6 Putain. Lyra

C'était elle. Ce regard, cette façon de vaciller, même sa manière de se relever comme si la douleur lui donnait de la force… Je l'ai su. J'ai su que c'était ma sœur. Et pourtant, je n'ai rien dit. Pire… j'ai pointé une arme sur elle.

Quel genre de frère fait ça ?

Je croyais l'avoir perdue. Je me suis convaincu qu'elle n'avait pas survécu. C'était plus facile que d'imaginer qu'elle était dehors, seule, brisée. Et maintenant, elle est là. Vivante. Méconnaissable. Déterminée. Et moi… moi, je ne suis qu'un traître à ses yeux.

Comment lui expliquer que je ne suis plus le Gaby d'avant ? Que les ordres m'ont bouffé, que l'armée m'a arraché tout ce qu'il restait d'humain ?

Ils avaient marché toute la nuit.

Leurs pas s'enfonçaient dans la boue, rythmés par le silence tendu de ceux qui savent qu'un faux bruit peut tuer.

Ash titubait.

Ses jambes tremblaient, ses bras pendaient, et son regard flottait quelque part entre les arbres et le vide.

Quand ils arrivèrent au nouveau campement — une ruine à moitié effondrée — elle ne dit rien.

Elle se laissa tomber contre un mur, le souffle court, les yeux à peine ouverts.

— Ash ? murmura Lyra, accroupie devant elle.

Pas de réponse. Juste un battement de cils, une main faible qui agrippe le tissu sale de sa manche.

— Reste avec moi. T'as pas le droit de t'éteindre maintenant.

Ash entrouvrit les lèvres, dans un souffle presque imperceptible :

— Je… l'ai vu.

Un murmure. Un frisson.

Lyra se figea.

— Qui ?

Mais Ash n'avait déjà plus la force de parler.

Son corps s'affaissa un peu plus contre le mur.

Ses paupières tombèrent.

Et Lyra, le regard brûlant, resta là. À veiller. À attendre. À comprendre sans mots.

J'avais mal partout.

Mes membres étaient engourdis. Lentement, j'ouvris les yeux. J'étais allongée sur un vieux matelas, les muscles en feu.

Des voix, un peu plus loin, me parvenaient faiblement.

— Lyra, je t'avais dit de veiller à ce qu'elle ne devienne pas un poids.

T'as passé la journée à la surveiller, t'as déjà sacrifié tes heures de sommeil. Maintenant, va te reposer.

— Ouais mais… t'as dit qu'on devait s'entraider. Rester en alerte, non ?

— Oui, mais là, fais-toi une faveur. Va dormir. T'es pas une machine. Je prends le relais.

— …Oui, chef.

Merde.

Depuis ce matin, je fais que ça : être un boulet. Et ça me fait chier.

— Lyra !

— Hein ? Quoi, Eden ?

— La nouvelle. Celle qui t'a aidée dans le train.

J'ai l'impression que tu commences à trop l'apprécier.

Tu sais que c'est dangereux, non ? Dans ces moments-là, faut pas s'attacher.

On ne sait jamais ce qui se passe dans la tête des autres.