Depuis l'incident de la stèle, Kael était devenu un fantôme dans la secte. Il n'était plus seulement ignoré : il était craint.
Les disciples l'évitaient dans les couloirs, changeaient de salle lorsqu'il entrait, murmuraient sur son passage. Certains allaient même jusqu'à déposer du sel ou des talismans bénis devant leur porte, comme pour repousser un esprit maléfique.
« Il a détruit une stèle… Tu te rends compte ? Même les Grands Aînés n'auraient pas pu faire ça. »
« Je parie que c'est un démon dans un corps humain. »
« Je l'ai vu passer près du jardin médicinal… toutes les fleurs ont fané. »
Kael n'écoutait plus. Il avait appris très tôt à faire taire les voix extérieures. Ce jour-là, il marchait vers la falaise du nord, un lieu interdit mais oublié, où les anciens ne posaient plus les pieds. Là-bas, le silence était total, et c'était le seul endroit où les murmures de l'Épée du Néant s'estompaient un peu.
Il s'assit, jambes croisées, et ferma les yeux.
L'énergie spirituelle du monde — le Qi — y était faible. Mais Kael n'en avait pas besoin. Il ne cultivait plus selon les lois du monde. Il cultivait… le vide.
Son dantian n'était plus un lac de Qi, mais une sphère sombre, sans lumière, où flottait l'écho d'une lame noire. Il ne comprenait pas encore son fonctionnement, mais chaque jour, l'épée et lui se connectaient un peu plus.
"Le silence est ta force, Kael."
"Le bruit est pour les faibles."
La voix de l'épée le guidait. Elle lui apprenait à respirer sans absorber le Qi ambiant, à méditer sans techniques classiques. C'était une autre forme de cultivation, plus lente, plus étrange… mais bien plus puissante.
Et dans l'ombre, quelqu'un l'observait.
Un jeune homme aux cheveux roux, vêtu d'une robe de disciple intermédiaire. Il s'appelait Zhen Mu, et il haïssait Kael depuis le premier jour. Il n'aimait pas ce silence, ce regard impassible, ce calme qui cachait une profondeur inconnue.
« Tu joues les sages silencieux ? Tu te crois supérieur, hein ? »
Zhen s'avança, provoquant. Kael ouvrit les yeux, mais ne répondit pas.
« Je suis trois niveaux au-dessus de toi, Kael. Tu n'as pas le droit de me mépriser. Parle quand on te parle, chien ! »
Kael se leva lentement, sans émotion. Son regard croisa celui de Zhen Mu. Pas de colère, pas de peur. Juste… du vide. Cela suffit à faire reculer son adversaire d'un pas.
"Tu veux me frapper pour exister." pensa Kael.
Mais il ne bougea pas.
Zhen serra les poings, hésita… puis cracha au sol avant de partir.
Kael resta seul. Encore.