Point de vue Ethan
Assis dans un large fauteuil face à la baie vitrée, j'observe la scène avec un intérêt que je ne devrais peut-être pas avoir. Lila et Luca échangent en italien, une complicité évidente entre eux. Elle rit doucement, son sourire enfin libéré de cette tension qui l'enveloppait depuis l'avion.
Je devrais détourner les yeux. Ce n'est pas mes affaires. Et pourtant...
Il y a quelque chose chez elle qui m'intrigue. Une retenue constante, comme si elle n'était jamais totalement là où elle se trouve. Elle donne l'impression d'être en équilibre sur un fil, toujours prête à reculer.
La villa est magnifique, le cadre idyllique. Pourtant, tout cela me semble si... creux.
Jade s'affale sur le canapé à côté de moi en soupirant d'aise.
-Jade: Dimmi che non è il posto più incredibile del mondo... (Dis-moi que ce n'est pas l'endroit le plus incroyable du monde...)
Je hausse les épaules, esquissant un sourire amusé.
-Ethan: È bello, sì... (C'est beau, oui...)
Elle roule des yeux.
-Jade: Dai, (allez) Ethan... essaie au moins de faire semblant d'être enthousiaste !
Je ris légèrement et m'adosse contre le fauteuil en soupirant.
-Ethan: Lo sai... (Tu le sais...) le luxe ne m'impressionne plus depuis longtemps.
Elle secoue la tête, faussement exaspérée, avant de remarquer mon regard qui s'attarde sur Lila.
-Jade: Intéressante, n'est-ce pas ?
Je tourne lentement la tête vers elle.
-Ethan: Chi? (Qui ?)
Jade me fixe, incrédule, avant de jeter un coup d'œil à Lila qui discute encore avec Luca.
-Jade: Non fare il finto tonto, Ethan. (Ne fais pas l'idiot, Ethan.)
Je soupire en croisant les bras.
-Ethan: Elle est juste... particolare. (particulière.)
Jade me scrute un instant, un sourire en coin.
-Jade: Particolare... hein.
Répète-t-elle d'un ton taquin. Je secoue la tête, préférant ne pas poursuivre cette conversation. Mais alors que je pose de nouveau mon regard sur Lila, je sens que, malgré moi, je suis déjà en train d'essayer de la comprendre. Lila attire l'attention sans même essayer. Son rire léger se mêle au bruit des vagues, et malgré son apparente décontraction, il y a en elle une retenue subtile, une prudence presque palpable. Elle se tient droite, son regard oscillant parfois vers l'océan, comme si elle cherchait un échappatoire invisible.
Jade, toujours à l'affût, capte mon silence et me décoche un regard entendu.
-Jade: Devo preoccuparmi? (Je dois m'inquiéter ?)
Je hausse un sourcil, feignant l'indifférence.
-Ethan: Perché dovresti? (Pourquoi tu devrais ?)
Elle s'étire lentement sur le canapé, un sourire amusé flottant sur ses lèvres.
-Jade: Perché ti conosco. (Parce que je te connais.)
Je ne relève pas. Inutile de lui donner raison. Pourtant, mon regard retourne inévitablement vers la jeune femme blonde qui remercie encore Luca avec cette sincérité désarmante. Contrairement à tant d'autres, elle ne semble pas chercher à impressionner, ni à séduire. Elle est là, sans artifices, et c'est précisément ce qui la rend intrigante.
Je tente de détourner mon attention, mais lorsque Lila finit par croiser mon regard, un éclat d'incertitude traverse ses prunelles claires. Une fraction de seconde suspendue, où ni l'un ni l'autre ne détourne les yeux.
Jade souffle un rire discret.
-Jade: Sei già fregato, caro mio. (Tu es déjà foutu, mon cher.)
Je lâche un soupir en levant mon verre en signe de résignation et murmure, plus pour moi-même que pour elle :
-Ethan: Forse. (Peut-être.)
Lila quitte la villa d'un pas lent, son regard fixé sur l'horizon, comme si l'océan l'appelait silencieusement. Je la suis du regard, intrigué par cette manière qu'elle a de se mouvoir, toujours sur la retenue, comme si elle craignait de trop s'abandonner à l'instant.
Luca, lui, ne semble pas y prêter attention. Il s'étire en baillant avant de disparaître en direction de la cuisine, probablement à la recherche d'un cocktail bien frais.
De mon fauteuil, je l'observe s'approcher du rivage. Ses pieds nus s'enfoncent dans le sable immaculé, et lorsqu'elle atteint la limite où l'eau vient lécher la terre, elle s'arrête. Ses épaules se relâchent légèrement, et une main vient écarter quelques mèches blondes balayées par le vent.
Elle inspire profondément, laissant la brise caresser sa peau, et pour la première fois depuis que je l'ai vue, elle semble... libera. Délivrée de cette tension qui l'habite.
Je devrais détourner les yeux, mais quelque chose m'en empêche.
Elle lève doucement la tête vers le ciel, ferme les paupières un instant, comme si elle essayait de graver cet instant en elle. Il y a dans son attitude une beauté brute, une simplicité rare qui la distingue de toutes les femmes que j'ai pu côtoyer.
Sans m'en rendre compte, je me redresse légèrement sur mon siège. Lila n'a pas conscience du regard que je pose sur elle, et peut-être est-ce mieux ainsi, mais Jade qui s'installe sur l'accoudoir de mon fauteuil vient suivre mon regard avec un sourire malicieux.
-Jade: Sei senza speranza. (Tu es sans espoir.)
Je ne réponds pas, me contentant de fixer sa silhouette frêle face à l'immensité de l'océan.
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Lila revient dans la villa, un bagage serré contre elle, que les serviteurs tentaient visiblement de porter à sa place. Mais elle n'a rien voulu lâcher. Son expression est à la fois tendre et farouche, comme si elle protégeait un trésor inestimable.
Luca entre juste derrière elle, un plateau de cocktails colorés en main. Il lève les yeux au ciel en la voyant ainsi agrippée à son précieux colis.
-Luca: Davvero, Lila? (Sérieusement, Lila ?)
Elle l'ignore royalement et s'accroupit pour ouvrir la cage de transport. Un petit museau roux en sort prudemment, avant qu'une magnifique boule de poils couleur de feu ne bondisse hors de sa prison, s'étirant avec grâce.
Je laisse échapper un rire amusé.
-Ethan: Ton chat.
Lila lève les yeux vers moi, un mélange de défi et d'appréhension dans le regard.
-Lila: Elle s'appelle Pyra.
Me précise-t-elle en caressant doucement l'animal qui vient se frotter à ses jambes. Jade, qui sirotait déjà son cocktail, manque de s'étouffer.
-Jade: Attends, attends... Hai portato il tuo gatto ai Maldive? (Tu as emmené ton chat aux Maldives ?)
Lila se redresse, fière, les bras croisés.
-Lila: Évidemment. Elle est ma famille.
-Jade: C'est trop mignon.
Sa réponse est si simple, si naturelle, que personne ne trouve quoi répondre immédiatement. Même Luca, pourtant habitué à ses excentricités, secoue la tête en riant.
-Luca: Sei impossibile. (Tu es impossible.)
-Lila: O solo coerente. (Ou juste cohérente.)
Elle récupère Pyra dans ses bras et la serre doucement contre elle, le regard perdu un instant dans le vide. Je l'observe en silence. Ce chat n'est pas juste un caprice. Il est une part d'elle, un ancrage. Je prends le verre que Luca me tend et lève un sourcil en la regardant.
-Ethan: Alla famiglia, allora. (À la famille, alors.)
Lila me jette un regard surpris, puis un mince sourire éclaire son visage. Elle lève son verre à son tour.
-Lila: Alla famiglia.
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Point de vue Lila
La nuit est tombée sur les Maldives, enveloppant la villa d'une atmosphère feutrée. Depuis ma chambre, j'entends le murmure de l'océan, paisible et envoûtant. Ce voyage aurait pu être un moment de détente... s'il n'y avait pas Luca et ses exigences vestimentaires.
-Luca: Lila, non puoi essere seria... (Lila, tu ne peux pas être sérieuse...)
Je croise les bras, assise sur mon lit, le regard fixé sur la robe qu'il me tend comme un trophée. Longue, fluide, d'un rouge profond.
-Lila: Perché no? (Pourquoi pas ?)
Lui dis-je en haussant les épaules. Luca s'exaspère, fouillant dans ma valise à la recherche d'autre chose.
-Luca: Parce que ce soir, on sort, bella mia, et tu ne vas pas t'habiller comme si on allait acheter du pain.
Je roule des yeux.
-Lila: Ça ne tiendrait qu'à moi, je mettrais un short et un t-shirt.
Il s'arrête net et me fusille du regard, l'air faussement horrifié.
-Luca: Dio mio! (Mon Dieu !) Lila, tu es aux Maldives, pas dans ton atelier poussiéreux ! Fais-moi plaisir, mets cette robe, juste une fois.
Je soupire et me laisse tomber en arrière sur le matelas.
-Lila: Sei insopportabile. (Tu es insupportable.)
-Luca: E tu sei testarda. (Et toi, tu es têtue.)
Pyra, installée au pied du lit, ouvre un œil avant de se rouler en boule, complètement désintéressée par ce débat.
Luca s'assoit près de moi et adoucit sa voix.
-Luca: Lila, per favore? Ce n'est qu'une robe. Tu peux bien faire ça pour moi, non ?
Je tourne la tête vers lui et vois son regard suppliant. Il sait jouer de son charme, le bougre.
-Lila: Va bene... (D'accord...)
Il pousse un cri de victoire et me tend la robe comme si c'était une offrande divine.
-Luca: Parfait ! Allez, file te préparer. Ce soir, on brille.
Je l'attrape à contrecœur et me dirige vers la salle de bain, mais avant de fermer la porte, je l'entends encore murmurer dans mon dos :
-Luca: Farai girare la testa a qualcuno, vedrai... (Tu vas faire tourner des têtes, tu verras...)
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Les talons de mes sandales claquent doucement sur le bois poli des escaliers. Chaque pas me semble plus pesant que le précédent. Je déteste ce genre de moments, ceux où l'on se sent exposé, vulnérable sous les regards. Mais Luca a insisté, et me voilà, vêtue de cette robe rouge qui ondule à chacun de mes mouvements.
En arrivant dans le salon, je réalise que tout le monde a joué le jeu. Jade est rayonnante dans une robe émeraude qui fait ressortir ses yeux et qui discute avec Luca, impeccable dans une chemise en lin ouverte juste ce qu'il faut pour afficher son bronzage parfait.
Et puis, il y a lui. Ethan.
Adossé négligemment contre le comptoir du bar, un verre à la main, il semble totalement maître de son espace. Sa chemise noire, légèrement déboutonnée, contraste avec sa peau dorée. Il n'a pas l'air de s'être donné beaucoup de mal pour être irrésistible, et pourtant, il l'est.
Son regard se lève vers moi, et d'un coup, tout le reste disparaît.
Je le vois qui m'observe, lentement, de haut en bas, sans la moindre discrétion. Son regard glisse sur la robe, mes jambes, remonte vers mon décolleté, puis s'arrête dans mes yeux. Une chaleur étrange me traverse l'échine.
Je déglutis, détournant brièvement les yeux pour me donner une contenance, mais ça ne change rien. Je sens son regard peser sur moi, intense, presque possessif.
Jade brise le silence en sifflant doucement.
-Jade: Mamma mia, Lila... se fossi un uomo, mi sposerei subito! (Si j'étais un homme, je t'épouserais sur-le-champ !)
Luca éclate de rire et m'attrape par la main pour me faire tourner sur moi-même.
-Luca: Hai visto? (Tu vois ?) Je le savais !
Je souris timidement, essayant de cacher mon malaise, mais mon regard revient inévitablement vers Ethan. Il n'a toujours rien dit. Juste cette façon de me fixer, le regard sombre et indéchiffrable.
Puis, sans quitter mes yeux, il lève légèrement son verre et murmure, d'une voix grave et basse :
-Ethan: Bellissima.
Un frisson me traverse, et je sens mes joues s'enflammer malgré moi, et soudain, je me demande si cette robe rouge n'était pas une bien plus grande erreur que prévu.
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La musique vrombit à un rythme électro envoûtant qui semble résonner dans chaque fibre de mon corps. Les lumières stroboscopiques dessinent des formes floues autour de moi, la foule se mouvant en un ballet chaotique. Tout est trop intense, trop bruyant, trop... proche. Luca me pousse doucement dans le dos, son rire résonne à mes oreilles.
-Luca: Allez, Lila, détends-toi un peu !
Je lève les yeux vers lui, un sourire contraint sur les lèvres.
-Lila: Je ne suis pas vraiment d'humeur pour ça...
Je sens le regard insistant d'Ethan, comme une chaleur sur ma peau, mais je n'ose pas croiser ses yeux. Il est là, à quelques pas, entouré de quelques femmes qui semblent l'admirer avec une attention évidente. Pourtant, il me regarde, comme s'il attendait quelque chose.
-Luca: Fai un po' di festa, no? (Allez, fais la fête un peu.)
Luca insiste, mais je secoue la tête.
-Lila: Laisse-moi le temps de m'habituer, por favor ?
La danse, l'atmosphère étouffante, les corps qui bougent trop près les uns des autres... Non, ce n'est pas pour moi. J'ai l'impression que l'air se fait de plus en plus lourd à chaque seconde qui passe.
-Luca: Bene.
Je cherche une issue, mes yeux se posent sur le bar en face. L'idée d'une boisson froide m'attire comme une bouée de sauvetage.
Je m'échappe, me faufilant à travers la foule, en évitant de croiser trop de regards. Quand enfin je parviens à atteindre le comptoir du bar, je respire profondément. L'air est plus frais ici, même si la chaleur de l'endroit reste oppressante malgré que ça soit ouvert.
Je m'assois sur un tabouret et commande un cocktail, tout en jetant un coup d'œil furtif autour de moi.
Quelques instants plus tard, je sens la présence de quelqu'un près de moi, un souffle chaud sur ma nuque.
-Ethan: Tu ne danses pas ?
C'est Ethan. Je ne l'avais pas vu arriver. Il se tient là, près de moi, l'air décontracté, son regard accroché au mien, toujours aussi pénétrant.
-Lila: Pas ce soir.
Je prends une gorgée de mon verre, tentant de masquer la tension qui s'est installée en moi. Il sourit légèrement, comme s'il s'attendait à cette réponse, mais il ne part pas. Il reste là, à mes côtés, un espace invisible mais lourd entre nous.
-Ethan: Tu n'aimes pas trop ce genre d'endroits, hein ?
Je hausse les épaules, essayant de paraître indifférente.
-Lila: Je ne suis pas vraiment une grande fan de la foule. Mais toi, tu es à ta place, n'est-ce pas ?
Il hoche la tête, et je vois un éclat de compréhension passer dans son regard.
-Ethan: Je comprends. Et pour te répondre, oui, je connais que trop bien.
Il s'assoit à côté de moi sans rien dire de plus, et pendant quelques secondes, nous restons là, tous les deux, à écouter la musique en fond, le bruit de la fête qui continue de dévaler autour de nous. Un calme étrange s'installe.
-Ethan: Vuoi andare a fare una passeggiata? (Tu veux aller marcher ?)
-Lila: Con piacere. (Avec plaisir)
A suivre...