Une fois la réunion finie, je me redirigeais vers l’infirmerie.
Sur le chemin je tombais nez à nez avec Bastien, qui me fit un grand geste de la main depuis l’autre bout du couloir.
— Hey, Adrien ! J’ai entendu dire que Sarah était réveillée, je suis partie voir à l’infirmerie, mais elle était déjà plus là.
— Ah, elles sont probablement dans la chambre d’Élodie, du coup.
— Tu l’as déjà vu ?
— Ouais, je sors d’une réunion là, prochainement on part pour une expédition extérieure, on reprend du service.
— Avec Sarah ? Et sans Gabriel ?
— Pour Sarah, ça sera à elle de décider et, pour Gabriel, on sera accompagné de l’unité Charlie et d’un Éveillé.
Alors que l’on prenait ensemble la direction de la chambre d’Élodie, j’enchaînais, histoire de faire passer le temps.
— Tu faisais quoi pendant l’assaut, ils n’ont pas tapé au niveau de ton appart ?
— Non, j’ai eu de la chance, j’ai pu profiter de l’occasion pour aider les civils présents dans le quartier, vu comment ça pétait de partout.
Finalement, nous arrivions au niveau de la chambre d’Élodie, j’ouvris en grand la porte déjà entrouverte, puis constata qu’elle était complètement vide.
— Et bien ça alors, elles sont parties où ? m’exclamais-je
— Elles sont peut-être parties se restaurer ?
Non, il y avait qu’un seul endroit elle pouvait se trouver si ce n’était pas ici.
— Non, elles ont mangé il n’y a pas longtemps, suis-moi, je sais où elles sont.
Marchant d’un pas décidé, je me dirigeais à toute vitesse en direction de ma chambre.
Arrivée à quelques mètres, je pouvais déjà entendre l’écho de leurs voix, et de leurs rires.
— J’en étais sûr !
Alors que je passais la tête sous le rideau métallique, je fis face aux quatre fuyardes.
Elles avaient rapproché le matelas du sol au niveau du lit, puis s’étaient positionnées en cercle.
— Ça va, tout se passe bien ? questionnais-je ironiquement.
— Oui tout va bien, et toi ? Répondit Élodie le regard criant qu’elle avait saisi l’ironie dans ma question.
Je soupirais, en réalité, cela ne me dérangeait pas, mais si je ne montrais aucun signe de réticence, elles passeraient leurs journées ici, et j’aimais bien me retrouver seul de temps à autre.
Désamorçant la situation j’introduisais Bastien qui passait à son tour sous le rideau de fer.
— Et je ne suis pas venu seul, j’ai Bastien avec moi !
Alors qu’il saluait une à une les filles présentes dans la pièce, je pris une chaise au niveau du bureau que je plaçais derrière elles, m’asseyant face au dossier.
— Alors, ça discute de quoi ?
— De rien ! enchaîna rapidement Élodie.
— De toi ! répondit simultanément Jasmine, l’air innocent.
Un silence s’installa, les joues d’Élodie reviraient au rouge pour la énième fois de la journée, tandis que Bastien éclata de rire.
— Ah bon de moi ? répondis-je les yeux rivés sur Élodie
— On pa…
À peine Jasmine eu le temps de prononcer une syllabe qu’Élodie lui mit la main sur la bouche, la contraignant au silence. Même Amélie qui restait très peu émotive, laissait échapper un rire, suivie de Sarah.
— Sinon, cette réunion ? questionna Élodie, essayant tant bien que mal de changer le sujet de discussion
Alors que je racontais le déroulé de la réunion, je scrutais la réaction de Sarah, et alors que je terminais et que j’allais proposer à Sarah de rester au camp, elle me coupa.
— Je viens !
Son expression avait changé, son visage affichait un regard sombre, incisif, à l’affût de la moindre de mes réactions, elle était prête, prête à réfuter toute opposition.
Il n’y avait plus aucun doute, et au fond de moi j’en étais persuadé, cette seule et unique opération lui avait enlevé son innocence.
— Très bien, si c’est ce que tu souhaites. Cependant je pose une condition, j’irais consulter Pauline, si elle pense que ton état ne te permet pas de partir en mission, tu resteras ici et ce sera non négociable.
Son visage oscillait entre satisfaction et crainte d’être mise sur le côté, puis elle reprit ses esprits, imposant un air plus ferme.
— Entendu !
Nous passions les prochaines heures à discuter de tous et de rien, résumant la situation des récents évènements à Sarah, cependant, Élodie semblait un peu éloignée de la conversation.
Bastien restait en arrière, glissant une remarque, une blague, par si par là jusqu’au moment où un membre de la faction viennent frapper au rideau métallique s’excusant pour le dérangement.
— Dame Lumia, m’envoie vous chercher pour la réunion.
Je réfléchissais une seconde avant de répondre, puis questionnai :
— Vous ?
Se redressant presque en garde vous, il répondit :
— En effet, dame Lumia souhaite que Sarah vienne avec toi.
Élodie se relevait brusquement, fusillant du regard le messager.
— Ma mère n’a pas besoin d’essayer de la convaincre, elle a déjà fait son choix !
— Oui, mais… je ne crois pas que… balbutia l’homme se faisant de plus en plus petit.
— Si c’est comme ça, je viens aussi !
Le messager semblait attendre le bon moment pour fuir sans paraître impoli et, lorsque tout le monde se mit à ne plus lui prêter d’attention, il en profita pour partir.
— Bon et bien, on n'a plus qu’à y aller tous ensemble. Affirmais-je
— Et bien je suis navré, mais ça sera sans moi, j’ai des choses a réglé chez moi, on se revoit demain ! enchaîna Bastien
Alors qu’il se dirigeait vers la sortie, Amélie concluait :
— Et bien, si c’est comme ça, je resterais ici avec Jasmine, ça vous permettra d’assister à la réunion tranquillement.
Jasmine n’émettant aucune objection, nous nous dirigions tous les trois vers le bureau de Lumia, décidément, je n’avais jamais autant visité son bureau en si peu de temps.
Il nous fallut à peine quelque minute pour nous retrouver devant la porte légèrement entrouverte.
À peine avions-nous le temps d’approcher la porte, qu’un “Entrez !” résonnait depuis la pièce.
Rentrant en premier, je faisais face à Lumia, assise derrière une pile de documents comme à son habitude.
Relevant la tête, son regard se fixa sur Élodie pendant deux bonnes secondes.
— Bien, asseyez-vous, je vous en prie.
Alors que je décalais la chaise pour m’installer, Élodie s’avança au niveau du bureau, plongeant son regard dans celui de sa mère.
— Donc, comme ça on repart en mission prochainement. Annoncer ça le jour même où Sarah se réveil, tu n’as donc bel et bien aucun cœur.
Lumia resta de marbre, scrutant ses documents, si je ne la connaissais pas autant j’aurai dit que cette remarque ne lui faisait ni chaud ni froid, mais, en réalité, ces piques envoyer par sa fille n’ébranlait pas son armure, mais meurtrissais sa chair.
D’un geste de la main, je fis reculer d’un pas Élodie.
— Ça suffit ! J’ai accepté que tu nous accompagnes, mais si tu es incapable de te tenir, tu nous attendras dehors !
— Je vois, c’est donc comme ça…
Son ton se calma, mais, étonnamment, je ne ressentais aucun apaisement, bien au contraire, sa voix était étrangement plus dure.
— Tu passes beaucoup de temps dans son bureau dernièrement, à croire qu’elle t’a fait changer, je ne peux croire que tu puisses cautionner que Sarah parte en opération si tôt.
Lumia toujours insondable releva la tête.
— J’ai déjà précisé à Adrien que cette décision avait déjà été prise alors que Sarah était encore inconsciente, et donc cette opération est à votre portée sans elle. Mais si tu le prends comme ça et si ça peut t’aider à prouver ma bonne foi.
Lumia détourna le regard vers Sarah.
— J’avais décidé de te laisser le choix, et je l’avoue c’était irresponsable, ta présence au sein de l’unité Delta était requise uniquement pour l’opération précédente. Je mets donc un terme a ton statut de membre d’unité temporaire et te redonne ton statut de membre civil, ce qui induit que tu ne participeras pas à l’opération et à aucune autre.
Les poings de Sarah se serraient au niveau de ses genoux.
— Je vois. Donc tout le monde discute et décide de ce qui est le mieux pour moi, puis mon avis, tout le monde s’en fout.
— Tu n’es qu’une civile sans expérience, te déployer lors de l’opération précédente était une erreur, mon erreur. Tu n’as pas à côtoyer le terrain. Je te remercie pour ton aide et d’avoir accepter d’aider, mais tu aurais pu mourir cette nuit-là.
— Ah mourir… en effet j’ai croisé la mort, mais voyez-vous, il semblerait qu’elle n’ait pas encore envie de moi, parce que je suis là. Mourir en opération ou mourir en attendant un miracle dans un bureau, quelle différence ? Lors de notre opération j’ai compris, je ne retrouverais pas mon frère là-haut, non, j’accompagnerais en enfer tous ceux qui lui on fait du mal, m’assurant que leurs âmes sois enchaîné dans les abysses pour l’éternité.
Son visage s’était refermé, la jeune fille innocente n’était plus, quelque chose avait réellement changé.
Le détail le plus marquant était ses mains, quelques jours plus tôt elle se serait mise à trembler de manière incontrôlable, là, elles étaient parfaitement immobiles, presque détendues.
Bouche bée Élodie prononça à voix basse :
— Sarah…
Sarah se levait soudainement de sa chaise, me faisant face.
— Adrien, en tant que chef d’unité, tu es l’unique responsable des membres qui la compose, je te demande de m’accepter en tant que membre à part entière. Je sais que je suis moins doué avec une arme que les autres, mais je suis sur que je pourrais me rendre utile !
Sondant du regard les autres, cherchant à deviner leur avis, et tout particulièrement celui de Lumia, je me retrouvais face à un immense mur de marbre.
À l’inverse le visage d’Élodie laissait tout transparaître comme face à un livre ouvert, ses yeux me supplièrent de refuser, mais un dernier coup d’œil à Sarah me fit prendre ma décision.
Elle était résolue, si ce n’était pas avec nous, ça serait avec d’autres. La mélodie funeste du champ de bataille résonnait encore dans ses oreilles et l’unité Delta était probablement la moins pire des solutions.
— C’est entendu, Sarah, désormais, je te nomme membre officiel de mon unité, l’unité Delta. À partir de ce jour, tu es sous mon commandement et sous mes ordres directs, bienvenue parmi nous.
Le visage de Sarah s’illuminait tandis que celui d’Élodie se déchirait, l’une avait un grand sourire, l’autre gardait la bouche ouverte sans que le moindre son ne puisse se frayer un chemin.
Des larmes montantes faisaient briller ses yeux, elle me regardait d’un air mêlant tristesse et colère.
Sans un mot, elle tourna les talons puis empruntais la porte du bureau sans se retourner avant de chuchoter :
— Tu ne sais pas ce que tu fais…
Puis elle claqua violemment la porte juste derrière elle.
Notre prochaine opération allait être électrique, car cette décision, Élodie aura du mal à me la pardonner.