Point de vue Ethan
La nuit s'est installée depuis plus d'une heure, et l'air chaud des Maldives s'est légèrement rafraîchi avec la brise marine. Pourtant, une tension lourde pèse sur nous. Lila n'est toujours pas revenue.
Je suis assis sur la terrasse, le regard fixé sur l'horizon, incapable de chasser l'inquiétude qui me ronge. Jade, assise sur un transat, tapote nerveusement du pied, jetant des coups d'œil fréquents à Luca, qui semble aussi préoccupé qu'elle.
-Luca: Non possiamo aspettare oltre. (On ne peut pas attendre plus longtemps.) Ça m'inquiète.
Dit finalement Luca en brisant ce silence oppressant. Jade hoche la tête immédiatement.
-Ethan: Sì, è tempo di cercarla. (Oui, il est temps de la chercher.)
Je me lève sans hésiter.
-Ethan: Dividiamoci. (Divisons-nous.)
Luca acquiesce et nous répartissons les zones : lui ira vers le centre de l'île, là où se trouvent quelques bars et petites boutiques, Jade longera le rivage, et moi, je partirai en direction de la végétation plus dense qui borde la plage. Luca serre brièvement les dents avant de souffler :
-Luca: Lila è testarda, ma non scapperebbe così senza una ragione. (Lila est têtue, mais elle ne partirait pas comme ça sans raison.) Ne l'a brusquer pas, per favore, je tiens à elle.
Il essaye sûrement de se convaincre lui-même, mais je suis d'accord sur un point, ne pas la brusquer.
Sans perdre plus de temps, nous partons chacun de notre côté, nos pas rapides sur le sable encore tiède.
Je m'enfonce progressivement dans l'ombre des palmiers, où la lumière des villas et des installations touristiques ne filtre presque plus. L'obscurité y est plus pesante, seulement troublée par la lueur de la lune qui se reflète sur le sable et les feuillages.
-Ethan: Lila !
Ma voix résonne dans le silence, couverte par le bruit des vagues qui viennent lécher le rivage. Aucune réponse.
J'avance encore, scrutant chaque recoin entre les arbres, mon cœur battant plus fort à chaque pas. Pourquoi cette femme me trouble-t-elle autant ? Pourquoi ai-je cette sensation étrange au creux de la poitrine, ce besoin presque viscéral de la retrouver ?
Soudain, au loin, je remarque une silhouette assise sur un rocher, face à l'océan. Mon souffle se coupe.
Je m'approche lentement, reconnaissant immédiatement ses cheveux blonds légèrement emmêlés par le vent, sa posture recroquevillée, ses bras enroulés autour de ses jambes. Lila.
Son nom me brûle les lèvres, mais je ne veux pas l'effrayer. Alors je m'arrête à quelques mètres, laissant le bruit de mes pas annoncer ma présence.
Elle ne bouge pas, mais je sais qu'elle m'a entendu.
-Ethan: Lila...
Elle tourne légèrement la tête, son regard perdu dans l'horizon. Même sous la lumière tamisée de la lune, je peux voir qu'elle a pleuré. Ses yeux brillent, mais son visage est figé, fermé, comme si elle luttait contre un tourment intérieur que je ne peux pas comprendre. Je m'accroupis à côté d'elle, respectant son silence, ne voulant pas la brusquer.
-Ethan: On était inquiets.
Elle inspire profondément, mais ne répond toujours pas. Alors, doucement, je glisse mon regard vers l'océan.
-Ethan: Je comprends ton besoin de fuir, mais pas sans nouvelle Lila.
Cette fois, elle bouge. Ses épaules se détendent légèrement, comme si mes mots avaient percé quelque chose en elle.
-Lila: Tu ne comprends pas.
Murmure-t-elle enfin de sa voix rauque à cause de ses sanglots. Je la regarde à nouveau, captant la douleur dans ses yeux.
-Ethan: Alors explique-moi.
Elle serre les dents et détourne le regard. Un long silence s'installe entre nous, seulement bercé par le bruit des vagues. Son corps tremble quand soudain, elle se jette contre moi, ses bras s'accrochant désespérément à mon dos. Sa respiration est saccadée, étouffée par les sanglots qu'elle tente de retenir.
Je reste figé une seconde, surpris par ce contact brutal et inattendu. Mais presque instinctivement, mes bras se referment autour d'elle, la serrant contre moi. Je sens son cœur battre à un rythme effréné contre ma poitrine, et sa détresse vibrer à travers chaque frisson qui la traverse.
-Ethan: Shh... Va bene, ci sono. (Shh... Ça va, je suis là.)
Murmurai-je doucement en posant une main sur l'arrière de sa tête pour l'encourager à se blottir davantage. Elle s'accroche plus fort, comme si elle craignait que je disparaisse, comme si elle cherchait à étouffer ses peurs dans la chaleur de mon étreinte. Ses doigts se crispent sur ma chemise, la froissant, et je sens l'humidité de ses larmes tremper légèrement le tissu.
-Lila: Mi dispiace... (Je suis désolée...)
Souffle-t-elle d'une voix brisée.
-Ethan: Pourquoi ?
Elle ne répond pas tout de suite. Son souffle se heurte contre ma peau, saccadé et instable.
-Lila: D'être comme ça...
Je ferme les yeux une seconde, la serrant un peu plus contre moi.
-Ethan: Ne sois pas désolée, Lila.
Elle respire profondément contre mon cou, tentant de calmer ses pleurs, et lentement, ses sanglots s'apaisent, laissant place à une respiration plus douce, plus régulière. Mais elle ne bouge pas. Elle reste contre moi, comme si, pour la première fois, elle trouvait un refuge. Je glisse une main dans ses cheveux en effleurant doucement ses mèches dorées.
-Ethan: Tu n'as pas à tout affronter seule.
Lui murmurai-je doucement. Elle se fige un instant, puis, dans un souffle presque imperceptible, elle murmure :
-Lila: J'ai peur...
Ces mots sont fragiles, honnêtes, comme une confession arrachée à son âme.
-Ethan: Peur de quoi ?
Elle hésite.
-Lila: Si je te le dis... tu me regarderas autrement.
Je prends une lente inspiration, puis je pose ma main sur son dos, caressant doucement le tissu léger de sa robe.
-Ethan: Je te vois déjà, Lila.
Elle relève légèrement la tête, son regard embué cherchant le mien. Dans la nuit, ses yeux brillent, vulnérables et intenses à la fois. Un long silence s'installe entre nous, chargé de mille émotions que ni l'un ni l'autre ne savons encore nommer. Puis, d'une voix à peine audible, elle murmure :
-Lila: Ne me lâche pas...
Je resserre mes bras autour d'elle, et cette fois, je ne dis rien. Je me contente d'être là, de lui offrir ce qu'elle n'a peut-être jamais osé demander. Un peu de répit.
Lila reste blottie contre moi un long moment, sa respiration encore tremblante mais plus posée. Je ne dis rien, je lui laisse le temps dont elle a besoin. Parfois, le silence est plus réconfortant que n'importe quelle parole.
Puis, lentement, elle se détache, juste assez pour croiser mon regard. Ses yeux sont rougis par les larmes, mais il y a une lueur différente dedans... une hésitation, peut-être même une peur plus profonde que celle de ce soir.
-Lila: Tu veux savoir pourquoi j'ai réagi comme ça ?
Murmure-t-elle en esquissant un sourire triste. J'acquiesce lentement, sans la brusquer, puis elle détourne les yeux en fixant l'océan comme si elle y cherchait du courage. Ses doigts jouent nerveusement avec un pli de sa robe, et lorsqu'elle parle enfin, sa voix est à la fois fragile et lourde de souvenirs.
-Lila: Quand tu as dit que mes peintures méritaient d'être exposées... Ça m'a ramenée des années en arrière. À une époque où... quelqu'un contrôlait tout ce que je faisais.
Elle serre les poings, son souffle s'accélérant légèrement.
-Lila: Mon ex... il disait toujours qu'il croyait en moi, qu'il voulait me pousser à aller plus loin. Mais en réalité, il voulait juste m'enfermer dans son monde à lui à New York. Il contrôlait mes toiles, mes choix, mes émotions. Il exposait mon art comme s'il lui appartenait... Comme si moi-même, je lui appartenais.
Sa voix se brise légèrement sur la fin, et je ressens une vague de colère sourde monter en moi.
-Ethan: Bastardo... (Salaud...)
Murmurai-je entre mes dents. Elle lâche un léger rire amer, mais ses yeux restent fuyants.
-Lila: Je suis partie du jour au lendemain, sans prévenir. J'ai tout laissé derrière moi. Mon succès, ma carrière, mon nom. Je suis venue ici, j'ai recommencé de zéro. Et surtout, j'ai juré que plus jamais je ne laisserais quelqu'un d'autre décider de ce que je fais de mon art.
Un silence s'installe, seulement troublé par le ressac des vagues. Je comprends maintenant. Ce n'était pas une simple crise de colère tout à l'heure. C'était une révolte. Un instinct de survie.
Je tends la main vers elle, mais j'attends son accord. Lorsqu'elle ne recule pas, je pose doucement mes doigts sur les siens, un simple contact, une présence.
-Ethan: Tu es libre, Lila.
Lui annoncais-je de ma voix plus grave que je ne l'aurais voulu.
-Ethan: Personne ne te forcera jamais à faire ce que tu ne veux pas.
Elle relève enfin les yeux vers moi, et dans son regard, il y a une vulnérabilité désarmante.
-Lila: Tu dis ça maintenant... mais si tu découvrais tout ce que je cache, est-ce que tu penserais toujours pareil ?
-Ethan: Essaie-moi.
Elle reste immobile, comme si elle pesait mes mots. Puis, dans un murmure, elle lâche :
-Lila: J'ai peur de m'attacher... de revivre la même chose.
Je serre légèrement sa main dans la mienne.
-Ethan: L'attachement n'est pas une prison, Lila. Pas quand il est sincère.
Elle ne répond pas tout de suite, mais je sens que quelque chose en elle vacille.
Lila baisse la tête, le regard perdu sur l'océan a quelques pas de nous. Je sens qu'elle lutte contre quelque chose d'invisible, un poids qu'elle porte depuis trop longtemps.
-Lila: J'aimerais te croire...
Souffle-t-elle de sa voix si basse que je pourrais presque croire qu'elle se parle à elle-même.
-Ethan: Alors crois-moi.
Elle relève les yeux vers moi, son regard cherchant une faille, un doute, une quelconque hésitation. Mais je n'ai pas l'intention de reculer. Un long silence s'installe, bercé par le bruit des vagues.
-Lila: Il s'appelait Adrien.
Lâche-t-elle finalement. Je ne dis rien, la laissant continuer.
-Lila: Au début, c'était parfait. Il me soutenait, me poussait à exposer mes toiles, à croire en moi... et puis, petit à petit, il a commencé à tout contrôler. Il décidait de mes couleurs, de mes sujets, de mes expositions. Il disait que c'était pour mon bien, pour que je réussisse...
Elle marque une pause, et prend une inspiration tremblante.
-Lila: Mais ce n'était jamais assez. Il voulait toujours plus. Et moi, je me suis perdue là-dedans. Un jour, je me suis réveillée en me rendant compte que mes toiles ne m'appartenaient plus. Que même mes pensées ne m'appartenaient plus.
Elle se mord la lèvre, comme pour empêcher sa voix de trembler davantage.
-Lila: Il m'a brisée Ethan. Et quand j'ai voulu partir... il m'a fait comprendre que sans lui, je ne serais rien. Que personne ne se soucierait de mon art si je disparaissais.
Une colère sourde monte en moi. L'idée qu'un homme ait pu l'enfermer ainsi, la déposséder d'elle-même...
-Ethan: Comment as-tu réussi à t'en aller ?
Lui demandais-je en gardant ma voix aussi calme que possible. Elle lâche un rire amer.
-Lila: J'ai pris mes affaires et je suis partie un matin, sans prévenir. Je n'ai pris que mon chat et quelques toiles qui comptaient pour moi. J'ai tout laissé derrière. Ma carrière, mon succès, mon nom. Depuis, je n'ai plus de contact avec l'́extérieur, je sors très peu et reste enfermée dans mon cocon.
Elle tourne la tête vers moi, et dans son regard, je vois quelque chose de plus profond que la douleur. De la peur, mais aussi une force brute, celle qu'elle a dû puiser pour tout quitter.
-Lila: Je ne veux plus jamais revivre ça, Ethan.
Je serre légèrement sa main dans la mienne.
-Ethan: Tu n'as plus à fuir. Et si tu le veux bien, je peux t'aider à ne plus avoir peur du monde.
Elle détourne le regard, hésitante.
-Lila: Et si je n'y arrive pas ? Si je suis trop... abîmée ?
Je fronce légèrement les sourcils avant de glisser mes doigts sous son menton, l'obligeant à me regarder.
-Ethan: non sei danneggiato (Tu n'es pas abîmée,) Lila. Tu es forte. Tu as eu le courage de partir.
Ses yeux brillent sous la lumière de la lune, une larme solitaire glissant le long de sa joue. Puis, sans prévenir, elle se penche vers moi et pose son front contre mon épaule, cherchant un peu de réconfort dans ma présence.
Je referme mes bras autour d'elle, sans rien ajouter.
Parfois, les mots ne suffisent plus et il suffit juste d'être là. Silencieux.
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Point de vue Lila
La lumière du matin filtre à travers les rideaux de ma chambre, douce, presque timide. Pourtant, elle ne parvient pas à chasser le poids qui écrase ma poitrine. Mes yeux sont brûlants, gonflés par une nuit de sanglots que je n'ai pas su contenir.
Après qu'Ethan m'a raccompagnée, Luca et Jade m'ont prise dans leurs bras, me serrant fort sans poser de questions, et moi... moi, je n'ai fait que m'excuser encore et encore, comme si tout était de ma faute. Comme si je leur devais des explications que je n'étais pas prête à donner.
Mais Ethan, sait. Et ça me terrifie.
Je lui ai demandé de ne rien dire à Jade, de garder ça pour lui, car même Luca, mon roc, mon frère de cœur, ne connaît pas toute l'histoire. Il sait que j'ai fui, il sait que mon passé me hante, mais il ne connaît pas les détails. Les cicatrices invisibles.
Ethan a promis.
Et pourtant, je n'arrive pas à me détendre. Quelque chose en moi reste sur le qui-vive, comme si le simple fait d'avoir partagé un morceau de mon passé pouvait suffire à me fragiliser.
Je me tourne sur le côté, fixant le plafond, la gorge nouée. Pyra, ma petite boule de feu, est blottie contre moi, sa respiration calme contrastant avec mon tumulte intérieur.
Je caresse lentement son pelage, cherchant du réconfort dans ce simple geste. Je devrais me lever. Je devrais faire semblant que tout va bien.
Mais je n'y arrive pas. Mon corps est lourd, mon esprit embrouillé. Puis, un léger coup retentit à la porte.
-Jade: Lila ?
C'est Jade. Sa voix est douce mais hésitante. Je ferme les yeux un instant avant de répondre, tentant de camoufler la fatigue et la douleur dans ma voix.
-Lila: J'arrive...
Mais je ne bouge pas. J'entends son soupir derrière la porte, puis le bruit léger de ses pas qui s'éloignent.
Je prends une profonde inspiration et me redresse enfin, rassemblant le peu de force qu'il me reste.
Aujourd'hui, je dois faire semblant. Encore une fois.
A suivre...