Allongée sur son lit, Aleya fixe le plafond de pierre brute, ses pensées tourbillonnant dans sa tête. Les mots d'Erhan résonnent encore en elle, acérés comme des lames invisibles. Tu seras toujours faible. Elle se retourne, serrant les dents. Elle n'a jamais eu peur d'Erhan, pas vraiment. Mais ce qu'il lui inspire, ce mélange d'admiration et de crainte, est bien pire. Il est fort. Il sait ce qu'il fait… et s'il a raison ? Un bruit sourd déchire le silence. La porte s'ouvre brutalement, claquant contre le mur.
— Aleya !
Son cœur bondit. Vael, son père, se tient au pallier de la porte, la silhouette massive découpée par la lueur tremblante du couloir. Son regard perçant balaie la pièce avant de se poser sur elle. Il avance d'un pas ferme, le bois du plancher craquant sous son poids.
— Pourquoi tu ne dors pas ?
Aleya hésite, mais face à lui, mentir semble inutile.
— Erhan…
Vael pousse un soupir et s'assoit au bord du lit. Il croise les bras, son expression adoucie par un soupçon de tendresse.
— Qu'est-ce qu'il t'a encore mis dans la tête ?
— Que je suis faible… murmure-t-elle, le regard fuyant. Que je ne serai jamais forte.
Un silence pesant s'installe. Puis, d'un geste brusque, Vael pose sa grande main sur sa tête et la lui ébouriffe avec une force qui pourrait briser un humain normal.
— Tu crois qu'il a raison ?
Aleya mord sa lèvre, incertaine. Son père esquisse un sourire en coin.
— Écoute-moi bien, petite ombre. Erhan est un guerrier, il ne sait voir le monde que d'une seule manière. Mais être fort, ce n'est pas juste savoir se battre. Il la fixe de son regard d'acier.
— La vraie force, c'est de ne jamais oublier qui tu es.
Aleya ouvre la bouche, mais une présence derrière son père l'interrompt.
— Vael, laisse-la respirer.
Lyza, sa mère, entre à son tour, sa robe fluide effleurant le sol. D'un mouvement gracieux, elle s'agenouille près d'Aleya, posant une main douce sur sa joue.
— Tu veux que je te raconte une histoire ?
Aleya hoche la tête, se blottissant instinctivement contre elle. Lyza caresse lentement ses cheveux, sa voix s'élevant comme une mélodie ancienne.
— Il existe un monde loin d'ici, au-delà des étoiles. Un monde où la guerre n'a pas sa place, où la connaissance est un trésor plus précieux que la force brute. Ce monde s'appelle Leporis.
Aleya cligne des yeux. Elle a déjà entendu ce nom, mais jamais ainsi.
— Les habitants de Leporis ne brandissent pas d'épées. Ils forgent des idées, des inventions, des histoires qui traversent le temps. Ils croient que la mémoire est le plus grand pouvoir qui soit.
Elle fait une pause, serrant la main d'Aleya.
— Nous avons oublié beaucoup de choses sur Umbra. Mais toi, ma fille, tu as en toi une lumière que même l'ombre ne pourra effacer.
Aleya sent son cœur se serrer. Elle veut croire ces mots, elle veut croire qu'elle est différente, qu'elle a une place quelque part. Mais un rire moqueur brise la bulle fragile de réconfort.
— C'est bien beau, les contes de fées, mais ça ne la sauvera pas quand elle sera seule face à un ennemi.
Erhan est là, adossé à la porte, les bras croisés. Ses yeux d'un rouge sombre brillent d'une lueur glaciale.
— Tu peux rêver autant que tu veux, Aleya. Mais sur Umbra, la seule vérité qui compte, c'est celle du sang et du fer.
Vael se lève d'un bond, sa stature dominant son fils aîné.
— Ça suffit, Erhan.
Le jeune démon ne bronche pas. Il plante son regard brûlant dans celui d'Aleya, un sourire froid étirant ses lèvres.
— Quand tu seras prête à voir la vérité, viens me trouver.
Il tourne les talons et disparaît dans l'ombre du couloir. Aleya reste figée. Sa gorge est sèche, ses pensées embrouillées. La chaleur de sa mère et la force de son père l'entourent encore, mais la voix d'Erhan s'accroche à son esprit comme un poison insidieux. Elle veut être forte.
Mais qu'est-ce que cela signifie, au juste ?