Une conversation civilisée

Mon épée était pointée sur sa tête au moindre de ses faits et gestes, et je pourrais l'abattre instantanément, même si je ne pensais pas qu'il puisse se battre d'aussi tôt.

Il avait en effet plus d'importance pour moi vivant que mort.

"C'était un bon échauffement, je t'en remercie. J'ai pu m'habituer à mon corps et acquérir une idée des limites de mon nouveau pouvoir."

Ses yeux s'illuminèrent, révélant son choc.

"Alors, tu en as mis du temps pour comprendre l'énigme.

Vois-tu, je viens de passer des années où la seule chose qui m'a tenu compagnie fut mes pensées... Si je ne compte pas cette voix dans ma tête, bien sûr. Si elle existe réellement, mais là n'est pas la question.

Après tout ce temps passé seul, n'importe qui deviendrait sûrement fou.

Ce que tu peux constater, c'est que je ne le suis pas, puisque tu es encore en vie.

Enfin bref, même moi, j’aurais naturellement envie d’avoir une conversation… Hmm, disons civilisée, avec une autre personne.

Ah oui, j’ai aussi des questions auxquelles je crois que tu peux avoir la réponse.

Ne t’en fais pas, c’est une discussion entre adultes, donc tu ne seras pas le seul à parler. Et pour te montrer ma bonne foi, je répondrai à une de tes questions."

Il était impassible, me regardant droit dans les yeux sans trembler de peur. Je crois que j’ai sous-estimé sa détermination.

"Tu préfères garder le silence ? Dans ce cas, laisse-moi plutôt deviner ce que tu veux savoir. D’où venait le poignard planté dans ton dos ? Je ne suis pas ingrat, alors je vais te le dire pour te remercier de m’avoir servi de cobaye pour mon entraînement.

Après tout, il serait triste de mourir sans savoir pourquoi tu as perdu. Cela te hanterait jusque dans ta mort."

Oh, il montre enfin de la curiosité dans son regard.

"Ne me remercie pas.

Rien de plus simple : au début, si tu te souviens, j’avais deux poignards. Après la première attaque que tu as parée, l’un d’eux s’est transformé en fumée. Mais il n’a pas totalement disparu. Je l’ai juste maintenu ainsi, attendant patiemment le moment où tu te relâcherais.

Jusqu’à ce que ta lame se retrouve sur moi, prête à me décapiter.

Tu croyais naturellement avoir remporté le combat. Qui ne l’aurait pas cru ? Ton adversaire à terre, désarmé, te suppliant… Tu as inconsciemment baissé ta garde.

Il ne me restait plus qu'à le matérialiser sous une forme solide, tout en utilisant une partie de la fumée pour créer une explosion et le propulser avec assez de force pour traverser tes montagnes de muscles, avant de le faire exploser de plein fouet à nouveau."

"A mon tour de poser les questions."

Mon épée traça délicatement un chemin de sa tête à son épaule.

"Pourquoi des Exécuteurs coopèrent-ils avec une armée de Calamités ?"

Aucune réponse. Pourtant, ses yeux trahirent brièvement sa surprise avant de se reprendre. Cela aurait dû passer inaperçu pour quiconque, mais pas pour moi. Il doit se demander comment je le sais.

Intéressant.

"Que visez-vous en forçant les gens à s’éveiller ?"

Cette fois, il ouvrit la bouche, scandant fièrement :

"C’est leur droit de défendre leur vie, et c’est un honneur pour tout humain de verser son sang pour la survie de l’humanité ! Un traître comme toi, qui s’associe aux Calamités pour un pouvoir corrompu, ne pourra jamais le comprendre !"

"Oh, tu feins l’ignorance ? Très intéressant."

"Je ne trahirai pas mon engagement envers la cause de l’humanité. Tu peux me torturer autant que tu veux, tu n’obtiendras rien de moi ! Mes camarades te pourchasser ont, toi et les Calamités que tu sers !"

Ses yeux étaient déterminés. Est-ce qu’il se prend pour un martyr ?

Certes, je l’avais battu, mais sa volonté n’était pas brisée. Eh bien, pour l’instant…

"C’est ton choix, tu as le droit de ne pas vouloir répondre à mes questions."

Je fis disparaître mon épée, et une bague apparut à nouveau sur ma main gauche.

Je ramassait sa claymore à terre et l’examinai attentivement, détaillant chacun de ses aspects.

"C’est une belle épée. Tu as dû en prendre grand soin, et je parie qu’elle t’a sauvé la mise bien des fois. Assez longtemps pour que tu deviennes le combattant que tu es."

"J’ai répondu tout à l’heure à deux de tes questions, mais tu as refusé de me rendre la pareille."

Je positionnai la claymore au-dessus de mon épaule.

"Ce n’est pas équitable, n’est-ce pas ? Alors, je prendrai l’épée à la place. Qu’en dis-tu ? Satisfait ?"

Je fis demi-tour, lui tournant le dos, avançais d’un pas, puis me retournai brusquement pour balancer la claymore d’un seul mouvement sur son épaule.

Là où je m’attendais à entendre un cri de douleur, il n’y eut rien.

Son bras gauche se détacha de son corps. Du sang coulait comme un robinet ouvert, mais son expression n’avait pas changé.

Comme s’il ne ressentait pas la douleur. Ou plutôt, comme s’il n’était pas conscient de la perte de son bras.

Voilà qui devient de plus en plus intéressant.

Un sourire se dessina sur mes lèvres.

"Je prendrai ton bras pour ne pas avoir eu de réponse à ma deuxième question. C’est ce qu’on appelle un échange équivalent."

Je fléchis les genoux pour me mettre à sa hauteur.

"As-tu compris ce que c’est qu’une conversation civilisée ?"

Plus aucune réaction. C’était comme s’il était déconnecté de tout ce qui se passait en ce moment.

Cela me convient aussi.

"Je suis de bonne humeur, alors je vais te l’expliquer à nouveau.

Tu me poses une question, je te donnerai la réponse. Ensuite, je te poserai une question, et tu devras y répondre.

Si tu refuses, je procéderai à un échange équivalent."

"Eh bien, es-tu satisfait de ma réponse ?"

Je plaçai cette fois l’épée sur son épaule droite.

"A mon tour de te poser une question… Eh bien, qu’est-ce que je veux bien savoir ?"

"Comment une armée de Calamités s’est-elle retrouvée devant Astoria sans que personne ne s’en aperçoive ?"

Aucune réponse.

"Tu ne veux pas répondre ? Eh bien, c’est ton droit."

Je levai mon épée, feignant d’arrache

r son bras droit, avant de lui laisser une profonde entaille sur l’œil gauche.

La conversation allait être longue.