Le moment entre Jiayi et le garde Wei s'était suspendu, presque doux sous le voile nocturne. Mais comme toujours, la nuit ne restait jamais paisible trop longtemps dans la Cité Interdite.
— Il se fait tard. dit Jiayi, se relevant avec grâce, mais légèrement raide, ses muscles tendus d'avoir trop réfléchi, trop analysé. Elle réajusta le pli de sa tunique sombre, prête à disparaître comme une ombre dans la nuit.
Mais à peine eut-elle pris une impulsion sur les tuiles incurvées qu'un pan de sa robe s'accrocha à un crochet de cuivre sur le faîte du toit. Son pied glissa.
— Ah— !
Wei bondit aussitôt, la rattrapant d'un bras ferme autour de la taille juste avant qu'elle ne chute de plusieurs mètres. Son autre main agrippée à la tuile, il la remit doucement en équilibre sur ses pieds, un peu trop près de lui.
— Toujours aussi téméraire. souffla-t-il, un coin de ses lèvres trahissant un amusement discret.
Le cœur battant, Jiayi leva les yeux vers lui. Leurs visages n'étaient qu'à quelques centimètres. Dans l'obscurité, elle pouvait deviner la chaleur de son souffle, la lueur dans ses yeux. Elle sentit ses joues s'échauffer malgré le vent frais de la nuit.
— Lâchez-moi. grogna-t-elle en se redressant brusquement, le repoussant d'une main sur la poitrine.
Wei la laissa faire, un sourcil arqué, presque moqueur.
Mais le petit bruit de leur échange, ce chahut léger sur le toit… ne passa pas inaperçu.
— Qui va là ?! cria une voix depuis la cour.
Le son des sabots, des armes tirées, et des pas précipités éclata comme un orage. Les gardes de la ronde de nuit, en alerte constante dans les hauteurs du palais, s'étaient mis en mouvement.
Jiayi, les yeux écarquillés, comprit aussitôt. Elle était repérée.
— Mince !
D'un bond agile, elle sauta d'un toit à l'autre, sa cape flottant dans le vent, sa silhouette se fondant dans les ombres comme une hirondelle noire.
— Arrêtez-là ! Une intruse ! beugla un soldat.
La panique l'envahissait, mais elle refusait de se laisser prendre. Dans un élan fluide, elle rabattit sa capuche sur sa tête, masquant son visage. Les tuiles glissaient sous ses pieds, mais son entraînement prenait le relais. Chaque saut, chaque roulade, chaque esquive était une danse calculée.
Les gardes se dispersèrent dans tout le jardin du Palais des Lys, croyant à une attaque ou à une espionne. Les flambeaux jaillirent. Les voix résonnaient de plus en plus fort. L'agitation gagnait les pavillons.
Et tout en haut d'un toit en retrait, deux silhouettes se tenaient, observant la scène.
L'empereur Nangong Liwei, drapé dans un manteau sombre, s'était approché dans le silence absolu, comme s'il avait toujours été là. À ses côtés, Wei Yinzhao, impassible, mais le regard fixé sur la silhouette fuyante de Jiayi.
— Charmant spectacle nocturne. dit l'empereur, un sourire aux lèvres.
Wei ne répondit pas immédiatement. Il suivait encore Jiayi des yeux, notant sa vivacité, sa capacité à se sortir de toutes les situations, même les plus absurdes.
— Majesté, vous êtes cruel. dit-il finalement, d'un ton neutre.
L'empereur tourna légèrement la tête vers lui, toujours amusé.
— Oh ? Et pourquoi cela ?
— Vous saviez très bien que cette ronde de garde passerait à cette heure. Vous m'avez envoyé vers elle, tout en orchestrant cette agitation.
— Je voulais tester ses réflexes. répondit l'empereur, haussant les épaules. Et les vôtres aussi.
— Et si elle s'était blessée ?
Le sourire de l'empereur s'effaça, remplacé par un éclat plus sérieux dans ses yeux.
— Alors elle n'aurait pas été celle que j'imagine qu'elle est.
Wei croisa les bras, le regard dur.
— Vous jouez avec le feu, Majesté. Elle n'est pas une marionnette.
— Non, elle est bien plus que ça. rétorqua l'empereur calmement. Mais si elle veut vivre librement dans cette cour, elle devra savoir danser avec les flammes.
Dans un dernier saut, Jiayi s'était glissée entre deux toits bas et avait disparu dans l'obscurité. Les gardes, désemparés, tournoyaient en rond sans plus savoir où chercher.
Wei soupira et s'inclina légèrement.
— Alors je suppose que votre jeu n'a fait que commencer.
— Il ne fait que s'échauffer. murmura l'empereur.
Et tous deux, figés sur le toit royal, observèrent la ville impériale s'apaiser peu à peu, ignorant que cette nuit ne serait que la première d'une longue série d'orages à venir.
Dans les appartements de l'Impératrice, les lanternes brûlaient encore, tamisant la chambre de leurs lueurs orangées. La maîtresse des lieux, toujours élégante dans sa robe de nuit brodée de pivoines dorées, s'était levée, dérangée par le tumulte.
Elle se tenait près de sa fenêtre, son regard alerte fixé sur les toits au loin.
— Lianfei, que se passe-t-il ? demanda-t-elle, le ton tranchant et agacé.
La servante accourut aussitôt, la tête basse, essuyant ses mains sur le tissu de sa robe.
— Majesté… il y a eu… une agitation. Les gardes ont poursuivi une intruse qui se serait infiltrée au cœur du palais.
— Une intruse ? répéta l'impératrice, les sourcils froncés, l'air glacial.
À peine avait-elle prononcé ces mots qu'une silhouette encapuchonnée passa furtivement juste devant sa fenêtre. Le rideau remua à peine sous la brise légère. Mais l'impératrice, elle, l'avait bien vue. Même sous la capuche, même dans l'obscurité, ce port altier, cette grâce fluide… impossible à confondre.
Ses yeux se plissèrent, ses doigts se crispèrent sur le rebord de la fenêtre.
— Shen. Jiayi. murmura-t-elle, les mots comme un poison entre ses dents.
Le silence dans la pièce devint oppressant. Lianfei, elle, n'osa plus bouger.
— Ainsi elle ose s'introduire dans MA cour comme une voleuse. grogna l'Impératrice, la voix basse, menaçante. Elle pense que les faveurs impériales suffisent à la protéger ?
Elle se détourna de la fenêtre d'un mouvement sec, sa longue chevelure glissant sur ses épaules comme un serpent noir.
— Qu'elle s'amuse… dit-elle, un sourire presque imperceptible sur les lèvres. La partie vient seulement de commencer.
Et derrière ses yeux sombres, une tempête venait de naître.