Chapitre 60 – L’épreuve du silence

Les lourdes portes du manoir Shen se refermèrent dans un claquement sourd, comme un couperet tombant sur une sentence irrévocable. Le ciel s’était obscurci au-dessus de la capitale, et l’air, chargé de tension, annonçait une nuit sans repos.

Jiayi pénétra dans son bureau d’un pas mesuré, son visage impassible. Derrière elle, Xiaolan suivait, les sourcils froncés d’inquiétude. Elle s’apprêtait à parler lorsque des bruits de pas pressés résonnèrent dans le couloir.

Un messager vêtu de l’uniforme impérial fit irruption, le souffle court mais le regard dur. Il déplia un rouleau scellé du cachet vermillon du palais impérial.

— Décret impérial ! annonça-t-il d’une voix forte. Shen Jiayi, fille du défunt général Shen Hong, est, à compter de ce jour, officiellement confinée dans le domaine des Shen pour avoir défié l’autorité de l’empereur en insistant sur une audience refusée. Tout déplacement hors de la propriété est strictement interdit jusqu’à nouvel ordre. Des gardes impériaux seront postés aux points stratégiques de la demeure pour garantir l’exécution de ce décret.

Il roula le parchemin d’un geste sec, s’inclina brièvement, puis quitta la pièce aussi vite qu’il était entré. Une tension glacée s’abattit sur la pièce.

— Confinée ?! s’étrangla Xiaolan, se tournant vivement vers Jiayi. — Comment peuvent-ils faire ça ? Vous n’avez fait que défendre l’honneur de votre famille ! C’est injuste !

Mais Jiayi ne répondit pas. Elle se dirigea vers son bureau, s’assit calmement et posa les mains sur le bois verni. Son regard fixé sur la fenêtre close, elle semblait écouter quelque chose que personne d’autre n’entendait.

Puis, des bruits d’armure résonnèrent au dehors.

Des soldats, casqués et armés de lances, s’installèrent à chaque entrée du domaine. Certains patrouillaient dans les allées du jardin, d’autres se postaient aux portes de service. L’ambiance devint plus lourde encore, comme si une chape de plomb venait d’écraser tout espoir de liberté.

Quelques instants plus tard, un autre visiteur arriva.

Le garde Wei franchit les portes du manoir avec une lenteur calculée. Son regard se posa immédiatement sur Jiayi, assise derrière son bureau. Il s’arrêta, droit comme un roc, mais ne dit pas un mot.

Un long silence pesa entre eux.

Leurs regards se croisèrent. Il aurait voulu lui parler, la rassurer, lui expliquer… mais il n’en avait ni le droit, ni la force. Jiayi, elle, ne dit rien non plus. Elle se leva lentement, contourna son bureau, puis ferma elle-même les battants de bois sculpté, coupant court à toute discussion.

Wei resta figé devant la porte close quelques secondes, le poing crispé, puis recula, ses pas lourds d’un sentiment d’impuissance.

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Au palais impérial, dans le pavillon des pivoines blanches, l’impératrice Mingzhu sirotait son thé, d’un geste aussi gracieux que cruel. La lumière des lanternes dansait sur ses parures, reflétant une lueur dorée sur ses joues pâles.

Sa servante Lianfei entra en s’inclinant profondément.

— Votre Majesté, le décret a été exécuté. Mademoiselle Jiayi est désormais confinée dans le manoir Shen. Des gardes surveillent toutes les issues. Elle ne pourra pas s’enfuir.

Mingzhu releva à peine les yeux, mais un mince sourire effleura ses lèvres.

— Parfait. La lionne est en cage, dit-elle en reposant délicatement sa tasse. Peut-être comprendra-t-elle enfin que sa place n’est pas de rugir… mais de ramper.

Son regard, noir et glacé, fixait les flammes vacillantes du brasero.

— Qu’elle reste enfermée là-bas. Je n’ai pas encore fini avec elle.

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Pendant ce temps, dans le pavillon ouest du palais, l’empereur Nangong Liwei était assis dans un fauteuil de santal, le regard tourné vers le ciel rougissant du crépuscule. La lumière se reflétait sur les dorures de sa coiffe impériale, mais son visage restait fermé, indéchiffrable.

Un pas discret se fit entendre.

Le conseiller Huang, vêtu d’un manteau long de brocart sombre, pénétra dans la pièce. Il s’inclina respectueusement, puis leva les yeux vers son souverain.

— Majesté… était-ce vraiment nécessaire ? confiner Jiayi ? Elle n’a fait qu’agir selon la loyauté d’une fille envers son père. N’est-ce pas cette vertu que vous admirez tant chez elle ?

L’empereur ne répondit pas immédiatement. Il prit un temps, laissant le silence s’installer comme une brume autour d’eux.

— Ce n’est pas une question de loyauté, Huang, répondit-il finalement d’une voix grave. C’est une question d’ordre. Si je plie pour une seule personne, que croyez-vous qu’il adviendra de ma cour ? Des seigneurs de guerre ? Des ministres corrompus ?

— Mais elle…

— Jiayi est comme un feu sous la cendre, coupa-t-il. Si je ne la contrôle pas… elle brûlera tout. Toi, moi, Mingzhu… même elle-même.

Il se leva, mains croisées dans le dos, regardant la dernière lueur du jour se fondre dans la nuit.

— Elle veut la vérité ? Qu’elle la mérite. Qu’elle me prouve qu’elle est plus qu’une enfant révoltée.

Le conseiller Huang baissa légèrement la tête, comprenant que l’empereur ne céderait pas.

Mais dans son cœur, lui aussi avait foi en Jiayi. Et il savait que les chaînes ne tiendraient pas longtemps une femme comme elle.

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Dans son bureau, Jiayi, toujours assise, ouvrit lentement un tiroir secret sous sa table.

Elle en sortit un vieux rouleau, scellé d’un fil rouge et d’un cachet que seul un Shen pouvait briser.

Elle le posa devant elle, le regard intense. Le silence régnait dans le manoir, uniquement brisé par le bruit discret du vent dans les bambous.

— Très bien, murmura-t-elle. Vous m’enfermez ? Soit. Mais moi… je ne fais que commencer.