POINT DE VUE DE GABRIEL
Les heures passèrent, l'état de Sarah s'améliorait de plus en plus au fil des heures, la fièvre avait fini par disparaître et elle pouvait dorénavant marcher sans problème, bien qu'il faille qu'elle se ménage au maximum.
Nous patientions tranquillement dans le bâtiment, de temps à autre on pouvait observer des hélicoptères survoler la ville au loin, cela faisait bien longtemps que le ciel n'avait pas été autant agité.
Notre mission s'avérait plus compliquée que prévu, True Human n'hésitait pas à se rapprocher dangereusement du territoire des Sangs-Divins et ça, ce n'était pas bon signe.
Je m'éloignais un peu de Sarah, me rapprochant de l'encadrement de ce qui aurait dû être une fenêtre, puis sortis mon paquet de cigarettes.
Deux cigarettes. Il fallait dire qu'avec tout ce que l'on avait traversé, mon paquet avait pris un sacré coup. J'en allumai une puis rangeai l'autre dans ma poche.
Seul le bruit des moteurs au loin venait briser ce silence des rues calmes. L'atmosphère chaude, bercée par un léger courant d'air frais, rendait l'attente presque agréable.
Mais on devait à tout prix rejoindre notre quartier général, et le plus rapidement possible était le mieux.
Alors que je restais plongé dans mes pensées, Sarah me rejoignait au niveau de la fenêtre.
— Tout va bien, tu as besoin de quelque chose ? questionnai-je, le regard fixé sur la ruelle en contrebas.
— Non, tout va bien merci, je suis prête pour quand on reprendra la route. Et toi, ça va ?
— Je ne sais pas. Je repensais à ce matin.
Sarah s'adossa contre le mur proche de la fenêtre.
— Ouais on l'a échappé belle et j'espère que les autres vont bien.
Je ne pouvais m'empêcher de me remémorer l'assaut de ce matin.
— Ils savaient que l'on était là.
Sarah se tourna vers moi, le regard interrogatif.
— Il ne nous aurait jamais retrouvés aussi vite s'ils fouillaient chaque bâtiment pièce par pièce comme ils l'ont fait. Donc, ils savaient que l'on était là.
— Le collier ?
— Très probablement cela restait notre crainte, heureusement le signal n'a pas l'air d'être très précis.
— Oui et puis ils se sont rapprochés des Sangs-Divins et il y a Bastien pour épauler Adrien.
— Quand je suis partie retrouver Bastien la nuit dernière, je l'ai retrouvé assis contre un mur dans le réfectoire, il venait de s'injecter quelque chose.
Sarah se redressa un peu trop brusquement, réveillant sa douleur.
— Vraiment… aie !! Vraiment ?
— Apparemment, il avait des problèmes cardiaques et il devait prendre un traitement, et avec tout ce que l'on a vécu récemment ça ne doit pas être facile, j'espère qu'il tiendra le coup et qu'il pourra se défendre si besoin.
— Vous aviez fait l'armée ensemble, non ?
— Disons que nos unités avaient collaboré sur quelques opérations mais j'ai fini par la quitter peu avant l'apparition des Éveillées pour que finalement le destin nous réunisse dans la même faction.
Je me redressais puis jetai un coup d'œil vers Sarah. Je m'étais battu pendant toutes ces années pour que les jeunes ne côtoient jamais un champ de bataille et me voilà face à elle blessée par un conflit qui la dépasse.
— Qu'y a-t-il ? demanda Sarah alors que je la fixais inconsciemment, perdu dans mes pensées.
— Oh rien du tout, je réfléchissais juste à la suite. Bon, je vais patrouiller dans les rues alentours. Si jamais il y a quoi que ce soit, cache-toi, je ne serai pas long.
Je vérifiai mon nombre de chargeurs disponibles, puis descendis les escaliers.
Je parcourais les ruelles alentours, elles étaient jonchées de déchets comme à leur habitude. True Human ne semblait toujours pas être passé dans les environs car quelques sans-faction se trouvaient dans les rues, certains fouillaient dans les poubelles à la recherche de quoi survivre, d'autres se trouvaient en dessous de toile en tissu étendues et accrochées entre deux murs pour se couvrir du soleil.
Mais ce qui me faisait serrer les poings, c'était ce petit garçon, assis sur une marche à l'entrée d'un immeuble recroquevillé sur lui-même, le visage sale, fortement amaigri.
Je resserrai fort mon arme contre moi, puis passais mon chemin, détournant le regard.
Les ressources se faisaient rares, aucune faction ne peut se permettre d'accueillir tout le monde et la pitié ne remplit pas les assiettes. Voilà la cruelle réalité dans laquelle nous vivons.
Après ce rapide tour d'inspection, je retournai au niveau de l'immeuble puis retrouvai Sarah qui s'était réinstallée proche de l'escalier.
— Tout s'est bien passé ?
— Quelques sans-factions, mais rien de plus, True Human ne semble pas s'intéresser à ce quartier.
Nous patientions en silence les quelques heures nous séparant de la tombée de la nuit, remballant nos affaires et effaçant au maximum toute trace de notre passage ici.
Je nous dirigeai vers l'un des grands axes principaux reliant l'extérieur d'Eternalys à son centre-ville, je ne pouvais pas m'empêcher de jeter un rapide coup d'œil vers là où se trouvait le garçon tandis que l'on passait non loin, mais il avait quitté les lieux comme tous les autres sans factions.
Après presque une heure de marche, nous arrivions finalement au début des problèmes, une deux-fois-trois voies totalement à découvert et séparées par un terre-plein central.
Un hélicoptère survolait la zone, heureusement il était seul, cependant des VBCI faisaient des allers-retours le long de l'axe.
Ces véhicules blindés sont très mobiles et équipés d'une tourelle dotée d'une mitrailleuse, se faire repérer par l'un de ces véhicules alors que l'on traverserait signerait notre arrêt de mort sans aucune échappatoire.
— Ils ne sont pas un peu trop nombreux ? interrogea Sarah
— Nous ne sommes plus qu'à quelques rues du convoi, ils doivent concentrer leurs recherches dans les environs. Malheureusement, le chemin le plus court pour rejoindre le quartier général nous demande de traverser cet endroit. À partir de maintenant, on n'a plus le droit à l'erreur, donc fais bien ce que je te dis et marche dans mes pas.
— Reçu !
J'attendais le moment propice, patientais jusqu'au passage d'un des VBCI, puis attendais qu'il s'éloigne le plus possible.
— Maintenant !
J'entamais la traversée en grande foulée, atteignant rapidement le terre-plein central. J'aidais Sarah à passer par-dessus, puis passais à mon tour, puis nous répétions l'opération de l'autre côté. Nous sprintions jusqu'à la ruelle la plus proche tandis que le projecteur de l'hélico balayait l'axe principal juste derrière nous.
Nous restions tapis dans l'obscurité, collés contre le mur et près des conteneurs poubelle remplis depuis bien longtemps. Nous pouvions entendre des membres de True Human discuter à seulement quelques mètres de nous.
— Qu'est-ce que l'on fout encore ici, putain, ça fait bien longtemps qu'ils se sont tirés !
— T'emballe pas, d'après nos informations, notre matos est sur le territoire des autres fou furieux. Certaines de nos unités se sont fait massacrer, donc si tu veux mon avis, on s'en sort bien.
— Ouais ouais si tu le dis, mais si je pouvais m'en faire un ou deux pour venger nos camarades tombés face à ces lâches !
— Je sais, t'inquiète pas, ce n'est qu'une question de temps avant qu'on leur mette la main dessus. En plus, j'ai cru comprendre qu'un VIP était sur place.
Alors qu'une pause s'installa dans leur conversation et qu'il n'était pas sur leurs gardes, je faisais signe à Sarah de rester cachée tandis que je m'approchais des deux soldats qui s'étaient séparés d'à peine quelques mètres tout en me dissimulant dans l'obscurité.
J'avançais. Couteau à la main, pas après pas. J'arrivais à bonne distance du premier soldat, l'attrapais fermement, une main bloquant sa bouche, l'autre lui tranchant la gorge avant de l'accompagner doucement au sol sans un bruit.
Il gisait au sol, tentant de respirer tandis qu'il se vidait de son sang. Je courais en direction du deuxième intrigué par les légers bruits de son camarade, mais lorsqu'il se retourna, c'était trop tard.
Je le plaquai contre le sol et, comme pour l'autre, je lui tranchai la gorge, ne lui laissant pas le temps de donner l'alerte.
Deux corps gisant dans une mare de sang, le premier gesticulait encore tandis que ses poumons se remplissaient de son propre sang.
Je m'accroupissais à son niveau.
Il me regardait les yeux imbibés de larmes, il ne pouvait plus dire un mot mais son regard me suppliait de l'épargner.
Je pensais avoir tout oublié… mais le corps n'oublie rien.
Je le regardais droit dans les yeux, impassible, tandis que le métal froid de ma lame pénétrait profondément ses entrailles.