Une brume épaisse enveloppe l'horizon, teintant le ciel d'un rouge sombre. L'air est chargé d'une tension oppressante, comme si chaque souffle transportait un secret interdit. Umbra n'est pas un monde accueillant. Ses paysages déchirés par des pics acérés, ses rivières d'ombre mouvante et ses vents sifflants évoquent un lieu où seuls les plus forts survivent. Pourtant, au cœur de cette obscurité, une lueur persiste.
Dans une demeure austère, bâtie de pierres noires et de bois ancien, une douce chaleur contraste avec le monde extérieur. La voix apaisante de la mère d'Aleya résonne dans la pièce principale.
— Viens ici, ma chérie. Il commence à faire froid.
Aleya s'approche, hésitante, ses petits pieds frôlant le sol glacé. Elle se love contre sa mère, sentant la chaleur de ses bras l'envelopper. Son père, assis non loin, l'observe avec un sourire discret. Contrairement aux autres habitants d'Umbra, leurs regards ne portent ni mépris ni crainte.
— Tu as joué dehors trop longtemps encore ? demande-t-il d'une voix grave mais bienveillante.
Elle hoche timidement la tête.
— Erhan était là, il voulait m'apprendre à me battre...
Un silence s'installe brièvement. La mère d'Aleya caresse tendrement ses cheveux.
— Ton frère veut sûrement bien faire. Mais il faut que tu sois prudente, Aleya.
La petite fille sent son cœur se serrer. Elle sait que son aîné le regarde différemment. Pas comme ses parents. Il y a dans ses yeux une lueur qu'elle ne comprend pas encore, un mélange de curiosité et d'animosité.
Le père d'Aleya se lève et s'agenouille devant elle.
— Quoi qu'il arrive, nous serons toujours là pour toi. N'oublie jamais ça.
Elle lève ses grands yeux vers lui et esquisse un sourire timide. Dans cet univers où les faibles n'ont pas leur place, ses parents sont une anomalie. Ils lui offrent quelque chose de rare sur Umbra : un foyer, un amour sincère. Mais elle ignore encore que cette lumière fragile pourrait vaciller à tout moment.
Le feu crépite doucement dans l'âtre, projetant des ombres dansantes sur les murs de pierre. Aleya détend ses muscles tendus, profitant de cet instant de répit. Sa mère lui tend une tasse en terre cuite remplie d'une infusion sombre.
— Bois, cela te réchauffera.
Le liquide a un goût amer, mais Aleya apprécie la chaleur qui se répand en elle. Son regard se perd vers la fenêtre, où la brume à l'extérieur semble se mouvoir comme une entité vivante.
— Maman… Pourquoi Erhan est-il toujours si dur avec moi ?
Sa mère soupire, posant doucement sa main sur la sienne.
— Erhan veut te rendre forte. Il croit que sur Umbra, seule la force compte.
— Mais pourquoi moi ? Mes autres frères ne reçoivent pas ce traitement.
Le silence s'installe un instant. Son père pose son regard sur sa femme, comme s'ils échangeaient un message muet. Finalement, il s'exprime d'une voix douce mais ferme.
— Parce que tu es différente, Aleya.
Ces mots résonnent en elle, lourds de sens qu'elle ne comprend pas encore pleinement. Elle ouvre la bouche pour poser une autre question, mais un bruit sourd retentit de l'autre côté de la maison.
La porte s'ouvre avec fracas.
Erhan entre, le regard sombre, ses vêtements recouverts de cendre et de poussière. Il pose son regard sur Aleya, et une lueur indéchiffrable traverse ses yeux.
— Tu es partie sans finir l'entraînement, grogne-t-il. Tu ne deviendras jamais forte si tu fuis tout le temps.
— Laisse-la respirer, Erhan, intervient leur père d'un ton calme mais ferme.
Le jeune démon hausse un sourcil, puis secoue la tête avant de tourner les talons.
— Peu importe. Si elle veut rester faible, qu'elle le reste.
Il disparaît dans le couloir, laissant un silence pesant derrière lui. Aleya baisse les yeux, une boule se formant dans sa gorge.
— Ne l'écoute pas, chuchote sa mère en l'attirant doucement contre elle.
Mais les mots d'Erhan s'accrochent à son esprit. Une question insidieuse grandit en elle :
Et s'il avait raison ?
Un souvenir l'envahit brusquement.
Elle revoit l'entraînement du matin. Erhan lui fait face, les bras croisés. À ses pieds, elle gît, essoufflée. Il l'a projetée au sol sans même faire d'effort.
— Relève-toi...
Sa voix est froide, impitoyable. Elle se redresse, tremblante, sentant son cœur battre à tout rompre. Elle n'est pas assez rapide, pas assez forte. Chaque coup d'Erhan est précis, calculé, la maintenant dans une impuissance frustrante.
— Tu veux survivre ici ? Alors arrête d'avoir peur.
D'un geste brutal, il l'attaque de nouveau. Aleya tente d'esquiver, mais sa lenteur lui vaut un nouveau choc contre le sol.
— Tu seras toujours faible, souffle-t-il avec dégoût avant de s'éloigner.
De retour dans la chaleur du foyer, Aleya resserre ses doigts autour de la tasse encore tiède. Ses parents échangent un regard inquiet. Son père brise le silence.
— Lyza… Elle commence à douter.
Sa mère, Lyza, caresse doucement les cheveux d'Aleya en murmurant :
— Je sais, Vael. J'ai peur qu'elle perde ce qui la rend si unique.
Vael pose une main sur l'épaule de sa femme.
— Nous devons être là pour elle, quoi qu'il arrive.
Aleya, absorbée par ses pensées, n'entend que des bribes de leur échange. Pourtant, une détermination nouvelle naît en elle.
Elle ne veut plus être faible.