Chapitre 5 : Début du Règne(2)

Il était minuit.

Le ciel au-dessus de Barryland était noir comme le deuil, sans lune, sans brise.

Mais dans l'ombre des toits et des cours secrètes, une silhouette dansait.

Jack de Yshar.

Assassin du Clan du Poison.

Classe S.

L'un des seuls autorisés à tuer sans autorisation impériale préalable... mais seulement en cas de menace absolue.

Pourtant, ce soir-là, il n'avait pas attendu l'autorisation.

Il observait Harth Von Barry depuis deux jours. Et ce qu'il avait vu...

— Ce garçon... n'est pas une anomalie. Il est une déchirure dans l'ordre du monde.

Jack lécha ses lèvres fines, un sourire cruel aux coins des yeux.

— Je vais le tuer. C'est trop délicieux pour résister.

Mais avant qu'il ne frappe, Teyra apparut, se dressant entre lui et sa proie.

Son regard était dur, mais sa posture trahissait sa tension.

— Tu n'es pas là pour le tuer, Jack. Tu dois observer et rapporter. C'est notre mission. Tu n'as pas l'autorisation.

Jack pencha la tête comme un oiseau moqueur.

— Oh, Teyra, Teyra... douce petite fleur qui a perdu son venin...

Il fit un pas lent vers elle.

— Tu as ramolli. Et c'est pour ça qu'on m'a envoyé.

Puis son sourire se déforma.

— Pousse-toi. Ou je te saigne.

Teyra resta droite.

— Si tu essaies de le tuer... alors je devrai te neutraliser.

Jack éclata de rire.

— Oh ? Voyez-vous ça. La petite espionne veut m'arrêter ?

— Je ne veux pas. Je dois.

Elle dégaina deux dagues fines, imprégnées de toxine mentale.

Jack claqua des doigts. Deux lames apparurent dans ses paumes.

— Allons voir si tu as encore des crocs, chienne déchue.

Le combat fut fulgurant.

Teyra frappait vite, précise, acérée comme le poison qu'elle manipulait.

Mais Jack... était autre chose.

Il dansait dans l'ombre. Il ne bloquait pas. Il esquivait avant que le coup ne parte.

Elle tenta de le prendre de vitesse, d'utiliser les techniques secrètes de Yshar.

Mais il riait.

Et au bout de quelques minutes...

Teyra était au sol.

Son sang coulait.

Une jambe brisée.

La gorge exposée.

Jack leva sa lame.

Froide.

Finale.

— Adieu, traîtresse. T'aurais dû rester dans le rang.

Au moment où la lame allait trancher...

un souffle fendit l'air.

Une frappe latérale, invisible, frappa Jack.

Mais il la bloqua d'une main, sans regarder.

Assassin d'élite.

Il tourna lentement les yeux vers son agresseur.

Et vit... Harth Von Barry.

Seul.

Calme.

Le regard presque amusé.

— Désolé, vieux borgne, dit-il d'un ton moqueur.

— Tu ne peux pas la tuer. Elle sera la future commandante de mon unité de renseignement.

Jack recula d'un pas, surpris par le ton.

Puis il sourit, méprisant.

— Oh ! Qui voilà ? Le petit bâtard célèbre de Barryland. On parle de toi comme d'un mythe... ou d'une blague.

Harth haussa un sourcil, l'air détaché.

— Oh ! Vous me connaissez ? Je suis flatté.

Il inclina la tête avec un sourire poli.

— Et vous êtes qui déjà ? Ah... peu importe. Je suis sûr que ça ne vaut pas la peine de le retenir.

Jack serra les dents.

La moquerie. Le calme. Le mépris.

Il voulait le briser.

— Je vais te faire regretter d'être né.

Mais Harth sourit encore... et son regard changea.

Il devint noir. Glacial. Tranchant.

— Si tu bouges, je te tue.

Si tu respires sans ma permission, je te tue.

Il s'approcha.

— Depuis le début... tu étais déjà un homme mort.

Jack voulut répliquer, mais Harth désigna les ombres autour.

— Tu ne me crois pas ? Regarde autour de toi.

Jack obéit.

Et il vit.

Des dizaines de silhouettes, immobiles, silencieuses, aux yeux brillants.

Pas des soldats.

Des anomalies.

Des Loups du Néant.

La deuxième unité de Harth.

Et ce n'était que l'une des trois déjà formées.

Ils étaient formés, synchronisés, prêts à tuer sur un ordre.

Jack comprit.

Ce garçon... n'est pas un danger pour l'Empire.

Il est un cataclysme.

Soudain, un vent magique souffla à travers le domaine.

Des gardes furent jetés au sol. Les pierres vibrèrent.

Un rugissement silencieux secoua l'âme des murs.

Et Kalzar Van Barry apparut.

Son manteau noir flottait, et ses yeux... étaient rouges.

Il vit Jack, au sol, inconscient, marqué, neutralisé.

Et Harth, debout, les bras croisés, tandis que les Loups disparaissaient dans l'ombre, portant Teyra blessée.

Kalzar resta figé.

Un silence de mort.

Puis ses doigts se crispèrent.

"Les Yshar... ont envoyé un assassin... ici."

La pièce devint glaciale.

Des fissures apparurent sur le sol.

— Ils ont franchi la ligne. Ils ont osé... m'humilier.

Et dans tout le duché, une rumeur naquit :

"Un Van Barry en colère... est pire qu'un dragon."

Jack, brisé, fut traîné dans les profondeurs du donjon de Kalzar.

Dans une salle sans lumière.

Sans issue.

Et confié au maître interrogateur du duché :

Zaril Nox, frère du garde Steel, et véritable monstre d'analyse mentale.

Le sort de Jack...

ne serait ni rapide,

ni propre,

ni oublié.

Trois jours après l'incident au domaine Van Barry, une réunion exceptionnelle fut convoquée dans un lieu que l'on croyait depuis longtemps oublié : la Salle du Voile, au centre de la capitale impériale.

Une salle circulaire, noire comme l'onyx, entourée de trônes d'obsidienne, chacun portant le sceau des Sept Grands Clans.

Ce jour-là, six trônes étaient occupés.

Le septième, celui du Clan des Dragons — gardé vide depuis des siècles — resta dans l'ombre.

Assis sur le trône aux griffes d'acier, Kalzar Van Barry, patriarche du Clan de l'Épée Démoniaque, croisa les bras, silencieux, le regard comme deux éclats de feu.

En face de lui, drapée dans des voiles de soie noire et de perles sanglantes, Lilith Yshar, matriarche du Clan du Poison, souriait calmement.

Autour, les autres représentants — Cantar des Chevaliers, Zelaroth des Alchimistes, Thalner des Mages, et Durnval des Lances — se taisaient, tendus.

Même eux savaient que le moindre mot pourrait faire basculer l'équilibre.

Kalzar se leva, sa voix plus froide que le marbre :

— Un assassin de votre clan, Jack de Yshar, a été retrouvé inconscient dans mon domaine, les armes à la main, après avoir attaqué l'un de mes fils. Il a été neutralisé par mes propres gardes.

Il posa ses mains sur la table.

— Ceci est un acte d'agression directe contre la Maison Van Barry.

Lilith ne répondit pas tout de suite.

C'est Maelis Yshar, l'un de ses conseillers, qui avança une tablette scellée de sceaux runiques.

— Des visions ont été reçues. De multiples sources : voyants, moines, prophètes de l'Ordre de l'Oeil Inversé. Tous ont vu...

Il marqua une pause.

— Un enfant du duché Van Barry. Une anomalie. Un catalyseur du déséquilibre à venir. Une menace pour le monde connu.

Un murmure parcourut la salle.

Kalzar ne broncha pas. Il tourna la tête lentement vers Lilith.

— Alors c'est pour cela que vous avez osé infiltrer mon territoire ? Parce que vos "visions" vous l'ont permis ?

Il claqua la main contre la table.

— Pourquoi est-ce à vous de le surveiller, et pas à moi, son propre père ?

Ses yeux étincelèrent.

— Ou peut-être n'était-ce pas une mission de surveillance... mais une tentative d'infiltration avant une attaque sournoise ?

Les représentants se raidirent.

L'atmosphère devint suffocante.

Et alors... une voix s'éleva.

Douce. Angélique. Enivrante.

— Calme-toi, oh grand dragon démoniaque...

Chaque mot caressait l'air comme du velours imbibé de poison.

— Toi, Kalzar Van Barry... maître des terres noires, patriarche de la lame dévorante. Je comprends ta colère.

Lilith Yshar se leva lentement, ses yeux violets brillant d'une sensualité troublante.

— Mais crois-moi : jamais je n'aurais autorisé qu'un assassin lève la main sur ton sang, sans être certain que ce sang... ne devienne venin.

Elle s'approcha de quelques pas, glissant entre les ombres.

— Ce n'était pas une attaque. C'était une alerte silencieuse. Peut-être mal exécutée, j'en conviens... mais nécessaire.

Elle marqua une pause, puis ajouta avec un sourire fin :

— Tu es père, Kalzar. Mais aussi chef de clan. Si ton fils devient une anomalie incontrôlable... le laisseras-tu croître, par simple fierté ?

Kalzar ne répondit pas.

Mais son regard... se fit plus noir encore.

Dans les couloirs extérieurs de la Salle du Voile, les émissaires impériaux prenaient des notes.

Ils avaient vu l'échange.

Mesuré les tensions.

Et dans les cours de l'Empire, la rumeur se propagea :

"Le Troisième Fils du Duc Kalzar a attiré l'attention des Grands."

"Même les Yshar le craignent."

"Et Kalzar... hésite entre le protéger ou l'utiliser."

Un jeune prince oublié devenait... le cœur d'un orage.

Lorsque la réunion fut levée, Kalzar quitta la salle sans un mot.

Ses pas étaient lents. Mais à chaque fois qu'ils frappaient le sol... les murs semblaient vibrer.

Puis, à voix basse :

— Mon fils... que deviens-tu vraiment ?

La douleur la réveilla avant même la lumière.

Teyra ouvrit lentement les yeux, chaque muscle de son corps brûlant, chaque nerf criant vengeance.

Sa voix tenta de sortir...

Rien.

Elle inspira brutalement.

— Ce... foutu enfoiré de Jack...

Elle grinça des dents, sentant sa gorge et ses côtes protester.

— Il a dû m'injecter un poison de douleur... ce sadique aime ça. Il adore nous faire sentir chaque fracture, chaque plaie...

— Ah ! Tu es réveillée.

La voix qui lui répondit était douce, jeune... mais sûre.

Melira Thalen, une jeune femme aux cheveux cendrés, à la tunique blanche marquée d'un sceau inconnu, souriait calmement.

— C'est bien toi, Teyra, non ? Reste encore un peu allongée. Ça va passer.

Teyra la fixa, méfiante.

— Qui es-tu ? Pourquoi tu me soignes ? Qui m'a amenée ici ?

— Je m'appelle Melira Thalen. Je suis la guérisseuse personnelle de mon maître : Harth Von Barry.

Teyra se redressa aussitôt, son regard noir s'ouvrant de stupeur.

— Harth... ?

Melira hocha la tête.

— C'est lui qui t'a sauvée. C'est lui qui a neutralisé Jack. Tu étais entre la vie et la mort.

Teyra détourna les yeux, son cœur battant vite.

— Il est encore là, Jack ? Il... il pourrait revenir...

Melira secoua la tête avec une étrange tendresse :

— Tu ne comprends pas. Mon maître l'a vaincu. Le duc Kalzar a été informé immédiatement de l'implication des Yshar. Il a pris des mesures.

Le sang de Teyra se glaça.

Le duc... au courant.

L'échec... confirmé.

Et dans le clan Yshar, un échec signifiait la mort.

Non pas par Lilith.

Mais par les serpents qui rôdaient autour d'elle.

Ils me tueront... je n'ai plus de retour possible...

Une vision la traversa.

Le souvenir de la serre.

Le regard de Harth.

Son offre.

Sa promesse.

Et pour la première fois, Teyra sentit non plus de la peur...

Mais une possibilité.

Quelques jours plus tard, Teyra marcha péniblement jusqu'aux salles d'entraînement souterraines du sanctuaire en construction.

Là, elle trouva Codi Dhaz, le majordome, et Steel Nox, le garde du corps, en plein entraînement.

Harth, vêtu de noir, le regard calme, les observait.

Il levait la main.

Ils obéissaient.

Il ordonnait.

Ils souffraient.

Mais ils changeaient.

Teyra s'approcha.

Harth ne se retourna même pas.

— Tu es venue.

Elle baissa légèrement la tête.

— J'accepte.

Harth se retourna enfin, ses yeux brillants d'une malice contenue.

— Alors prépare-toi. Car pour me suivre, tu devras mourir... et renaître.

Elle ferma les yeux.

— Je suis prête.

Et ainsi, Teyra Yshar mourut.

Et naquit Teyra Lathos.

Le rituel eut lieu sous la lune noire.

Autour d'un cercle de cendres et de flammes, Harth scella son pacte

Teyra de yshar désormais Teyra Lathos.

Un pacte ni magique ni religieux.

Un pacte de volonté. De vérité. De loyauté absolue.

"Je suis ton ombre,

Ton bras,

Ton œil,

Et ton silence.

Si tu meurs, je meurs.

Si tu vis, je tue.

Je suis l'arme de ton empire oublié."

Le feu s'éteignit.

Les pactes étaient scellés.

Pendant ce temps, à la Cité HauteKalzar Van Barry s'agenouilla brièvement devant le trône de l'Empereur.

Hélios D. Constantin, souverain de l'Empire, le regardait sans un mot, entouré de ses Archivistes.

— Lilith... t'a encore cherché, je vois, dit l'empereur.

Kalzar ne répondit pas.

Hélios sourit.

— Je me souviens de vous deux à l'Académie Antala. Deux monstres en gestation... Qui aurait cru qu'elle choisirait le Poison, et toi, le Fer...

Puis, plus sérieux :

— Tu as un fils. Un troisième.

Kalzar hocha la tête.

— Oui. Il m'échappait. Il me surprend. Mais il est mien.

— Tu sais ce que cela signifie ?

L'empereur montra un ancien registre.

— Les rapports le classent déjà potentiellement Classe Z.

Un silence.

— L'Académie Antala ne l'ignore pas. Il intégrera l'école dans deux ans. Comme ta fille, Layla.

Kalzar acquiesça lentement.

Et l'Empereur, dans un souffle :

— Prépare-toi. Ce garçon... va bouleverser l'ordre établi.

Les années passèrent. Deux longues années d'entraînement.

Chris Van Barry, le premier fils, surnommé L'Ombre du Dragon, dominait déjà la classe S de l'Académie.

Un génie. Un héros.

Le portrait de Kalzar.

Layla Van Barry, brillante, froide, elle aussi admise en classe S, ferait son entrée la même année que Harth.

Et puis, Evann Von Barry, le plus jeune.

Le bâtard ignoré, fils d'une concubine morte, arrivé tard, sans éducation, rejeté par tous...

... sauf par Harth.

Pendant deux ans, Harth Von Barry transforma sa baseses hommes, et lui-même.

Il forgea une armée secrète.

Il entraîna ses subordonnés sans pitié.

Torren, qu'il renomma Torren Walker, devint Maréchal de son armée et son bras droit.

Liséa Walker, sa mémoire vivante, devint Maîtresse du Savoir.

Codi DhazMajordome en chef.

Steel Noxgarde personnel et général en chef de l'unité 1 : les Loups des Ombres.

Zackiel Thornegénéral en second et chef des Loups du Néant (unité 2).

Teyra Lathos, ex-Yshar, désormais Commandante de l'unité SKIA, les ombres de l'information.

Et Evann, lui aussi, fut formé de force, tiré de son statut de cadet fragile pour devenir non pas un soldat silencieux, mais juste fort pour se protéger lui et de ne pas toujours être dans l'ombre de Harth, mais vivant à travers lui.

À la fin des deux ans, devant ses hommes rassemblés, Harth parla :

— Je suis Harth Von Barry.

Sa voix portait plus loin que les murs.

— Je suis votre maître.

Si je meurs, vous mourrez.

Si je vis, vous vivez.

Vous êtes mes crocs. Mon feu. Mon héritage.

Et je vous élèverai plus haut que le ciel.

Tous s'agenouillèrent.

L'Académie Antala envoyait enfin ses lettres.

C'était l'heure.

Layla Van Barry : Classe S.

Harth Von Barry : Classe ??.

Et le monde, encore endormi, n'avait aucune idée que dans deux ans de silence...

Harth avait déjà créé un royaume.