XXXVI

Le bruit du clapot vient rythmer le silence alors que je suis assis sur le pont du bateau avec en main, une des ces "plantes médicinales". Je l'observe longuement. Comment est-ce que j'en suis arrivé là ? Pourquoi est-ce que je suis là ? Pourquoi je continue à les suivre et à combattre ces monstres ? Je reste là, à chercher des réponses à mes questions dans mon coin. Un jeune membre de l'équipage du navire arrive sur le pont avec un seau d'eau et se met à nettoyer le sol le tout en me jetant un petit regard haineux.

Bûth : Ça va ?

La voix de l'orc me sort de mes pensées alors qu'il vient s'asseoir à côté de moi.

Jules : Ouai, ça peut aller.

Son regard glisse lentement pour se concentrer sur ce qui est entre mes mains.

Bûth : Qu'est ce que c'est ?

Je tente de cacher les plantes discrètement avant de les ranger dans une bourse en cuir.

Jules : Oh, ça ? C'est rien...

Il me regarde, intriguer.

Jules : Sinon, où sont les autres ?

Bûth : Avenal, Nounou et Geno sont partis depuis un moment et je pense même qu'ils sont déjà sur l'île.

Jules : J'espère que ça va bien se passer pour eux.

Bûth : On ne peut qu'espérer… Tu m'a l'air bien mélancolique ces temps-ci.

Jules : Qu'est ce qui te fait dire ça ?

Il se replace de manière à être assis confortablement.

Bûth : T'as l'air d'avoir plus de problèmes depuis quelque temps et j'ai l'impression que ça t'affecte énormément. C'est comme si le Jules que j'avais connu au tout début n'est plus celui qui est assis à côté de moi.

Des problèmes... 

Bûth : Mais tu n'es pas le seul dans ce cas là, on est tous pareil dans cette escouade.

Jules : J'ai pas l'impression.

Bûth : Ça saute aux yeux pourtant. On a tous un problème et c'est pour ça qu'on est membre de la guilde. On l'a tous rejoint pour affronter ce problème qu'on a en chacun de nous. C'est notre motivation, notre espoir...

"Un soldat sans espoir est un soldat mort, retiens ça". Je souris en y repensant, Geno avait raison. Il a toujours eu raison, pour n'importe lequel de ses actes… Après tout, il a de l'expérience et c'est pour ça qu'il arrive à facilement nous discerner… Il a été chasseur avant nous...

Jules : Et toi, c'est quoi ton "espoir" ?

Bûth : retrouver mon grand frère. C'est pour ça que je suis un chasseur, j'espère qu'en voyageant, je pourrais le retrouver ou au moins trouver une trace de lui.

Jules : Ça fait combien de temps que tu ne l'as pas vu ?

Il penche la tête en arrière et soupire.

Bûth : Longtemps… Mes parents vivaient avec moi et mon frère dans un petit village composé d'orcs, lorsque je n'étais qu'un bébé… Et un jour, des humains sont venus massacrer tous les habitants. Mon frère s'est enfui avec moi, laissant mes parents derrière.

Il observe son artefact qui est greffé dans le creux de sa main.

Bûth : Il a ensuite sceller le mana de mon père dans cet artefact et l'a greffé à ma peau avant de me laisser dans un orphelinat reculée du royaume. Il m'a abandonné dans cet orphelinat sans rien me dire...

Jules : Tu ne lui en veux pas ?

Il détache son attention de l'artefact et se met à sourire.

Bûth : C'est étrange mais je pense que le fait qu'il m'est placé dans un orphelinat m'a apporté pas mal de bonnes choses. J'ai eu une sorte de "mère" qui m'a aimé comme j'étais malgré le fait que je sois un orc et j'ai pu apprendre à vivre avec des humains, chose qui aurait été beaucoup plus difficile.

Jules : Pourtant les humains ont quand même tué tes parents.

Bûth : Ce n'était pas les mêmes... A part quelques uns qui continuent à nous détester, la majeure partie d'entre vous est habituée et vous nous considérez presque comme vos semblables.

Jules : Je vois… Tu pardonnes vite les gens.

Bûth : Seulement les gens qui sont dignes de pardon… Après, il y a une seule chose que je ne pardonne pas à mon frère et c'est cette chose qu'il a mis dans ma main. Même si cet objet me donne plus de liberté pour manier mon mana, elle me fait revivre des souvenirs de ce qu'ont subi mes parents. Et c'est à cause de ces visions que je ne le pardonne pas...

Des visions...

Trish : Vous faites quoi ici ?

Elle arrive vers nous, accompagnée du capitaine du bateau. C'est un homme assez âgé avec une barbe blanche qui recouvre son visage marqué par l'âge.

Jules : On discutait de tout et de rien, et toi ?

Elle s'assoit elle aussi à côté de moi tandis que le capitaine s'appuis contre le bord en bois du bateau et regarde au loin.

Capitaine : On discutait tous les deux, en tant que vieille connaissance, j'avais deux ou trois choses à lui dire...

Jules : "Vieille connaissance" ?

Trish : C'est une longue histoire.

Le capitaine me lance un léger regard.

Capitaine : C'est toi qui a ce fameux "mana instable" ?

Jules : Je ne suis pas le seul à en avoir.

Ils sont vraiment en train de le dire à tout le monde ?

Jules : Et comment ça se fait que vous êtes au courant ?

Capitaine : Je te rappelle que vous êtes sur mon bateau, donc je me dois de connaître ceux qui montent à bord et d'être au courant de ce qu'il s'y passe.

Il se tourne vers le jeune mousse qui nettoie le pont.

Capitaine : C'est bon, c'est assez propre ici, va nettoyer autre part. Le bateau est assez grand pour que tu puisses nettoyer autre chose.

Mousse : Oui mon capitaine !

Il reprend le seaux d'eau et nous lance un regard assez méfiant avant de partir.

Capitaine : Et puis, sachez que vous êtes important pour moi. Là où beaucoup seraient prêt à vous dénoncer au prêt de la papauté ou une quelconque entité ayant un peu de pouvoir politique au moindre faux pas, moi je serais prêt à vous protéger car je vous admire... Je vous comprend très bien, mes parents étaient tous les deux d'anciens chasseurs et même si je n'ai pas hérité de leur mana, j'ai hérité de leur éducation et pas celle de l'église. Ils m'ont ouvert les yeux sur votre importance dans cette société. vous risquez votre vie pour nous protégé et je vous remercie pour ce que vous faites...

Je mets à observer les planches qui servent de sol. Il y a quelque chose qui me tracasse, comment ça se fait qu'il connaisse Trish ? Je le regarde à nouveau. Mes yeux s'écarquillent lorsque je remarque que sa tête est détachée de son corps et que je le vois tomber à mes pieds, inerte. Je sursaute, pris de peur par ce que je viens de voir, juste avant qu'une main se pose sur mon épaule suivit d'une voix d'homme.

Voix : Ça va ?

Je regarde la personne qui a posé sa main sur mon épaule et j'aperçois le capitaine du navire, bel et bien vivant. Non… Non… C'est pas possible ! Il est pourtant mort devant mes yeux ! J'observe l'endroit où se trouvait le corps mais celui-ci a disparu. 

Bûth : Jules, ça va ?

Je ne réponds pas directement, toujours sous le choc.

Jules : Oui… Je… Je vais prendre un peu de repos.

Je me lève et m'éloigne d'eux de manière à ne pas être vu. Une fois à l'écart de tout regard, je prends une plante et la mâche longuement avant d'avaler le jus.

Voix : Tu penses vraiment que ces plantes seront plus fortes que moi ?

Je ne sais pas, mais je dois essayer... C'est alors que je le vois apparaître devant moi.

Sosie : Eh bien sache que tu fais le bon choix, les prendre ne te soulagera pas totalement, mais ça peut t'aider.

C'est alors que d'un coup, il regarde les trois autres discuter.

Voix : Je crois que notre discussion ne va pas être très longue cette fois-ci mais sache que les ténèbres se resserrent autour de toi.

Jules : Hein ?

Surpris, je regarde aussi dans la même direction que lui et je vois Trish qui arrive vers moi. Je remarque aussi qu'il a disparu.

Jules : Pourquoi viens-tu me voir ?

Trish : Je viens t'aider parce que tu ne t'en sortira pas seul si tu reste comme ça.

Jules : M'aider ?

Elle a raison… 

Trish : Je sais que tu ne veux pas être un poid pour les autres et je te comprends. J'ai été dans la même situation que toi, moi aussi je ne voulais pas tirer les autres vers le bas et tu as été le seul à t'en apercevoir, tu as été le seul à m'aider. Actuellement, je suis la seule à savoir ce que tu as et pourquoi tu agis comme ça, donc je t'en prie, laisse moi t'aider à mon tour. Si tu ne veux pas de l'aide des autres, accepte au moins mon aide… Laisse-moi te sauver de cette folie qui s'installe en toi.

"j'ai toujours cette dette envers toi", je ne sais pas si elle semble vouloir la régler en faisant ça, mais une chose est sûr, c'est que ses paroles viennent vraiment du coeur. C'est alors qu'elle me prend par la main pour m'emmener à l'arrière du navire, de là on peut voir le port de Sanlow au loin. Le bruit du clapot contre la coque et le soleil de fin de matinée rend l'ambiance très calme. Je commence à oublier ce qu'il s'est passé juste avant. J'oublis tous ces problèmes pour me reposer… Ou alors… Oui, en fait ce n'est pas ça qui me repose, c'est sa présence, la présence de Trish. À chaque fois, sa présence m'a calmé.

Jules : Pourquoi tu m'a emmené ici ?

Trish : Pour profiter de ce moment, je trouve que c'est un endroit très reposant…

Elle a un regard apaisé, pointant vers la mer. J'ai besoin d'elle pour m'en sortir... Il faut juste qu'elle ne tombe pas avec moi dans cette folie.

Jules : D'ailleur, je peux savoir pourquoi vous vous connaissez ?

Elle soupire et ne répond pas.

Trish : Je ne pense pas que le moment soit venu de te le dire.

Après quelques heures à chasser les parasites dans l'immense forêt de l'île. Avenal, Geno et Nounou s'étaient un peu éloignés d'Ode pour le repas du midi. Cette dernière est concentrée à écrire ses observations sur de nombreuses feuilles et ne remarque pas que les trois autres l'ont laissée seule. Pendant quelques minutes, Geno leur a expliqué ce qu'il comptait faire pour les prochains jours et…

Nounou : Quoi ?!

Avenal : Evite de crier, si on s'est mis à l'écart c'est pour éviter qu'elle nous entende… 

Nounou : Mais… Tu te rends compte de ce que tu comptes faire là ?

Geno : Oui, j'en ai longuement parlé avec Faucheur et ça se tient.

Nounou : Et comment vous allez mentir à la guilde ? Comment vous allez faire s' il y a des témoins ?

Geno : On dira juste que c'est un accident et pour les témoins on aura pas d'autres choix que de les éliminer. Je sais qu'elle fait juste son travail mais on ne peut pas laisser notre secret tomber aux mains de la guilde, je pense savoir ce qu'ils comptent en faire et si ça se révèle vrai, il y a aura d'énormes pertes.

Avenal : Mais ce n'est qu'une hypothèse.

Geno : Je sais, mais mieux vaut ne pas prendre de risque en jouant avec le futur.

Avenal : Tu n'as pas tort…

Geno se tourne ensuite vers la peluche. Celle-ci continue de réfléchir avant de rendre son verdict.

Nounou : Putain… Pour le coup, je ne vois pas d'autres solutions…