La lune était haute dans le ciel lorsque le petit groupe éreinté arriva enfin aux portes de l’académie. Les chevaux, couverts de sueur, avançaient au pas, comme leurs cavaliers : blessés, épuisés, couverts de terre, de sang et de silence. L’informateur de la reine ouvrait la marche, les traits crispés, tenant fermement les rênes de sa monture. Sur sa droite, un jeune garçon, à demi-inconscient, le flanc ruisselant de sang, se tenait par miracle encore en selle.
Aki.
Son visage était pâle, marqué par la fatigue et la douleur. Ses paupières clignaient à peine. Sa tête penchait contre la crinière de son cheval, et seuls les liens de cuir, attachés à la selle, l’empêchaient de glisser. Il avait livré un combat féroce contre des ennemis mystérieux, vêtu de noir et maniant la magie du feu. Il avait frôlé la mort. Trois fois.
Derrière lui, les autres membres du groupe spécial affichaient des mines tout aussi graves. L’archère et le noble calme, bien qu’en sang, tenaient encore droit. Les deux élèves qui avaient trouvé les tentes suspectes gardaient le silence, les sourcils froncés. Chacun savait que cette mission, qui n’aurait dû être qu’un simple test, avait révélé un danger bien plus grand.
Dès leur entrée dans la cour de l’académie, les gardes se précipitèrent à leur rencontre. Le professeur responsable du groupe arriva aussitôt, suivi de deux infirmiers et... Monsieur Lern, visiblement réveillé au milieu de la nuit.
— Par tous les cieux, qu’est-ce qui s’est passé ?! s’écria le professeur en s’approchant d’Aki.
— Ce garçon a combattu trois ennemis à lui seul, répondit l’informateur en sautant à terre. Il m’a sauvé la vie. Nous avons affaire à une menace bien réelle dans la forêt du sud.
Monsieur Lern, vêtu d’un manteau élégant par-dessus une chemise de nuit précieuse, s’approcha rapidement.
— Aki ! s’exclama-t-il avec une inquiétude rare dans sa voix. Comment va-t-il ?
— Mal. Mais il est vivant, grâce à sa propre ténacité, ajouta l’informateur. Il a tout donné.
L’un des infirmiers tendit la main vers Aki.
— Il est brûlant. Vite, emmenons-le à l’infirmerie !
Ils le soulevèrent avec soin, et Aki laissa échapper un faible gémissement, preuve qu’il était encore conscient. Hana, alertée par les bruits et le remue-ménage, arriva en courant, en chemise de nuit, les cheveux ébouriffés.
— Aki ! cria-t-elle.
Elle courut jusqu’à son frère, les larmes aux yeux.
— Il va bien, rassura l’un des infirmiers. Il a perdu beaucoup de sang, mais ses blessures sont soignables. Il s’en sortira.
Hana attrapa la main d’Aki, qui entrouvrit les yeux. Un mince sourire traversa son visage pâle.
— T'es là... murmura-t-il, avant de sombrer à nouveau.
Ils disparurent tous vers l’aile nord, direction l’infirmerie. Monsieur Lern les suivit d’un pas rapide, silencieux.
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Partie 2 : À l’infirmerie
L’aube se levait doucement quand Aki ouvrit les yeux. L’odeur des plantes médicinales, mêlée à celle du fer et du tissu propre, lui picota les narines. Il tenta de bouger, mais une douleur aiguë traversa sa poitrine.
— Ne bouge pas, idiot.
La voix douce mais ferme d’Hana le fit tourner les yeux. Elle était assise à son chevet, un plateau d’eau et de bandages près d’elle.
— Tu as encore voulu jouer au héros, hein ? Tu aurais pu y rester.
— Je... suis désolé, souffla-t-il.
Elle secoua la tête en essuyant doucement son front.
— T'as pas à l’être. T’es vivant, c’est tout ce qui compte.
Un raclement de gorge se fit entendre. Monsieur Lern entra dans la pièce, suivi d’un professeur et de l’informateur.
— Je vois que notre prodige est réveillé, dit-il en s’asseyant sur un fauteuil de velours.
Aki tenta de se redresser, mais Monsieur Lern l’arrêta d’un geste.
— Reste couché, mon garçon. Tu viens de sauver la vie d’un agent royal et de prouver ta valeur sur le champ. Tu as droit à un peu de repos.
Le professeur hocha la tête.
— Tu as fait honneur à l’académie, Aki. Ce que tu as accompli hier dépasse de loin les attentes d’un simple élève.
Pendant ce temps, dans la salle du trône du palais royal d’Ignésia, la reine Helena écoutait en silence le rapport détaillé de l’informateur revenu de la forêt. À ses côtés, plusieurs conseillers échangeaient des regards inquiets.
— Trois hommes en noir ? Tu en es certain ?
— Oui, Votre Majesté. Des individus entraînés, rapides, bien équipés… et ils ont été vaincus. Mais pas sans conséquences. L’un de nos jeunes recrues, Aki, a failli y laisser la vie. Sans mon intervention, il serait mort.
Helena croisa les doigts sous son menton.
— Et les tentes découvertes ?
— Marquées par les mêmes symboles que ceux portés par les barbares ayant attaqué le village au nord. Ce n’est pas une simple coïncidence.
— Le danger se rapproche… soupira-t-elle.
Après un instant de silence, elle ajouta :
— Je veux rencontrer ce garçon. Et les membres de son groupe. Dès qu’il sera rétabli.
— Bien, Votre Majesté.
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Quelques jours plus tard, Aki se réveilla à l’infirmerie. Sa vue était encore floue, sa tête lourde, mais il sentit immédiatement une présence familière.
— Hana…
— Aki ! s’exclama-t-elle en retenant un sanglot. Tu es réveillé ! Tu vas bien ?
— Je suis en vie… je crois…
Monsieur Lern, assis dans un coin, se leva et s’approcha de lui.
— Tu as mis assez de temps, jeune homme. L’académie est en effervescence. On raconte déjà ton combat contre les hommes en noir comme une légende.
Aki sourit faiblement.
— Ce n’était pas très légendaire sur le moment.
— C’est souvent comme ça avec les héros, dit Lern avec un demi-sourire. La réalité est toujours plus sanglante que les chansons.
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Le lendemain, l’infirmier donna son accord pour que Aki quitte le lit, à condition de ne pas forcer. À sa sortie, il fut accueilli par des applaudissements et des regards admiratifs. Les élèves de l’académie, autrefois méfiants ou condescendants, le regardaient désormais avec un mélange de respect et d’admiration.
Des filles de son âge se mirent à chuchoter à son passage, certaines lui adressant des sourires timides. Même la princesse, héritière du trône, descendit dans les couloirs pour le voir de ses propres yeux.
— Ainsi, c’est toi, Aki. Celui dont tout le monde parle.
Elle avait une prestance naturelle, une beauté raffinée et un regard intelligent. Elle lui tendit la main.
— Je suis ravie que tu sois encore en vie. Le royaume aura peut-être besoin de gens comme toi bientôt.
Aki, embarrassé, serra la main de la princesse sans savoir quoi répondre. Hana, plus loin, observait la scène en silence, un mélange de fierté et d’inquiétude dans le regard.
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Dans les montagnes brûlantes à l’Est, loin d’Ignésia, un tout autre décor prenait vie.
Dans la vaste cour du royaume ennemi, les tambours de guerre résonnaient. Des troupes de barbares et de soldats s’étaient rassemblées, armés jusqu’aux dents, hurlant des chants gutturaux. Le roi des barbares, imposant, une hache noire à double tranchant à la main, se tenait sur un balcon de pierre.
— Guerriers de feu et de cendres ! Notre heure approche ! cria-t-il d’une voix tonitruante. Ignésia pense que nous sommes divisés, affaiblis… mais nous sommes la tempête qui balaiera leur paix factice !
Les soldats rugirent en réponse.
— Préparez-vous à marcher sur leurs terres ! À brûler leurs récoltes, à briser leurs murailles, à leur arracher tout espoir !
Les bannières noires flottèrent au vent. Le roi leva sa hache.
— Car nous sommes la Fin !
Et la guerre, elle, n’était plus qu’une question de jours.
Dans l’obscurité d’un vaste campement, éclairé par les flammes des torches et le reflet rougeoyant d’un immense feu central, un homme imposant trônait sur une pierre sculptée, à la fois trône et autel de guerre. Son visage demeurait caché par un masque d’os, mais ses yeux rouges brillaient comme deux braises sous l’ombre de sa capuche.
Un de ses soldats, couvert de poussière, entra dans la tente royale et s’agenouilla devant lui. Il parlait d’une voix basse, presque tremblante :
— Seigneur… nous avons retrouvé les restes calcinés de trois de nos éclaireurs… dans la grande forêt d’Ignésia. Des témoins disent qu’ils ont été abattus par un seul garçon… aux cheveux blancs… et aux yeux verts.
Un long silence suivit.
Le chef releva lentement la tête. Une lueur brève passa dans son regard. Puis, lentement, presque imperceptiblement, un sourire se dessina derrière le masque.
— Cheveux blancs… yeux verts, murmura-t-il dans un souffle rauque. Hahaha… Alors, il est encore en vie.
Il se leva de son trône, et son ombre gigantesque se projeta sur les parois de la tente.
— Il a réussi à abattre un mage… Un véritable mage… Dans ce monde où la magie s’éteint peu à peu, seuls quelques élus naissent encore avec ce don. Ce garçon… s’est débarrassé de l’un d’eux… seul.
Il s’avança lentement jusqu’à la sortie, observant la nuit. Des éclairs illuminèrent l’horizon au loin. Il leva une main, paume ouverte vers le ciel.
— Ce monde change. Les anciens pouvoirs refont surface. Les flammes du passé refusent de s’éteindre.
Il referma le poing.
— Ce garçon… Est-ce le fruit du hasard ? Ou bien… est-ce le destin qui l’amène jusqu’à moi ?
Il laissa échapper un rire grave, guttural.
— Peut-être est-il enfin prêt. Peut-être que le feu que j’ai laissé derrière moi ce jour-là… n’a jamais cessé de brûler.
Puis il tourna le dos à ses hommes et dit
---- Cette guerre sera vraiment très excitante
A suivre...........