolie femme.

— Wouah. Un vrai monument national.

— Tu vois ? Enfin quelqu'un qui reconnaît mon talent.

Moi, je suis là, l'appareil en bandoulière, un peu dépassée par leur ping-pong verbal, mais je souris. Jack est bruyant, mais pas lourd. Et surtout pas idiot.

— Sérieux, t'es vraiment en train de faire des pompes devant l'entrée d'un bâtiment universitaire ? je demande.

Il hausse les épaules.

— J'savais pas quoi faire en attendant. J'aime bien occuper le sol. C'est stable. Et puis ça attire les meufs stylées, visiblement.

Il nous regarde l'une après l'autre, un sourire au coin des lèvres. Il bluffe, mais pas de façon crade. C'est juste sa manière à lui de dire bonjour au monde.

— Vous entrez en photo ? Première année ? demande-t-il.

— Ouais, on vient juste d'arriver. répond Ena.

— Cool. Bienvenue dans la jungle. Moi c'est cursus sport. Mais on va sûrement se recroiser, ici tout le monde traîne un peu partout.

Il fouille dans sa poche, sort un chewing-gum, en propose.

— Vous voulez ?

— Non merci. je réponds.

— J'en veux bien un ! dit Ena.

Il lui tend, puis reprend :

— Si jamais vous vous perdez dans les couloirs ou dans les emplois du temps à rallonge, j'suis pas un GPS mais j'peux faire la blague.

— Merci, mec. C'est noté. Approuve t-elle le ton léger.

J'aime bien son énergie à Jack. Elle est brute, mais solaire. Du coup, je serre la main d'Ena, respire un bon coup, et me tourne vers lui avec un petit sourire.

— On s'échange nos réseaux ?

Son visage s'éclaire direct, genre ampoule à pleine puissance.

— Grave ouais !

Il dégaine son téléphone en deux secondes, tape vite fait, puis me tend son Insta. Je jette un œil. Il a un golden retriever trop mims, y'a une photo de lui en hoodie avec le chien en mode "meilleur duo de l'année". J'me retiens de scroller comme une stalkeuse, je le rentre juste dans mes contacts.

— C'est bon, t'es ajouté. Prépare-toi à te faire stalker sévère.

Il rigole, un rire franc, un peu bordélique mais charmant.

À côté de moi, Ena lève un sourcil, faussement choquée.

— Attends... C'est bien la première fois que tu demandes à un mec son Insta, toi ! C'est officiel, ma Bella grandit trop vite !

Je roule des yeux, un peu gênée, mais je souris.

— C'est juste un réseau, pas une demande en mariage.

Jack, lui, balance un clin d'œil.

— Ou alors c'est le début d'une grande histoire d'amitié... ou plus si affinités.

— Nope, vote clos. T'es validé en "pote stylé".

On rigole tous les trois, et pour la première fois depuis ce matin, j'me sens un peu plus légère.

Et dans un élan chelou de curiosité, je sais même pas pourquoi je fais ça... Je me penche vers Jack, sors la photo du gars que j'ai prise plus tôt et lui tends mon appareil.

— Tu sais c'est qui, lui ? Je demande juste comme ça, hein. Va pas t'imaginer des trucs.

Il attrape l'appareil doucement, genre avec précaution, et me jette un petit regard en coin, presque complice.

— Hmm... Ouais. Ça, c'est Théodore. Il est en archi. En Master j'crois, j'sais plus trop. Pourquoi ? T'es sûre qu'il te plaît pas... juste un tout petit peu ?

Je roule des yeux, un peu rouge.

— Non ! Non, franchement. C'est juste qu'il a une gueule... genre, photogénique, tu vois ?

— Mouais. Pour être honnête, y a mieux comme mec. C'est pas pour me vanter hein, mais bon. Theo, il est sympa, c'est mon pote, mais il est chelou parfois. Genre... très dans sa tête.

Je lève un sourcil.

— Ton pote ?

Il hausse les épaules.

— Ouais, on traîne pas ensemble H24, mais on s'est capté à des soirées, on s'entend bien. Il est clean. Juste... pas le plus simple à cerner.

Je jette un œil à la photo, puis à Jack. J'sais pas pourquoi, mais les deux dans la même phrase, ça me fait bizarre.

— Bizarre... j'aurais jamais deviné que vous étiez potes.

Il sourit.

— T'inquiète, y a plein de trucs que t'as pas encore deviné ici.

Je lui souris en retour et range mon appareil. Un coup d'œil rapide à mon téléphone.

— Merde, on va être à la bourre. C'est notre premier cours, faut qu'on trace !

Je serre la main d'Ena et on file vers notre bâtiment. En passant, je jette un dernier regard vers Jack et lui fais un signe.

— À plus, Mister Muscle !

Il me répond avec un clin d'œil. Ce mec est une vibe.

À peine tourné les talons qu'Ena me sort, voix moqueuse à fond :

— Ouuuuh... Alors Bella, tu prends les devants maintenant ? Tu veux pécho du mec cette année, c'est ça ?

— Non mais ENA ! Stop... sérieux, c'est trop la looose ce que tu racontes.

— Oh, allez ! Sois pas comme ça ! Faut ouvrir ton petit cœur ! Accepte l'amouuuur, Bella ! Accepte-leeeuh !

J'éclate de rire et la pousse un peu en rigolant, puis je plaque mes mains sur sa bouche pour l'empêcher d'en dire plus.

— Je t'en supplie... Ena, aie pitié de moi !

Elle me regarde, les yeux plissés de malice, genre t'as rien vu encore.

On entre dans l'amphi, un grand machin froid avec des néons moches et des chaises qui grincent. Génial. Les étudiants sont déjà là pour la plupart, éparpillés, les yeux rivés sur leurs téléphones, des cafés à la main. J'essaie de repérer un spot potable. Pas trop devant, pas trop au fond. Ena, elle trace direct au milieu comme si elle était chez elle.

— Là, viens, y a de la place.

Je la suis sans broncher, mais je sens les regards. Pas méchants. Juste... tu sais, l'observation.

Je sors mon carnet, un stylo, je m'installe. Je respire un peu mieux. Ena s'est déjà affalée, jambes croisées, chewing-gum dans la bouche comme si elle attendait une séance de ciné.

Et puis soudain, je l'entends :

— Pff... y en a déjà qui se prennent pour des artistes.

Je tourne la tête. Une fille, super bien fringuée, brushing de magazine, ongles parfaits. Elle fixe mon appareil photo avec un sourire un peu trop poli.

— C'est cool, hein, les réflex. Mais ça fait pas tout, tu sais ?

Je la regarde. Elle me connaît pas. Mais elle a décidé que j'étais sa cible.

— J'espère que t'as un bon œil, parce que le matos, c'est pas ce qui fait la photo.

Elle me balance ça avec une voix mielleuse. Ena la grille direct :

— Et toi, tu viens avec ta mauvaise énergie dès le matin ? C'est quoi ton problème ?

— Aucune mauvaise énergie, je dis juste les choses.

Elle hausse les épaules, comme si elle s'en foutait. Puis elle se tourne vers la fille assise à côté d'elle et lui chuchote un truc qui les fait rire. Super. Ça agace Ena, et ça se voit direct. Elle se redresse un peu, la voix grave et les yeux plissés comme un chat prêt à griffer :

— Répète un peu ce que tu viens de dire, grognasse ? J't'ai pas entendu m'insulter.

Aïe. Là c'est Ena version flippante. Celle qu'il vaut mieux pas chercher. Je me tends, prête à la calmer, mais trop tard, c'est sorti.

La grognasse lève un sourcil genre "je suis au-dessus de ça", mais elle dit rien. Pas besoin.

Parce que soudain, un mec se penche par derrière elle. Grand, brun, genre pas rasé depuis trois jours, avec une voix grave et calme. Il parle dans le creux de son cou comme s'il voulait pas déranger, mais ses mots claquent net :

— Pas de ça dans mon cours, merci.

Elle sursaute, moi aussi. Il s'était glissé là sans bruit, genre ninja de la pédagogie. Il se redresse doucement, nous regarde, puis regarde Ena.

— On se concentre sur l'image, pas sur les clashs. OK ?

Ena le fixe, bouche entrouverte. Elle allait répondre un truc sec, je le sens, mais au lieu de ça elle lâche juste :

— OK, chef.

Le prof sourit légèrement, mais c'est pas un sourire doux. C'est plus un "j'ai vu bien pire que vous" dans le regard.

— Bien. Maintenant que c'est clair... on peut commencer ?

Il traverse la salle en quelques pas et se plante devant le bureau.

— Je m'appelle Monsieur Moreau. Vous pouvez m'appeler Charles. Et non, je ne suis pas là pour vous apprendre à faire de jolies photos. Je suis là pour vous apprendre à raconter avec la lumière. À capturer ce que vous ressentez, pas juste ce que vous voyez.

Je prends mon carnet et j'écris son nom. Charles. Ça claque. Mais mes yeux glissent vite vers Ena. Elle s'est calmée, genre en surface, mais je vois ses doigts crispés sur son stylo. L'autre connasse à côté, elle, a croisé les jambes comme si elle était en shooting pour Vogue et elle le fixe avec des yeux de chaton en chaleur. Classique.

Je scrute le prof, sans gêne. Il est canon, faut être honnête. Un genre de beauté discrète, pas du tout prof cliché, un peu fatigué, un peu trop classe, genre t'as envie de savoir ce qu'il écoute comme musique quand il est seul. Y a une vibe.

Mais j'dois rester focus. C'est pas le moment de fondre pour un mec, encore moins un prof. Je veux être la meilleure. Pas celle qui fantasme en cours d'intro.

Alors je participe. Dès qu'il pose une question, je tente ma chance. Pas pour me faire remarquer, juste pour... être là. Exister. Marquer mon territoire. Il passe près de moi, je sens son parfum. Un mélange de café fort et de cuir. Putain, j'ai envie d'un latté. Maintenant.

Mon cerveau déraille.

Et là — boum :

— Concentre-toi.

Sa voix, juste là. J'ai sursauté. Littéralement.

Il s'est penché à côté de moi, une main sur le bord de ma table, les yeux dans les miens. Il l'a vu, mon regard qui déviait, mes pensées qui partaient en latte fumant.

— T'es bonne élève. Reste concentrée.

Puis il se redresse et repart. Comme si de rien n'était.

Je reste figée. J'ai chaud. Ena me jette un regard, genre t'as vu ce que j'ai vu ?

— Oh. My. God. souffle-t-elle, mi-choquée mi-morte de rire.

J'arrive pas à parler. Tout ce que je ressens, c'est un mélange de honte, d'adrénaline et de putain de curiosité.

Ce prof va me rendre dingue. 

Dès qu'il nous libère, je ramasse mes affaires à la vitesse de la lumière. Ena m'attrape par le bras 

— Tu vas où comme ça ? T'as un date avec ton latté ?

— C'est pas un latté, c'est une urgence vitale, ok ?

Elle rit, mais me suit. On sort du bâtiment, je respire mieux. J'avais pas remarqué à quel point ce cours m'avait crispée. Entre l'autre peste, le prof beau gosse qui sent le café et me grille direct quand je me dissocie, et mon besoin de faire bonne impression... C'est beaucoup.

Le coffeeshop universitaire est blindé, évidemment. On se glisse dans la file. Ena sort son tel, commence déjà à stalker les gens de la classe.

— Attends, c'est quoi son blaze à la blondasse ? Je veux la retrouver, j'ai besoin de savoir si elle est team influenceuse ou juste une connasse old school.

— Ena...

— Bah quoi ? J'ai le droit de faire mes petites enquêtes.

Moi, je fixe le menu. J'ai envie de TOUT.

— Je vais prendre un latté avec un max DE CREME. Sinon mon cerveau va reboot.

— T'as le regard de quelqu'un qui a vu Dieu. me glisse Ena avec un sourire narquois.

Je la regarde, blasée.

— J'ai vu Charles, nuance.

— Aaaaah. Ça y est. Elle dit son prénom.

— Ferme-la, j'ai faim.

On prend nos cafés et on s'installe dehors, sur les marches en béton. Je sors mon appareil, regarde les quelques photos prises ce matin. Y a celle du mec, Théodore. Je zoome un peu. Il a le regard flou, capté dans l'instant, les ombres jouent sur son visage. Ça rend bien. Trop bien.

— Hey... dit Ena doucement, en regardant l'écran.

— Ouais ?

— T'as un vrai truc, tu sais ? Genre, c'est pas juste joli, on dirait qu'on entre dans sa tête. T'es faite pour ça.

Je baisse les yeux. Ça me touche plus que je l'aurais cru.

— Merci...

Soudain, une voix résonne, encore.

— C'est vrai, ça...

Je sursaute à moitié. Encore lui. Ce prof trop sexy pour exercer. Il est debout sur la marche à côté de moi, café dans une main, clope dans l'autre, le regard complètement plongé dans ma photo. Il a un truc... très sexy. Froid. Genre "je suis ton prof, pas ton pote". C'est clairement un petit fantasme, faut pas mentir.

Je sens mes joues chauffer. C'est gênant. Genre... vraiment.

— Merci. je souffle.

— C'est qui cette jeune, Charles ?

Y'a un autre prof juste à côté de lui. Plus vieux, la quarantaine peut-être, une vraie dégaine de cinéaste un peu blasé.

Charles sourit à peine, mais ses yeux brillent.

— Notre future star. Bella, c'est ça ?

Il prononce mon prénom. Et je sais pas si c'est dans ma tête, mais ça sonnait genre... sensuel. Je me redresse d'un coup, comme si ça allait m'aider à reprendre le contrôle de mon corps tout entier en train de fondre.

— Oui, Bella. Enchantée.

— Bella, voici Monsieur Maillard, ton professeur de travaux pratiques. C'est avec lui que tu découvriras l'argentique.

Je serre la main qu'il me tend, un peu nerveuse, mais excitée aussi.

— J'ai hâte ! C'est pas un truc que j'ai encore pu expérimenter, alors... ouais, je suis super enthousiaste à l'idée d'apprendre !

— C'est bien. répond Charles.

Putain. Il l'a dit en mode good girl. Et moi, je fonds. C'est trop.

— J'aime l'enthousiasme que tu as pour mon cours, Bella. ajoute Monsieur Maillard. J'ai hâte de te voir à l'œuvre.

Je souris. Grand. Peut-être un peu trop.

Et alors qu'ils s'éloignent, toujours en train de discuter, je reste là, debout, encore en feu à l'intérieur. Je me retourne vers Ena, le cœur qui bat encore un peu trop vite.

Et là... je dis une dinguerie. Un truc que j'aurais jamais osé sortir avant. Pas à voix haute. Pas à Ena. Pas ici.

— Tu crois qu'il baise ? Charles, je veux dire. Tu crois qu'il prend ses élèves sur son bureau ?

Ena manque de recracher son café. Elle tourne vers moi ses yeux énormes, genre "pardon ?"

— T'as dit quoi là ?

Je hausse les épaules, genre nonchalante, mais je suis déjà en train de brûler de l'intérieur.

— Bah quoi ? J'veux dire... il est sexy. Et son petit "c'est bien" là... sérieux... il le sait.

Ena me regarde comme si j'étais possédée. Puis elle explose de rire, genre un vrai cri du cœur.

— J'en suis sûre, meuf. J'en suis même persuadée. Ce mec a déjà niqué avec une étudiante dans une chambre noire. Minimum.

— T'as l'image ou pas ?

— Pire. J'ai le court-métrage complet.

On se marre comme des ados en chaleur, ce qu'on est un peu, soyons honnêtes. Et ça fait du bien. C'est nouveau, gênant, excitant. Et putain... je crois que j'aime bien ce genre de version de moi.