Chapitre 44 : Fin Février 1568

Après avoir terminé la leçon sur les poulpes, Shizuko leur enseigna comment tuer les pieuvres et les poissons.

Cela n'était pas nécessaire pour les petits poissons, mais la leçon rendait les poissons de moyenne et grande tailles plus faciles à gérer et permettait d'éviter de causer des dégâts à leur chair.

"On va maintenant fileter et faire sécher les chinchards. On enlève les entrailles, on ouvre le poisson, on le trempe dans l'eau de mer pendant un moment puis on le fait sécher toute la nuit."

"C-Compris."

Shizuko montra aux pécheurs comment faire sécher les poissons.

Non loin d'eux se tenaient les umamawari de Shizuko : Keiji, Saizō et Nagayoshi.

"Eh ben, notre petite dame en sait, des choses. Je me demande bien qui est son professeur."

"Shizuko-sama est certes la conseillère du clan Oda, mais comment a-t-elle acquis de telles connaissances à un si jeune âge ? Je suis moi aussi curieux."

Keiji et Saizō regardaient Shizuko donner ses leçons tout en observant attentivement leurs alentours.

Elle n'était une experte ni en pêche ni en cuisine, alors il était difficile de dire si elle était douée pour faire sécher les poissons.

"On va également faire sécher les crevettes, mais ne jetez pas leurs carapaces. On va les faire sécher aussi. On va garder la viande intacte, mais les carapaces seront réduites en poudre au moulin."

"Compris."

Shizuko tourna en rond autour des villageois qui travaillaient en groupes et leur donna des instructions.

N'importe qui pouvait voir qu'elle était occupée, mais Keiji et Saizō ne pouvaient pas l'aider. Tout ce qu'ils pouvaient faire, c'était l'accompagner.

Rester derrière ne ferait que la gêner, alors ils avaient décidé de garder sur elle depuis un endroit où ils pouvaient tout voir.

"Il faut également laver et faire sécher les entrailles des poissons. On s'en servira pour faire un engrais... ah, il faut d'abord faire un compost végétal. Les cultures plantées ici sont le daïkon, le poireau et..."

"Hum, on dirait que notre dame va continuer pendant un bon moment."

Ils pouvaient entendre Shizuko de loin, et il semble qu'elle était loin d'avoir terminé.

"Je vais aux toilettes."

Sur ces mots, Keiji se retira en faisant un signe de la main.

Environ un quart d'heure plus tard, il revint avec un air rafraîchi et une lance qu'il n'avait pas emmenée avec lui lorsqu'il était parti.

"T'es en retard."

"Il y avait une foule. Si tu veux y aller, tu dois partir tôt."

Keiji répondit à Nagayoshi d'un ton léger.

En revanche, Saizō, qui se tenait de l'autre côté, lui murmura avec un air sérieux.

"Trois ?"

"Nan, deux."

Puis Keiji se tourna vers Nagayoshi.

"Katsuzō, dis à Shizucchi qu'[il faut vite rentrer]."

"Pourquoi c'est à moi de faire... bon, bon, d'accord, je vais le faire, mais arrête de sourire comme ça !"

Nagayoshi se plaignit, mais lorsqu'il vit Keiji s'approcher de lui en grimaçant, il prit rapidement ses distances.

Il savait que lorsque Keiji faisait cela, il avait généralement quelque chose de malsain en tête.

Il en avait personnellement fait l'expérience.

"Tch..."

Nagayoshi se dirigea vers Shizuko en se plaignant.

Lorsque Nagayoshi arriva aux côtés de Shizuko, Keiji parla à Saizō.

"C'était quelqu'un de l'intérieur, il était probablement agacé par le succès de Shizucchi et attendait qu'elle fasse une gaffe."

"Il y a des gens comme ça partout."

"Quand quelqu'un est apprécié par son maître, il est victime de ce genre de jalousie au moins une fois. Mais bon, je m'en suis occupé."

"Nous devons faire preuve de prudence pour le moment. Ou alors nous pourrions délibérément faire parvenir cette histoire aux oreilles du seigneur tout en exagérant les faits."

"Ah, si on fait ça, le seigneur Oda sera vraiment furieux, je donnerais pas cher de la peau du coupable et de sa maison."

Sans l'ombre d'un doute, murmura Saizō en hochant silencieusement la tête.

***

En mi-mars, les paysans choisis par Nobunaga se mirent en route vers les villages qui leur avaient été désignés.

Dans le monde moderne, cela s'appellerait un déménagement. Mais contrairement à l'époque moderne, ils n'avaient pas choisi le lieu où ils allaient vivre.

En échange, ils avaient reçu un maison dans laquelle habiter, des vêtements et de la nourriture. Ils avaient également reçu une somme d'argent raisonnable en frais de préparation, alors ils n'étaient pas dans une situation où ils devraient immédiatement se soucier de la nourriture.

De plus, des arrangements avaient été faits pour qu'ils puissent emmener leurs familles avec eux. Shizuko se demanda si cela était une rédemption pour les avoir empêchés d'amener leurs enfants et leurs parents durant l'année précédente.

Mais je m'attendais pas à ce qu'il prenne 50 habitants de mon village... me voilà revenue à la première année, haaa.

Les cinquante paysans et leurs familles qui avaient été ajoutés au village de Shizuko durant la deuxième année lui avaient été retirés.

La diminution soudaine de la population du village allait entraîner une baisse drastique des tributs, mais Nobunaga avait probablement pris cela en compte.

La mobilisation des cinq cent soldats avait pris plus de temps que prévu.

Shizuko avait demandé la construction d'une zone de bacs à sable en plus de la caserne.

Elle voulait une piste de sable de 200 mètres de long sur laquelle environ cinq personnes pouvaient courir dessus et un grand bac à sable qui faisait 100 mètres de côté.

Le transport du sable avait pris du temps, il était estimé que la construction sera terminée vers mi-avril ou plus tard.

Cela n'était pas un problème pour Shizuko qui pensait qu'il valait mieux ne pas précipiter les choses. Le sable était lourd, et s'il était de bonne qualité, cela prendrait naturellement plus de temps.

À la fin de mars, un accord officiel fut enfin signé entre Owari et Mikawa.

Le projet de culture du coton à grande échelle entre les deux régions avait commencé.

La première réunion eut lieu au château de Kiyosu. Shizuko représentait Owari et Tadakatsu représentait Mikawa.

"Merci d'avoir fait tout ce chemin."

Shizuko s'inclina profondément face à Tadakatsu qui était assis de l'autre côté. Mais ce dernier ne donna aucune réponse, alors elle leva la tête.

Tadakatsu semblait confus, ou plutôt, perplexe. Alors que Shizuko se demandait si quelque chose d'étrange lui était arrivé, Saizō lui murmura à l'oreille.

"(Shizuko-dono, c'est probablement la première fois que Mikawa voit un tel arrangement des sièges. Moi-même, j'ignore quelles sont vos intentions, alors pouvez-vous expliquer à tout le monde ?)"

Ils étaient assis autour d'une table ronde occidentale, les jambes coupées pour la rendre plus basse, et divisés entre les groupes d'Owari et de Mikawa.

"(A-Aaah... pardon) Ahem... nous avons fait cet arrangement pour que chacun puisse exprimer ses pensées."

Shizuko se racla la gorge et dit ces mots en regardant Tadakatsu droit dans les yeux.

Le regard sérieux de celui-ci donna à Shizuko l'impression qu'il scrutait les profondeurs de son âme, mais elle continua de parler sans détourner le regard.

"Mon seigneur, Oda Kazusanosuke-sama, et le seigneur de Honda Heihachirō-sama, Tokugawa Jūgoige Mikawa-no-Kami-sama, ont formé une alliance. Une alliance dans laquelle ont une position égale... par conséquent, j'avais pensé qu'il était inutile de réfléchir à qui devrait s'asseoir sur la place d'honneur."

"... Nous sommes certes dans une alliance où nous sommes égaux, mais vous avez bien plus de talents, Shizuko-dono. Je n'ai pas d'objection à ce que vous preniez la place d'honneur."

"Dans ce cas, nous allons commencer par éliminer cette différence."

Tadakatsu et les autres représentants de Mikawa froncèrent les sourcils face aux paroles de Shizuko, mais il en était de même pour les hommes d'Owari.

Personne n'avait compris le sens des paroles de Shizuko. Celle-ci ne prêta aucune attention à leur confusion et fit signe aux pages qui attendaient dans la salle voisine.

Les portes coulissantes s'ouvrirent lentement et les pages entrèrent dans la pièce en portant des plateaux. Ils posèrent un plateau devant chaque personne et sortirent aussi calmement qu'ils étaient entrés.

Tadakatsu regarda son plateau. Il y avait une grande pile de feuilles posées dessus.

"Lisez."

Shizuko exhorta Tadakatsu à lire le tas de papiers. Celui-ci, bien que confus, se mit à lire.

"C'est..."

"C'est tout ce que je sais. Sur le coton, bien sûr."

Le tas de feuilles était des documents sur le coton.

Il contenait tout ce que Shizuko savait sur le coton, y compris des choses qui n'auraient jamais été découvertes durant l'époque Sengoku.

Mais il y avait un problème : il était si détaillé que personne, aussi bien chez Mikawa que chez Owari, ne comprenait ce qui était écrit.

Les yeux de Tadakatsu étaient grands ouverts tandis que Yasumasa et Masashige étaient sans voix. Tous les représentants de Mikawa étaient figés face aux documents entre leurs mains.

De même, le groupe d'Owari n'avait aucune idée de ce que Shizuko avait en tête.

Si Nobunaga ne leur avait pas ordonnés de [laisser Shizuko agir à sa guise], ils l'auraient tous questionnée sur ses intentions.

Ah... j'ai peut-être mis un peu trop de détails. J'ai juste copié le contenu du livre mot pour mot pour normaliser nos connaissances... mais on dirait que j'ai raté.

Voyant les regards remplis de divers émotions dans les deux camps, Shizuko sourit amèrement, réalisant que son plan avait échoué.

"... Shizuko-dono, puis-je vous poser une question ?"

Alors que Shizuko réfléchissait à une façon de se rattraper, une personne en cagoule du côté de Mikawa prit la parole.

"Avant tout, veuillez m'excuser. Je suis atteint d'une terrible affliction qui m'oblige à rester couvert pour ne pas infecter les autres."

"Ce n'est rien. Et donc, quelle est votre question ?"

"Même un rustre sans éducation comme moi peut comprendre que ces papiers contiennent des informations très détaillées. Je m'excuse pour mon impolitesse, mais votre absence d'hésitation à révéler de tels secrets soulève des questions."

L'époque Sengoku n'était pas une société où les informations circulaient librement comme aujourd'hui. Les artisans veillaient constamment à ce que leurs secrets ne soient pas divulgués.

Cela était du bon sens. Personne n'irait donner librement des informations à un allié comme le fait Shizuko.

La faction de Mikawa s'était demandée si elle avait remplacé les parties importantes par des fausses informations, mais les documents étaient beaucoup trop denses pour cela.

"... Combien de temps s'est écoulé depuis l'introduction des armes à feu au Hinomoto ?"

"E-Euh... désolé, je l'ignore."

"Le 25ème jour du 8ème mois de l'an 12 de l'ère Tenbun (24 septembre 1543)... ce qui nous fait environ 24 ans."

À ce moment-là, le groupe de Mikawa s'agita.

Les armes à feu avaient acquis une position solide parmi les armes utilisées durant la guerre.

Ils n'avaient pas pu cacher leur surprise en apprenant que les armes à feu ont été introduites au Japon il y a seulement 24 ans.

"Si les armes à feu n'ont eu besoin que de 24 ans pour se répandre dans tout le Hinomoto, c'est probablement parce que les techniques de fabrication ont été répandues par plusieurs personnes en même temps. En revanche, le coton n'est pas quelque chose qu'on peut facilement lier aux affaires militaires. Donc il nous faudra du temps pour le répandre dans tout le pays."

"... Je vois, c'est pour cela que vous avez décidé de faire une culture conjointe avec nous, votre allié. Mais cela soulève une nouvelle question."

"Laquelle ?"

L'homme en cagoule prit une grande inspiration et répondit en regardant Shizuko droit dans les yeux.

"Je ne comprends pas quels sont les avantages que vous tirez de cela. À en croire ces documents, la matière récoltée sur ces fleurs de coton pourrait avoir un statut égal à la soie et au chanvre. Si cela est vrai, il serait plus logique de le produire exclusivement chez vous. J'ignore pourquoi vous avez sauté cette étape et demandé directement une culture conjointe avec notre province."

"... J'ai plusieurs raisons. Cela permet d'éviter les révoltes et de réduire le nombre de décès d'enfants, mais cela demande également beaucoup d'espace."

"J'aimerais en entendre plus si cela ne vous dérange pas."

"Tout d'abord, comme je l'ai dit, il nous faut un terrain très vaste pour le cultiver. Nous nous en servons pour produire des vêtements, après tout."

"..."

"Ensuite, il y a la réduction du taux de mortalité infantile. Les vêtements faits en coton ont l'avantage d'être frais en été et chaud en hiver. À part la guerre, les causes principales de décès sont la faim, la maladie et le froid. Parmi ces trois, le [froid] est la cause la plus courante et peut être évitée si nous produisons des vêtements en coton en masse."

Tout au long de l'histoire, la mort due au froid était un phénomène courant dans toutes les régions du monde. Les bébés et les jeunes enfants, qui étaient de constitution fragile, mouraient en grand nombres chaque année à cause des épidémies et du froid.

L'un des cas les plus tragiques était une vague de froid qui avait tué 30 enfants dans un camp de réfugiés en une seule journée.

Et les civils n'étaient pas les seules victimes. Durant la guerre russo-japonaise, 200 soldats étaient morts durant un entraînement par temps froid et plus de 2 000 soldats étaient morts de froid au combat.

Cela démontrait à quel point le [froid] était menaçant même parmi les phénomènes naturels dont les humains se sentaient proches.

"Et pour finir, la prévention des révoltes... les gens se révoltent parce qu'ils ont des problèmes matériels tels que la nourriture, les vêtements et les abris. Si leur situation est stable, ils ne provoqueront pas de révoltes."

"Pourquoi ?"

"Parce qu'ils ne veulent pas perdre cette stabilité. Ils penseront que c'est idiot de renoncer à leurs maisons, leurs vêtements et leur nourriture pour lancer une révolte. Ils penseront plutôt que négocier calmement avec les autorités serait beaucoup plus constructif. Sauf si on les met complètement dos au mur, évidemment."

Même dans de pauvres conditions de travail, si un semblant d'ordre et de hiérarchie ont été établis, les gens devenaient étonnamment dociles et acceptaient ces mauvaises conditions.

En particulier les japonais, ils avaient tendance à être réticents au changement une fois qu'ils avaient trouvé un environnement stable.

"Fournir de la nourriture, des vêtements et un abri aux paysans est la méthode la plus sûre, mais aussi la plus difficile."

"(... Elle ne semble pas fomenter de plans malveillants) Je vois... votre plan est de créer un environnement pour la production en masse de coton pour contrer les révoltes. Je comprends. Merci."

L'homme en cagoule proféra quelques mots suggestifs face aux paroles de Shizuko.

***

Au final, comme Shizuko avait donné toutes ses connaissances en une seule fois au lieu de le faire en petites doses, le groupe de Mikawa était devenu méfiant et la réunion s'était terminée sans qu'il n'y ait eu de réel progrès.

Cependant, la culture conjointe était toujours approuvée et des gens ont été envoyés par les deux provinces pour construire le champ.

Pensant que le moindre mouvement imprudent de sa part risquait d'empirer la situation, Shizuko ne fit aucun mouvement particulier et continua de travailler calmement.

En raison de la première impression qu'elle avait donnée, le groupe de Mikawa se méfiait de Shizuko. Tadakatsu, en revanche, n'avait pas changé et recevait joyeusement des onigiris et des iburizuke de la part de Shizuko.

Yasumasa et Masashige étaient choqués, mais aussi impressionnés d'une mauvaise manière par son courage.

Le coton fut cultivé dans cette situation où certains étaient insouciants et d'autres étaient sur les nerfs.

Quelques temps plus tard, à la fin de mars, Shizuko sortit quelque chose de la cabane.

Cette chose avait une odeur vraiment forte. Shizuko avait beau s'être couvert le nez et la bouche avec un tissu épais, elle pouvait toujours sentir cette horrible odeur.

Urgh, il faut vite que je fasse ça. C'est le truc qui va déterminer la réussite ou l'échec des 3 prochaines années, alors je dois être motivée.

Après avoir pris des ingrédients d'un tas nauséabond, Shizuko passa quelques jours à extraire leur contenu.

Le jour où l'extraction fut terminée, vers midi, elle reçut la visite de Mori Yoshinari.

"On m'a informé que cette chose était terminée. Hélas, le seigneur est occupé, alors je suis venu à sa place."

"Je pense que la mixture est correcte... mais c'est ma première tentative."

"Ha ha ha, eh bien, si vous échouez... préparez-vous à subir le poing du seigneur."

Yoshinari sourit gentiment face à la réponse de Shizuko. Celle-ci, en revanche, était nerveuse.

Elle posa sa main sur son estomac alors qu'elle attendait que la mixture soit terminée.

Urgh... c'est la première fois que je fabrique du [salpêtre]... j'espère avoir réussi mon coup.

Elle avait passé trois ans à cultiver attentivement une montagne de salpêtre. Un étranger ne verrait rien d'autre qu'un tas de déchets dégageant une odeur atroce, mais si l'on suivait une procédure précise, il était possible de récolter du [salpêtre] à partir de ces déchets.

Normalement, la production prenait quatre à cinq ans, mais il était possible d'en récolter dès la troisième année. Du moins, en théorie.

Et la [poudre noire] se fabriquait en mélangeant du salpêtre. Si l'armée d'Oda pouvait produire son propre salpêtre, il aurait un avantage sur les armées des autres régions.

En raison de ces circonstances, Nobunaga avait originellement prévu de voir les résultats en personne ; hélas, ce jour-là, il avait des choses à faire en Ōmi.

Par conséquent, c'était son bras droit, Mori Yoshinari, qui était venu.

Au bout d'un moment, la poudre noire fut créée, et environ cinq ashigaru équipés de fusils s'alignèrent devant Yoshinari.

Ils s'inclinèrent profondément et se mirent en rang comme si cela avait déjà été arrangé. Un artilleur ordinaire avait besoin d'environ une minute pour faire feu avec son arme tandis qu'un mousquetaire expérimenté le faisait en près de trente secondes.

Une minute plus tard, l'un des ashigaru, prêt à tirer, appuya sur la détente. Une balle de plomb surgit du fusil à mèche.

Cela prouvait que le salpêtre de Shizuko était une réussite. Pour confirmer cela, les autres fusils avaient tiré les uns après les autres.

Il y eut au total 20 tirs, et aucun n'était raté.

"C'est une réussite."

Voyant Yoshinari hocher la tête avec satisfaction, Shizuko laissa échapper un grand soupir comme si un immense poids avait été retiré de ses épaules.

***

Au début d'avril, Shizuko se consacra corps et âme à son travail dans les champs, encore plus que l'an précédent.

Jusqu'à présent, elle s'était occupée de nombreux types de travaux, mais il y avait une raison pour laquelle elle s'était soudainement concentrée exclusivement sur les tâches agricoles.

Elle avait récemment offert en tribut du salpêtre qu'elle avait produit au fil de plusieurs années. La quantité, deux cents kilos, était tout simplement stupéfiante.

La quantité de poudre utilisée pour tirer avec un mousquet était de trois à cinq grammes par coup. Malgré cette faible quantité, chaque tir coûtait environ 600 yens selon les prix du monde moderne.

La poudre noire était composée d'un mélange de salpêtre (oxydant), de soufre et de charbon de bois (combustibles). Il n'y avait pas de salpêtre à récolter au Japon, alors ils devaient l'importer du Nanban, et les frais de transport augmentaient considérablement son prix.

Être capable de produire son propre salpêtre, un élément essentiel à la fabrication de poudre à canon, était donc une avancée majeure. Cela réduisait les coûts d'approvisionnement, diminuait la dépendance aux étrangers pour du matériel militaire stratégique, et permettait d'utiliser une quantité abondante de munitions pour renforcer l'entraînement sur le terrain.

En plus de cela, elle avait également réussi à augmenter la production de sel. La nouvelle méthode était bien plus efficace que l'ancienne (les marais salants en forme de criques) et nécessitait moins de main-d'œuvre qualifiée, ce qui lui valait d'être hautement appréciée.

Les salines en forme de crique, bien que d'apparence simple, demandaient beaucoup de labeur, beaucoup de personnel, ainsi qu'un savoir-faire technique éprouvé.

Il y avait un proverbe qui disait « Trois ans pour puiser l'eau de mer, dix ans pour l'épandre » : il fallait une grande quantité d'expérience pour répandre équitablement l'eau de mer sur les marais salants.

En comparaison, les salines de type ruissellement utilisaient le soleil et le vent pour gérer le dur labeur qui devait être fait par des humains. L'extraction de la saumure concentrée s'effectuait simplement en faisant s'écouler de l'eau de mer et en la laissant sécher naturellement sous l'effet du climat.

Avec des équipements bien conçus, il devenait possible de récolter du sel tout au long de l'année. Plus besoin d'épandre l'eau de mer uniformément ou de transporter du sable lourd, les artisans étaient enfin libérés des sales besognes.

Pour prouver l'efficacité de cette nouvelle méthode de production, Shizuko avait offert une immense quantité de sel en plus du salpêtre.

Pour résumer, Shizuko avait réussi à produire une quantité colossale de salpêtre artificielle et pouvait maintenant récolter du sel à peu près tous les mois. De plus, la quantité produite dépassait de loin celle des salines ordinaires.

Tous deux étaient des ressources militaires cruciales ; et en plus de cela, elle avait établi un système capable d'assurer leur production régulière, sa contribution était donc phénoménale.

Naturellement, Nobunaga avait été de très bonne humeur et lui avait dit [Demande-moi n'importe quelle récompense et je te l'accorderai]. En réponse, Shizuko lui avait dit :

"J'aimerais un vaste terrain... et du temps pour travailler aux champs."

Il va sans dire que cette demande avait laissé tous ceux qui l'avaient entendue, y compris Nobunaga, complètement interloqués. Il lui avait dit qu'il lui donnerait n'importe quoi en récompense et elle avait demandé du temps pour travailler dans les champs.

C'était la première chose qui lui était venue à l'esprit, elle ne prêtait aucune attention à l'argent, la gloire et tout le reste, alors personne ne parvenait à saisir le fond de sa pensée.

Déterminé à comprendre, Nobunaga interrogea Shizuko avec une voix plus douce que d'habitude.

Elle avait répondu qu'elle accumulé beaucoup de frustration à cause de la récente quantité de travail qu'elle avait reçu.

Et elle avait découvert que sa solution pour libérer cette frustration était de « travailler la terre sans réfléchir ».

Mais actuellement, elle se voyait confier des tâches autres que le travail agricole. Et cela ne faisait qu'accroître sa frustration.

Par conséquent, elle avait demandé un environnement où elle pourrait se concentrer sur l'agriculture afin de pouvoir enfin se défouler.

Après l'avoir écoutée, Nobunaga lui dit d'un air coupable :

"... Je te demande pardon."

Voilà l'histoire derrière son retour aux champs.

Aujourd'hui, à l'exception des urgences, elle avait été retirée de tous les travaux qui pouvaient être différés, et elle profitait pleinement du bonheur de cultiver la terre.

Elle était couverte de boue et de sueur, mais son visage était plus heureux que jamais.

"Elle rayonne."

"Elle rayonne, en effet."

"Elle rayonne."

Ainsi commentaient Keiji, Saizō et Nagayoshi qui l'observaient de loin.

"Je dirais même qu'elle rayonne un peu trop."

"Shizuko-dono n'a pas la même sensibilité que nous, après tout."

"Je me demande si c'est juste mon imagination, ou si elle aurait pu simplement demander un congé."

Et à une bonne distance, trois autres personnes observaient Shizuko en silence : Hashiba Hideyoshi, Takenaka Hanbei et Mori Yoshinari, chacun avec ses propres intentions.

Mais elle était absorbée par son travail et ne leur prêtait aucune attention.

Shizuko avait entièrement labouré sa vaste parcelle de terre en seulement quelques jours et avait vite enchaîné les tâches : préparation du sol, plantation des semis, et ainsi de suite.

Elle avait également commencé à cultiver les deux variétés de riz qui étaient dans le sac de sport, mais comme elle n'avait pas beaucoup de graines, elle n'en avait que pour environ quatre hectares.

D'après le journal, l'une des deux variétés appartenait le tomohonami. Elle était limitée à la région du Chūbu dont fait partie la province d'Owari, mais elle était résistante à la pyriculariose et avait un rendement équivalent à un riz cultivé avec des pesticides, et ce alors que sa culture est complètement biologique.

L'autre variété utilisait des kanji compliqués et n'avait pas de furigana, alors Shizuko n'était pas parvenue à déchiffrer son nom, mais d'après les notes du journal, c'était une variété très résistante aux maladies qui pouvait être cultivée aussi bien dans les régions froides que chaudes.

Son rendement atteignait environ 70 % de celui du koshihikari lors d'une bonne récolte, ce qui restait excellent, mais il avait un défaut : son goût était inférieur à celui des marques de second rang.

Autrement dit, c'était une sorte de sécurité : une variété à cultiver lorsque les autres riz avaient un mauvais rendement.

Mais Shizuko préférait malgré tout ce riz inconnu au tomohonami.

Le tomohonami avait un goût comparable à celui du koshihikari, mais ne pouvait être cultivé que dans certaines régions, ce qui rendait la production en masse difficile.

À l'inverse, une variété qui pouvait être cultivée partout, d'Hokkaidō au nord à Kagoshima au sud, avait beaucoup plus de valeur à ses yeux.

La culture du riz en région froide était, de base, très difficile.

Il existe des cas tels que le riz Champa, importé de Chine, qui permettait la culture du riz même dans des zones à faibles précipitations.

Cette variété à grain long était originaire de la région de Champa, dans le sud du Vietnam. Elle était très résistante aux insectes et à la sécheresse, mais extrêmement sensible au froid.

Même en Chine, son pays de transmission, la culture alimentaire suivait la règle du « blé au nord, riz au sud » : les régions septentrionales, généralement froides, consommaient surtout des nouilles créées avec du blé, tandis que les régions méridionales, au climat plus doux, privilégiaient le riz.

Même au Japon, il y avait peu de variétés de riz qui étaient résistantes au froid. Certes, la riziculture était pratiquée dans les régions froides du Tōhoku, mais la côte Pacifique souffrait constamment du yamase, un vent froid et humide, lui faisant subir des dommages considérables.

C'était à l'époque d'Edo que la culture du riz avait débuté dans la péninsule d'Oshima, à Hokkaidō, mais à très petite échelle.

Ce n'était qu'à partir de l'ère Meiji que la culture du riz à grande échelle était devenue possible à Hokkaidō. De nombreux progrès technologiques pour développer des variétés de riz adaptées au froid avaient été faits à ce moment-là.

Shizuko se sentait désolée pour ces gens qui avaient passé leur vie à développer ces variétés de riz résistantes au froid, mais si elle pouvait les produire en masse pour sauver des vies, elle n'avait pas de problème à être appelée une usurpatrice.

"... Hum ? Le tube de bambou à la ceinture de Shizuko-dono a une forme plutôt étrange ?"

Hanbei, qui observait Shizuko de loin, pencha la tête lorsqu'il vit le tube de bambou suspendu à sa taille.

À première vue, il était clair qu'il servait à transporter un liquide comme de l'eau, mais sa forme restait inhabituelle.

"Ah, ça ? C'est une « gourde » que Shizucchi a fait fabriquer par les artisans. J'en ai une aussi, et ça se boit comme ça."

Keiji montra à Hanbei l'objet identique accroché à sa taille, puis il fit tourner le haut du tube de bambou avec la main.

Cette gourde n'avait rien de spécial, elle était simplement une sorte de thermos faite en bambou. Naturellement, comme elle ne possédait pas l'isolation sous vide des produits du monde moderne, elle ne conservait pas très bien les températures.

Une gourde en forme de calebasse était plus facile à utiliser, mais ce modèle en bambou avait un avantage : on pouvait vérifier le contenu avant de boire.

Elle était également beaucoup plus hygiénique et plus facile à entretenir. Ses défauts étaient le temps de fabrication plus long que pour une gourde classique ainsi que le besoin de sélectionner soigneusement les matériaux.

Concrètement, le bambou à utiliser devait être âgé de quatre à cinq ans, âge auquel sa solidité était au maximum, et il devait être coupé entre septembre et novembre, période à laquelle son taux d'humidité était au plus bas.

Bien entendu, il était possible d'en fabriquer avec du bambou de deux ou trois ans, ou récolté hors saison, mais cette rigueur de sélection visait à garantir une robustesse suffisante pour les usages intensifs et à long terme.

La gourde de Shizuko, une version finale destinée aux tests pratiques, avait été fabriquée avec du bambou de trois ans, elle n'avait subi aucun dégât même après une semaine de travail aux champs.

Cependant, sa performance dans un environnement plus rude tel que les champs de bataille n'a pas encore été testée.

"Un Hyōtan suffirait largement, mais cette gourde semble avoir ses propres avantages. Le plus notable est que l'on peut voir le contenu... et contrairement à un Hyōtan, on peut y mettre d'autres choses."

Curieux, Hanbei prit la gourde des mains de Keiji pour en examiner la structure.

Le diamètre large de l'ouverture permettait de la remplir rapidement d'eau, et il pensa qu'on pouvait même y mettre des choses autres que des liquides tels que des onigiris.

En revanche, comme la formation des joints demandait un certain savoir-faire, il jugea que la production en masse serait difficile.

"Il semble que la partie du couvercle est l'étape la plus difficile de la fabrication."

"Ouais. Du coup, elle essaye de faire fabriquer un outil qu'elle appelle un [tour]. Elle a mobilisé pas mal de monde dessus, donc ça doit être un engin plutôt gros et compliqué. Elle essaye aussi de fabriquer des trucs pour mesurer la taille et le poids, et plein d'autres trucs bizarres. Elle a déjà fini un [tonneau distillateur] ou je ne sais quoi, ils s'en servent pour essayer de fabriquer quelque chose."

"Hum... de ce que vous dites, ces dispositifs doivent être plutôt élaborés. Mais des instruments de mesure pour la taille et le poids... c'est la première fois que j'entends cela."

"Elle avait dit un truc du genre : [La technologie et les outils finissent toujours par être découverts par les autres pays. Mais même s'ils essayent de les imiter, les effets se manifestent lentement]. Elle appelle ça... le [Plan national d'amélioration de la nutrition], ou un truc dans le genre."

Ce n'était qu'aux alentours de 1975 (an 50 de l'ère Shōwa) que le problème de la nutrition de la population avait été résolu. Avant cela, le peuple était constamment en état de malnutrition.

Les deux plus grandes maladies qui affligeaient le pays étaient la tuberculose et le béribéri.

La tuberculose mise à part, la prévalence du béribéri s'expliquait par le fait que la population ne mangeait que du riz blanc, qui ne contenait pas de vitamine B1, et ne mangeait pas assez de plats d'accompagnement.

Petite anecdote : à l'époque d'Edo, où le riz blanc était la base de l'alimentation, le béribéri avait rendu les nouilles soba (blé noir) plus populaires que les nouilles udon (blé tendre). Les gens avaient compris par expérience que manger du soba permettait de prévenir, voire même guérir le béribéri.

Scientifiquement parlant, le béribéri était une maladie causée par une carence en vitamine B1, et comme le soba en contenait beaucoup, en consommer permettait de combler ce manque.

Les carences en vitamines pouvaient provoquer des maladies terribles.

Un manque de vitamine A entraînait la cécité nocturne.

Un manque de vitamine B1 provoquait le béribéri, l'encéphalopathie de Wernicke ou une hyperlactacidémie.

Le manque de B2 menait à une stomatite ou à une dermatite séborrhéique. Le manque de B6 provoquait l'anémie et inflammation de la langue. Le manque de B12 entraînait une névrite périphérique ou une sclérose combinée de la moelle épinière.

Le manque de vitamine C provoquait le scorbut. Le manque de vitamine D provoquait l'ostéomalacie. Le manque de vitamine E provoquait des difficultés à marcher, et ainsi de suite.

Ce qui rendait ces maladies si redoutables, c'était le fait que n'importe qui pouvait avoir une carence en vitamines, et donc de les attraper.

"Un [Plan national d'amélioration de la nutrition] ? Comme d'habitude, je n'ai aucune idée de ce qui lui passe par la tête."

"En effet, Kinoshita-dono. Ce qu'elle regarde au loin nous dépasse complètement."

Hideyoshi et Yoshinari arboraient un léger sourire malgré ces mots.

Des ressources militaires telles que le riz et le soja sont produits en masse. Et récemment, ils ont commencé à produire du salpêtre, l'ingrédient principal de la poudre noire. Le territoire du clan Oda ne cesse d'évoluer à une vitesse sans précédent.

Se tournant vers Shizuko, Hanbei esquissa un sourire et murmura dans sa barbe :

Peut-être que le Tenka Fubu ne va plus rester un simple rêve.