L'arc de l'innocence - L'homme ayant perdu sa voie - Chapitre 1.4

Une écoutille s'ouvrit… Ce n’était pas la Terre, mais l'atmosphère y était douce et trop semblable. Puis quelque chose s'écrasa dans un cratère, et se releva rapidement.

Une rage sanguinaire, des griffes de métal extrêmement longues. Son agilité, sa force, son endurance, étaient terrifiantes. C’était comme si une bête mythique, qui n’avait vécu qu’en enfer jusqu’ici, venait de s’éveiller... Il les broyait tous, il inspirait la terreur dans les yeux de tout ce qui bougeait.

Cette chose, c’était un homme qui avait tout perdu, allant de ses parents à sa propre raison, en passant par son temps libre. Il n’avait plus rien. Il ne pensait plus à rien. Tout ce qu’il voulait, c’était tout arrêter et passer à autre chose. Avoir le temps de véritablement souffler.

Soudainement, quelque chose détruisit les montagnes en arrière-plan, puis d’innombrables personnes moururent sous l’étrange rayon, par milliers, sans plus d’explications.

Suivi d’un tapis d’explosions immenses, soufflant l’atmosphère avec une force semblant divine, plus forte que n’importe quelle arme thermonucléaire, dévastant tout ce qui se trouvait autour.

En utilisant un étrange pouvoir, l’homme fou à lier se mit à l’abri dans une structure qu’il couvrit, se protégeant des explosions d’envergure apocalyptiques. Une fois ce carnage sans nom terminé, un étrange calme, lourd de morts, s’installa sur le paysage complètement méconnaissable et dévasté de gigantesques cratères, chacun de plusieurs kilomètres de largeur.

Marchant quelques instants, le survivant aux longues griffes de métal réalisa qu’un de ses bras lui manquait. Son oeil droit aussi n’était plus, toutefois, cela en était le moins de ses soucis, car son cerveau tentait encore de traiter les innombrables nouveaux traumas qu’il accumulait parmi les milliers d’autres événements trop brutaux et cruels pour être humainement décrits.

Cet homme, cette arme vivante, cet être semblant quasi-invincible… N’était autre que Juo Weinfield. Le regard vide, il leva la tête au ciel, comme par exaspération ultime.

Baissant la tête, il réalisa qu’il se tenait dans une chaise en plastique, devant son garage, cette fois avec son bras de métal et son cache-oeil, fixant la voiture stationnée et surmontée sur une plateforme, le regard toujours aussi apathique. Au loin, au fond de l’atelier, quelque chose tomba dans un bruit sourd.

Se levant, il marcha d’un pas régulier, presque trop normal pour véritablement l’être… Une tête décapitée et du sang partout, voilà ce qu’il voyait. Cependant, aucune réaction, il se contentait de fixer la mystérieuse scène de crime sortie de nulle part.

Brutalement, le réveil matin le sortit de son cauchemar, son souffle s’accéléra de manière disproportionnée, ses sueurs froides dégoulinant telles les effluves de sang dont il se rappelait tant.

Il sortit rapidement de son lit, la panique, la peur et l’incertitude gravés comme une vérité immuable et indigérable dans son vieil oeil. Il tentait de se calmer… Puis quelques larmes dégoulinèrent de ses yeux vitreux et grands ouverts.

Faisant du mieux qu’il pouvait pour garder la tête haute, il prit la parole seul, dans sa chambre, posant un genou et un poing au sol, pleurant silencieusement son passé venu le hanter dans ses rêves.

- Je… Je dois arrêter de pleurer… Les enfants ne doivent pas me voir comme ça… Je dois les garder hors… De danger, dit-il, toujours en pleurs tout en tremblant de rage, posant sa main de métal devant son visage, comme pour se retenir de laisser libre cours à ses émotions.

Bien qu’il fût chez lui, à la campagne, il hébergeait les jumeaux dû à une autre crise lupique que sa fille venait de faire récemment, la clouant au lit à l’hôpital. Reprenant pleinement ses esprits, un visage d’un sérieux terrifiant s’imposa, remplaçant le tsunami de sentiments refoulés.

Il se vêtit comme à l’habitude : une casquette de couleur sable, sa montre, son cache-oeil, couvrant son globe de métal et sa paupière droite à moitié détruite, ainsi que des vêtements tâchés de différentes couleurs de peinture. Il avait une garde-robe entière de ces derniers, tous plus différents les uns que les autres.

Regardant sa montre, il vit qu’on était le 1er septembre, 6h19 du matin. Sortant de sa chambre, il aperçut les enfants dans la cuisine en train de se chamailler sur ce qu’ils allaient manger en ce matin spécial, avant d’aller pour leur première fois à l’école. Car en effet, ils allaient commencer leur première année.

- Bonjour, allez vous habiller les enfants, ont part à 7h50, je prépare notre petit déjeuner et votre déjeuner pour midi, dit le grand homme de sa grosse voix rauque.

Le vieux cyborg se mit à sortir divers aliments et contenants, préparant simultanément, et avec une vitesse incroyable, tous les plats, y compris le petit déjeuner des mioches.

6h39, les gamins redescendirent, se jetant dans leur assiette, admirant le premier des soleils se levants par la fenêtre, tandis que le grand-père, lui, faisait déjà ses exercices d’étirement du matin, avant de commencer à s’entraîner à quelques reprises au travers de sa journée.

- Comment est-ce que tu crois que c’est à l’école, Kasper ? demanda la petite Irielle.

- J’en sais rien, mais j’espère qu’on va beaucoup s’amuser… Et tu te souviens de Max ? Moi, j’espère qu’on pourra le revoir, dit le jumeau, un gros sourire aux lèvres entre deux bouchées.

- Je me demande pourquoi Maman a arrêté de voir la maman de Max… Elles semblaient pourtant bien s’entendre ! s’exclama la gamine.

Vers 7h, ils finirent de manger et sortirent de table pour rejoindre leur grand-parent dans le gros garage. Une fois là, ils virent ce dernier saisir une voiture pour la déposer tout doucement sur une grosse plateforme.

- Woah… Je me demande, est-ce que tu es un superhéros ? demanda Kasper, émerveillé.

Ce dernier lâcha un léger rire.

- Je pourrais peut-être sauver des gens, mais ce n’est pas mon métier, et je ne suis pas près d’avoir la force ou la vitesse pour me qualifier "officiellement" comme tel, dit-il d’un ton articulé.

- Alors, pourquoi tu es si fort grand-père ? demanda Irielle à son tour.

Le visage de l’ex-combattant fondit légèrement en une expression plus neutre.

- Je… J’ai déjà été dans l’armée, voilà pourquoi… C’est très dur, il faut être très, très fort, dit-il, sans vraiment trop creuser, d’un soupir apathique.

Une autre heure fila comme un éclair. Cette fois, les enfants étaient dans la voiture de leur mère avec Juo. Tournant un coin de rue, l’école se présenta dans toute sa grandeur intimidante, presque même sinistre.

- C’est ça l’école, avec les grands et tout ? demanda Kasper à son grand-père.

- Oui Kasper, c’est bien cela. C’est l’école… Allez, on descent, les enfants !

Sortant de la voiture stationnée, ils côtoyèrent des dizaines d’autres enfants, et certains adultes, se dirigeant vers l’intérieur. Passant quelques minutes plus tard les portes d’entrée de l’école, ils virent des banderoles de bienvenue un peu partout. Les couloirs étaient presque une cacophonie, et le désordre était présent dans chaque recoin.

Soudain, un adulte asséna une énorme gifle à un enfant. Ce n’était pas une grosse claque retenue, mais bien une qui envoya le gamin sans nom contre le mur à pleine vitesse. Juo, qui se promenait d’un sourire chaleureux jusqu’ici, vit sa façade s’écrouler légèrement, son grand sourire, en partie maintenu par ses petits-enfants, se transforma en un petit sourire, légèrement forcé.

- « Il faut que je me calme… Je ne peux pas péter un câble devant les enfants, qui plus est dans une école. Pourquoi ne pas leur demander comment ils se sentent ? », se dit-il.

- Alors, comment vous trouvez cette école, les amis ? dit-il, tentant de sympathiser avec ses plus petits.

- Je trouve ça… Étrange grand-papy, je crois que j’ai peur… Est-ce que c’est normal, d’avoir la trouille dans une école ? demanda le gamin d’une voix légèrement tremblante.

- Moi aussi, j’ai un peu peur. Est-ce que les autres ils vont nous frapper ? demanda-t-elle.

Le mal était déjà fait, il ne comprenait pas pourquoi il pensait que les enfants de sa fille auraient une réaction différente… Peut-être parce qu’il se sentait mal et qu’il croyait que les gamins d’Amélia étaient plus naïfs que les autres ?

Une fois dans leur classe, il s’accroupit et s’adressa aux deux.

- C’est normal les enfants. L’école ça fait peur, et c’est votre première fois dans un environnement pareil… Mais sachez que si quelqu’un veut vous frapper, alors sautez-lui dessus et frappez-le ensemble, avec une bonne droite—

Soudain, un brutal souvenir d’une titanesque explosion, tuant devant ses yeux certains de ses camarades d’infanterie, lui revint en tête pendant un instant. Son visage se figea comme dans de la glace. Plus une parole ne sortit de sa bouche.

- Grand-père, est-ce que ça va ? Tu es tout pâle, commenta Irielle.

- Grand-papy Juo, est-ce que tu es là ? continua Kasper.

Chaque seconde pour lui était une éternité à combattre contre sa perte de contrôle, de son envie de tout détruire. Soudain, les gamins rirent, pensant que leur papy leur faisait une blague. Son regard revint, en une grimace, comme pour faire une blague.

Maintenant, il se rappelait. Il était resté en vie… Justement pour ces moments inoubliables, ces rires innocents, ces instants gravés dans l’éternité. Pour protéger les autres de ce monde dangereux.