Un grondement sourd, pareil à la respiration d'une bête tellurique, secoua les fondations séculaires de la cave. La poussière des âges, arrachée aux voûtes centenaires, dansa dans les halos tremblotants des chandelles. L'air, déjà lourd d'humidité et saturé d'effluves d'encens exotiques, vibra d'une tension palpable. Tous se figèrent, muscles tendus, sens en alerte — comme des animaux sentant l'approche d'un prédateur invisible.
Marcel, dont le visage couleur de bronze luisait dans la pénombre, fronça les sourcils. Ses yeux, reflets d'ambre dans l'obscurité, scrutèrent le plafond voûté.
— Les canons, murmura-t-il d'une voix grave qui résonna contre les murs de pierre. Mais qui oserait tirer à cette heure sans ordre du gouverneur ?
L'écho de ses paroles s'évanouit à peine qu'un fracas de pas précipités dévala l'escalier en colimaçon. Une silhouette élancée surgit dans la cave, haletante, le souffle court. C'était un jeune homme au teint hâlé par les vents marins, les cheveux en désordre, les yeux écarquillés par une terreur viscérale qu'il peinait à contenir.
— Une flotte, haleta-t-il, s'appuyant contre le mur suintant d'humidité. Une flotte sans pavillon vient d'entrer dans la rade.
Il déglutit péniblement, essuyant la sueur qui perlait sur son front.
— Douze navires de guerre, imposants comme des forteresses flottantes. Ils ont pénétré dans la baie sans s'annoncer, sans la moindre réponse aux signaux des vigies. Les canonniers du fort ont tiré en avertissement, mais...
Sa voix se brisa. Dans la semi-obscurité, l'assemblée des Gardiens s'anima d'un seul mouvement, comme un organisme unique réagissant à une menace. Marcel échangea un regard lourd de sens avec Aniaba, leurs yeux se parlant dans un langage silencieux forgé par l'urgence.
— Ce n'est pas une coïncidence, articula Marcel, la mâchoire serrée. Pas maintenant, pas quand les signes convergent, pas quand les étoiles s'alignent.
Aniaba serra le médaillon dans son poing jusqu'à ce que les arêtes du métal mordent sa chair. La pieuvre aux multiples yeux gravée sur l'artefact semblait pulser contre sa paume moite, comme animée d'une vie propre, comme si elle répondait à un appel lointain. Une chaleur malsaine, presque brûlante, irradiait du métal anciennement froid.
— Je dois voir ces navires, dit-il, sa voix trahissant une détermination teintée d'appréhension.
Sans qu'un ordre ne soit donné, les Gardiens se rassemblèrent instinctivement autour de lui, formant un cercle protecteur, une barrière humaine contre l'inconnu. Pour la première fois depuis son arrivée précipitée, Aniaba prit le temps de détailler ces alliés inattendus que le destin — ou quelque force plus obscure — avait placés sur sa route.
À sa droite se tenaient deux silhouettes drapées de robes aux couleurs de sable et d'ocre, brodées de symboles mystiques d'une complexité étourdissante. Un frère et une sœur ottomans aux yeux d'ambre liquide, dont les iris semblaient ponctués d'éclats d'or. Leurs mains aux doigts effilés étaient couvertes de tatouages complexes — des langues oubliées transcrites en spirales hypnotiques sur leur peau d'olive.
— Yusuf et Leyla al-Nuri, présenta brièvement Marcel, son regard s'attardant sur les deux silhouettes avec un respect manifeste. Invocateurs de la Sublime Porte. Ils peuvent communiquer avec des entités qui existent dans l'interstice entre les mondes connus.
Non loin d'eux se dressaient deux hommes en armures patinées par le temps et les batailles. Malgré leur âge avancé, leurs corps dégageaient une vigueur surnaturelle. L'un portait sur sa poitrine la croix écarlate des Templiers, symbole d'un ordre supposément dissous depuis des siècles. L'autre arborait la croix blanche des Hospitaliers, tout aussi anachronique.
— Frère Arnaud de Villiers et Frère Raymond de Toulouse, poursuivit Marcel. Des vestiges d'ordres qu'on croyait effacés de l'histoire. Ils manient ce qu'ils nomment la lumière divine... chacun selon sa propre interprétation.
Le Templier inclina sèchement la tête, son visage austère aux traits ciselés illuminé de l'intérieur par une flamme presque palpable — foi inébranlable ou folie mystique, impossible à déterminer. L'Hospitalier, au contraire, offrit un sourire apaisant qui contrastait avec la cicatrice profonde barrant son visage de la tempe à la mâchoire, relique d'une bataille oubliée contre des forces que peu pourraient imaginer.
Un homme à la peau cuivrée s'avança, vêtu d'un mélange harmonieux de peaux finement tannées et de tissus européens. Des plumes d'aigle ornaient ses cheveux d'un noir de jais tressés avec soin, et trois guerriers silencieux l'accompagnaient, leurs corps musclés recouverts de peintures rituelles aux motifs sacrés.
— Hiawatha, chaman de la nation Iroquoise, annonça Marcel avec déférence. Ses guerriers sont liés aux esprits des ours, des loups et des faucons. Ils peuvent emprunter leurs attributs au combat.
Aniaba remarqua ensuite trois Européens aux allures studieuses, leurs doigts perpétuellement en mouvement, entourés d'étuis en cuir ciré contenant des fioles aux couleurs improbables. Leurs mains portaient les stigmates de leur art — cicatrices de brûlures chimiques, taches indélébiles, ongles décolorés par des manipulations dangereuses.
— Nos alchimistes, poursuivit Marcel : Lord Blackwood d'Angleterre, dont les élixirs peuvent transformer la chair même ; le Comte de Saint-Germain, qui maîtrise la transmutation des éléments ; et Herr Paracelsus de Prusse, qui connaît les secrets de la vie et de la mort.
Enfin, deux silhouettes se détachèrent du fond de la pièce, émergeant des ombres comme si elles en étaient parties intégrantes : une femme aux longs cheveux noirs comme l'encre de Chine, dont les mains semblaient perpétuellement tisser des filaments invisibles, et un homme à l'allure disciplinée, au crâne soigneusement rasé, portant deux sabres croisés dans son dos, lames dont les poignées ornées de symboles ésotériques luisaient faiblement dans la pénombre.
— Mei Lin, cultivatrice du Qi de l'Empire du Milieu, capable de manipuler les flux d'énergie vitale, et Takeshi Himura, samouraï et maître du Ki du Royaume du Soleil Levant, dont la lame peut trancher ce qui existe entre les mondes.
Marcel posa une main sur sa propre poitrine, un geste empreint d'humilité contrastant avec l'intensité brûlante de son regard.
— Et enfin, il y a moi, Marcel. Je ne suis qu'un mulâtre né d'une union mal vue dans cette colonie d'hypocrites. Mon père était mage du feu, un des plus puissants que la France ait connu. Il a été excommunié et banni pour m'avoir enfanté d'une mère esclave et éduqué comme son héritier légitime.
Une flamme dansa brièvement au bout de ses doigts, projetant des ombres dansantes sur les murs de pierre.
— Je maîtrise le feu comme lui, mais sans jamais avoir reçu le titre de mage qu'on me refuse pour mon sang mêlé. J'ai trouvé refuge auprès des Gardiens, ceux qui voient au-delà des préjugés de couleur et de naissance. Et maintenant, nous voilà, dernière ligne de défense contre ce que la plupart des hommes ne peuvent même pas concevoir.
Dans un coin, assise sur un tabouret usé, se tenait une vieille femme au visage buriné par les ans, ses yeux voilés de blanc trahissant sa cécité. Ses doigts noueux caressaient un petit tambour posé sur ses genoux.
— Et voici Mawusi, la griotte, gardienne des histoires et des secrets, ajouta Marcel avec une révérence subtile. Ses yeux ne voient plus notre monde, mais son esprit perçoit ce que nous ne pouvons imaginer.
Aniaba hocha lentement la tête, assimilant cette assemblée improbable d'hommes et de femmes que tout, en apparence, aurait dû diviser — croyances, origines, langues, couleurs de peau. Pourtant, il percevait entre eux un lien invisible, une fraternité forgée dans l'adversité et la connaissance de vérités indicibles.
— Vous êtes réunis ici depuis longtemps ? demanda-t-il, la voix légèrement rauque par l'émotion contenue.
— Certains d'entre nous veillent depuis des décennies, répondit Marcel, son regard se perdant momentanément dans les souvenirs. D'autres sont arrivés récemment, guidés par des rêves, des visions, ou simplement l'instinct, quand les signes sont devenus impossibles à ignorer.
Une ombre passa sur son visage.
— La convergence dont parlent les Enfants de l'Abîme n'est pas qu'un simple rituel... c'est aussi une convergence cosmique. Un alignement des sphères qui n'arrive qu'une fois par millénaire. Le voile entre les mondes s'amincit, devient perméable.
Un nouveau grondement, plus proche et plus puissant, fit trembler le sol. Des fragments de mortier se détachèrent des joints entre les pierres, tombant comme une pluie de poussière ocre. Les chandelles vacillèrent dangereusement, projetant des ombres grotesques sur les murs suintants.
— Nous devons nous hâter, intervint Leyla al-Nuri, l'invocatrice ottomane. Sa voix mélodieuse était teintée d'urgence, et ses yeux semblaient briller d'une lueur dorée surnaturelle dans la pénombre. Mon frère et moi avons consulté les djinns des vents au crépuscule...
Elle échangea un regard avec son frère, qui hocha gravement la tête.
— Une tempête se prépare, mais pas dans notre ciel. Une tempête dans le voile même qui sépare notre monde des autres. Les signes sont clairs — quelque chose pousse pour entrer, quelque chose d'ancien et d'affamé.
— À la surface, maintenant, ordonna Marcel, sa voix claquant comme un fouet dans l'air chargé d'appréhension.
La tension était palpable tandis qu'ils remontaient par groupes discrets, utilisant divers passages et escaliers pour ne pas attirer l'attention. L'auberge de La Sirène Borgne, bâtiment massif aux fondations anciennes, offrait une multitude de chemins secrets connus des seuls initiés.
Sur le toit de tuiles patinées par le sel marin, la vue sur la baie s'offrait parfaite et terrifiante. Ce qu'ils découvrirent glaça le sang d'Aniaba, lui arrachant un hoquet de stupeur.
La baie de Cap-Français, habituellement paisible avec ses eaux cristallines, s'était transformée. Les navires sans pavillon étaient ancrés en formation précise, créant un motif qui, vu d'en haut, évoquait un symbole occulte. Leur conception défiant toute logique maritime alliait des éléments de différentes traditions navales : la coque effilée et redoutable des frégates françaises, mais plus haute et plus menaçante ; des voiles noires comme l'encre, semblables à celles des pirates barbaresques mais découpées différemment, presque triangulaires, rappelant des ailes de chauve-souris géantes ; des proues sculptées évoquant les drakkars nordiques, représentant des créatures hybrides, mi-humaines, mi-marines, aux visages figés dans des rictus d'agonie ou d'extase. Les canons qui dépassaient des sabords étaient d'un métal sombre aux reflets bleutés, comme forgés dans un minerai inconnu sur cette terre.
Mais ce qui frappait le plus, ce qui hérissait la peau d'Aniaba de chair de poule, c'était le silence. Un silence contre nature, oppressant, comme si l'air même refusait de vibrer autour de ces vaisseaux. Malgré la taille impressionnante de la flotte, aucun cri de marin ne résonnait, aucun ordre n'était hurlé, aucun cordage ne grinçait. Les navires semblaient se mouvoir comme un seul organisme, dans une chorégraphie parfaite et muette qui défiait les lois de la navigation.
L'eau autour des navires avait pris une teinte anormale, plus sombre, presque visqueuse, et de légères volutes de brume verdâtre s'élevaient de la surface, créant un halo spectral autour de la flotte.
— Ils ne battent aucun pavillon parce qu'ils ne servent aucun royaume terrestre, murmura Frère Raymond, l'Hospitalier, dont le visage habituellement serein s'était assombri. Ses doigts effleuraient machinalement la croix pendant à son cou, comme pour en tirer force et réconfort.
Yusuf al-Nuri avait fermé les yeux, ses lèvres bougeant silencieusement, récitant des incantations dans une langue plus ancienne que l'arabe. Des filaments de fumée semblaient s'échapper de ses narines et de ses oreilles, se dissipant dans l'air salin. Soudain, il tressaillit violemment, comme frappé par une révélation insupportable.
— Ces navires... ils sont vides, articula-t-il, la voix tremblante. Je ne perçois aucune âme à bord. Pas une seule. C'est comme scruter un gouffre sans fond.
— Impossible, objecta Lord Blackwood, l'alchimiste anglais, ses sourcils broussailleux se fronçant d'incrédulité. Son monocle captait la lumière de la lune, brillant comme un œil de cyclope. Un navire ne peut naviguer sans équipage. Les voiles, les gouvernails, les canons... tout cela exige des mains pour les manœuvrer.
— J'ai dit qu'ils étaient vides d'âmes, précisa Yusuf, essuyant un filet de sang qui coulait de son nez. Pas qu'ils étaient inoccupés.
Un frisson parcourut l'assemblée. Dans l'air nocturne s'insinua soudain une odeur écœurante — un mélange de sel marin, d'algues en décomposition et de quelque chose d'autre, indéfinissable mais profondément répugnant, évoquant des abysses jamais explorés par l'homme.
Hiawatha, le chaman iroquois, se mit à frapper doucement un petit tambour de peau orné de symboles peints avec du sang et des pigments naturels. Le rythme, d'abord imperceptible, devint hypnotique, résonnant étrangement avec le grondement distant des vagues. Ses guerriers se balançaient légèrement au rythme de la percussion, leurs yeux se voilant progressivement.
— Les esprits des eaux me parlent, dit-il d'une voix qui semblait venir d'ailleurs, plus grave et plus ancienne que la sienne. Ces navires transportent des coquilles. Des réceptacles vides. Des corps sans esprit, arrachés à la mort mais pas rendus à la vie, prêts à accueillir... autre chose.
Au même moment, Aniaba sentit une brûlure intense dans sa main — le médaillon était devenu incandescent, si chaud qu'il marquait sa peau d'une empreinte qui, il le savait instinctivement, ne guérirait jamais complètement. Il l'ouvrit malgré la douleur : le symbole de la pieuvre pulsait maintenant d'une lueur verdâtre malsaine qui semblait battre au rythme d'un cœur invisible.
C'est alors qu'un mouvement sur les navires attira son attention. Des silhouettes commençaient à descendre dans des chaloupes avec une coordination parfaite et inhumaine. Leurs gestes étaient mécaniques, désarticulés, comme si leurs articulations fonctionnaient à rebours. Même à cette distance, on pouvait distinguer leurs visages — d'une pâleur cadavérique, dénués d'expression, comme des masques de cire figés dans une imitation grotesque d'humanité.
Mei Lin, la cultivatrice chinoise, joignit ses mains dans un geste fluide, ses doigts traçant des motifs complexes dans l'air. Des filaments de lumière bleutée dansèrent entre ses paumes, formant des idéogrammes chinois qui se dissolvaient aussitôt formés.
— Je sens une rupture dans le flux naturel du Qi, dit-elle, sa voix douce contrastant avec la tension qui déformait ses traits délicats. Ces êtres ne sont ni vivants ni morts. Ils sont... suspendus entre les états. Comme des gouttes d'eau figées au moment de toucher la surface d'un étang.
Takeshi, le samouraï, dégaina silencieusement l'un de ses sabres dans un mouvement si fluide qu'on entendit à peine le sifflement de la lame. Le katana captait la lumière des étoiles d'une manière étrange, comme s'il absorbait les ténèbres environnantes, créant un contraste saisissant entre l'acier poli et la nuit.
— Ce sont des utsurobune – des vaisseaux creux, dit-il de sa voix posée aux intonations musicales. Une ride soucieuse barrait son front habituellement impassible. Dans les légendes de mon pays, ils transportent des voyageurs venus d'au-delà des étoiles, des êtres qui cherchent des corps à habiter.
Les chaloupes touchèrent terre dans un synchronisme parfait. Les créatures — car on ne pouvait plus les appeler hommes — commencèrent à avancer sur le quai en formations précises. Leurs mouvements étaient saccadés, comme si elles réapprenaient à marcher, comme si chaque articulation devait être consciemment commandée. Leurs yeux, vides d'expression mais étrangement attentifs, balayaient les environs avec une précision mécanique.
Les rares dockers encore présents à cette heure tardive s'écartèrent instantanément, frappés d'une terreur instinctive face à ces êtres contre nature. Certains tombèrent à genoux, paralysés d'effroi, d'autres s'enfuirent en hurlant, dérapant sur les pavés humides dans leur hâte de s'éloigner.
— Les soldats du fort ne réagissent pas, observa Frère Arnaud, le Templier, dont la main calleuse s'était posée sur le pommeau de son épée gravée de runes anciennes. Au loin, les sentinelles restaient immobiles, comme pétrifiées ou indifférentes à l'invasion en cours.
Marcel étouffa un juron qui résonnait comme une incantation, tant sa colère infusait chaque syllabe.
— Montclair a dû leur donner l'ordre de ne pas intervenir, cracha-t-il, le visage tordu par le dégoût. L'administration savait qu'ils viendraient. Les rats quittent déjà le navire.
Une vague de compréhension horrifiée parcourut le groupe. La trahison venait des plus hautes sphères. Le pouvoir colonial lui-même avait ouvert la porte à cette invasion.
Aniaba observait la scène avec une intensité grandissante, ses pupilles dilatées ne reflétant plus que les silhouettes spectrales qui se déversaient maintenant sur les quais comme une marée noire. Une énergie familière commençait à bouillonner en lui — celle du Baron, celle des Loas. Une colère sacrée qui brûlait ses veines, un pouvoir ancien qui réclamait vengeance pour cette profanation.
— Il faut les empêcher d'entrer dans la ville, déclara-t-il, sa voix plus profonde, presque méconnaissable, résonnant avec une autorité qui n'était pas entièrement la sienne.
— Nous sommes douze contre des centaines, objecta le Comte de Saint-Germain, l'alchimiste français, tout en soupesant nerveusement une fiole de liquide ambré. Son visage aristocratique était marqué par l'inquiétude, mais ses yeux brillaient d'une détermination farouche.
Mawusi, la vieille griotte aveugle, s'avança, ses pieds nus semblant à peine toucher les tuiles du toit. Ses yeux voilés se tournèrent vers l'horizon, comme si elle voyait au-delà de la réalité immédiate, au-delà du temps présent.
— Les nombres n'ont pas d'importance quand on affronte le vide, dit-elle de sa voix craquelée par l'âge mais emplie d'une sagesse millénaire. Ces choses sont fortes parce qu'elles sont vides de volonté, vides de doute, vides de peur. Mais cette absence est aussi leur faiblesse. Le néant ne peut résister longtemps à l'affirmation de l'être.
Les créatures avançaient maintenant en rangs serrés, comme une marée silencieuse et inexorable. L'air autour d'elles semblait s'assombrir, comme si elles absorbaient la lumière même, créant un corridor de ténèbres à travers les ruelles pavées de Cap-Français.
Aniaba sentit soudain une présence glacée derrière son épaule — un souffle qui n'était pas celui du vent, un murmure inaudible pourtant parfaitement compréhensible. Le Baron Samedi lui-même, le Loa de la mort et de la résurrection, se tenait là, invisible pour tous sauf pour lui. Sa présence était à la fois terrifiante et réconfortante, comme la certitude de la mort elle-même.
Il ferma les yeux un instant, acceptant cette présence, puis les rouvrit. Le monde lui apparut soudain plus net, plus vibrant, les couleurs plus intenses, comme si un voile avait été arraché de ses yeux.
— Prépare-toi à l'affrontement, ma main, murmura la voix du Baron dans son esprit. Nous te soutenons, n'aie crainte. Ogun et Erzulie t'ont offert leurs bénédictions — tes coups seront infusés du feu vengeur des loas. Si proche de l'eau, Agwé est aussi ton précieux allié. Ses vagues répondront à ton appel.
Aniaba sentit une force nouvelle couler dans ses veines, comme un fleuve de feu liquide. Il tendit le médaillon devant lui, ignorant la brûlure qui marquait encore sa paume.
— Cette chose, dit-il en désignant l'artefact qui pulsait maintenant avec une intensité redoublée, est un artefact de traçage, une balise. Ils la cherchent, mais elle n'est pas là où elle devrait être, où ils l'attendent. Nous avons au moins cet avantage.
Marcel hocha la tête, comprenant la stratégie qui se dessinait.