Apprendre un Métier, à nouveau (2)

"Comment as-tu fait ça ?" demanda Selia, se remettant encore de la surprise.

"Magie. Je suis béni par la lumière. Tu n'as pas entendu les nouvelles ?" dit Lith.

Selia fouilla dans sa tête jusqu'à ce que la réponse du gamin ait du sens.

"Ah ! Je comprends maintenant. Tu es le gamin de magie dont tout le monde parle à Lutia. Ça explique beaucoup de choses, y compris ton attitude merdique."

"Excuse-moi ? Tu trouves un gamin maigrelet à ta porte qui demande de l'aide. Ensuite, tu l'obliges à accepter une affaire arnaque, en riant même de ses efforts, et c'est moi qui ai une attitude merdique ?" Lith était maintenant tellement en colère que même l'idée de partager sa proie ne lui semblait plus si mauvaise.

Selia éclata de rire.

"Gamin, tu es vraiment drôle. D'abord, quand tu demandes de l'aide à un parfait inconnu, le mieux que tu puisses espérer c'est d'être reconduit poliment avec un coup de pied aux fesses.

"Si je devais répondre à la demande de chaque fou, je serais ruinée en un rien de temps. Ensuite, tu as eu le culot de me claquer la porte au nez puis de revenir comme si de rien n'était. Ça, c'est une attitude merdique."

Voyant les choses de son point de vue, Lith ne pouvait qu'acquiescer. Ces quatre dernières années, il avait vécu reclus, ne interagissant qu'avec les membres de sa famille. Il était devenu trop habitué à obtenir un oui pour réponse, oubliant les règles sociales de base et même le bon sens.

Sa faim n'aidait pas non plus. Elle le rendait unidimensionnel et sujet à la colère. Lith réalisa que Selia avait raison et ce qu'il avait fait ce matin-là n'était juste qu'une crise de colère.

"Je suis vraiment désolé." Dit-il sincèrement, la regardant dans les yeux. "Je n'ai aucune excuse pour mon comportement. Je comprendrais si tu voulais annuler notre accord."

Selia se mit à rire encore plus fort.

"Calme-toi, gamin. J'ai dit que tu es fou et impoli, mais j'aime bien ça. Comme tu l'as si gentiment souligné, je suis un peu moi-même une connasse. Chien ne mange pas chien, notre accord tient toujours."

Elle lui tendit un petit couteau avec un manche en bois.

"Règle numéro un, fais saigner le gibier aussitôt que possible. Si le sang commence à coaguler, la viande est gâchée. Fais une incision profonde dans le cou puis suspends-les tête en bas pour que le sang s'écoule." Elle lui indiqua une corde à linge.

"Si tu n'as pas besoin de la fourrure, coupe juste la tête. Ça rend les choses plus rapides."

Lith posa le couteau et invoqua assez d'eau pour recouvrir toute sa main. Puis, il le gela et le transforma en une lame tranchante comme un rasoir, coupant la tête des oiseaux. Il n'utilisa le couteau que pour les écureuils.

Selia siffla en signe d'approbation.

"Joli tour de passe-passe. Le sang ne te fait pas peur, hein ?"

"Comme je te l'ai déjà dit, j'ai faim. Trop faim pour me soucier de grands yeux ronds ou d'une fourrure chaude. Je les vois seulement comme de la nourriture."

"C'est la bonne attitude pour un chasseur !" Selia lui fit un pouce en l'air.

Elle prit le gibier égouttant et les suspendit pour lui, pensant que la corde à linge était trop haute pour que Lith puisse l'atteindre. Lith n'éprouva pas le besoin de la corriger.

"Puisque nous établissons une relation maître-apprenti et tout ce bordel, ça te dérangerait de me dire pourquoi tu es venu vers moi au lieu de demander à tes parents de t'enseigner ?

"Je ne connais pas ta famille, mais c'est quelque chose que tout fermier sait faire. Ça coûterait trop cher de faire abattre son bétail par quelqu'un d'autre."

"En effet." dit Lith en réfléchissant à comment répondre. Il la regarda droit dans les yeux avant de demander.

"Juste entre nous, secret de maître à apprenti et tout ce bordel ?"

Selia acquiesça, surprise de recevoir une vraie réponse au lieu d'une remarque désagréable.

"Depuis que je me souviens, mes frères et moi n'avons jamais eu de bonne relation. Les choses sont assez mauvaises, surtout avec mon frère aîné."

Lith décida qu'il avait besoin de se décharger de ce poids. Parler à un étranger était la meilleure façon de soulager son stress et de ruiner la réputation d'Orpal. L'honnêteté était effectivement la meilleure politique.

"Je ne sais pas si c'est à cause de ma magie, mais j'ai toujours beaucoup mangé. Ça ne serait pas un gros problème si je n'avais pas quatre frères et sœurs, dont l'une a une affection congénitale. Son traitement coûte pas mal cher, et c'est à peine si ça suffit à la maintenir en vie."

"Remercie les Dieux que je suis fille unique. Mais qu'est-ce que ça a à voir avec ton frère aîné ?" Lith fit semblant de ne pas l'avoir entendu.

"Ça signifie que malgré le dur labeur de mes parents, nous n'avons pas beaucoup à manger sur la table." Lith montra son bras maigre, pour qu'elle se sente coupable. "Et mon frère est aussi en pleine croissance, donc il aimerait manger beaucoup plus que ce qu'il reçoit réellement.

"De temps en temps, surtout en hiver, il a des accès de colère, au cours desquels il m'accuse de tout ce qui ne va pas dans sa vie. Il dit souvent des choses comme :

"Pourquoi diable avez-vous eu autant d'enfants si vous ne pouvez pas les nourrir correctement ? Pourquoi Lith reçoit-il presque autant de nourriture que moi ? Il ne fait rien alors que je me casse le cul dans les champs toute l'année !

"Ce n'est pas mon frère, c'est une Sangsue qui suce ma vie ! J'aurais souhaité que tu meures ce jour maudit !" Lith fit de son mieux pour imiter Orpal.

"Tu inventes ça pour me faire culpabiliser, gamin ? Parce que c'est malsain." Selia fronçait les sourcils, doutant qu'on puisse dire de telles choses à son petit frère.

Lith secoua la tête en soupirant.

"Je le souhaite."

"Ton père lui a donné une bonne correction ? Peut-être que ça l'aiderait à retrouver ses esprits."

Lith secoua encore la tête.

"Non. Ça a commencé quand j'étais très petit, et même après que la discussion se soit avérée inutile et que mon père ait eu recours à la fessée, ça n'a fait qu'empirer. Au point que je suis forcé de dormir dans la chambre de mes sœurs."

"Trop tôt." Selia mordit ses lèvres, pour éviter de faire une blague sexuelle.

"Trop tôt pour quoi ?"

"Rien. Continue s'il te plaît."

"C'était jusqu'à il y a un an. Une fois que j'ai commencé à pratiquer la magie, j'ai rapidement acquis assez de compétences pour faire presque toutes les tâches ménagères tout seul. Parfois, j'aide avec le bétail aussi.

"J'ai même réussi à maintenir l'état de ma sœur sous contrôle." Lith prit une profonde inspiration avant de trouver la force d'ajouter "La plupart du temps."

"Alors, tout devrait être bon maintenant, non ?"

"Faux. La maison a besoin de réparations, ainsi que la grange et la plupart des outils de la ferme. Si tu prends en compte tous les imprévus qui arrivent de temps en temps et qui prennent la priorité, je ne vois pas notre situation s'améliorer de sitôt et mon frère non plus.

"Maintenant, il ne peut plus me blâmer, alors la dernière fois, il s'en est pris à ma sœur malade, en disant des choses que je refuse de répéter à haute voix." Lith cracha au sol pour se débarrasser du goût sale que le souvenir lui laissait.

"Jusqu'à dire que ce serait mieux pour elle de..." Lith pointa les gibiers pendus.

"De l'abattre comme un animal ? Gamin, on peut être des salauds, mais ton frère est un fou."

Lith serra les dents, se souvenant des mots exacts d'Orpal.

'Ce serait tellement mieux pour elle, pour nous tous ! Elle ne peut pas courir, elle ne peut pas travailler. Tista ne pourra jamais se faire des amis, tomber amoureuse ou avoir ses propres enfants.

'Elle est condamnée à être un fardeau pour sa famille. Et qu'est-ce qui se passera quand vous ne serez plus là ? Qui s'occupera d'elle ? Rena ? Ou peut-être le petit prodige Sangsue ?'

Lith pouvait encore vivement se souvenir de sa mère pleurant de ces mots cruels. Rena et Tista se précipitant dans ses bras. Raaz battant Orpal si fort qu'il ne pouvait pas marcher pendant des jours.

"En effet." Il répondit à Selia avec un grondement. "Et c'est pourquoi je le méprise et je ne veux pas qu'il touche une seule bouchée DE mon gibier."

"Je comprends. Je ne le connais même pas et je déteste déjà ce type."

"Non, je ne le déteste pas." Lith la corrigea "La haine, tout comme l'amour, est un sentiment irrationnel, tandis que mon mépris pour lui a des bases solides."

"Wow ! Une notion si profonde pour quelqu'un de si jeune. Digne d'un chasseur !

"Maintenant assez de bavardages, il est temps de se mettre au travail."

Selia prit les écureuils, en passant un à Lith.

"Nous allons commencer par les petites bêtes. Elles sont plus petites et meilleures pour l'entraînement. Même si tu te trompes, ce n'est pas grave, il n'y a pas beaucoup de viande là-dedans."

Elle plaça un écureuil sur une planche à découper et en prépara un autre pour Lith.

"Ce que je vais t'apprendre vaut pour la plupart des rongeurs, mais au cas où, si tu trouves un lapin qui a encore un pelage blanc comme neige, apporte-le-moi. Il a de la valeur uniquement jusqu'à ce qu'il commence à brunir pour le printemps. Même une petite erreur peut abîmer la fourrure et en diminuer la valeur."

"Si tu veux que je t'enseigne correctement, faisons les choses à ma manière. Utilise le couteau, fais comme moi et suis mes instructions." Selia lui tendit de nouveau le petit couteau.

Lith acquiesça en signe d'approbation.

"Dans le dos de l'écureuil, pince sa peau et coupe-la près de la base du cou pour en exposer au moins la moitié. Maintenant utilise ton index et ton majeur des deux mains pour créer une ouverture après avoir fait la coupure. Utilise tes doigts pour crocheter sous la peau et tire d'une main vers l'arrière et de l'autre main vers la tête..."

Pendant le processus, Lith remarqua qu'en plus d'être dégoûtant, écorcher un écureuil était comme enlever un gant mouillé et collant.

Après cela, Selia lui montra comment enlever la tête, les pattes et la queue.

"Je sais que c'est nul, mais cette queue touffue n'est pas de la fourrure. C'est tous des putains de poils corporels. Tu peux quand même l'utiliser pour rembourrer des choses. C'est quand même très chaud et doux. Voici maintenant la partie délicate.

"Quand tu procèdes à l'éviscération de quoi que ce soit, sois prudent en faisant des incisions. Si tu ouvres la vessie ou intestins, la viande est foutue par la bile ou par les excréments. Il n'y a aucun moyen de la sauver. Cela vaut pour tous les animaux, donc fais attention, gamin."

Éviscérer l'écureuil fut sanglant et horrible, mais Lith pouvait déjà sentir l'odeur de la viande au bout du tunnel, donc il ne ressentit presque aucun inconfort.

Quand ils eurent terminé, Selia mit les deux écureuils sur une broche pour les rôtir dans sa cheminée.

"Pendant que nous attendons notre en-cas du matin, je vais te montrer comment échauder un oiseau pour le plumer. Comme le nom l'indique, l'eau ne doit être ni trop chaude ni trop froide.

"Juste assez pour que tu puisses y plonger un doigt sans te brûler, mais sans pouvoir y maintenir le doigt plus d'une seconde sans te brûler. C'est la température d'échaudage adéquate."

Selia prit un grand chaudron, le positionnant au-dessus d'un feu de camp qu'elle avait toujours prêt à l'arrière de sa maison.

"C'est un travail salissant, alors c'est mieux de le faire dehors quand c'est possible."

L'odeur de la viande qui cuisait à l'intérieur de la maison faisait saliver Lith, il ne pouvait pas se permettre le risque qu'elles brûlent.

"Jorun !" À son commandement, le chaudron se remplit immédiatement d'eau.

Lith plongea ensuite sa main dans l'eau en lançant "Infiro !" et la faisant émettre de la vapeur.

Selia siffla de nouveau en signe d'approbation.

"Rapide et efficace. Je commence à regretter de moins en moins cette histoire de maître-apprenti. Je comprends maintenant pourquoi cette vieille harpie de Nerea a appelé les premiers sur toi. Nous devrions être prêts à commencer, mais d'abord…"

Selia rentra à l'intérieur et revint avec deux petites assiettes d'écureuil rôti.

Avant même qu'elle puisse lui passer son assiette, Lith avait déjà arraché la nourriture, la dévorant comme s'il n'y avait pas de demain. Il suça et rongea jusqu'à ce que seuls les os restent.

Après avoir léché chacun de ses doigts, il retrouva son calme et sa contenance antérieure.

"Bon dieux, quel gentleman." La voix de Selia suintait le sarcasme. "Tu veux une autre portion ? Parce que ça m'a sérieusement effrayée et je m'y connais en…"

Sa moquerie tomba dans l'oreille d'un sourd. Les yeux de Lith ne voyaient que le deuxième écureuil qui s'approchait. Dès que Selia fit semblant de lui proposer sa part, ses mains étaient déjà en mouvement.

Après avoir englouti le dernier écureuil, Lith remarqua que Selia était figée sur place.

Sa bouche était ouverte mais aucun mot n'en sortait, l'assiette toujours près de son visage.

Il remit doucement les os dans l'assiette.

"Ce n'était pas la peine de tenir l'assiette pour moi, mais merci. C'était très gentil de ta part."