Chapitre 59

L'aube se levait sur Monte Cristi, teintant le ciel d'écarlate, comme si les nuages eux-mêmes s'étaient gorgés du sang versé la nuit précédente. Aniaba, debout sur une colline surplombant la ville, contemplait les premières lueurs du jour avec un regard impénétrable. Une brise chaude chargée d'une odeur de sel et de poudre soufflait depuis le port, apportant avec elle les rumeurs d'une cité en pleine ébullition. Le massacre du fort était déjà sur toutes les lèvres.

Des filaments de brume s'accrochaient aux arbres comme des spectres, témoins silencieux du retour du guerrier et de son cortège de femmes libérées. Les plus fortes soutenaient les plus faibles, avançant sur le sentier escarpé menant au camp des marrons. Le bruissement de leurs pas sur les feuilles mortes résonnait comme un chuchotement dans le silence de la forêt.

Isabella les attendait, son visage abîmé par des jours en forêt était à présent illuminé par un mélange troublant de soulagement et de fascination. Elle ne quittait pas Aniaba des yeux, comme hypnotisée par cet homme qui venait de transformer sa douleur en vengeance. Quand leurs regards se croisèrent, elle sentit un frisson lui parcourir l'échine. Ce n'était pas la peur — elle avait connu bien pire — mais la conscience de se tenir en présence d'une force qu'elle ne comprenait pas entièrement.

— Ce n'est que le début, murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour lui.

Aniaba sentit une pulsation familière dans ses veines, cette résonance sombre qui l'envahissait après chaque bain de sang. Le Baron Samedi se nourrissait de ces âmes arrachées, et avec chaque meurtre, le lien qui les unissait se renforçait. Il pouvait presque entendre le rire du loa, un crépitement distant comme celui d'un feu dévorant des ossements secs.

— Ils vont riposter, dit-il d'une voix grave. Monte Cristi n'est qu'un avant-poste. Santo Domingo enverra ses forces. Des soldats et même des mages, peut-être. L'Inquisition et ses prêtres... Je crains qu'ils ne viennent aussi.

— Laisse-les venir, répondit Isabella, une flamme nouvelle dansant dans ses yeux.

Aniaba l'observa plus attentivement. Sous la crasse et les ecchymoses, il y avait en elle une férocité qu'il n'avait pas perçue auparavant. Une détermination qui allait au-delà de la simple vengeance. Pour la première fois, il se demanda si sa ressemblance avec sa vision n'était pas une simple coïncidence.

— Il y a quelque chose que tu ne m'as pas dit, n'est-ce pas ? Pourquoi t'ai-je vue dans ma vision ?

Isabella baissa les yeux, un instant seulement, puis releva la tête avec une assurance nouvelle.

— Je l'ignore, mais je sais que quelqu'un m'a guidée jusqu'à toi, peut-être que je peux être utile. J'ai entendu beaucoup de choses, les langues se délient quand les testicules sont vides. J'ai entendu parler d'un ordre de résistants...

Le craquement d'une branche interrompit leur conversation. Jean-Baptiste émergea d'entre les arbres, le visage luisant de sueur et d'excitation.

— Aniaba ! s'exclama-t-il, essoufflé. Nous l'avons fait ! El Halcón est à nous ! Plein de poudre, de vivres et de munitions !

L'annonce électrisa le groupe. Des murmures d'incrédulité et d'espoir se propagèrent parmi les femmes rescapées. El Halcón, le navire de guerre espagnol que Jean-Baptiste avait visé, était une prise de guerre majeure.

— Comment ? demanda Aniaba, bien qu'il connaisse déjà la réponse.

— Exactement comme nous l'avions planifié, répondit Jean-Baptiste, un sourire féroce illuminant son visage marqué par les années. Victor avait raison sur l'efficacité de ses explosifs. Le feu et la fumée ont fait le reste.

Il s'approcha, baissant la voix pour que lui seul puisse l'entendre.

— Mais nous avons aussi trouvé autre chose. Des documents, des cartes... et ceci.

Il tendit à Aniaba un médaillon ornementé, le genre que portaient les hauts dignitaires. Au centre, gravé dans l'or, un symbole étrange : une pieuvre aux multiples yeux.

Le souffle d'Aniaba se figea dans sa gorge. Ce symbole, il l'avait déjà vu auparavant, dans les visions que lui avaient accordées le Baron Samedi et les autres loas, au fin fond de leur univers. Cette créature était là. Elle avait tourné son regard sur lui et c'était la chose la plus terrifiante qu'il ait jamais connue. L'entité se nourrissait de la souffrance des esclaves ? Le système esclavagiste n'était qu'un buffet géant. C'est elle qui travaillait dans l'ombre des empires coloniaux, influençant discrètement.

— Je crois que nous avons touché à quelque chose de plus grand que nous ne l'imaginions, murmura Jean-Baptiste. Ce n'était pas qu'un simple navire de guerre.

Aniaba serra le médaillon dans son poing, sentant sa chaleur métallique pulser contre sa paume. Il leva les yeux vers le soleil désormais complètement révélé, son éclat aveuglant rappelant les flammes de l'enfer.

— Rassemble les chefs, ordonna-t-il. Ce soir, nous tiendrons conseil.

Le village marron bourdonnait d'activité, l'euphorie des deux victoires simultanées — la libération des captives et la capture d'El Halcón — créant une atmosphère électrique. Nichées entre les contreforts montagneux, les habitations de fortune constituaient un dédale organique où la vie pulsait avec une intensité renouvelée. Les toits de palmes séchées bruissaient sous la brise chaude qui transportait l'odeur âcre des feux de cuisine et le parfum enivrant des fleurs sauvages.

Aniaba traversa le campement d'un pas décidé, ignorant les regards admiratifs et les murmures respectueux qui accompagnaient son passage. Son corps portait encore les traces du combat : des éclaboussures de sang séché sur sa chemise déchirée, une entaille au-dessus de l'œil qui commençait déjà à se refermer — trop rapidement pour être naturel.

Devant la hutte la plus imposante, Marie Louise l'attendait. Ses longs doigts effilés s'agitaient nerveusement, triturant les grigris suspendus à son cou. Son regard perçant semblait lire en lui comme dans un livre ouvert.

— Tu t'enfonces plus profondément à chaque bain de sang, n'est-ce pas ? demanda-t-elle sans préambule.

Aniaba soutint son regard sans ciller.

— Le pacte a ses exigences. Je tue trop et ne sauve pas assez, c'est un rappel des exigences de ma mission.

— Et ses conséquences, répliqua-t-elle avec une audace nouvelle. J'ai parlé avec Nyala.

La mention du nom de l'ancienne mambo arrêta net Aniaba. Nyala était morte, mais son esprit restait présent, guidant Marie Louise depuis l'au-delà.

— Que t'a-t-elle dit ?

Marie Louise s'approcha, jusqu'à ce qu'il puisse sentir la chaleur de son souffle sur son visage.

— Le Baron Samedi n'est pas juste un loa. Il est un gardien de l'équilibre. Mais l'équilibre est rompu, Aniaba. Les morts s'agitent. Les esprits du Dahomey, du Congo, d'Assinie — ils convergent tous ici, attirés par ta présence. Par ton pouvoir.

Elle posa une main sur sa poitrine, à l'endroit exact où battait son cœur. Une sensation glaciale se répandit sous sa paume.

— Tu es devenu un phare dans les ténèbres. Une balise pour les forces qu'aucun d'entre nous ne comprend pleinement.

Aniaba saisit son poignet, pas avec violence, mais avec une fermeté qui trahissait son trouble intérieur.

— Qu'ai-je à voir avec les morts de l'autre côté de l'océan ? Le Baron a accepté mon sacrifice, j'ai renoncé à mes prétentions au trône de mon père, je me suis consacré corps et âme à la libération. De ce fait, la rage ne me torturait plus. Pourquoi est-elle revenue ?

— Tu ne sers plus seulement le Baron. Tu as oublié ta vision ? Ogun Feray, Erzulie, Agwe ont été réveillés grâce à toi, à tes actions. De plus en plus de marrons les prient, cela leur donne de la force. Ils te bénissent, mais cette bénédiction est lourde à porter. Tu es encore plus fort qu'avant, mais le prix à payer est encore plus lourd.

— Les loas et leurs requêtes constantes... comment faire ?

— Continue, libère-nous. Plus tu libères d'âmes oppressées, plus le poids des morts s'allégera.

— Ce n'est pas tout, continua-t-elle, imperturbable malgré l'étreinte. Nyala a eu une vision. Une entité bien plus ancienne que les loas s'éveille, nourrie par la souffrance qui imprègne cette île. Elle utilise les hommes comme Montclair et leurs semblables. Elle manipule les gouvernements, les empires...

— La pieuvre aux multiples yeux, compléta Aniaba, relâchant son emprise.

Marie Louise blêmit.

— Comment le sais-tu ?

Pour toute réponse, Aniaba ouvrit sa main, révélant le médaillon récupéré sur El Halcón. Le symbole semblait presque vivant sous la lumière tamisée qui filtrait à travers les interstices de la hutte.

— Jean-Baptiste l'a trouvé sur le navire. Le même symbole que j'ai vu dans mes visions. J'ai vu cette chose, elle... est plus grande que les loas...

Marie Louise prit le médaillon avec précaution, comme s'il s'agissait d'un serpent venimeux. Ses doigts tremblaient légèrement.

— Il faut convoquer Marceau, murmura-t-elle. Sa connaissance des arcanes occidentaux pourrait nous éclairer.

Aniaba acquiesça, mais son attention fut attirée par un mouvement à l'entrée de la hutte. Philomen se tenait là, le visage fermé, les yeux rivés sur Isabella qui attendait à l'extérieur. Sa posture trahissait une tension mal contenue.

— Quelque chose te préoccupe, Philomen ? demanda Aniaba, sa voix soudainement plus froide.

L'ancien contremaître de maison détourna le regard d'Isabella avec une lenteur presque à contrecœur.

— Des rumeurs circulent déjà, de Port-au-Prince jusqu'à Cap-Français, annonça-t-il d'une voix neutre et contenue. L'attaque d'El Halcón et le massacre du fort ont mis les autorités en alerte. Les Français aussi bien que les Espagnols préparent une réponse coordonnée.

— Montclair, devina Aniaba.

— Sans doute. Mais ce n'est pas tout. Des navires ont été aperçus au large de Saint-Marc. Des vaisseaux ne battant aucun pavillon connu.

Marie Louise et Aniaba échangèrent un regard lourd de sens. Les pièces de l'échiquier invisible se mettaient en place. Quelque chose de bien plus vaste qu'une simple répression coloniale se préparait.

— Le conseil se réunira au crépuscule, déclara Aniaba. En attendant, je dois parler à notre invitée.

Il sortit de la hutte, laissant Marie Louise et Philomen dans un silence tendu. À l'extérieur, la chaleur moite de l'après-midi créait un voile de vapeur qui s'élevait du sol. Isabella l'attendait, assise sur un tronc renversé, observant l'activité du village avec une curiosité calculée.

— Tu allais me dire quelque chose, avant que Jean-Baptiste ne nous interrompe, rappela Aniaba en s'asseyant à ses côtés.

Isabella lui jeta un regard en biais, le genre de regard qu'elle avait dû utiliser mille fois pour évaluer les hommes qui croisaient sa route.

— Comme tu le sais, reprit-elle, j'étais une espionne pour le compte du gouverneur espagnol. Le bordel était juste une façade pour récupérer des informations auprès de marins bourrés et d'officiers un peu trop détendus après une partie de jambes en l'air. J'ai entendu parler d'un groupe de résistants autres que les marrons, un groupe de chasseurs de démons ou quelque chose dans ce genre. Ils ont mené des actions à Punta Cana et Santa Cruz de Mao. Et ils sont à Cap-Français d'après un marin, il y a deux semaines de ça. Peut-être y sont-ils encore... peut-être peuvent-ils aider.

— Peut-être, dit Aniaba.

Le crépuscule nappa la forêt d'une lumière ambrée, transformant les feuillages en or liquide. Dans la clairière centrale du village, un grand feu avait été allumé, ses flammes dansantes projetant des ombres géantes sur les visages recueillis. L'odeur entêtante de la résine et des herbes rituelles se mêlait aux parfums épicés des mets préparés pour le festin qui suivrait le conseil.

Aniaba se tenait debout, dominant l'assemblée. Autour de lui, formant un cercle parfait, les chefs des différents groupes marrons, Jean-Baptiste à sa droite, Marie Louise à sa gauche. Isabella avait été invitée à se joindre à eux, son statut désormais changé par les révélations de l'après-midi. Philomen, en retrait, l'observait avec un mélange de colère et de désir mal dissimulé. Puis, peut-être se rendant compte de la faille dans son masque, il reprit son apparence aimable. Derrière lui, Victor et Antigone le surveillaient discrètement.

Marceau fut le dernier à rejoindre le cercle, sa silhouette élancée se détachant sur les flammes. Son visage buriné par les éléments affichait une gravité inhabituelle. Autour de son cou, le totem indigène semblait pulser d'une lumière propre.

— Je vous ai réunis car ce jour marque un tournant dans notre lutte, commença Aniaba, sa voix résonnant avec une autorité surnaturelle dans le silence attentif. Ce que nous avons accompli, la libération des captives et la prise d'El Halcón, n'est qu'un prélude.

Il déposa le médaillon au centre du cercle, sur une pierre plate illuminée par le feu. Le symbole de la pieuvre aux multiples yeux sembla s'animer sous la lumière fluctuante.

— Nous avons frappé non seulement l'Espagne et ses représentants, mais également quelque chose de bien plus ancien et sinistre.

Marceau s'avança, fixant le médaillon avec une intensité palpable.

— J'ai déjà vu ce symbole, déclara-t-il, et sa voix habituellement mélodieuse était rauque de tension. Dans les archives interdites du Collège des Mages, à Paris. Il est associé à une secte occulte appelée "Les Enfants de l'Abîme".

Un murmure parcourut l'assemblée. Marie Louise resserra son étreinte sur ses grigris, comme pour se protéger d'une menace invisible.

— Ces Enfants de l'Abîme, continua Marceau, ne sont pas une simple organisation secrète. Ils servent une entité primordiale qui existerait depuis la nuit des temps, tapie dans les profondeurs de l'océan. Une créature qui se nourrit de la souffrance et du désespoir.

— La pieuvre aux multiples yeux, compléta Aniaba. Celle qui manipule Montclair.

Isabella se leva alors, attirant tous les regards. La lueur des flammes dansait sur son visage, accentuant la détermination qui y brillait.

— Il existe un groupe, révéla-t-elle. "Les Gardiens de l'Équilibre". Apparemment, ils surveillent cette entité depuis des siècles, ou en tout cas c'est ce qu'on raconte.

Jean-Baptiste, qui était resté silencieux jusqu'alors, frappa le sol de son poing.

— La question est : que faisons-nous maintenant ? Les navires sans pavillon s'approchent. Montclair prépare sa réponse. Nous avons El Halcón, mais un seul navire ne suffira pas.

Un silence tendu s'abattit sur le conseil. C'est Marie Louise qui le brisa, sa voix étrangement altérée, comme si une autre parlait à travers elle.

— Nous devons frapper au cœur, déclara-t-elle avec l'autorité de Nyala. Pas seulement les plantations, pas seulement les forts. Le siège du pouvoir lui-même.

Ses yeux roulèrent en arrière, ne laissant apparaître que le blanc. Un frisson collectif parcourut l'assistance.

— Cap-Français, poursuivit-elle d'une voix caverneuse. C'est là que Montclair tisse sa toile en toute discrétion alors qu'il fait grand bruit à Port-au-Prince. C'est là que la pieuvre enfonce ses tentacules dans l'âme de cette île.

Elle s'effondra soudain, rattrapée de justesse par Marceau. Le silence qui suivit était presque palpable.

Aniaba contempla l'assemblée, mesurant le poids des révélations et des décisions à prendre. Le Baron Samedi murmurait dans son esprit, un chuchotement glacial qui promettait puissance et vengeance. Mais il y avait aussi autre chose — une voix plus ancienne, plus profonde, qui l'appelait depuis les ténèbres.

— La guerre a changé, déclara-t-il finalement. Ce n'est plus seulement une lutte pour notre liberté. C'est un combat pour l'âme même de ce monde.

Il ramassa le médaillon, sentant sa chaleur malsaine contre sa paume.

— Nous allons nous diviser en trois forces. Jean-Baptiste commandera El Halcón et sèmera la terreur le long des côtes, frappant les navires marchands, récupérant les négriers pour sauver un maximum de personnes et nous constituer une armada et attaquer les avant-postes français et espagnols.

Jean-Baptiste inclina la tête en signe d'assentiment, un sourire féroce illuminant son visage.

— Marceau et Marie Louise prépareront la défense du village. Les navires sans pavillon arriveront bientôt, et leur intention n'est certainement pas pacifique.

Marceau acquiesça, posant une main protectrice sur l'épaule de Marie Louise qui reprenait lentement conscience.

— Quant à moi, poursuivit Aniaba, ses yeux brillant d'une lueur surnaturelle, je me rendrai à Cap-Français. Pour trouver Montclair et arracher le cœur de cette conspiration.

Philomen s'avança, le visage tendu.

— Et que fais-tu d'elle ? demanda-t-il en désignant Isabella d'un geste brusque.

Tous les regards se tournèrent vers la jeune femme qui soutenait l'examen sans ciller.

— Je te la confie, Philomen. Fais en sorte qu'elle et les autres femmes soient bien intégrées et acceptées dans le village.

Un léger sourire de satisfaction surgit sur son visage. Peut-être aurait-il une chance de cette façon.

Le conseil se termina dans un silence lourd de présages. Dehors, les étoiles semblaient plus proches, plus brillantes, comme si elles se penchaient sur l'île d'Hispaniola pour assister au drame qui s'y jouait. Quelque part, au-delà de l'horizon, les navires sans pavillon fendaient les flots noirs, et avec eux venaient des puissances que même Aniaba, malgré toute sa force nouvellement acquise, n'osait imaginer.

La ville de Cap-Français se dressait comme une perle blanche dans l'écrin émeraude de la côte nord de Saint-Domingue. Vue depuis les collines environnantes, elle offrait un spectacle de prospérité insolente : des rangées de maisons coloniales aux façades immaculées, des rues au tracé géométrique parfait, des quais grouillant d'activité où des navires déchargeaient leurs cargaisons précieuses. L'odeur de la mer se mêlait aux parfums des épices, du café et du sucre, créant une symphonie olfactive qui masquait à peine la puanteur sous-jacente de la sueur, du sang et de la misère sur lesquels ce paradis artificiel était bâti.

Aniaba et Isabella s'approchaient de la cité par les hauteurs, dissimulés dans un chariot de légumes conduit par un marron infiltré depuis des mois dans les réseaux de commerce de la ville. L'homme, un colosse à la peau d'ébène nommé Baptiste, possédait un visage d'une impassibilité à toute épreuve, marque des années passées à dissimuler sa véritable nature sous le regard de ses anciens maîtres.

— Le gouverneur est mort il y a trois jours, murmura-t-il sans quitter la route des yeux. Suicide, disent-ils. Mais personne n'y croit.

— Montclair, devina Aniaba, son regard perçant scrutant l'horizon où se dessinait la silhouette imposante de la résidence du gouverneur.

— C'est ce qu'on dit, confirma Baptiste. Depuis, il a pris le contrôle de facto de l'administration. Les planteurs le suivent comme des moutons. Ceux qui résistent disparaissent.

— Qu'en est-il de ses associés dont nous a parlé Marceau ? Une femme, petite, plus âgée ? Un noble déchu ?

Baptiste laissa échapper un grognement affirmatif.

— Madame Hubert ne quitte presque jamais sa demeure au nord de la ville. Ses chiens... ce ne sont pas des chiens ordinaires. Plusieurs de mes hommes ont attesté les avoir vus et confirment qu'elle enlève des jeunes femmes qu'on ne revoit jamais. C'est concordant avec le témoignage de Marceau.

Un frisson parcourut son corps massif.

— Quant à Lignac, il possède maintenant le plus grand domaine sucrier de la région. Les esclaves qui y sont envoyés ne reviennent jamais.

Le chariot s'engagea sur une route secondaire, longeant des plantations où des silhouettes courbées travaillaient sous un soleil impitoyable. L'air vibrait de chaleur, créant des mirages tremblotants à l'horizon. Le claquement occasionnel d'un fouet déchirait le silence oppressant.

Aniaba sentit une rage familière monter en lui, cette fureur qui alimentait ses pouvoirs. La rage montait, avide de sang et de vengeance. Mais il devait se contenir. Cap-Français n'était pas un fort isolé qu'on pouvait prendre d'assaut. C'était le cœur du pouvoir colonial, protégé par des murs, des canons, et — plus dangereux encore — par des barrières invisibles de magie.

— Cela ne va pas être facile. Même si je rentre, la lutte sera rude. Baptiste hocha la tête.

— Isabella a dit que Les Gardiens ont des contacts parmi les affranchis et certains commerçants. Elle a parlé d'un établissement, La Sirène Borgne.

La nuit s'était abattue sur Cap-Français comme un prédateur affamé, drapant la ville coloniale d'un manteau d'ombres veloutées et de murmures inquiets. Dans l'air lourd des Caraïbes, les lanternes suspendues aux façades créoles diffusaient une lumière jaune et trouble qui dansait au rythme de la brise marine, projetant sur les murs blanchis à la chaux des silhouettes vacillantes, semblables à des spectres en mouvement. La ville semblait divisée par une frontière invisible : dans les beaux quartiers, les rires cristallins de la haute société et les accords mélodieux de clavecin s'échappaient des balcons ornés de fer forgé, tandis que les parfums de poudre et d'eau de rose embaumaient l'atmosphère. Mais plus bas, dans les ruelles étroites et humides qui serpentaient vers le port, l'odeur âcre du sel marin se mêlait aux effluves de sueur, de poisson pourri et de sang séché – c'était un tout autre monde qui s'éveillait avec la tombée du jour.

Aniaba progressait en silence, son corps puissant entièrement métamorphosé par sa posture. La livrée qu'il portait — subtilisée à un domestique assoupi quelques heures plus tôt — dissimulait sa silhouette musculeuse. Sous l'étoffe rêche qui irritait sa peau, chaque cicatrice semblait lui rappeler sa mission. Il marchait dos légèrement courbé, le regard délibérément baissé vers les pavés inégaux, les gestes mesurés avec une précision calculée. Il avait appris à mimer la servilité comme une seconde peau, à disparaître dans le regard des maîtres qui ne voyaient en lui qu'un accessoire mobile, sans ce douter que leur cauchemars: le démon écarlate était sous leurs yeux. Mais sous cette façade docile, derrière ses yeux baissés qui ne perdaient rien de ce qui l'entourait, la Main des Loas veillait, aussi vigilante qu'un serpent prêt à frapper.

Le bruit distant des vagues se brisant contre les quais l'accompagnait alors qu'il s'écartait de la rue principale pour emprunter une venelle obscure. Là, les sons de la nuit devenaient plus crus : gémissements lointains, éclats de voix avinées, parfois un cri étouffé rapidement réduit au silence. Ses narines frémirent en captant l'odeur caractéristique du rhum de contrebande.

Il pénétra dans l'établissement par une porte latérale dont les gonds rouillés émirent une plainte sinistre : "La Sirène Borgne", une taverne sordide ancrée à la lisière du port comme une verrue sur le visage de la ville. De l'extérieur, rien ne la distinguait particulièrement des autres bouges — une façade décrépie aux planches gondolées par l'humidité, une enseigne à demi arrachée qui se balançait au gré des rafales, des volets tordus masquant des fenêtres aux vitres brisées. Mais dès qu'il franchit le seuil, une chaleur moite et fétide l'enveloppa comme une étreinte malsaine.

L'intérieur de La Sirène Borgne était un tableau vivant de la déchéance coloniale. Des tables branlantes s'alignaient de manière chaotique sur un plancher poisseux qui craquait sous chaque pas. Des ivrognes endormis ronflaient sur des tonneaux éventrés, le visage plongé dans une flaque de rhum. Des rires gras s'élevaient d'un coin sombre où des marins aux visages tailladés par les embruns jouaient aux dés avec une intensité fébrile. Des prostituées aux robes déchirées circulaient entre les tables, leurs yeux vides contrastant avec leurs sourires mécaniques. L'air était si dense qu'on aurait pu le couper au couteau — un mélange suffocant de rhum frelaté qui brûlait les narines, de sueur rance imprégnée dans le bois même des meubles, de sang séché sur les planches et de cette résignation amère qui semblait exsuder des murs lépreux.

Quelques regards se tournèrent vers lui — un esclave en livrée dans un tel lieu ne suscitait qu'une curiosité fugace — puis se détournèrent, happés par leurs propres misères ou leurs plaisirs illusoires.

Il s'approcha du comptoir avec la prudence d'un félin, ses muscles tendus sous l'apparente nonchalance de sa démarche. Le tavernier qui essuyait un verre crasseux avec un chiffon encore plus sale était un colosse à la peau tannée comme du cuir ancien, un œil aveugle cerclé de cicatrices violacées témoignant d'un passé violent, des mains énormes aux jointures déformées par d'innombrables combats.

Aniaba se pencha vers lui, laissant ses lèvres à peine bouger lorsqu'il murmura d'une voix si basse qu'elle semblait provenir des profondeurs de la terre :

— Je souhaite voir le chef de ton ordre.

Les mots semblèrent absorber le bruit environnant. Un silence étrange tomba dans un rayon de quelques mètres, comme si même l'air avait suspendu sa course. Le tavernier cessa son mouvement circulaire, ses doigts se crispant imperceptiblement sur le verre. Il dévisagea lentement Aniaba, son œil valide scrutant chaque parcelle de son visage comme pour y déchiffrer un code secret. Un tic nerveux agita sa paupière tandis qu'il haussait un sourcil broussailleux, puis glissa une main calleuse sous le comptoir, là où reposait une lame dont la garde usée avait pris l'empreinte de sa paume.

Mais Aniaba fut plus rapide que la pensée elle-même. En un mouvement fluide qui démentait sa posture servile, il l'attrapa par le col d'une poigne d'acier et planta son regard dans le sien. Leurs visages n'étaient plus séparés que par l'épaisseur d'un souffle. Dans les yeux du tavernier, la défiance initiale se mua progressivement en une peur viscérale, primitive. Il vit ce que d'autres avaient vu avant lui, ce qui avait fait d'Aniaba une légende murmurée dans les cases d'esclaves : les ténèbres insondables derrière ses pupilles, la morsure incandescente du feu invisible qui y brûlait. Le regard d'un homme qui avait traversé l'enfer et en était revenu, transformé.

— Ne me fais pas répéter, souffla Aniaba, sa voix désormais chargée d'une autorité qui contrastait avec sa tenue de serviteur. Si tu portes la marque, tu sais qui je suis.

Le tavernier déglutit avec difficulté, une goutte de sueur perlant sur sa tempe malgré la fraîcheur relative de la nuit.

— Ils... ils disaient que tu n'étais qu'une légende, articula-t-il d'une voix rauque. Un conte pour effrayer les maîtres.

— Les légendes marchent parfois parmi les vivants, répondit Aniaba en relâchant légèrement sa prise. Maintenant, guide-moi.

Quelques secondes plus tard, après avoir échangé un signe discret avec un homme à l'allure de pêcheur qui prit sa place derrière le comptoir, le tavernier soulevait une trappe habilement dissimulée sous un tapis élimé. Ils descendirent un escalier étroit aux marches inégales, si escarpé qu'Aniaba dut se courber pour ne pas heurter le plafond suintant. L'humidité s'intensifiait à chaque pas, perlant sur les murs de pierre grise comme une sueur malsaine. Des torches fixées dans des supports de fer rouillé projetaient des ombres dansantes sur les parois, éclairant un couloir souterrain qui s'enfonçait dans les entrailles de la terre, sous les fondations mêmes de la ville coloniale.

L'air devenait plus épais, chargé d'effluves de terre humide, de salpêtre et d'une odeur plus subtile, plus étrange — comme celle d'anciens parchemins et d'encre séchée. Le couloir débouchait sur une salle basse au plafond voûté soutenu par des arches massives, vestiges probables d'une construction bien plus ancienne que la taverne qui la surmontait.

Une vingtaine de silhouettes s'y tenaient, formant un demi-cercle solennel, rassemblées autour d'une grande table de bois sombre et poli par l'usage sur laquelle était dépliée une carte détaillée de la ville et de ses environs. À la lueur vacillante des chandelles, Aniaba distingua des visages aux traits marqués par les épreuves. Chacun portait une tenue différente — marin, marchand, prêtre, domestique, et plusieurs aux allures de guerriers — mais tous dégageaient la même énergie palpable : celle des survivants, des dissidents, des traqués. Des hommes et des femmes qui avaient choisi de vivre dans l'ombre plutôt que de se soumettre à la lumière mensongère de l'ordre établi.

Un homme se détacha du groupe et s'avança d'un pas assuré, ses bottes de cuir souple ne produisant qu'un frôlement sur les dalles de pierre. Grand, au teint clair mais hâlé par le soleil des Caraïbes, les cheveux grisonnants attachés en un chignon strict qui dégageait un visage aux traits ciselés, il portait des vêtements sobres mais de qualité indéniable. Une fine cicatrice barrait son sourcil gauche, seule imperfection visible sur ce visage aux pommettes hautes et au regard perçant. Il s'immobilisa à quelques pas d'Aniaba, l'examinant avec l'intensité d'un naturaliste face à une espèce rare.

— Je sais qui tu es, dit-il d'une voix grave au léger accent qu'Aniaba ne put identifier avec certitude. Démon écarlate. Main des Loas. Briseur de chaînes. Ces titres ont traversé l'océan avec les balles et les prières, portés par des bouches tremblantes et des yeux écarquillés.

Un murmure parcourut le cercle comme une vague. Tous les regards se braquèrent sur Aniaba avec une intensité presque palpable : curiosité, peur, respect... et parfois une pointe d'envie qui luisait dans certains yeux. Le poids de sa légende semblait soudain plus lourd que les chaînes qu'il avait brisées.

— Ces titres sont exagérés, répondit Aniaba avec une humilité teintée d'amertume, sa voix résonnant dans la cavité souterraine. Les hommes ont besoin de héros plus grands que nature pour nourrir leurs espoirs. Je ne suis qu'un homme qui refuse de baisser les yeux.

— Vraiment ?

L'homme esquissa un sourire énigmatique qui n'atteignit pas ses yeux.

— Moi, je suis Marcel. Je dirige cette cellule des Gardiens depuis que l'ancien chef a été... disons, rappelé à d'autres fonctions.

Il s'approcha encore, réduisant la distance entre eux à un souffle. Aniaba perçut son odeur — un mélange de tabac fin, d'encre et d'un parfum discret aux notes boisées.

— Alors prouve-le, chuchota Marcel, assez bas pour que seul Aniaba puisse l'entendre. Montre-nous que tu n'es pas qu'un marron chanceux avec du feu dans les yeux. Montre-nous que les esprits te parlent vraiment.

Aniaba soutint son regard sans ciller, percevant le défi mais aussi la peur dissimulée derrière cette bravade. Puis il se tourna lentement vers le cercle des conjurés, prenant le temps d'étudier chaque visage, chaque posture. Il y avait là des hommes et des femmes d'origines multiples qui, dans le monde extérieur, ne se seraient peut-être jamais adressé la parole : africains aux peaux d'ébène comme la sienne, européens aux traits marqués par le soleil tropical, arabes aux yeux de faucon, asiatiques au regard placide, métis aux identités multiples. Dans un coin se tenait même un homme aux pommettes hautes et au regard d'obsidienne qui devait avoir du sang amérindien dans les veines. Tous unis par quelque chose que les empires redoutaient plus que les révoltes et les épidémies : la connaissance interdite, celle qui remettait en question l'ordre même du monde.

— Je ne suis pas ici pour faire des tours comme un bateleur sur la place du marché, dit-il avec une douceur qui contrastait avec la puissance contenue dans sa stature. Mais je peux vous offrir ceci.

Avec des gestes délibérément lents pour ne pas alarmer l'assemblée tendue, il plongea la main dans les replis de sa livrée, à l'endroit où un petit compartiment secret avait été cousu. Il en sortit un médaillon d'argent terni qui semblait absorber plutôt que refléter la lumière des torches. D'un geste précis, il le déposa au centre exact de la carte, sur l'emplacement marquant le palais du gouverneur.

Le symbole gravé sur l'objet était clairement visible désormais : une pieuvre aux multiples yeux, dont les tentacules s'enroulaient autour d'un globe terrestre avec une précision anatomique troublante.

Un silence de plomb s'abattit sur la pièce, aussi tangible qu'un linceul. Même les flammes des torches semblèrent vaciller plus faiblement, comme intimidées par la présence du médaillon. Marcel recula d'un pas, presque malgré lui, son regard soudainement changé. Plus froid, plus concentré, et indéniablement marqué par une peur ancienne.

— Les Enfants de l'Abîme, murmura-t-il, le nom lui-même paraissant contaminer l'air. Donc... c'est vrai. Les rumeurs que nous pensions exagérées...

— Plus que vrai, répondit Aniaba, sa voix désormais chargée d'une autorité qui semblait emplir l'espace. Ils ne se contentent plus d'agir dans l'ombre. Ils contrôlent désormais l'administration du Cap via Montclair et ses affiliés. J'ai vu leurs rituels, leurs sacrifices. J'ai entendu leurs invocations dans des langues plus anciennes que nos civilisations. Mais ce n'est qu'un début. Leurs plans dépassent cette île, dépassent même l'idée que nous nous faisons du pouvoir.

Il se tut un instant, laissant ses paroles imprégner les esprits, puis sortit de sa poche un document chiffonné, taché de ce qui ressemblait suspicieusement à du sang séché.

— Nous avons intercepté cette lettre lors de la prise d'El Halcón. Trois hommes sont morts pour la mettre entre mes mains. La plupart du texte est cryptée dans une langue que même les plus anciens d'entre nous ne peuvent déchiffrer entièrement, mais nos traducteurs ont identifié deux mots qui reviennent comme une litanie : "convergence"... et "réveil".

À ces mots, Marcel pâlit visiblement, la cicatrice sur son sourcil ressortant comme une ligne blanche sur sa peau soudain exsangue. Une femme dans l'assemblée laissa échapper un son étranglé, rapidement étouffé par sa main tremblante.

— Selon les archives que nous avons protégées depuis la chute de la bibliothèque d'Alexandrie, reprit Marcel d'une voix qui s'efforçait de rester ferme, les Enfants cherchent depuis des siècles à rouvrir un portail pour leur maître. Une entité si ancienne qu'elle ne possède pas de nom humain, si étrangère à notre réalité que la simple contemplation de sa vraie forme rend fou. Certains manuscrits l'appellent Celui-qui-attend-dans-les-profondeurs, d'autres Le Seigneur des Abysses.

Une silhouette féminine s'avança alors dans le cercle de lumière. Grande et féline, habillée comme une simple marchande des colonies espagnoles, elle possédait une beauté austère que même ses vêtements simples ne pouvaient dissimuler. Ses yeux noirs comme l'obsidienne brillaient d'une intelligence aiguë et d'une détermination implacable.

— Cette... chose ne veut pas dominer comme nos empereurs et nos rois, dit-elle d'une voix mélodieuse aux inflexions méditerranéennes. Elle ne cherche pas la gloire ou la richesse. Elle veut abolir. Dissoudre la volonté humaine comme le sel dans l'eau. Nos textes disent qu'elle transforme les âmes en serviteurs, et les corps en réceptacles pour sa progéniture.

Un murmure glacial parcourut l'assemblée, chaque personne présente semblant soudain sentir un souffle froid sur sa nuque. Aniaba lui-même ressentit un frisson qui n'avait rien à voir avec la température de la pièce. Une présence invisible semblait s'être glissée parmi eux, attirée par les mots prononcés. Il sentit quelque chose se dresser dans son dos, une présence familière et terrifiante à la fois. Le Baron Samedi était là, quelque part, invisible aux yeux des autres mais aussi réel pour lui que les pierres sous ses pieds. La voix râpeuse du Loa souffla dans son esprit comme une brise venue d'un autre monde :

Bienvenue dans la cour des Grands, mon champion. Les pions sont en place, et le jeu véritable commence enfin.

Aniaba réprima un frisson, conscient que tous les regards étaient fixés sur lui. Il leva lentement la main, paume ouverte vers le haut. Une flamme bleue y naquit spontanément, dansant au rythme de sa respiration, projetant des ombres mouvantes sur les visages stupéfaits des Gardiens.

— Je ne suis peut-être pas le héros que racontent les légendes, dit-il d'une voix qui semblait résonner depuis les profondeurs de la terre. Mais je suis celui que les Loas ont choisi. Et ce soir, je vous offre une alliance. Car ce qui se prépare menace non seulement nos corps, mais nos âmes mêmes.

Marcel s'approcha, fasciné par la flamme qui brûlait sans consumer la chair, puis tendit sa main vers celle d'Aniaba. Leurs paumes se joignirent, la flamme bleue les enveloppant sans brûler.

— Les Gardiens acceptent ton alliance, Aniaba, Main des Loas. Que le sang des traîtres à l'humanité nourrisse la terre.

Dans les ombres de la salle souterraine, les yeux invisibles du Baron Samedi contemplaient la scène avec un amusement teinté d'anticipation. Le grand jeu commençait, et les pièces s'alignaient enfin sur l'échiquier cosmique.