"Ce que cache le Sang"

Le silence pesait lourd sur le petit groupe alors qu’ils rebroussaient chemin vers le village frontalier. Le combat de la veille avait laissé plus que des plaies physiques. Elira, soutenue par Brandon, tentait de cacher la douleur qui la tiraillait au flanc, mais son visage ne mentait pas. Ils atteignirent enfin l’auberge, et une soigneuse fut rapidement appelée. Dans la chambre modeste où Elira se reposait, le calme revenait peu à peu.

Personne ne parlait vraiment. Lian nettoyait discrètement les armes. Brandon veillait à la porte. Aleya, assise sur un tabouret, fixait le sol, perdue dans ses pensées.

Aleya revoit encore le sang, la rage, les poings qui s’abattent sans relâche. Elle n’a pas de souvenir clair du moment exact où elle a perdu le contrôle, seulement cette chaleur… La même chaleur qui avait envahi ses veines lors de la sortie du portail de la clairière. Et ce visage. Celui de la silhouette encapuchonnée. Cette larme sur la joue… Pourquoi pleurait-elle ?

Elle serre les poings. Qui est-elle devenue, à réagir ainsi ?

Elira, allongée sur son lit, feint le sommeil. En vérité, elle pense à Aleya. Elle a vu cette rage, mais aussi la peur dans ses yeux après coup. Une peur de soi. Et étrangement, cela la touche plus que cela ne l'effraie. Aleya n’est pas seulement puissante… elle est humaine. Fragile, peut-être trop.

Brandon, appuyé contre le mur, rumine. Deux attaques en quelques jours, depuis qu’Aleya a rejoint leur groupe. Il n’est pas paranoïaque, mais il ne croit plus au hasard. « Pourquoi est-elle tant ciblée… », se murmure-t-il.

Lian, quant à lui, écrit. Il note l’apparition de la silhouette, les flèches, l’exécution parfaite, l’absence d’émotion visible… sauf cette larme. Il tente de relier les fils. Raison, structure, données. C’est sa manière de ne pas sombrer.

Le soir venu, ils se retrouvent autour du feu dans la salle commune, loin des regards indiscrets. L’ambiance est tendue, le bois crépite, mais le silence reste oppressant jusqu’à ce que Brandon prenne la parole :

— « On ne peut plus nier l’évidence. Depuis qu’Aleya est avec nous… ces attaques se multiplient. »

Il parlait sans colère, son ton était grave, mais posé. Elira baissa les yeux, ses doigts crispés sur une tasse de thé fumant.

— « Tu veux dire qu’elle est la cible, » rectifie Lian, en relevant lentement la tête de son carnet. « Pas qu’elle les attire. »

Brandon hocha la tête.

— « Exact. Mais il faut comprendre… pourquoi elle ? Pourquoi autant d’insistance ? »

Aleya, jusque-là restée silencieuse, releva les yeux. Son regard trahissait un trouble, presque de la honte.

— « Je… je ne sais pas. » Sa voix était plus faible que d’habitude. « Je ne comprends pas ce qu’ils me veulent. Je n’ai rien fait… »

Elira s’approcha un peu plus, posant une main sur la sienne.

— « T’as pas à te justifier. S’ils te traquent, c’est pour une raison qu’on ignore encore. Mais on va la trouver. »

Lian referma lentement son carnet.

— « Ces hommes n’étaient pas des bandits improvisés. Ils étaient organisés. Entraînés. On parle d’un groupe qui suit des ordres. Et ces ordres semblent venir de plus haut. »

Brandon croisa les bras.

— « On est peut-être mêlés à quelque chose qui nous dépasse. Une guerre dans l’ombre. »

Aleya releva la tête, les yeux légèrement brillants.

— « Et si je suis un danger pour vous ? »

Elira secoua la tête avec fermeté.

— « T’es avec nous. Et autant que tu le veux, tu restes avec nous. »

Lian ajouta, plus calmement :

— « La vraie question, ce n’est pas si tu es un danger. C’est qui pense que tu l’es. Et pourquoi. »

Le silence retomba, mais cette fois, il n’y avait plus de peur. Seulement une résolution partagée entre eux.

Brandon brisa finalement le silence :

— « Et cette archère… cette silhouette. Elle ne nous a pas attaqués. Elle nous a sauvés. »

— « Un agent d’une faction cachée ? » propose Lian. « Ou peut-être une sorte de justicière ? »

— « Ou encore une ennemie d’un autre genre, » ajoute Elira. « Une assassin solitaire ? Une sentinelle ? »

Le débat reste sans réponse. Le mystère plane. Une chose est sûre : elle était redoutable.

Le lendemain, à la première lueur du jour, ils retournent sur les lieux du combat. Mais ce qu’ils trouvent glace le sang : rien. Pas un cadavre. Pas une trace de sang. Pas une arme, pas un tissu déchiré. Même la terre semble intacte, comme si la forêt avait avalé toute preuve de l’affrontement.

— « C’est impossible, » souffle Brandon. « Il y avait du sang partout. Des corps… »

— « À moins que ce ne soit lui, » murmure Lian, pâle. « Le Chasseur. Personne ne sait à quoi il ressemble… mais ce genre de nettoyage, ça lui ressemble. Propre. Invisible. Comme s’il n’avait jamais existé. »

Aleya fixe les bois en silence. Un frisson lui parcourt l’échine.

La forêt, à présent, paraît bien plus silencieuse qu’avant.