La nuit commençait à tomber doucement sur Londres. Les lampadaires diffusaient une lumière tamisée, répandant une douce ambiance orangée sur les rues pavées. Elinor, juchée sur sa moto noire rugissante, fendait la ville à toute vitesse, laissant derrière elle le tumulte du centre des chasseurs. La brise fraîche caressait son visage alors que ses pensées dérivaient. Aria et Noah, ses seuls vrais soutiens, avaient tenté de la retenir un peu plus longtemps. Mais elle savait que le retour était inévitable.
Le manoir Valtara se dressait en bordure de la ville, isolé dans un vaste domaine verdoyant. Un héritage ancestral, froid et majestueux, qui évoquait plus la prison que le foyer. Dès qu'elle franchit le grand portail en fer forgé, une sensation de glace s'infiltra dans sa poitrine. Rien n'avait changé. Pas un rideau ne bougeait. Pas une lumière ne vibrait d'accueillir son retour.
Elle gara sa moto devant le perron. Le majordome, un vieil homme au regard morne, lui ouvrit la porte sans un mot. L’intérieur était silencieux, trop silencieux. Elle savait ce qui l’attendait. Comme toujours.
— Tiens, regarde qui revient encore les mains vides, fit une voix aigrie.
En haut de l'escalier en marbre, Vanya, sa demi-sœur, apparaissait comme une actrice prête à monter sur scène. Vêtue d'une robe de créateur, les cheveux parfaitement coiffés, elle la regardait de haut, sourire moqueur aux lèvres.
— Alors, Elinor, t’as toujours pas compris que les chasseurs ne veulent pas de toi ? Tu devrais abandonner. Tu fais honte à la famille.
Elinor, fatiguée mais imperturbable, enleva son blouson sans lui accorder un regard.
— J'ai pas le temps pour tes bêtises, Vanya.
— Insolente, répliqua la jeune femme. Tu te crois maline parce que tu vas te faire évaluer tous les mois ? Un jour, Papa en aura assez et te renverra définitivement.
Une troisième voix, plus grave, plus autoritaire, s'éleva du salon.
— Assez, Vanya.
Le père d'Elinor, Lord Armand Valtara, était assis dans un fauteuil en cuir près de la cheminée. Il n’avait pas levé les yeux de son livre, comme si son intérêt était ailleurs.
— Elinor, si tu es revenue, fais-le en silence. Ne perturbe pas la maison.
Elle le fixa un instant, le cœur serré. Pas un mot d'accueil. Pas un signe de chaleur. Pour lui, elle n'était qu'un nom sur un registre, une nuisance persistante.
— Bien, souffla-t-elle. Comme toujours.
Elle gravit les escaliers et regagna sa chambre, un grenier aménagé, modeste mais entretenu. Ce lieu était son seul refuge, le seul espace où elle pouvait être elle-même. Tandis qu'elle s'affalait sur son lit, ses pensées s'assombrissaient. L'incident du portail, les cadavres, l'énergie mystérieuse... quelque chose de sinistre se tramait. Et les yeux du monde allaient bientôt converger vers Londres.
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Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres de là, dans les montagnes sacrées de Chine, deux hommes s'apprêtaient à quitter leur patrie. Dans la cour d’un temple ancien, dominé par la lune, le chef de la secte du Lotus Pourpre fixait ses deux disciples avec sérieux.
— L'incident de Londres n'est pas une coïncidence. Un portail fermé, des dizaines de morts, aucun témoin, pas d'énergie résiduelle. Cela dépasse les normes.
Les deux jeunes hommes s'inclinèrent profondément. Le premier, Xiao Zhen, était un stratège brillamment formé, tandis que l'autre, Mo Han, était un combattant de haut rang, maîtrisant l'art de la lame spirituelle.
— Chef, demanda Mo Han, devons-nous contacter les autorités anglaises ?
— Non. Vous irez comme observateurs. D'autres nations sont déjà en mouvement. La Corée du Sud, entre autres. Le Japon aussi envoie un chasseur.
— Pensez-vous que cela soit lié aux entités de l'époque pré-cataclysmique ?
Le chef ne répondit pas tout de suite. Son regard se perdit vers les cieux.
— Peut-être. Soyez vigilants. Londres pourrait être le théâtre d’un éveil.
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Dans une salle de conférence à Séoul, en Corée du Sud, le ministre de la Défense, entouré de plusieurs experts et militaires, visionnait une vidéo floue. Les images avaient été piratées des caméras de surveillance de Londres.
Une silhouette masquée, entourée d’ombres mouvantes, apparaissait brièvement dans les ruelles proches du portail. Puis, le carnage. Le sang. Les cris. Et le silence.
— Ce n'est pas l'œuvre d’un chasseur, dit un des analystes. C’est autre chose. Quelqu’un qui manipule les portails. Ou quelque chose...
— La Chine est déjà en mouvement, annonça le ministre. Le Japon aussi. Nous devons décider si nous envoyons Jang-Ho.
Un silence tomba. Jang-Ho était leur chasseur national, rang S, un homme craint et respecté dans tout le continent.
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De retour à Londres, Elinor se tenait devant son miroir, observant son réflexe. Ses yeux brillaient d’une lumière discrète. Elle savait que tout allait bientôt changer. Elle le sentait dans l'air, dans l'énergie des portails, dans les chuchotements de la nuit. Les grandes puissances se rapprochaient de sa ville. Et sans le savoir, elles se rapprochaient d’elle.
Mais pour l'instant, elle n'était qu'une fille méprisée dans sa propre maison. Un fantôme aux yeux des siens. Elle sourit faiblement.
— Ils finiront tous par voir...
Et elle se prépara à affronter une nouvelle nuit. Car dehors, les portails n'attendent pas. Et dans l'ombre, les véritables prédateurs s'éveillent.